N° 501 |
N° 129 |
|
ASSEMBLÉE NATIONALE |
SÉNAT |
|
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 SEIZIÈME LÉGISLATURE |
SESSION ORDINAIRE 2022-2023 |
|
Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale |
Enregistré à la présidence du Sénat |
|
le 18 novembre 2022 |
le 18 novembre 2022 |
RAPPORT
au nom de
L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
sur
LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE DES BÂTIMENTS
Compte rendu de l'audition publique du 6 octobre
2022
et de la présentation des conclusions le 17 novembre
2022
par
M. Pierre HENRIET, député, et M. Gérard
LONGUET, sénateur.
Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale par M. Pierre HENRIET, Président de l'Office |
Déposé sur le Bureau du Sénat par M. Gérard LONGUET, Premier vice-président de l'Office |
Composition de l'Office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques
et technologiques
Président
M. Pierre HENRIET, député
Premier vice-président
M. Gérard LONGUET, sénateur
Vice-présidents
M. Jean-Luc FUGIT, député |
Mme Sonia de LA PROVÔTÉ, sénatrice |
M. Victor HABERT-DASSAULT, député |
Mme Angèle PRÉVILLE, sénatrice |
M. Gérard LESEUL, député |
Mme Catherine PROCACCIA, sénateur |
DÉPUTÉS |
SÉNATEURS |
Mme Christine ARRIGHI M. Philippe BERTA M. Philippe BOLO Mme Maud BREGEON M. Moetai BROTHERSON M. Adrien CLOUET M. Hendrik DAVI Mme Olga GIVERNET M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI M. Yannick NEUDER M. Jean-François PORTARRIEU M. Alexandre SABATOU M. Jean-Philippe TANGUY Mme Huguette TIEGNA |
Mme Laure DARCOS Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS M. André GUIOL M. Ludovic HAYE M. Olivier HENNO Mme Annick JACQUEMET M. Bernard JOMIER Mme Florence LASSARADE M. Ronan Le GLEUT M. Pierre MÉDEVIELLE Mme Michelle MEUNIER M. Pierre OUZOULIAS M. Stéphane PIEDNOIR M. Bruno SIDO M. Bruno SIDO |
CONCLUSIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 6 OCTOBRE 2022 SUR LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE DES BÂTIMENTS
Les objectifs ambitieux assignés au secteur du bâtiment, à l'instar de l'objectif de neutralité carbone en 2050 , continuent de contraster avec la faiblesse des moyens disponibles pour les atteindre, environ 4 milliards d'euros dépensés chaque année pour la rénovation 1 ( * ) . Pourtant, plus que jamais, les motivations environnementales se conjuguent aux motivations économiques en vue de diminuer la facture énergétique de ce secteur si important pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES).
En France, environ un quart des émissions de GES est dû aux bâtiments 2 ( * ) . La rénovation énergétique des bâtiments implique aussi des enjeux politiques et sociaux, en termes d'indépendance énergétique et de réduction de la précarité énergétique.
L'atteinte des objectifs nationaux de réduction des émissions de GES (baisse de 40 % en 2030 et 75 % en 2050, par rapport à 1990) et de consommation d'énergie finale (diminution de 50 % en 2050, par rapport à 2012) est fortement dépendante de la réalisation des objectifs fixés au secteur du bâtiment. Ces derniers sont : d'une part, une diminution des émissions de GES de 54 % à l'horizon 2028 et d'au moins 87 % d'ici 2050, par rapport à 2013, d'autre part, une baisse de la consommation énergétique de 15 % à l'horizon 2023 et de 28 % d'ici 2030, par rapport à 2010.
L'audition publique sur la rénovation énergétique des bâtiments organisée le 6 octobre 2022 se voulait une réunion de suivi d'un sujet sur lequel l'Office se penche régulièrement.
