C. UNE MEILLEURE FORMATION INITIALE ET CONTINUE DES HAUTS FONCTIONNAIRES
En juin 2016, notre délégation, dans son rapport précité « Droit de l'urbanisme et de la construction : l'urgence de simplifier », recommandait d'enseigner la simplification - sa méthodologie et ses procédures - dans les écoles de la fonction publique (ENA, INET, IRA, ENSP...) et de l'intégrer aux cours de formation continue des agents des trois fonctions publiques, idée reprise par la proposition n° 6 du Conseil d'État dans son étude de juillet 2016 sur la simplification 11 ( * ) , ainsi libellée : « Former spécifiquement les producteurs de normes à la simplification et à la qualité du droit. Enseigner le principe suivant lequel la prise en charge de la complexité revient à l'administration et non à l'usager ».
Dans le cadre de notre consultation nationale réalisée, début 2021, auprès des élus locaux, ces deniers ont été interrogés sur la proposition d'intégrer aux programmes de formation des élèves fonctionnaires des modules en matière de simplification législative, réglementaire et administrative. Cette idée a recueilli 93 % de réponses positives .
Intégrer aux programmes de formation des
élèves fonctionnaires
des modules en matière de
simplification
Tout à fait d'accord |
2181 |
67% |
|
Plutôt d'accord |
833 |
26% |
|
Sans opinion |
157 |
5% |
|
Pas vraiment d'accord |
34 |
1% |
|
Pas du tout d'accord |
27 |
1% |
|
Total |
3232 |
Source : Consultation nationale des élus via
la plateforme internet du Sénat, mars 2021
Cette question de la formation est essentielle, car il serait vain de vouloir toujours courir après la norme pour la simplifier. Il faut, au contraire, l'empêcher d'être produite lorsque son utilité n'est pas avérée, ce qui exige une profonde évolution de la culture administrative des fonctionnaires. Comme indiqué plus haut, la meilleure norme est bien souvent celle que l'on ne produit pas... En d'autres termes, une norme ne devrait être produite que lorsqu'il est démontré par son auteur que le droit en vigueur ne répond pas déjà aux enjeux soulevés par la norme nouvelle envisagée. Cette logique, qui repose sur un renversement de la charge de la preuve, doit pleinement intégrer la formation de tous les producteurs de normes.
Pleinement conscient de cet enjeu, le CNEN a plaidé en 2021 pour « une évolution structurelle de de la culture normative » 12 ( * ) . Le 26 novembre 2020, il avait organisé un colloque intitulé « Changer la culture normative » et dont le premier volet était précisément : « Former et informer ». Pour reprendre les propos du président Alain Lambert à cette occasion : « Le CNEN plaide pour un renforcement massif de formation pour les rédacteurs de normes afin qu'ils maîtrisent mieux les préceptes et outils inclus dans les guides, qu'ils proposent d'eux-mêmes des alternatives à la norme. ». Lors de ce colloque, Patrick Gérard, alors directeur de l'ENA, relevait par ailleurs : « Simplifier et améliorer la qualité du droit comporte une dimension culturelle manifeste qu'on ne peut permettre d'ignorer. « Changer de culture normative », pour reprendre le titre du colloque, implique donc d'agir sur la culture administrative elle-même, et c'est bien là que réside l'importance de la formation en tant que transmission de savoirs, et apprentissage de techniques, savoir-faire et savoir agir dans une logique de professionnalisation. Simplifier, c'est enclencher un processus de changement, de transformation, remettre en cause des modes de fonctionnement acquis, auxquels « on » s'est habitué, et qui renvoient à des principes ou valeurs auxquels « on » est partiellement ou complétement attaché pour différentes raisons. Cela revient à bouleverser des jeux d'acteurs et des relations de pouvoir. » 13 ( * ) .
Ajoutons que la formation des fonctionnaires est essentielle pour garantir l' effectivité de la mesure « deux pour un » précédemment évoquée. Ainsi, Patrick Gérard a souligné devant notre délégation que « depuis que j'ai pris la direction de l'ENA en août 2017, j'ai demandé qu'il soit enseigné aux élèves, non seulement comment écrire les textes, mais aussi comment les supprimer. Ils doivent acquérir le réflexe de faire correspondre à l'écriture d'une norme la suppression d'une, voire de deux autres normes. » 14 ( * ) .
Interrogé par vos rapporteurs, l'Institut national du service public, créé le 1?? janvier 2022 pour remplacer l'ENA , a indiqué être pleinement engagé dans cette démarche : « La simplification de la norme est un enjeu d'amélioration de l'action publique auquel les élèves de l'INSP sont fortement sensibilisés. Ce sujet fait partie intégrante de la scolarité au titre de l'apprentissage des compétences juridiques et légistiques. Ces séquences pédagogiques donnent lieu à des travaux dirigés et à des mises en situation à l'occasion desquels les élèves sont amenés à pratiquer. (...) Les enjeux relatifs à l'action des collectivités et à la dimension territoriale des politiques publiques sont notamment travaillés dans un module mis en oeuvre conjointement avec l'INET. Les élèves travaillent à cette occasion sur des projets pouvant renforcer l'action publique dans « le dernier kilomètre ». Ces enjeux et ces compétences continueront à être travaillées dans le cadre de la nouvelle scolarité de l'INSP, en cours de construction, qui sera mise en oeuvre à partir de janvier 2024. ». Vos rapporteurs se félicitent de cet engagement et souhaitent qu'il se traduise par des effets tangibles.
* 11 Conseil d'État, Simplification et qualité du droit, Étude annuelle 2016.
* 12 CNEN, Rapport relatif à l'intelligibilité et à la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales au service de la transformation de l'action publique, 17 février 2021, p. 28-29.
* 13 CNEN et Lexis-Nexis, Améliorer la qualité du droit par la généralisation des bonnes pratiques, Actes du e-colloque du 26 novembre 2020, La Semaine juridique, édition générale, supplément au n° 3, 18 janvier 2021.
* 14 Audition du 6 janvier 2021 : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20210503/bulletin_dct_2021-05-06.html#toc2