N° 191

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 décembre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur : « Métropole d' Aix-Marseille-Provence : une métropole à la croisée des chemins »,

Par M. Mathieu DARNAUD et Mme Françoise GATEL,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Alain Richard, Jean-Yves Roux,
Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

AVANT-PROPOS
DU PRÉSIDENT FRANÇOIS-NOËL BUFFET

Alors que l'organisation et le fonctionnement de la métropole d'Aix-Marseille-Provence ont récemment été affectés en profondeur par l'article 181 de la loi du 22 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale dite « 3DS » , il incombe au Parlement, et en premier lieu au Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, de procéder à un premier point d'étape sur la conduite de cette réforme , sans préjudice des conclusions qui seront tirées par le Gouvernement dans le cadre du rapport qu'il doit remettre au Parlement au terme de l'année 2023 1 ( * ) .

Cette première évaluation s'avère d'autant plus essentielle que le processus législatif ayant conduit à l'adoption de ces dispositions est entaché d'un défaut de méthode tenant, d'une part, à la faiblesse de l'étude d'impact sur ces dispositifs, insérés par le Gouvernement en cours de discussion parlementaire au Sénat, et d'autre part, au calendrier des discussions entre l'État et les acteurs locaux qui se sont poursuivies parallèlement à l'examen du texte par le Parlement.

Enfin, le contexte d'un investissement renouvelé et significatif de l'État au bénéfice de la ville de Marseille dans le cadre du plan « Marseille en grand » , implique d'évaluer la qualité des instruments institutionnels à disposition des décideurs locaux et nationaux pour la conduite des politiques publiques au niveau local, parmi lesquels une métropole fonctionnelle et engagée en faveur de la réussite de son territoire s'avère essentielle.

Menant leurs travaux au Sénat comme à Marseille et Aix-en-Provence, les rapporteurs, accompagnés des membres de la mission, ont porté une attention particulière à la genèse de la réforme et au contexte de sa mise en oeuvre. Au terme de plusieurs mois d'échanges avec les acteurs concernés, ils partagent le constat qu'il n'est, aujourd'hui, nullement question de « détricoter » une réforme qui vient d'être adoptée , formulée par le Gouvernement au prix d'une concertation avec les acteurs locaux dont ils mesurent pleinement la difficulté, et dont la nécessité n'est nullement démentie.

Le présent rapport n'entend donc pas revenir sur les principes ayant guidé cette réforme, à savoir :

- clarifier l'organisation interne de la métropole ;

- et doter celle-ci de moyens, à la fois juridiques et financiers, d'exercer les compétences et attributions qui lui revenaient 2 ( * ) .

Il entend formuler des propositions pour améliorer le dispositif métropolitain, dans l'objectif d'offrir aux habitants de la métropole l'efficacité nécessaire dans la conduite de l'action publique de proximité. Ces propositions suivent trois axes.

En premier lieu, il importe de parachever la réforme initiée par l'article 181 de la loi dite « 3DS ». Afin que l'intention du législateur soit pleinement respectée, les acteurs locaux doivent se rapprocher au plus vite , pour tirer, avec l'accompagnement de l'État, les conséquences localement de cette réforme dans la répartition des compétences entre la métropole et les communes membres, la détermination de leurs relations financières futures ainsi que l'organisation déconcentrée de la métropole.

En deuxième lieu, il est apparu aux rapporteurs qu'une amélioration de la situation de la ville de Marseille constituait une condition sine qua non d'un rééquilibrage de la métropole. En la matière, le bon déroulement du plan « Marseille en grand » doit permettre de conforter à terme la cohérence métropolitaine.

En dernier lieu, les travaux menés par les rapporteurs ont conduit à constater qu'au-delà des dispositions contenues dans la loi dite « 3DS », l'avenir institutionnel de la métropole demeure très incertain . Le présent rapport ambitionne donc moins de définir des scenarii - qui sont en tout état de cause bien connus des acteurs locaux - que de proposer une démarche pour définir un projet partagé pour l'avenir du territoire ; dans un second temps ce projet métropolitain, qui fait encore cruellement défaut à la métropole d'Aix-Marseille-Provence, pourra conduire à des évolutions de structures, sur lesquelles il appartiendra aux acteurs locaux de se prononcer, en responsabilité et avec l'accompagnement de l'État .

L'ESSENTIEL

L'organisation et le fonctionnement de la métropole d'Aix-Marseille-Provence ont récemment été modifiés en profondeur par la loi dite « 3DS ». Alors que la discussion parlementaire sur ces dispositions n'a pas permis d'en appréhender la pleine mesure et que le plan « Marseille en Grand » commence à déployer ses effets, il apparaît nécessaire de procéder à un premier point d'étape sur la conduite de cette réforme .

Après plusieurs mois d'échanges avec les acteurs concernés, les membres de la mission 3 ( * ) partagent le constat qu'il n'est, aujourd'hui, nullement question de « détricoter » la réforme qui vient d'être adoptée .

Toutefois, constatant l'incomplétude d'une réforme constituant le plus petit dénominateur commun entre les acteurs locaux, ils entendent formuler des propositions pour améliorer le dispositif métropolitain, dans l'objectif d'offrir aux habitants de la métropole l'efficacité nécessaire dans la conduite de l'action publique de proximité . Ces propositions suivent trois axes :

- parachever la récente réforme de la métropole d'Aix-Marseille-Provence ;

- accélérer les mesures de rééquilibrage pour la ville de Marseille afin de conforter la cohérence métropolitaine ;

- engager une réflexion pour une organisation institutionnelle de la métropole choisie par les acteurs locaux .

