IX. COMMENT RENDRE OPÉRATIONNELLE LA STRATÉGIE INDOPACIFIQUE DE LA FRANCE ?

A. DES MOYENS ADAPTÉS AUX AMBITIONS FRANÇAISES DANS UNE STRATÉGIE INDOPACIFIQUE OPÉRATIONALISÉE

La stratégie indopacifique française serait plus fédératrice si elle était plus lisible pour les partenaires que la France souhaite associer autour de ses objectifs et actions.

1. Réaffirmer une position française forte et réaliste face à la Chine

Les différentes conceptions de l'Indopacifique39(*) ne traitent pas de la question de la Chine directement ; la plupart d'entre elles, et celle de la France ne fait pas exception, énumèrent les partenariats souhaités et ignorent « l'éléphant dans la pièce », c'est-à-dire la Chine dont le poids et la politique sont essentiels dans la zone indopacifique. Les propos sur la Chine sont tenus de façon non officielle.

La stratégie de la France dans l'indopacifique contient 18 fois le mot Chine (dont 4 fois pour parler de la mer de Chine, 9 fois dans la description des forces économiques en présence ou dans la caractérisation de la situation environnementale, 2 fois sur une carte globale de l'Indopacifique, 1 fois pour indiquer que la Chine est un pays offensif dans la compétition en matière de recherche et de développement, et 2 fois pour caractériser l'importance de la Chine. Ces 2 mentions font l'objet du développement suivant).

À deux reprises, dans la partie intitulée « Des équilibres géopolitiques en recomposition », la stratégie française souligne le poids de la Chine dans la zone :

- la première fois, les revendications territoriales chinoises sont nommées de façon très prudente, ainsi que sa rivalité avec les États-Unis, mise au même niveau dans une phrase que sa rivalité avec l'Inde : « L'Indopacifique est aujourd'hui le théâtre de profondes évolutions stratégiques. La montée en puissance et les revendications territoriales de la Chine, exprimées de façon chaque fois plus appuyée, l'intensification de la compétition sino-américaine, les tensions à la frontière sino-indienne et dans la péninsule coréenne, modifient les équilibres régionaux et rendent l'équation stratégique plus complexe. ». Les revendications territoriales de la Chine ont pourtant fait l'objet d'une condamnation de la Cour permanente d'arbitrage (PCA) de la Haye en 2016. Il a ainsi été jugé que les revendications chinoises violaient l'article 21 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et « qu'il n'y a aucun fondement juridique pour que la Chine revendique ses droits historiques sur des ressources dans les zones maritimes à l'intérieur de la " ligne en neuf traits "40(*) »41(*),

- la seconde citation met en exergue la rivalité sino-américaine pour réaffirmer l'attachement de la France à un ordre multilatéral et fondé sur le droit : « Les États-Unis et la Chine sont engagés dans une compétition stratégique mondiale dont les principaux champs d'interaction sont situés dans l'Indopacifique. D'abord économique et technologique, cette rivalité s'est étendue au domaine militaire et déterminera, à moyen terme, la plupart des enjeux stratégiques régionaux. La compétition stratégique sino-américaine et le comportement de certains acteurs régionaux, qui privilégient les arrangements bilatéraux et les rapports de force afin de faire prévaloir leurs seuls intérêts nationaux, contribuent au délitement de l'ordre international, alors que les défis globaux exigent plus de coopération de la part des États. Les risques d'escalade non maîtrisée sont importants dans cette région dépourvue de mécanismes de règlement des crises. Conformément aux principes et aux valeurs qui caractérisent son engagement international, la France oeuvre en faveur d'un ordre international multilatéral et fondé sur le droit. Elle partage cet objectif avec ses principaux partenaires en Indopacifique, dont l'Inde, l'Australie, le Japon et l'Asean. ». La stratégie souligne la convergence sur ce point entre l'Inde, l'Australie, le Japon et l'Asean.

La France entend ainsi préserver sa capacité de dialogue avec tout acteur d'un théâtre géostratégique donné, ce qui correspond à son statut de membre permanent du Conseil de sécurité. La « troisième voie » ainsi défendue, voie d'équilibre ou de stabilisation pour reprendre les termes de la stratégie, permet de ne pas accepter l'installation d'une nouvelle guerre froide en IP où chaque pays devrait choisir son camp entre la Chine et les États-Unis. Les pays de l'Asean, le Japon, l'Inde et l'Australie défendent la même autonomie et manifestent le même refus de s'impliquer dans la rivalité sino-américaine, selon le document français. Les positions japonaise et australienne sont sans doute plus ambiguës, en témoignent le QUAD, Aukus et les accords de défense liant ces pays aux États-Unis.

L'objectif politique recherché par la France d'incarner une alternative à l'opposition sino-américaine conduit à « surjouer une différence d'approche, en partie artificielle, avec les pays anglo-saxons tout en favorisant les exportations d'armes vers certains pays comme l'Inde, les EAU et l'Indonésie, qui restent l'un des moteurs, bien que non assumé, de la politique étrangère française dans la région »42(*). Pourtant, la « troisième voie » française n'a pas convaincu l'Australie qui a renoncé au partenariat stratégique conclu avec la France et à la fourniture des sous-marins Barracuda pour renforcer sa coopération avec les États-Unis et dans une moindre mesure le Royaume-Uni dans le cadre d'Aukus. Le non-alignement de la France sur le FOIP des États-Unis a sans doute facilité la conclusion de certains contrats d'exportation d'armement, mais s'il devait nuire aux perspectives de l'industrie de défense française, il pourrait ne plus susciter l'adhésion de la BITD.

« Le résultat de cette stratégie de communication [sur l'IP] est l'utilisation de certains concepts diplomatiques difficiles à comprendre, et jamais définis avec précision - la France offrant une « troisième voie », la France en tant que « puissance d'équilibre(s) » (...). Ce discours français est parfois contre-productif auprès de certains de ses partenaires car il peut leur laisser croire que la France a une position ambiguë et surtout que ses ambitions ne sont pas en adéquation avec son poids réel, ce qui pose in fine des questions sur la crédibilité même de la stratégie. »43(*)

La position française à l'égard de la Chine a peu à peu évolué pour s'adapter à sa politique de plus en plus affirmée de recherche de puissance. Adopté en 2019 le mantra d'une Chine aux trois visages44(*) : partenaire, concurrent et rival systémique semble dépassé. Cette conception en triptyque de la Chine ne résout pas à elle seule la complexité d'une relation bilatérale protéiforme. La stratégie indopacifique de la France qui a tout d'abord prôné le renforcement de la coopération avec la Chine, pourrait souligner les décisions de la CPA pour être cohérente avec sa défense du multilatéralisme et de l'ordre fondé sur le droit international, et affirmer que les revendications de la Chine en mer de Chine ne sont pas fondées en droit international.

