C. UNE RECONNAISSANCE INTERNATIONALE
Enfin, le cinéma français remporte dans le reste du monde un réel succès critique, dont témoigne sa place privilégiée dans le palmarès des trois plus grands festivals de cinéma : la Palme d'or du Festival de Cannes, attribuée pour la première fois en 1939, Le Lion d'or de la Mostra de Venise, attribué depuis 1949, et l'Ours d'or du Festival de Berlin, attribué depuis 1951.
Prix par nationalité dans les trois principaux festivals de cinéma
Palme d'or |
Lion d'or |
Ours d'or |
Total |
|
France |
10 |
13 |
9 |
32 |
Italie |
5 |
11 |
8 |
24 |
États-Unis |
13 |
9 |
14 |
36 |
Au-delà des prix, le cinéma français a exercé une grande influence sur le reste du monde, en particulier avec la génération dite de la « Nouvelle Vague » qui à la fin des années 50 révolutionne le cinéma, alors jugé trop classique et académique. François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Jacques Rivette et Agnès Varda sont aujourd'hui des figures reconnues dans le monde entier, et ont su conquérir succès critique et spectateurs.
Pays de naissance du cinéma, la France est donc aujourd'hui un acteur singulier du cinéma mondial, de par l'appétence du public, mais aussi la diversité et la qualité de ses productions nationales, reconnues aussi bien par son public qu'au niveau critique.
D. LE CINÉMA À L'ÉPREUVE DE LA PANDÉMIE
1. Une crise existentielle
Alors que le cinéma en France vivait une période presque euphorique, avec des fréquentations en salle proches des records, la crise pandémique s'est brutalement imposée comme un sujet majeur, posant une question existentielle à tout un secteur.
Ainsi, comme s'en faisait l'écho le rapporteur pour avis de la commission de la culture, également co-rapporteur de la présente mission lors de l'examen du projet de loi de finances pour 20235(*), le cinéma a traversé en fin d'année 2022 une forte zone de pessimisme et d'incertitude, relayée par une presse aux accents alarmistes : « Chute de la fréquentation des salles : à qui la faute ?6(*) », « Panique à bord du cinéma français »7(*), « Le cri d'alarme d'un cinéma en crise »8(*).
Ce cri de détresse a révélé une perte de confiance latente et profonde, dont le présent rapport se fait d'ailleurs l'écho. Il convient cependant de distinguer ce qui relève de la conjoncture, avec un retour en salle difficile suite à la crise pandémique, d'un bouleversement plus structurel de l'offre9(*) et des modes de consommation des oeuvres culturelles.
Le cinéma et l'audiovisuel ont bénéficié d'un soutien massif de l'État pour leur permettre d'affronter la crise, en plus des dispositifs de droit commun : 86,2 millions d'euros en 2020, 182,2 millions d'euros en 2021 et 44,2 millions en 2022, soit un total sur ces trois années de 313 millions d'euros. Ces fonds ont permis d'éviter des conséquences probablement fatales pour le secteur de l'exploitation comme de la production. Pour autant donc, l'interprétation de la reprise s'avère complexe.
2. Une reprise en pente douce
Les salles sont restées fermées 162 jours en 2020 et 138 jours en 2021. La reprise s'est faite en mode « dégradée ». La grande crainte était alors celle d'une perte d'habitude définitive des spectateurs.
Les discours très pessimistes du mois d'octobre se focalisaient sur les entrées alors prévues de l'année 2022, estimées à 155 millions. Les chiffres définitifs sont finalement légèrement inférieurs, avec 152 millions d'entrées.
Cette fréquentation peut être interprétée de plusieurs manières. Côté pile, elle s'établit en hausse de près de 60 % par rapport à 2021, alors même que 2022 a été elle aussi marquée par des restrictions jusqu'au mois de mars. Côté face, la fréquentation est toujours en retrait de près de 27 % par rapport à la période 2017-2019, même si sur la même période, l'Italie enregistrait une baisse des entrées de 52,7 %, l'Espagne de 40,7 %, l'Allemagne 31,6 % et les États-Unis de 33,8 %.
Le constat peut donc paraitre mitigé. Il doit cependant être nuancé.
D'une part, si une fréquentation de 152 millions de spectateurs peut décevoir, il convient de rappeler que la moyenne des années 80 était très inférieure, avec 135 millions de spectateurs. En réalité, si l'année 2022 est une déception c'est parce que le monde du cinéma attendait un retour à la normale plus rapide, qui ne s'est pas produit.