Parmi les récents travaux de l'Office consacrés à la rénovation énergétique des bâtiments, on peut en mentionner trois :
- En 2009, sur le fondement de l'article 4 de la loi de mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, nos anciens collègues Christian Bataille et Claude Birraux, s'interrogeaient en sous-titre de leur rapport sur « La performance énergétique des bâtiments » 3 ( * ) : « comment moduler la règle pour mieux atteindre les objectifs ? ». Outre l'accélération de la diffusion des solutions les plus performantes et le fait de privilégier les meilleures solutions techniques sans a priori , deux propositions structurantes étaient particulièrement mises en avant : d'une part, l'introduction d'un plafond d'émissions de CO2 en complément du plafond de consommation énergétique permettant de mieux prendre en compte les émissions liées au chauffage au gaz par rapport au chauffage électrique, d'autre part, la mesure des gains réels de performance énergétique après travaux, ce qui encourage l'innovation technologique. Ce dernier point est revenu de manière récurrente au cours de l'audition publique organisée le 6 octobre 2022.
- Quelques années après ce rapport, nos anciens collègues Jean-Yves Le Déaut et Marcel Deneux ont estimé, en 2014, dans le titre de leur rapport que « Les freins règlementaires à l'innovation en matière d'économie d'énergie dans le bâtiment » 4 ( * ) nécessitaient « une thérapie de choc ! ». Ils proposaient notamment de recentrer les missions du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), de simplifier les aides et de les rendre plus globales, à l'image de MaPrimeRénov', ou, encore, de faire de la rénovation un axe majeur de la stratégie nationale de la recherche.
- Enfin, en 2018, nos collègues Jean Luc Fugit et Loïc Prud'homme, ont établi une note scientifique de l'OPECST sur la rénovation énergétique des bâtiments 5 ( * ) dans laquelle, tout en reprenant certaines des recommandations précédentes, ils ont préconisé de mesurer le nombre de rénovations effectuées ainsi que leur qualité précise, de traiter en priorité les 7,4 millions de passoires thermiques 6 ( * ) et, plus largement, de soutenir l'innovation et de mieux financer la recherche.
Depuis une trentaine d'années, on observe que le parc de logements ne se renouvelle que de 1 % par an. Il est donc nécessaire de rénover les bâtiments déjà existants , sinon il faudrait attendre une centaine d'années avant d'avoir un parc rénové, car les progrès considérables réalisés sur la performance des bâtiments neufs ne peuvent avoir qu'un effet limité sur les caractéristiques globales d'émissions de GES et de consommation d'énergie des bâtiments, et ce même à l'échelle de deux décennies 7 ( * ) .
De plus, dans la continuité de l'accord de Paris sur le climat et du droit de l'Union européenne 8 ( * ) , la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) du 17 août 2015 mettant en place la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et encadrant la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), l'objectif à atteindre est celui d'un secteur du bâtiment neutre en carbone à l'horizon 2050 , c'est-à-dire, par exemple, uniquement composé de logements de DPE (diagnostic de performance énergétique) A ou B. Cet objectif impose de rénover à l'échelle nationale plus de 27 millions de logements d'ici à 2050 , avec un objectif annuel de 700 000 rénovations, pour le moment loin d'être atteint puisque l'on se situe autour de 70 000 à 80 000 9 ( * ) .
La rénovation énergétique des bâtiments représente des dépenses annuelles de l'ordre de 4 milliards d'euros d'investissement 10 ( * ) , dont 2,8 milliards pour la seule MaPrimeRénov' 11 ( * ) .
Comme l'affirmait la note scientifique de l'Office précitée, il est important dans un tel contexte de prioriser la rénovation des bâtiments déjà existants par rapport à une course à la performance dans l'amélioration des bâtiments neufs .
En conclusion de l'audition publique du 6 octobre 2022, plusieurs propositions sont formulées dans le présent rapport, certaines ayant été explicitement abordées lors de l'audition. Il s'agit ainsi de promouvoir trois axes d'amélioration , chaque volet étant composé de trois recommandations , formant un ensemble cohérent de neuf propositions détaillées ci-après :
- pour un véritable pilotage public de la rénovation énergétique des bâtiments , il convient de refondre, simplifier et stabiliser les dispositifs publics d'aides directes, d'inciter plus et mieux en mobilisant des outils de fiscalité et de communication, enfin, de mobiliser les collectivités territoriales ;
- pour un cadre plus favorable encourageant la rénovation énergétique des bâtiments, il faut mieux former, mieux suivre et mieux contrôler ;
- enfin, pour accélérer la rénovation , il convient de s'appuyer sur la recherche, sur la démultiplication de l'offre de services - en rénovant les bâtiments publics et en impliquant les banques - et sur une meilleure prise en compte des problématiques environnementales.