Ne pas se fondre dans la position américaine n'induit pas de ne pas renforcer la cohérence de la stratégie française à l'égard de la Chine. De la même façon, la clarification de la stratégie française n'a pas de raison d'entraîner un alignement sur les positions américaines, qui ne sont pas toutes favorables aux intérêts français et européens, en témoignent les récentes divergences sur les modalités de réindustrialisation des États-Unis annoncées par le Président Biden.

La stratégie française ne peut toutefois pas se définir « hors sol ». Être une puissance d'équilibre n'est possible que si la situation le permet. La politique et les ambitions chinoises semblent fragiliser l'équilibre indopacifique. L'aspiration au statut de puissance internationale de la Chine se manifeste par :

- un parti particulièrement puissant, le PCC, « parti-État »45(*), visant à mettre en oeuvre cette ambition et imposer les orientations définies pour sa réussite. « C'est peut-être cela qui distingue aujourd'hui la Chine, outre ses performances économiques, d'autres pays émergents : la détermination inébranlable du Parti communiste chinois à promouvoir le « grand renouveau de la nation chinoise » »46(*). En 2021, la Chine a célébré les 100 ans du Parti communiste chinois fort de 95 millions d'adhérents. À cette occasion, le Président chinois a déclaré : « Seul le socialisme a pu sauver la Chine. Seul le socialisme aux caractéristiques chinoises a pu développer la Chine »,

- une stratégie planifiée dans le temps long, visant à la doter du statut de première puissance mondiale d'ici 2050, année du centenaire de la création de la République populaire de Chine,

- et enfin, d'une volonté politique claire affirmée par son Président Xi Jinping. Le discours sur le retour de la Chine sur la scène internationale à « sa juste place », après « l'humiliation » liée aux guerres de l'opium et aux traités inégaux qui en ont découlé47(*), occupe une place importante dans la rhétorique du Président chinois48(*) et s'accompagne d'un discours sur le déclin de l'Occident qui laisserait ainsi place à un XXIe siècle chinois.

Le XXe congrès du parti communiste chinois qui s'est tenu en octobre 2022 a été l'occasion d'un nouveau durcissement des positions chinoises. La Chine semble prête à payer « le coût de ses positions politiques ou géostratégiques49(*) » : la nécessité de faire des concessions pour assurer sa croissance économique ne s'impose plus, « le Parti communiste chinois [place la consolidation de son pouvoir au tout premier rang de ses priorités et voit cela comme un prérequis au développement économique50(*) ». L'ère Hu Jintao de l'immense croissance économique cède la place -au moins de façon médiatique et symbolique à travers les images diffusées au monde entier de l'évacuation de l'ancien président de la tribune- à « un projet de pacte renouvelé entre la Chine et le Parti communiste chinois. (...). Hier, la source de sa légitimité était l'enrichissement impressionnant de la société chinoise dirigée par le Parti. Aujourd'hui, le Parti veut montrer que la donne a changé : ce qui assoit sa légitimité, c'est la promesse du rétablissement du rang impérial de la Chine- garanti par Xi Jinping (...) » 51(*).

Dans ce contexte, la France devra réaffirmer une position ferme si les aspirations chinoises sont défavorables aux intérêts français et aux valeurs qu'elle défend, tels le multilatéralisme, la libre navigation, l'État de droit et les droits de l'homme.

Recommandation : Réaffirmer une position française forte et réaliste face à la nouvelle volonté hégémonique de la Chine proclamée lors du 20e Congrès du parti communiste chinois. Partenaire et compétiteur commercial incontournable, la Chine s'affirme comme un rival systémique de plus en plus offensif. Ceci pourrait réduire les possibilités de faire progresser les sujets transversaux de protection de l'environnement et de la biodiversité sur lesquels nos attentes à son égard doivent être réaffirmées, notamment dans le cadre de la stratégie de la France pour l'Indopacifique. De même, devrait être réaffirmée la nécessité que la Chine respecte le droit international et recherche le règlement des contentieux territoriaux dans ce cadre. La stratégie française doit tenir compte du positionnement chinois, de son agenda et de sa volonté de s'affirmer première puissance mondiale.

2. Distinguer des zones d'actions spécifiques au sein de la stratégie indopacifique

La lisibilité de la stratégie française gagnerait sans doute également à distinguer des zones au sein de l'Indopacifique. Il ne s'agit pas ici de nier l'importance géostratégique de la jonction des deux océans, ni de décourager les initiatives transversales mais de prendre en compte la diversité des États qui le composent et leurs priorités.

Les États du Pacifique Sud placent ainsi la défense de l'environnement au sommet de leur échelle de priorités, ils sont demandeurs de protection de la biodiversité et des moyens la garantissant. Cela correspond d'ailleurs aux objectifs de la France et à la nécessité de protéger son immense ZEE, ce qui est aujourd'hui rendu très difficile par le sous-équipement chronique des forces de souveraineté. Elles ne peuvent pas, de fait, couvrir la zone et répondre le cas échéant aux pillages de ressources halieutiques, ou aux démonstrations de force des puissances régionales qui testent la souveraineté française. Il arrive ainsi que les forces ne puissent pas être présentes lorsque de grandes puissances de l'Indopacifique les informent du passage de navires dans la ZEE française, ou qu'elles ne soient pas en mesure de répondre à plusieurs urgences concomitantes. L'exercice de la souveraineté française sur ces zones pourrait s'en trouver fragilisé. Outre des moyens militaires adéquats, la stratégie française pour l'IP pourrait prendre en compte les spécificités du Pacifique Sud territoire où le dialogue prend une forme particulière dit Pacific way qui doit être respecté. Cette zone caractérisée par une montée des actions de la Chine, qui compte 12 voix à l'Assemblée générale des Nations unies est dans l'attente de l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce contexte, y définir une stratégie spécifique, lisible, avec des échéances et des moyens serait très positif.