Évolution des entrées (en millions de spectateurs) |
Moyenne par décennie (en millions de spectateurs) |
Dès lors, si l'on ne peut se satisfaire du niveau de fréquentation de 2022, il demeure prometteur pour la suite, en ne marquant pas une rupture historique.
D'autre part, des facteurs propres à l'offre même dans les salles peuvent expliquer le niveau contrasté de la reprise.
En plus des restrictions sanitaires, l'année 2022 a en effet été marquée par deux grandes tendances :
- première tendance, la faiblesse en volume de l'offre de films américains. Alors que la moyenne sur la période 2017-2019 est de 129 films par an, les années 2020, 2021 et 2022 ont été particulièrement sinistrées, avec respectivement 55, 78 et 69 sorties en France. Cela traduit l'arrêt presque total de la production américaine pendant la crise, notamment en Californie, mais également les hésitations des studios sur leur rapport à la salle de cinéma. Or le succès du cinéma américain est intimement lié à celui du cinéma français, non seulement par le financement, mais aussi par l'attention qu'il permet de porter sur les salles. Les spectateurs peuvent aller voir un « blockbuster », mais en profiter pour découvrir un autre film ;
- seconde tendance, l'offre de films français, si elle a été abondante, a manqué de « têtes d'affiche ». En témoigne ainsi l'absence, pour la première fois depuis 1989, d'un film français dans le « Top 10 » des fréquentations, intégralement dominé par les productions américaines.
Aucun film français dans les dix premières entrées en France en 2022
1. Avatar : La Voie de l'eau, 6 870 704 entrées
2. Top Gun : Maverick, 6 676 052 entrées
3. Les Minions 2 : Il était une fois Gru, 3 874 478 entrées
4. Jurassic World : Le Monde d'après, 3 480 898 entrées
5. Black Panther : Wakanda Forever, 3 419 661 entrées
6. Doctor Strange in the Multiverse of Madness, 3 390 574 entrées
7. The Batman, 3 032 965 entrées
8. Thor : Love and Thunder, 2 872 052 entrées
9. Les Animaux fantastiques 3, 2 752 361 entrées
10. Uncharted, 2 514 261 entrées
Cette relative faiblesse de l'offre française se retrouve dans la répartition des entrées. Ainsi, en 2022, 30 films ont réalisé plus d'un million d'entrées et 16 plus de deux millions d'entrées. Ce niveau est très inférieur à celui observé avant la crise, avec 51 films à plus d'un million d'entrées, en moyenne, chaque année et 22 à plus de deux millions.
3. Une année 2023 pleine de dangers
Il est bien entendu impossible de prédire à date les résultats de l'année 2023. L'ensemble des personnes entendues dans le cadre de la mission se sont cependant montrées extrêmement confiantes, en particulier au regard des sorties prévues, avec de grosses productions comme Les Trois Mousquetaires10(*) de Martin Bourboulon. L'une des personnes a ainsi estimé que 53 films prévus pour 2023 avaient le potentiel de dépasser le million d'entrées.
Astérix et Obélix : l'Empire du Milieu, de Guillaume Canet, est le premier film français à franchir la barre des quatre millions de spectateurs depuis Qu'est-ce qu'on a tous fait au Bon Dieu ? en février 2019, et devrait logiquement être présent dans la liste des plus gros succès de l'année.
Si rien ne permet donc de conforter un discours alarmiste, le cinéma en salle apparait pourtant encore comme un patient en convalescence, avec des chiffres de fréquentation qui peinent à retrouver durablement le niveau, certes très élevé, d'avant la crise.
Entrées en salles comparées sur les deux premiers mois de l'année
(en millions de spectateurs)
Les données saisonnières doivent cependant être interprétées avec prudence, quelques succès ou déceptions au box-office, dans un marché très concentré, pouvant changer radicalement une année. Ainsi, le mois d'avril 2023, avec 19 millions d'entrées, est supérieur à la moyenne 2017-2019 de 2,7 %.
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Le succès du cinéma français ne doit cependant rien au hasard. Il se fonde au contraire sur une réelle et ancienne volonté politique, portée et incarnée sur le long terme par un ensemble institutionnel et professionnel unique au monde.
* 5 https://www.senat.fr/rap/a22-120-43/a22-120-43.html
* 6 Le Monde 17 octobre 2022
* 7 Le Monde, 8 octobre 2022
* 8 Libération, 4 octobre 2022
* 9 Voir partie IV du présent rapport.
* 10 Sortie le 5 avril 2023.