I. Pour un véritable pilotage public de la rénovation énergétique des bâtiments
1) Refondre, simplifier et stabiliser les dispositifs publics d'aides
La piste principale préconisée par l'Office est la refonte, la simplification et la stabilisation des dispositifs d'aides directes. Les programmes de rénovation doivent se fonder sur une analyse économique rigoureuse tant des coûts et contraintes que des économies et avantages offerts par la rénovation. C'est pourquoi il convient d' éviter la multiplication des dispositifs en recentrant les mesures de soutien autour du nom MaPrimeRénov' , quitte à décliner cette dernière selon plusieurs modalités d'application. Ce nom est en effet mieux identifié par le grand public que les autres mesures et pourra servir de marque ombrelle. Ce cadre doit ensuite être stabilisé car la lisibilité du système d'aides est une condition de son succès. Comme rappelé en introduction, la rénovation énergétique des bâtiments représente 4 milliards d'euros, dont 2,8 milliards pour MaPrimeRénov' qui couvre jusqu'à 80 % des dépenses engagées. Cependant, cela n'est parfois pas assez, en particulier pour les ménages les plus modestes, et il faut s'efforcer de veiller à ce que chacun soit en mesure de rénover son logement grâce aux aides proposées sans avoir à fragiliser dangereusement son budget.
Par ailleurs, les aides sont fournies indépendamment de l'impact réel des travaux alors que beaucoup ne permettent pas de diminuer significativement la consommation énergétique. C'est pourquoi l'efficacité des travaux doit devenir un objectif, à la fois en termes de consommation d'énergie mais aussi d'émissions de CO 2 . La rénovation énergétique doit aussi servir de vecteur à une préoccupation plus récente, mais très importante pour la santé publique : l'amélioration de la qualité de l'air intérieur .
En ce qui concerne les aides plus spécifiques, les intervenants ont fait valoir lors de l'audition publique que les bailleurs des logements locatifs visés par la loi « Climat et résilience » doivent être accompagnés pour éviter une contraction du parc, ainsi que les acteurs du tertiaire dans la mise en oeuvre du dispositif « Éco énergie tertiaire », introduit par le décret n°2019-771 du 23 juillet 2019 . Il est également nécessaire d' accompagner et de s outenir les artisans pour leur permettre d'investir en formation pour eux-mêmes et leurs collaborateurs, d'être encore mieux qualifiés et de continuer à recruter.
De manière moins opérationnelle, l'Office mentionne, pour mémoire, deux autres pistes :
- celle d'un nouveau mécanisme hypothécaire, sorte de « viager énergétique » , déjà envisagé dans nos rapports précédents. La procédure conduirait les pouvoirs publics à accompagner et financer eux-mêmes les travaux de rénovation des ménages en échange du paiement dans un deuxième temps d'un loyer par ceux qui ont bénéficié des travaux, viager calculé sur la moitié de l'économie effectuée, le remboursement du principal s'effectuant lors de toute mutation juridique du bien rénové ;
- celle d'une non prise en compte des dépenses en faveur de la rénovation énergétique dans le calcul du déficit public « au sens de Maastricht » . Si un pays conduit une politique ambitieuse en vue de lutter contre le changement climatique et de maîtriser sa consommation d'énergie, il devrait ainsi pouvoir déroger aux règles de déficit budgétaire.
2) Inciter plus et mieux en mobilisant des outils de fiscalité et de communication
La fiscalité peut être mieux mobilisée comme moyen d'accélérer la rénovation énergétique des bâtiments. Il faut moduler les incitations fiscales de sorte que les rénovations globales et des parcours types de travaux bénéficient de régimes fiscaux encore plus favorables . Des travaux de ce type permettront plus assurément de gagner des classes énergétiques dans le DPE.
On peut également imaginer la mise en place d'une incitation fiscale sous forme de crédit d'impôt à l'intention des ménages les plus précaires ainsi que pour les copropriétés , au sein desquelles l'intérêt de la rénovation énergétique ne parvient pas à se diffuser.
Les incitations non fiscales passent notamment par les certificats d'économie d'énergie et par une réorientation de la communication sur la rénovation énergétique des bâtiments, en vue de rétablir la confiance des ménages.