De la même façon, la vision indopacifique française qui s'étend aux côtes africaines et au nord-ouest de l'océan indien apparaît parfois peu lisible aux pays qui revendiquent leur centralité dans l'Indopacifique, notamment les pays de l'Asean comme les déplacements du groupe de travail ont permis de le constater. Ces pays, formant le 5ème « bloc économique » mondial52(*) sont davantage demandeurs de développement du libre-échange que de sécurité dans l'océan Indien, si loin de leurs intérêts. La tyrannie des distances s'impose de nouveau, 6 500 km séparant Jakarta du nord-ouest de l'océan Indien. Les États-Unis n'incluent pas non plus ces zones dans leur stratégie indopacifique mais reconnaissent à la France un rôle de pourvoyeur de sécurité à jouer dans ces secteurs selon les auditions menées dans le cadre de la préparation de ce rapport. Il n'est pas exclu que cela serve également le dessein américain d'accentuer son pivot stratégique asiatique en incitant d'autres pays à intervenir au Proche-Orient.

Enfin, des impensés marquent encore la stratégie indopacifique française de l'ouest à l'est de la zone :

- alors que la stratégie française englobe le nord-ouest de l'océan Indien, elle s'appuie sur des partenariats stratégiques avec l'Inde, l'Australie et le Japon. La relation privilégiée qui se tisse avec l'Inde doit faire l'objet d'une attention particulière53(*). Elle ne doit pas conduire à sous-estimer l'importance du Pakistan dans l'équilibre régional de l'Asie du Sud, mais aussi dans l'accès aux nouvelles voies maritimes commerciales et stratégiques. Les efforts en faveur de la reconstruction d'un dialogue entre la France et le Pakistan ne doivent pas être relâchés54(*),

- la question de Taïwan ne doit pas être éludée. Si le pouvoir exécutif « a invisibilisé Taïwan dans sa communication diplomatique (...) 55(*)», le Sénat a pour sa part adopté, à l'unanimité, le 6 mai 2021 une proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, en faveur de l'association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales56(*). Il s'agissait de l'Organisation mondiale de la santé, d'Interpol, de l'Organisation de l'aviation civile internationale et de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Les Sénateurs ont par le vote de ce texte rappelé leur attachement à inclure Taiwan, pour le profit de la communauté internationale, dans ces organisations multilatérales oeuvrant à la sécurité et à la préservation de l'environnement. La Revue stratégique nationale 2022 fait mention du statut quo dans le détroit de Taïwan57(*) et la France s'exprime sur le sujet de « manière multilatérale (avec le G7 et l'UE), bilatérale (avec le Japon et l'Australie) et, enfin, unilatérale pour s'opposer à toute modification unilatérale du statu quo par la force dans le détroit de Taïwan58(*) ». La stratégie de la France dans l'Indopacifique pourrait renforcer certaines coopérations, notamment dans le cadre de programmes de protection de l'environnement avec Taïwan.

- l'Amérique du Sud est absente de la réflexion stratégique de la France dans l'Indopacifique, laissant la zone sans « bord » oriental. La Polynésie française pourrait être un hub entre l'Asie et l'Amérique dans plusieurs secteurs, celui de l'aviation civile, comme celui du numérique, comme le montre la carte suivante. La perspective de relier la Polynésie française au Chili et aux États-Unis par câble sous-marins se précise. Dans le domaine de l'aviation civile, le projet de hub était porté par la Chine qui souhaitait faire de la Polynésie un point de passage vers l'Amérique latine. De tels enjeux devraient pouvoir être intégrés dans la stratégie indopacifique française.

Source : Carte publié dans l'article intitulé « Tahiti et l'ambition intacte du “hub” numérique » d'Antoine Samoyeau le lundi 5 septembre 2022 sur le site de Tahiti-infos à l'adresse suivante : https://www.tahiti-infos.com/Tahiti-et-l-ambition-intacte-du-hub-numerique_a211707.html

Il apparaît donc nécessaire de distinguer les quatre zones suivantes de l'IP (schématisés de façon simplifiée sur la carte suivante) pour structurer et rendre plus opérationnelle la stratégie française :

- l'océan Indien occidental (englobant les côtes africaines, les Terres australes et antarctiques françaises, la Réunion, Mayotte, le nord-ouest de l'océan Indien, le Pakistan, l'Inde),

- l'indopacifique central (allant du Pakistan à la Nouvelle Calédonie, incluant l'Asean, et remontant jusqu'au Japon),

- le pacifique Sud (englobant les États du Pacifique Sud et les territoires français du Pacifique),

- le pacifique oriental (autour de la Polynésie française, englobant les bordures orientales de l'océan pacifique, c'est-à-dire les côtes occidentales américaines).

Ce zonage n'empêcherait en rien la gestion de questions transversales mais permettrait au contraire de synchroniser les actions menées en différents points de l'Indopacifique, en donnant de la lisibilité à l'action de la France. Ce zonage est la première étape d'une nouvelle conception de la stratégie indopacifique transversale et régionale, plus agile et mieux adaptée. Ces zones doivent permettre de définir des priorités et des objectifs différents selon les besoins et les possibilités d'action pour rendre plus opérationnelle la stratégie française.

Recommandation : Décliner la stratégie indopacifique de la France en 4 sous-zones pour mieux associer les pays concernés : l'océan Indien occidental, l'indopacifique central, le pacifique Sud, et le pacifique oriental. Réduire les impensés de la stratégie : mieux intégrer le Pacifique Sud, Taïwan et l'Amérique latine à la stratégie indopacifique.

3. Organiser le pilotage politique de la stratégie de la France pour l'Indopacifique

Il paraît nécessaire d'adapter l'appareil diplomatique et administratif aux enjeux de la stratégie indopacifique ainsi redessinée. Lors des déplacements organisés dans le cadre de la préparation de ce rapport, de grandes différences d'appréciation sur les priorités stratégiques et les modalités d'action ont pu être notées. Elles concernaient les champs d'action de la France à mettre en avant, les modalités d'intégration économique régionale des territoires ultramarins, ou encore l'agenda de progression des objectifs français.

S'il est normal que chaque opérateur et chaque diplomate ait un prisme propre au secteur ou au pays dans lequel il exerce son action, un réel manque de lisibilité de la mise en oeuvre de la stratégie de la France pour l'IP est apparu.

L'activité des opérateurs n'est pas toujours connue des services des ambassades. Ils en sont normalement informés mais ne peuvent pas toujours garantir la cohérence des actions menées par les différents opérateurs, ou leur visibilité. L'action menée par l'AFD en Indopacifique, présentée en annexe, suit le contrat d'objectifs et de moyens conclu avec l'État et tend à s'inscrire dans la stratégie de la France pour l'IP.

