III. LA FRANCE FACE À SES COMPÉTITEURS STRATÉGIQUES
A. DES COMPÉTITEURS QUI CHERCHENT À ÉTENDRE LEUR INFLUENCE
La France doit tenir compte de concurrents stratégiques de plus en plus présents dans la région. Ainsi, la Russie continue à étendre son influence, après avoir développé son partenariat avec les gouvernements de la République centrafricaine, du Mali, puis désormais, du Burkina Faso. Cette influence s'appuie sur des outils de lutte informationnelle comme RTNews mais aussi sur la diffusion de fausses informations via les réseaux sociaux, de manière ouverte ou souterraine. Elle s'appuie également sur la formation des officiers en Russie et, dans certains pays, sur la mise en place de partenariats militaires s'appuyant sur le groupe Wagner. Elle pourrait ainsi, à l'opposé des propositions de soutien françaises ou européennes, une coopération sans conditionnalité en matière de respect des droits de l'homme ou de bonne gouvernance. Au début de février 2023, le ministres des affaires étrangères russe a ainsi effectué une visite au Mali et a promis son aide « à la région sahélo-saharienne et même aux pays riverains du golfe de Guinée », montrant ainsi clairement que le golfe de Guinée est la prochaine étape pour la Russie .
La Chine est le deuxième grand compétiteur de la France dans la région et développe en premier lieu son influence par le biais de la construction d'infrastructures de grande ampleur , comme la mission a pu le constater à Lagos et à Abidjan. Le soutien de la Chine, comme l'ont indiqué les interlocuteurs de la mission, est très apprécié en raison de sa puissance de frappe financière, et ce malgré quelques échecs dus à une qualité parfois insuffisante des infrastructures qu'elle a construites. D'un point de vue militaire, la Chine est également de plus en plus présente, bien qu'elle n'ait pas encore installé de base militaire similaire à celle mise en place en Afrique de l'Est, à Djibouti, en 2017. L'hypothèse de l'installation d'une base militaire chinoise sur la façade atlantique est cependant très régulièrement évoquée.
Outre ces deux pays, l a Turquie continue également à développer son influence par le biais de la multiplication de ses implantations consulaires, des lignes aériennes de la compagnie nationale Turkish Airlines, mais aussi de ses ventes de matériels militaires, notamment aérien, ou encore de la construction de mosquées ou d'écoles.
Ces pays, en particulier la Russie, exploitent et attisent le « sentiment anti-français » qui s'est de plus en plus développé dans la région et qui revêt une réalité complexe. Plus répandu dans les grandes villes qu'à la campagne, plus virulent sur les réseaux sociaux, où il constitue le « fonds de commerce » de certains influenceurs, que dans la rue, ce sentiment se fonde sur la référence aux luttes anti-coloniales mais aussi sur un panafricanisme modernisé. Il s'allie avec un rejet de la corruption des élites et peut être instrumentalisé par les adversaires stratégiques de la France au sein, paradoxalement, d'un projet d'influence anti-démocratique, autoritariste, nationaliste et favorable aux régimes militaires issus des putschs, tout en faisant le lit d'une perte réelle d'autonomie du pays concerné au profit des puissances qui l'attisent.
La France a récemment mis en place des éléments d'une stratégie d'influence pour contrer ces évolutions. Ainsi, la diplomatie publique et l'influence sont-elles considérées comme une fonction stratégique dans la nouvelle Revue Nationale Stratégique 2022 . En outre :
- une nouvelle sous-direction de la veille et de la stratégie du Quai d'Orsay a été mandatée pour conduire la réponse française aux défis informationnels ;
- la France dispose d'un ambassadeur dédié à la diplomatie publique en Afrique et d'un Ambassadeur pour le numérique, chargé de promouvoir nos valeurs et notre culture dans le monde numérique ;
- le ministère des Armées a adopté une doctrine de « lutte informatique d'influence » en octobre 2021 et une cellule Anticipation, stratégie et orientation (ASO) fonctionne désormais au sein de l'État-major des Armées.
L'objectif est également d'exploiter davantage l'OSINT ( Open Source Intelligence ), dont la guerre en Ukraine a montré l'utilité : l'OSINT a notamment joué un rôle central pour déconstruire les récits promus par la Russie.
Pour aller plus loin dans cette voie, il serait utile d'utiliser les réseaux sociaux d'une manière plus active, comme cela a pu être fait lors des accusations mensongères de Wagner concernant un charnier à Gossi au Mali en avril 2022.
Il ne s'agit pas de diffuser des contre-vérités, mais au contraire d'illustrer davantage, preuves à l'appui, deux réalités : d'une part l'équipe France mène de nombreuses actions en faveur des populations locales ; d'autre part ses compétiteurs stratégiques ont souvent un agenda caché et des groupes qui leur sont étroitement liés comme les mercenaires de Wagner , dans le cas de la Russie, commettent de nombreuses exactions et mettent les pays qu'ils investissent en coupe réglée.