I. UNE MÉTROPOLE AU MILIEU DU GUÉ

A. NÉE D'UNE CRÉATION HEURTÉE, UNE MÉTROPOLE ENCORE INACHEVÉE

Fruit de multiples compromis législatifs et locaux, la métropole d'Aix-Marseille-Provence a rencontré, dès sa création, des difficultés à faire émerger un projet métropolitain sur son périmètre.

1. Une métropole construite sur une promesse de résorption des déséquilibres et des contrastes existants

Si l'aire urbaine d'Aix-Marseille remplissait les critères objectifs pour prétendre devenir une métropole, il a été constaté dès sa création d'importants déséquilibres sur son périmètre rendant l'enracinement du fait métropolitain plus complexe qu'ailleurs : un polycentrisme particulièrement affirmé et des dynamiques économiques, démographiques, sociales et culturelles divergentes.

En conséquence, il a été prévu dès la genèse de la métropole qu'il serait nécessaire de bâtir une structure innovante à même « de dépasser les concurrences internes » 4 ( * ) au profit d'un projet à destination des citoyens.

2. Une construction particulièrement malaisée

La création de la métropole d'Aix-Marseille-Provence a pâti d'une opposition des élus locaux assise sur un double rejet : sur la méthode, le projet a pu être considéré comme largement imposé depuis Paris ; sur le fond, il n'était pas assis sur un socle solide et préexistant de coopération intercommunale à l'échelle du futur périmètre métropolitain.

Révélateur de dissensions locales, le parcours législatif de la métropole d'Aix-Marseille-Provence a été heurté et a accouché d'un objet métropolitain non identifié, marqué par les caractéristiques suivantes, fruit de trois compromis successifs qui n'ont pas résolu les difficultés :

- une date d'entrée en vigueur de la réforme repoussée d'un an ;

- la création d'un échelon déconcentré de la métropole, les conseils de territoires, s'étant vu déléguer automatiquement l'exercice de compétences métropolitaines ;

- la garantie d'une représentation de l'ensemble des communes du périmètre au sein du conseil métropolitain aboutissant à instituer un conseil pléthorique ;

- un panier de compétences, dérogatoire au régime de droit commun des métropoles .

3. Une métropole qui ne remplissait qu'imparfaitement ses objectifs

Préalablement à l'entrée de la réforme prévue par la loi dite « 3DS », la métropole d'Aix-Marseille-Provence pâtissait de trois principaux défauts.

En premier lieu, la répartition des compétences entre communes et métropole n'a pas permis à cette dernière de s'approprier pleinement les compétences qui lui étaient dévolues par la loi. Cela se traduit également, pour les citoyens, par une absence d'intelligibilité de la répartition réelle des compétences et de dynamiques territoriales fortes au service du développement économique, social et culturel de l'espace métropolitain.

En deuxième lieu, la permanence de conseils de territoire a rendu difficile l'émergence de la métropole comme entité territoriale à part entière. Tout en alourdissant le fonctionnement métropolitain, ces instances ont limité le champ de compétences dévolu à la métropole comme les marges de manoeuvre financières de celle-ci pour la conduite de ses projets.

En dernier lieu, la situation financière de la métropole ne permettait pas au territoire de bénéficier d'une capacité d'investissement à la hauteur de ses besoins. Cette situation posait une contrainte financière majeure pour le développement futur de la métropole.


* 1 Le IX de l'article 181 de la loi précitée dite « 3DS » prévoit, en effet, que « le Gouvernement remet au Parlement, avant le 31 décembre 2023, un bilan de l'application du présent article. Ce bilan doit comporter des propositions permettant d'améliorer le fonctionnement de la métropole notamment en ce qui concerne son organisation, sa gouvernance, son périmètre et son mode d'élection ». Ledit IX dispose également que « ce bilan peut faire l'objet d'un débat dans les conditions prévues par les règlements des assemblées et du dépôt d'un projet de loi relatif à l'amélioration du fonctionnement de la métropole ».

* 2 Au début de la séance publique consacrée à l'article 56 du projet de loi dit « 3DS », la ministre Jacqueline Gourault détaillait ainsi ces objectifs en les déclinant autour de trois axes : « premièrement, simplifier la gouvernance pour redonner de l'efficacité à l'action publique par la suppression des conseils de territoire ; deuxièmement, restituer les compétences de proximité aux communes et conforter la métropole dans ses compétences stratégiques ; enfin, créer les conditions d'un rééquilibrage des relations financières entre la métropole et les communes en se donnant le temps d'un travail collégial, sur la base d'une compréhension objective de la situation ». Voir le compte rendu de la deuxième séance du 8 décembre 2021, consultable à l'adresse suivante : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2021-2022/deuxieme-seance-du-mercredi-08-decembre-2021#2715432 .

* 3 La mission d'information est composée de : François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), président de la commission des lois, Mathieu Darnaud (Les Républicains - Ardèche) et Françoise Gatel (Union Centriste - Ille-et-Vilaine), rapporteurs, Guy Benarroche (Écologiste - Solidarité et Territoires - Bouches-du-Rhône), Agnès Canayer (Les Républicains - Seine-Maritime), Cécile Cukierman (Communiste républicain citoyen et écologiste - Loire), Alain Marc (Les Indépendants - République et Territoires - Aveyron), Jean-Yves Roux (Rassemblement Démocratique et Social Européen - Alpes de Haute-Provence), Jean-Pierre Sueur (Socialiste, Écologiste et Républicain - Loiret), et Dominique Théophile (Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants - Guadeloupe), membres.

* 4 Étude d'impact du projet de loi « MAPTAM », p. 50.

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