C'est dans les territoires ultra-marins français qu'a débuté l'histoire de l'AFD, héritière de la Caisse centrale de la France libre (CCFL) devenue la Caisse centrale de la France d'Outremer (CCFOM). Dès sa création, le gouvernement français a confié à la CCFOM des missions de développement, en sus de l'émission de monnaie. La CCFOM accorde ainsi des prêts aux collectivités et établissements publics dès 1946. L'AFD continue d'accompagner les DROM-COM dans leur développement économique, social et environnemental. Cet ancrage de l'AFD dans les territoires ultramarins a été renforcé grâce à l'adoption de la stratégie « 3 Océans » en 2019, qui vise à renforcer le rayonnement des territoires ultramarins français dans leur bassin d'appartenance (bassins Atlantique, Pacifique et Indien). L'adoption de cette nouvelle stratégie a entrainé la création de trois directions régionales toutes localisées dans des DROM--COM, renforçant la présence locale de l'AFD.

L'ancrage historique de l'AFD devrait céder la place à une nouvelle organisation. Il ne semble pas neutre que les DROM-COM ne bénéficient pas de modalités de financement plus proches de ceux mis en oeuvre pour les collectivités territoriales par la CDC par exemple. Cette différence de traitement ne favorise sans doute pas l'ancrage des DROM-COM.

Par ailleurs l'AFD intervient dans 7 des 10 pays de l'Asean : au Cambodge, en Birmanie, en Indonésie, au Laos, aux Philippines, en Thaïlande et au Vietnam. Elle agit en suivant trois orientations stratégiques dans cette zone : (i) encourager les transitions bas carbone et la résilience des territoires, (ii) promouvoir la préservation et la gestion durable de l'environnement terrestre et maritime et (iii) atténuer les déséquilibres sociaux et réduire les inégalités.

La seule intervention de l'AFD en Indonésie doit être cohérente avec les priorités du gouvernement indonésien, définies dans son plan quinquennal pour 2020-2024, celles de la politique française de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales, la stratégie de l'agence et sa stratégie régionale 2020-2024 en Asie du Sud-Est. Elle agit sur la base de quatre priorités (i) la promotion des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique pour une transition bas-carbone, (ii) la préservation des ressources naturelles, la gestion durable des océans et des espaces côtiers, (iii) l'amélioration des infrastructures et des services collectifs urbains durables et (iv) le soutien à une transition financière verte. L'AFD participe ainsi, au sein de l'Équipe France, au soutien des acteurs économiques français et au renforcement de l'influence économique de la France en Asie du Sud-Est, en facilitant le continuum entre les services économiques et les entreprises françaises dans ses financements. Mais la question du pilotage politique de cet opérateur se pose.

Le pilotage de la politique de développement solidaire est dispersé entre trois ministres (chargés du développement, de l'économie et du budget, et de l'Outre-mer), une instance interministérielle (le CICID) et son co-secrétariat assuré par deux ministères et, pour l'AFD, par un conseil d'orientation stratégique. Il existe en outre deux instances de concertation : le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) et la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD). L'AFD, dotée d'une force de frappe financière en constante augmentation et d'une propension à intervenir dans un nombre de pays et sur des thématiques de plus en plus étendues, n'aligne pas toujours sa stratégie avec celle de ses tutelles. Dans son rapport sur les opérateurs de l'action extérieure de l'État59(*), la Cour des comptes a ainsi estimé que « les outils de pilotage dont dispose le MEAE demeurent insuffisants pour lui permettre d'exercer une véritable tutelle stratégique, au niveau central, sur l'AFD ».

Tous ces enjeux devraient faire l'objet d'analyses collectives, associant les services diplomatiques, les services des ministères à l'étranger, tous les opérateurs, et les territoires français situés dans la zone de déploiement des objectifs.

Lorsque cela a été le cas, notamment sur le Pacifique sud, les résultats sont concluants avec des propositions opérationnelles, un calendrier compréhensible, y compris par les pays partenaires concernés, et des moyens à mettre en oeuvre identifiés. La nécessité de libérer des capacités d'action de l'AFD et de permettre une exception à la « doctrine Lagarde » qui interdit d'allouer des prêts souverains aux pays considérés par le FMI comme à risque élevé ou modéré de surendettement démontre toutefois la limite de l'action administrative. C'est un arbitrage politique qui doit pouvoir être donné, sur ce point précis, comme sur d'autres dans le cadre de la coordination des acteurs de la mise en oeuvre de la stratégie indopacifique.

Dans cette perspective, il apparaît donc nécessaire de nommer sur chacune des zones de l'indopacifique des Secrétaires d'État chargés d'animer l'action des services et opérateurs dans le secteur géographique concerné, de prendre les arbitrages politiques nécessaires, d'impulser et de favoriser les coopérations entre zones de l'IP pour faire progresser les politiques indopacifiques soutenues par la France en matière d'intégration régionale de ses territoires, de protection du climat et de la biodiversité, de renforcement du multilatéralisme et de promotion des valeurs d'État de droit de protection des droits humains.

Ces nominations permettraient également de répondre au désir de France qu'expriment les pays riverains de l'Indopacifique, de multiplier les participations de haut niveau aux différents fora de la zone, et d'incarner la priorité donnée par la France à l'Indopacifique. La Secrétaire d'État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, Mme Chrysoula Zacharopoulou, s'est rendue en Papouasie-Nouvelle-Guinée du 22 au 23 novembre, puis au Vanuatu afin de participer à la Conférence ministérielle de la Communauté du Pacifique (CPS) du 24 au 25 novembre 2022. C'était la première fois depuis 1993 que le Vanuatu, dont 40 % de la population est francophone, recevait une visite ministérielle. Soit 29 ans sans visite officielle de haut niveau !

Enfin, il appartiendrait à ces Secrétaires d'État de mener une feuille de route publique, énumérant des objectifs quantifiés, dans un calendrier et avec des moyens donnés.

Recommandation : Organiser le pilotage politique de la stratégie de la France pour l'Indopacifique en nommant 4 Secrétaires d'État en charge des zones identifiées dans l'IP chargés de coordonner l'action des services et opérateurs, d'effectuer les arbitrages politiques nécessaires et d'assurer la représentation de haut niveau demandée par nos partenaires dans l'Indopacifique. Ils seraient responsables de la mise en oeuvre d'une feuille de route détaillant objectifs, calendrier et moyens humains et financiers.

