III. DÉCLINER LA STRATÉGIE INDOPACIFIQUE DE LA FRANCE EN 4 ZONES
Des impensés marquent encore la stratégie indopacifique française de l'ouest à l'est de la zone. C'est le paradoxe de souhaiter une stratégie globale et de ne pas lui donner toute son ampleur. C'est le cas notamment du Pakistan et de Taïwan et de l'Amérique latine, voire des États-Unis. La relation privilégiée qui se tisse avec l'Inde ne doit pas conduire à sous-estimer l'importance du Pakistan dans l'équilibre régional de l'Asie du Sud, mais aussi dans l'accès aux nouvelles voies maritimes commerciales et stratégiques, comme en témoignent les investissements chinois au Pakistan dans le cadre du corridor économique Chine-Pakistan (en anglais : China-Pakistan Economic Corridor, CPEC). Les efforts en faveur de la reconstruction d'un dialogue entre la France et le Pakistan ne doivent pas être relâchés.
De même, la question de Taïwan ne doit pas être éludée. Le Sénat a adopté le 6 mai 2021 une proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, en faveur de l'association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales oeuvrant à la sécurité et à la préservation de l'environnement : l'Organisation mondiale de la santé, Interpol, l'Organisation de l'aviation civile internationale et la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. La stratégie de la France dans l'Indopacifique pourrait renforcer certaines coopérations, notamment dans le cadre de programmes de protection de l'environnement avec Taïwan. La question de l'Amérique est traitée directement dans le zonage proposé.
La lisibilité de la stratégie indopacifique gagnerait à distinguer des zones aux seins de l'Indopacifique, non pour nier l'importance géostratégique de la jonction des deux océans, ou décourager les initiatives transversales, mais pour prendre en compte la diversité des États qui le composent et leurs priorités. Ce zonage n'empêcherait en rien la gestion de questions transversales mais permettrait au contraire de synchroniser les actions menées en différents points de l'Indopacifique, en donnant de la lisibilité à l'action de la France.
Distinguer quatre zones dans l'Indopacifique pour mieux structurer et rendre plus opérationnelle la stratégie française.
Première zone en partant de l'Ouest : l'océan Indien occidental (englobant les côtes africaines, les Terres australes et antarctiques françaises, la Réunion, Mayotte, le nord-ouest de l'océan Indien, le Pakistan, et associant de façon secondaire l'Inde). La France a un rôle de pourvoyeur de sécurité à jouer dans ces secteurs selon les auditions menées pour ce rapport. Il n'est pas exclu que cela serve également le dessein américain d'accentuer son pivot stratégique asiatique en incitant d'autres pays à intervenir au Proche-Orient. La France a là une place particulière à tenir, où sa légitimité est reconnue, notamment grâce à ses forces armées de la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI), et ses deux forces de présence, les forces françaises basées des Émirats arabes unis (FFEAU) et les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj).
Deuxième zone : l'indopacifique central (allant du Pakistan à la Nouvelle Calédonie, incluant l'Asean, et remontant jusqu'au Japon). L'Asean, 5e bloc économique mondial, est d'avantage demandeur de développement du libre-échange que de sécurité dans l'océan Indien. Ses préoccupations de sécurité concernent plus directement l'un des impensés de la stratégie française : Taïwan. L'inclusion de l'Inde et du Pakistan dans cette zone correspond à l'importance de leurs échanges maritimes pour l'Inde et à l'importance que pourrait prendre le port de Gwadar, basé au Pakistan et développé par la Chine, dans la circulation maritime de la zone.
Troisième zone : le pacifique Sud (englobant les États du Pacifique Sud et les territoires français du Pacifique). Les États du Pacifique Sud placent la défense de l'environnement et de la biodiversité au sommet de leur échelle de priorités car ils sont très touchés par les effets du réchauffement climatique et sont très dépendants des ressources halieutiques. Ils sont demandeurs de protection de la biodiversité et des moyens la garantissant. Cela correspond également aux objectifs de la France et à la nécessité de protéger son immense ZEE, ce qui est aujourd'hui rendu très difficile par le sous équipement chronique des forces de souveraineté, les forces armées de la Nouvelle Calédonie (FANC) et les forces armées en Polynésie française (FAPF). Outre des moyens militaires adéquats et donc augmentés, la stratégie française pour l'Indopacifique devrait prendre en compte les spécificités du Pacifique Sud, territoire où le dialogue prend une forme particulière dit Pacific way, qui doit être respecté. Cette zone caractérisée par une montée des actions de la Chine, qui compte 12 voix à l'Assemblée générale des Nations unies, est dans l'attente de l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce contexte, y définir une stratégique spécifique et adaptée, lisible, avec des échéances et des moyens est indispensable.
Quatrième zone : le pacifique oriental (autour de la Polynésie française, englobant les bordures orientales de l'océan pacifique, c'est-à-dire les côtes américaines). L'Amérique du Sud est absente de la réflexion stratégique de la France dans l'Indopacifique. Or la Polynésie française pourrait être un hub entre l'Asie et l'Amérique dans plusieurs secteurs (aviation civile, numérique). La perspective de relier la Polynésie française au Chili et aux États-Unis par câble sous-marins se précise. Dans le domaine de l'aviation civile, le projet de hub était porté par la Chine qui souhaitait faire de la Polynésie un point de passage vers l'Amérique latine. De tels enjeux devraient pouvoir être intégrés dans la stratégie indopacifique française.
Ce découpage géographique de la zone Indopacifique est la première étape d'une nouvelle conception de la stratégie indopacifique, transversale et régionale. Une stratégie indopacifique plus agile, plus adaptable et mieux adaptée. Ces zones vont permettre de définir des priorités et des objectifs différents selon chaque secteur géographique et secteur thématique. Ce zonage amorce la proposition de la mise en place d'un pilotage politique et plus opérationnel.