4. Doter les forces armées des moyens correspondant aux ambitions françaises indopacifiques

Les moyens militaires des forces de souveraineté sont apparus, au cours des auditions de préparation de ce rapport, doublement inadaptés :

- d'une part aux caractéristiques de l'IP telles que les élongations qu'elle induit (l'immensité de la ZEE française a déjà été évoquée) comme aux conditions météorologiques exigeantes qui la caractérisent, mais aussi au durcissement de l'environnement sécuritaire et à la course aux armements qui en découle,

- et d'autre part aux ambitions affichées de la stratégie de la France en Indopacifique.

Le nombre des personnels des armées dans les forces de souveraineté a connu une attrition drastique lors de la révision générale des politiques publiques en 2008. Le Livre blanc de la Défense de 2008 préconisait de rationaliser les moyens militaires stationnés en dehors de la métropole, afin de grouper les capacités d'intervention à partir du territoire national ou sur ces axes ; « les forces de souveraineté stationnées dans les départements et collectivités d'outre-mer devront être définies au niveau strictement nécessaire aux missions des armées proprement dites ». Ceci s'est traduit par une réduction de 20 % de leurs effectifs et une profonde réorganisation avec la systématisation du recours aux Missions de courte durée (MCD). Deux tiers des forces prépositionnées sont désormais en MCD, dont 87 % proviennent de l'Armée de terre. Si elle permet à l'ensemble des forces terrestres de s'aguerrir, « la « dépermanentisation »60(*) affecte la connaissance du milieu et l'intégration des forces dans la société locale. Ce « montage » pénalise le développement d'une réelle expertise outre-mer et étranger (...) et le rayonnement local des forces ».

L'attrition de format a eu des répercussions sur les équipements et les infrastructures des forces stationnées dans la zone indopacifique L'érosion concerne aussi les équipements qui sont orientés vers les interventions de basse intensité et traversés par des tensions toutes composantes confondues. Le rapport d'information n° 12 (2022-2023) de Dominique de Legge, fait au nom de la commission des finances, intitulé « La présence militaire dans les outre-mer : un enjeu de souveraineté et de protection des populations », du 5 octobre 2022 aboutit à un même constat d'insuffisance des moyens des FAZSOI, des FANC et des FAPF au regard des missions assignées.

Extraits du rapport d'information n° 12 (2022-2023) de Dominique de Legge, fait au nom de la commission des finances, intitulé « La présence militaire dans les outre-mer : un enjeu de souveraineté et de protection des populations », du 5 octobre 2022
Sur l'attrition des moyens des FAZSOI, des FANC et des FAPF

(i) Moyens de surveillance

Au sein des FAZSOI, la mission de surveillance aérienne (lutte contre la pêche illicite et contre les atteintes à l'environnement, notamment) est assurée aux abords des îles Éparses à vue par les équipages des deux avions de type Casa dont elles disposent. La surveillance s'effectue lors du survol de ces îles à l'occasion de la relève des militaires présents en permanence sur trois d'entre elles (environ 1 fois tous les 45 jours). Cette relève ayant toutefois lieu de manière régulière, les pêcheurs, notamment malgaches, pêchant illégalement sur les eaux territoriales de certaines de ces îles peuvent facilement adapter leurs programmes de navigation en évitant les jours de passage estimés du Casa. Ceci apparaît insuffisant pour assurer les missions de surveillance dans les ZEE de ces îles où la pêche illégale demeure un problème prégnant (notamment à Bassas da India). En appui, les FAZSOI bénéficient également d'un Falcon 50 M, de patrouille maritime, qui apparaît toutefois plus qu'insuffisant puisqu'il n'est déployé dans cette zone que deux fois deux semaines par an, et dédie également une partie de son temps de présence à la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte. (...)

Au regard des enjeux en matière de surveillance maritime de la zone, particulièrement concernée par la pêche illégale, l'immigration clandestine à Mayotte et la lutte contre les activités polluantes, une augmentation des capacités constitue une nécessité impérieuse (...).

(ii) Transport tactique

Les capacités de transport tactique sont également limitées. Les FAZSOI ont ainsi connu une forte baisse de leurs capacités en la matière à la suite du retrait du Transall C 160 en 2015, alors que ce dernier présentait une capacité d'emport bien supérieure à celle du Casa (6 tonnes contre 1,5) et une autonomie de 8 heures au lieu de 6. Les FAZSOI peuvent, en cas de besoin (évacuation sanitaire, crise, etc.), demander un renfort de l'A400M de métropole sous un préavis de 48h, qui pourrait s'avérer trop long en cas de crise impliquant une réaction rapide.

Les Forces armées en Polynésie française (FAPF) disposent également de deux Casa, ce qui reste suffisant pour un emploi au sein de la Polynésie française, mais nécessite, pour se déployer vers l'Ouest du Pacifique, plusieurs jours de transit et l'ouverture de points d'appui pour le ravitaillement. L'Est du Pacifique, et notamment les côtes américaines, est inaccessible par la voie aérienne avec les moyens précités. Enfin, ces moyens aériens ont une capacité d'emport limitée.

Cette faiblesse des moyens aériens a un impact logistique particulièrement prégnant pour les FAPF, ce qui renforce leur dépendance aux moyens en renfort acheminés depuis la métropole. La crise sanitaire débutée en 2020 a ainsi mis en exergue la forte vulnérabilité logistique de la Polynésie dans un contexte de crise. Le renfort temporaire d'un avion à long rayon d'action (A400M) a permis de briser en partie l'isolement, de soutenir les autorités civiles et de conduire des opérations de rapatriement de ressortissants à l'étranger (îles Cook et île de Pâques notamment). Ce renfort temporaire a démontré toute la pertinence de déployer de façon régulière une telle capacité en Polynésie française.

(iii) Moyens nautiques

Les moyens nautiques des forces de souveraineté sont également « taillés au plus juste », et ont dû faire face à de nombreuses réductions temporaires de capacité dans la décennie 2020, qui devraient être comblées avec l'arrivée de six patrouilleurs outre- mer (POM) à partir de 2023 et complètement résorbée en 2025.

En matière de bâtiments de soutien, les forces de souveraineté ne disposent plus depuis 2017 de bâtiments ayant des capacités amphibies, pourtant considérées comme essentielles. Les bâtiments de transport légers (BATRAL), qui disposaient de cette capacité, ont été remplacés par des bâtiments présentant des capacités différentes, les BSAOM20. Ces navires ne sont pas aptes à réaliser des « plageages » (accostage du navire sur une plage), mais ils disposent de capacités de soutien et d'assistance en mer. Ces capacités ont déjà eu des usages opérationnels, par exemple par le Bougainville en 2018 pour déséchouer un cargo en Polynésie française et éviter une pollution. Les BSAOM ont également contribué à l'opération « Résilience » dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19.

Enfin, le cas particulier des FAZSOI illustre les difficultés que peuvent rencontrer les forces de souveraineté en matière d'aéronautique navale et de moyens de remorquage. Ces dernières ne disposent depuis avril 2020 que d'un seul hélicoptère de type Panther, contre deux auparavant. Cet hélicoptère arme les deux frégates Floréal et Nivôse, alors qu'elles disposent toutes les deux d'une hélisurface. Cet hélicoptère, servant notamment aux missions de sauvetage et de surveillance, devrait être remplacé d'ici à 2024 par deux hélicoptères interarmées légers (HIL).

Par ailleurs, les FAZSOI ne disposent aujourd'hui d'aucun moyen de remorquage, ce qui constitue aujourd'hui une source de fragilité. L'île de La Réunion est en effet au centre de l'une des routes maritimes commerciales les plus fréquentées au monde, entre le détroit de Malacca et le cap de Bonne espérance, marquée par un trafic en forte augmentation dans une zone de passage des cyclones.

L'écart se creuse encore si l'on compare la disponibilité des matériels et les ambitions de la stratégie de la France pour l'Indopacifique, malgré la prise en compte de l'importance stratégique des forces de souveraineté et de leurs fragilités dans le rapport annexé à la LPM 2019-2025. L'Ambition 2030 prévoit ainsi « un dispositif de forces prépositionnées et de forces de souveraineté, toutes deux dotées des effectifs suffisants et des équipements adéquats ». Le rythme d'augmentation des effectifs de ces forces prévu par la LPM est supérieur à celui de l'ensemble des effectifs à l'horizon 2025 (2,5 % contre 2,25 %). Des efforts ont également été consentis pour les équipements mais à un niveau insuffisant par rapport aux ambitions affichées.

Les matériels des forces sont particulièrement vieux : le C-160 Transall a une soixantaine d'années, le Casa CN-235 et les P400 une quarantaine d'années, et souffrent en conséquence d'une faible disponibilité.

Les moyens de surveillance aérienne et de transport tactique des forces apparaissent donc très insuffisants, sont peu disponibles, particulièrement les hélicoptères et ont vu leurs capacités diminuer, le remplacement des Transall par les Casa ayant réduit de moitié la capacité de transport. Le remplacement des Casa de l'armée de l'air et de l'espace aujourd'hui en service au sein des FAZSOI, des FAPF et des FANC n'est pas encore prévu. Sans avion de transport à long rayon d'action, la capacité de projection de force et l'appui logistique dans les zones de responsabilité permanentes (ZRP) qui relèvent de ces forces demeurera fragile.

Le recours sous préavis de 48 heures à l'A400M est possible pour compenser les déficits de capacité. Il a permis de répondre aux urgences pendant la crise sanitaire notamment, mais le délai d'acheminement peut ne pas être compatible avec l'urgence, et si toutes les forces de souveraineté devaient avoir besoin de ce renfort en même temps, la question du format de la flotte des A400M se poserait. De même, le recours aux renforts de la métropole (A400M, MRTT ou Rafale) nécessite des adaptations qui ne sont pas suffisamment prises en compte aujourd'hui. Des efforts devraient être faits pour fournir le soutien nécessaire dans la durée en termes d'infrastructures, de systèmes d'information et de communication (SIC) et de personnels. Les plateformes d'accueil de ces équipements aéronautiques des forces de souveraineté devraient également être adaptées pour pourvoir au niveau de sécurité nécessaire.

Le remplacement du Puma par le Super Puma (H225) n'est prévu qu'à l'horizon 2026-2028, celui du Fennec par l'hélicoptère interarmées léger (HIL) Guépard en 2032, du Casa par l'Avion de transport d'assaut du segment médian (Atasm) à l'horizon 2030-2035. Aucun retard supplémentaire ne doit être pris dans ces remplacements. Des solutions de location doivent être recherchées pour combler les trous capacitaires dus aux indisponibilités des équipements. Enfin, les moyens nécessaires doivent être mis en oeuvre pour rénover les bases aériennes, la BA 186 en Nouvelle-Calédonie et la BA 181 à la Réunion doivent faire l'objet d'investissements au bon niveau.

Les moyens nautiques subissent d'importantes ruptures temporaires de capacité qui persisteront encore au moins jusqu'en 2025 et ne devraient cesser qu'avec la fin du remplacement des patrouilleurs P400. Trois patrouilleurs sont actuellement indisponibles (1 à La Réunion, 1 en Nouvelle-Calédonie, 1 en Polynésie française). Comme pour l'armée de l'air et de l'espace, les capacités ont été réduites : la mise en service de quatre Bâtiments de soutien et d'assistance outre-mer (Bsaom) à la place des cinq Bâtiments de transport léger (Batral) s'est accompagnée d'une diminution par deux des capacités de transport et de la perte de la capacité amphibie.

Dans le même temps, la pression prédatrice sur les ZEE françaises s'accentue. Les flottes des puissances indopacifiques croissent. Sur la période 2008-2030, le tonnage de la marine chinoise devrait croitre de 138 %, celui de la marine de la Corée du Sud de 101 % et celui de la marine indienne de 40 %.

La livraison des 6 patrouilleurs outre-mer (POM) doit s'échelonner entre début 2023 et fin 2025. Le 1er et le 4ème rallieront la Nouvelle-Calédonie, le 2ème et le 5ème rallieront la Polynésie française, le 3ème et le 6ème rallieront La Réunion. Le coût de ces 6 POM s'élève à un montant de 325 millions d'euros, il s'agit d'un plancher qui ne permet de répondre qu'aux besoins strictement nécessaires des armées. La prochaine loi de programmation militaire (LPM) ne doit en aucun cas ralentir le rythme de livraison ou réduire le nombre de POM prévu. L'accroissement des moyens paraît indispensable pour crédibiliser la stratégie de la France pour l'Indopacifique. Les moyens doivent être mis à la hauteur des ambitions.

Le rapport d'information n° 546 (2021-2022) intitulé « Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale » de Philippe Folliot, Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer le 24 février 2022 recommande notamment de rétablir des capacités amphibies pour les forces navales outre-mer en acquérant des hydroglisseurs, sur le modèle de ceux développés par la marine japonaise, et d'accélérer le déploiement du programme European Patrol Corvette pour assurer le remplacement des frégates de surveillance. Ces recommandations doivent être soutenues.

La question du renouvellement des frégates de surveillance (classe Floréal), dont le retrait du service est prévu pour 2035, devra être tranchée dans le cadre de la prochaine LPM en prenant en compte, dans le cadre de la stratégie indopacifique, le besoin de bâtiments plus crédibles dans un contexte de retour des conflits entre puissances et d'un environnement opérationnel plus exigeant. Le programme European Patrol Corvette, prévoyant un bâtiment doté d'une plateforme d'accès et de maintenance pour hélicoptère, de mini drones de surveillance et d'un système d'armes, a été lancé en 2019 dans le cadre de la coopération structurée permanente61(*) (CSP/PESCO). Il a reçu le soutien de l'Agence européenne de défense ce qui laisse espérer son accélération. Le contrat de construction des corvettes pourrait être notifié aux industriels concernés en 2025 et la pose de la quille du premier navire serait envisageable en 2026, soit un an plus tôt qu'initialement prévu, pour une livraison à partir de 2030. Le développement de ce programme européen doit faire l'objet de l'attention de la commission car il est dimensionnant pour les forces de souveraineté de l'Indopacifique.

Le porte-avions de nouvelle génération (PA-NG) l'est également. La capacité de la France de déployer le Charles de Gaulle en IP assoit la crédibilité de la stratégie française auprès des alliés comme des compétiteurs. La prochaine LPM doit prévoir l'avancement du PA-NG, programme majeur, sans aucun retard. Comme le notait le rapport d'information n° 559 (2019-2020) d'Olivier Cigolotti et Gilbert Roger « Porte-avions Charles de Gaulle : et après ? » : « Facteur d'autonomie stratégique, le PA est un outil politique, diplomatique et militaire sans équivalent. Il participe au maintien du rang de la France comme puissance diplomatique et militaire de premier rang, capable d'intervenir en opération pour défendre ses intérêts et de jouer un rôle actif dans les coalitions internationales. » Il est donc indispensable qu'un PA-NG permette à la France de ne pas désarmer en mer lorsque le Charles de Gaulle ne sera plus en service.

La marine a également besoin d'avions d'HIL, d'avions de surveillance maritime F2000, attendus pour 2025, de moyens supplémentaires dans les domaines de systèmes de surveillance maritime de la ZEE62(*), de capacités de commandement (connectivité SIC/LDT), de capacité spatiale (communication et renseignement), de capacités cybers (protection, surveillance), de capacités de renseignement (environnement électromagnétique, hydrographie/océanographie, infra-rouge...), et enfin d'une augmentation des stocks de rechanges.

Les moyens en personnel et en infrastructures ne doivent pas être négligés. Un effort particulier doit être fourni pour améliorer les points d'appui navals (MCO, résilience dont la défense-sécurité, accueil, renfort des équipages) et pour alimenter les détachements au sein des états-majors alliés, des structures régionales, notamment des centres d'information maritime et permettre les partenariats opérationnels permanents ou occasionnels. Enfin, en pleine concertation avec les pouvoirs locaux, le renforcement de la base navale de Nouméa doit être étudié, en liaison avec les autorités calédoniennes, dans le cadre de la prochaine LPM.

Enfin, pour la composante terrestre, l'équipement des forces n'intervient qu'après la mise à niveau des régiments en métropole et en opération. La différentiation s'opère aussi au profit des forces de présence en bases opérationnelles avancées (BOA) dotées de matériels assez récents. Avec des véhicules vieillissants (camions de transport de type GBC 180 et TRM 2000), la mobilité tactique terrestre demeure de manière générale contrainte. Or l'Ambition 2030 et le durcissement de l'environnement stratégique indopacifique rendent nécessaires la montée en gamme et la modernisation des équipements par la redistribution de matériels et la régénération de véhicules anciens. La scorpionisation des forces est également un objectif et entraîne, comme corolaire, l'aménagement ou la création des infrastructures d'entraînement au quartier (en particulier permettant d'accueillir de la simulation), en camp et sur les champs de tir, celles de stockage des engins, des armes, des matériels SIC et multitechniques. Il convient de se demander s'il est encore adéquat de distinguer aussi nettement les standards opérationnels entre la métropole et l'IP. Il en va de la crédibilité des forces, de leurs capacités en matière d'interopérabilité lors des déploiements depuis la métropole et lors des exercices de haut niveau organisés avec les pays indopacifiques partenaires.

L'armée de terre souhaite également s'engager plus encore au profit de la jeunesse dans les DROM-COM grâce à l'augmentation de la réserve opérationnelle de premier niveau (RO1). Cette réserve comprend 850 femmes et hommes servant dans les forces de souveraineté, permettant ainsi un fort ancrage local comme en Polynésie (où l'unité de réserve est armée à 115 %) et à La Réunion, (armée à 124 %). Le doublement des effectifs de la RO1 que devrait prévoir la prochaine LPM semble possible et profitable dans l'Indopacifique mais doit être couplé à une hausse des crédits et des capacités d'hébergement, d'équipement et d'entraînement proportionnelles, mais aussi à une augmentation des moyens de soutien, notamment du Service de santé des armées (SSA).

Pour toutes les armées, il serait également important de renforcer la participation des moyens du haut de spectre aux divers exercices de coopération dans la zone indopacifique, et de conduire, outre les récents déploiements, des activités à forte visibilité stratégique : tels que des exercices de tir de missiles, des exercices sur les fonds marins et les câbles sous-marins, associant les bases des forces de souveraineté.

Enfin, il serait souhaitable de multiplier la présence d'officier de liaison au sein des états-majors des pays de l'Indopacifique pour favoriser les coopérations dans les domaines de la défense et de la sécurité.

Recommandation : la prochaine loi de programmation militaire ne doit en aucun cas ralentir le rythme de livraison ou réduire le nombre de POM prévu, d'HIL, d'avions ravitailleurs, de frégate de surveillance, de moyens de renseignement, etc. L'avancée du PA-NG doit également être prévue par la prochaine LPM. L'accroissement des moyens est indispensable pour crédibiliser la stratégie de la France pour l'Indopacifique. Les moyens doivent être mis à la hauteur des ambitions avec des échéanciers clairs permettant d'afficher les priorités françaises auprès des compétiteurs et des partenaires dans l'Indopacifique.


* 39 Voir le tableau présentant les conceptions de l'IP des principaux pays utilisant cette notion.

* 40 La ligne en neuf traits (ou en 11 traits) également appelée ligne en U ou langue de boeuf est une démarcation indéfinie délimitant une portion de la mer de Chine méridionale, sur laquelle la Chine affirme détenir une souveraineté territoriale. Cette ligne délimite une zone maritime de près de deux millions de kilomètres carrés, soit plus du cinquième du territoire terrestre chinois. Elle comprend : les Îles Pratas (non disputées), les îles Paracels, occupées par la Chine, mais réclamées par le Vietnam et Taïwan, le Récif de Scarborough, revendiqué par la Chine et les Philippines, les îles Spratleys, réclamées par les Philippines, la Chine, Brunei, la Malaisie, Taïwan et le Vietnam (elles se trouveraient au-dessus de vastes dépôts minéraux et de gisements de pétrole), le banc Macclesfield, un atoll submergé à une profondeur de 11 mètres sous le niveau de la mer, revendiqué par la Chine et le récif banc de James, à une profondeur de 22 mètres sous le niveau de la mer, présenté comme « l'extrémité sud de la Chine » par la Chine.

* 41 Citation de Valérie Niquet, responsable du pôle Asie de la Fondation pour la recherche stratégique, extraite de l'article « Sentence de la CPA contre les actions de la Chine en mer: la colère de Pékin » par Stéphane Lagarde, publié le 14 juillet 2016 sur le site de RFI à l'adresse suivante : https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20160714-verdict-haye-pekin-desavoue-face-manille-mer-chine-meridionale-tribunal-verd

* 42 Voir la note n°37/2022 de la Fondation pour la recherche stratégique « La France, une puissance d'initiatives en Indo-Pacifique », publié par Antoine Bondaz, le 15 novembre 2022 sur le site de la FRS à l'adresse suivante : https://www.frstrategie.org/publications/notes/france-une-puissance-initiatives-indo-pacifique-2022

* 43 Ibidem.

* 44 Rapport d'information n° 846 (2020-2021) intitulé « La France peut-elle contribuer au réveil européen dans un XXIe siècle chinois ? », précité.

* 45 « Quand on parle de la République populaire de Chine, on a en tête un État, un gouvernement... C'est en fait le parti qui décide de tout en dernier ressort : il faut parler d'un parti-État. L'État c'est le parti. Parmi les piliers sur lesquels repose l'État chinois, vous avez le Parti communiste, le gouvernement et l'armée. Mais le gouvernement et l'armée sont soumis à l'autorité du parti. La personne qui décide en dernier ressort sera toujours le représentant du parti. » Citation de Thierry Kellner, docteur en relations internationales (IHEID), maître de conférences au Département de science politique de l'Université libre de Bruxelles, extraite de « Le parti communiste chinois a 100 ans : est-il devenu ivre de sa réussite économique ? » par Daniel Fontaine, publié le jeudi 01 juillet 2021 sur le site de la RTBF à l'adresse suivante : https://www.rtbf.be/info/monde/detail_le-parti-communiste-chinois-a-100-ans-est-il-devenu-ivre-de-sa-reussite-economique?id=10796300

* 46 Ramsès 2019, Rapport annuel mondial sur le système économique et les stratégies, sous la direction de Thierry de Montbrial et Dominique David, publié par Dunod pour l'Institut français des relations internationales, « Chine : une puissance pour le XXIe siècle » d'Alice Ekman.

* 47 Signés par la Chine entre 1839 et 1864.

* 48 Ainsi, dès 2015, lors de la célébration du 70e anniversaire de la victoire de la Chine sur le Japon, Xi Jinping estimait que cette victoire avait permis de « refaire de la Chine un grand pays dans le monde ».

* 49 Voir la tribune d'Alice Ekman, intitulée « La Chine est aujourd'hui prête à payer le coût de ses positions politiques ou géostratégiques », publiée le 24 octobre 2022 sur le site du journal Le Monde à l'adresse suivante : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/24/la-chine-est-aujourd-hui-prete-a-payer-le-cout-de-ses-positions-politiques-ou-geostrategiques_6147064_3232.html

* 50 Ibidem.

* 51 Voir l'article intitulé « La pensée Xi : l'hégémonie absolue » - Doctrines de la Chine de Xi Épisode 10 publié sur le site de la Revue Le Grand Continent à l'adresse suivante : https://legrandcontinent.eu/fr/2022/10/22/la-pensee-xi-lhegemonie-absolue/

* 52 Derrière l'UE, les Etats-Unis, la Chine et le Japon. Voir « L'Asean en bref » publié le 22 septembre 2022 sur le site du Trésor public à l'adresse suivante : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/SG/l-asean-en-bref

* 53 La dégradation du sort des minorités religieuses, chrétiennes et musulmanes, inquiète et l'évolution de l'` hindutva', nationalisme hindou qui semble sur la voie d'une radicalisation extrême, doit être suivie avec vigilance.

* 54 L'aide d'urgence apportée par la France en août 2022 pour lutter contre les conséquences des graves inondations qui frappaient le Pakistan va en ce sens.

* 55 Voir la note n°37/2022 de la Fondation pour la recherche stratégique par Antoine Bondaz, précitée.

* 56 Texte n° 493 (2020-2021) de MM. Alain Richard, Joël Guerriau et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 27 mars 2021.

* 57 « 21) La modernisation de l'appareil militaire chinois se poursuit et permet à l'APL [Armée populaire de libération (forces armées chinoises)] d'appuyer une stratégie de plus en plus affirmée, y compris sur le plan militaire, que ce soit dans la région Indopacifique, en particulier s'agissant du statu quo dans le détroit de Taïwan ».

* 58 Voir la note n°37/2022 de la Fondation pour la recherche stratégique par Antoine Bondaz, précitée.

* 59 « Le pilotage stratégique par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères des opérateurs de l'action extérieure de l'État » de la Cour des comptes du 10 juin 2020, disponible à l'adresse suivante : https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-06/20200610-pilotage-MEAE-operateurs-action-exterieure-Etat.pdf

* 60 Voir l'article intitulé « Une nouvelle stratégie française en matière de forces de souveraineté et de présence » de Jean-Marc Giraud, paru dans 2020 : chocs stratégiques - Regards du CHEM - 69e session, sur le site de la Revue nationale de défense à l'adresse suivante : https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article-cahier.php?carticle=232&cidcahier=1210

* 61 Ce programme est impulsé par l'Italie avec la participation de la France, de la Grèce et de l'Espagne. Le Portugal a le statut d'observateur.

* 62 La réussite du programme Avismar visant à remplacer les capacités de surveillance maritime de la marine nationale est particulièrement importante pour les forces de souveraineté.

Les thèmes associés à ce dossier