Les intervenants ont ainsi, lors de l'audition publique, plaidé pour recourir davantage aux certificats d'économie d'énergie qui sont de très bons moyens de financer les travaux de rénovation sans nécessiter des dépenses de l'État ou des prêts de la part des banques puisqu'il s'agit de mécanismes obligeant les fournisseurs d'énergie (électricité, gaz, fioul, carburants, GPL...) à encourager les travaux d'économies d'énergie auprès des particuliers, des syndicats de copropriété, des collectivités locales ou des entreprises.
Actuellement, l'accent est mis sur la diminution de la consommation d'énergie et les bienfaits environnementaux de la rénovation énergétique pour inciter les ménages à passer à l'acte. Or, les intervenants sont d'accord pour dire que ce n'est pas le seul angle à prendre en compte : il faut aussi valoriser les bénéfices de la rénovation énergétique en termes d'amélioration des qualités sanitaires du logement , même si la réduction des coûts énergétiques est le point qui reste l'aspect le plus visible et apprécié des ménages.
3) Mobiliser les collectivités territoriales
L'échelle locale est nécessaire pour déployer une stratégie de rénovation énergétique : il faut toujours prendre en compte le fait que la France compte plusieurs types de climat en fonction de ses régions.
Il faut aussi mobiliser les collectivités territoriales , les encourager à soutenir en priorité les rénovations globales et faire en sorte que ces dernières soient les plus fréquentes.
Il s'agit, enfin, de faire jouer aux collectivités territoriales un rôle d'impulsion, continuant ainsi de montrer l'exemple pour leurs propres bâtiments, notamment les bâtiments scolaires, et en permettant de raisonner à l'échelle locale la plus pertinente . Plutôt que de penser la rénovation au niveau d'un logement individuel ou d'un simple bâtiment, il faut penser plus globalement mais toujours dans un cadre local : le raisonnement et l'action doivent par exemple s'opérer au niveau d'une commune, d'un îlot, d'un quartier, d'un pâté de maisons, plutôt que sur un bâtiment ou un logement seuls.
Les particuliers auraient intérêt à pouvoir conduire leurs rénovations dans un cadre organisé par les collectivités territoriales pour sortir du face à face avec les artisans ou les marchands de chaudières à condensation et de pompes à chaleur. Des dynamiques institutionnelles et collectives seraient très utiles pour inverser le rapport de force dans cette relation économique entre clients et prestataires.
II. Pour un cadre plus favorable à la rénovation énergétique des bâtiments : mieux former, mieux suivre et mieux contrôler
1) Les mesures de formation
Tous les rapports consacrés à la rénovation énergétique des bâtiments soulignent l'importance de disposer une formation attractive et bien encadrée permettant de faciliter les 700 000 rénovations nécessaires chaque année et de faire en sorte qu'elles soient de bonne qualité.
Il s'agit notamment de mettre en place un référentiel commun de formation pour toute la filière et d'augmenter l'attractivité de la filière pour avoir plus de main d'oeuvre et poursuivre la montée en compétences de l'ensemble de ses professionnels. Ces évolutions permettraient d'améliorer la formation initiale et continue.
De manière plus précise, il est nécessaire de doter les professionnels de la capacité de définir clairement un parcours de travaux dans le cas d'une rénovation par étapes , avec le bon niveau de performance, les accompagnateurs au niveau local, les tiers de confiance, les incitations, les dispositifs de financement du reste à charge. En particulier il est nécessaire de mettre en place des formations dans l'interfaçage des travaux pour assurer que plusieurs opérations successives de rénovation aient le même impact qu'une rénovation en un seul temps.
2) Les mesures d'accompagnement
Dans le même ordre d'idée et de manière à éviter qu'une succession désordonnée de travaux réduise l'efficacité des démarches entreprises, il faut systématiquement accompagner les rénovations . Ceci nécessitera une plus grande cohérence du côté des artisans et un financement idoine, par exemple pour le secteur résidentiel.
Lors de l'audition publique, Franck Perraud, vice-président de la Fédération française du Bâtiment (FFB), a suggéré de mettre en place un passeport de rénovation en plusieurs étapes se succédant au fil des années pour les rénovations par étapes, et de généraliser la distribution d'un petit guide à l'attention des clients , afin de permettre à ceux-ci d'apprendre le bon usage des dispositifs techniques installés chez eux (régler un thermostat, etc.).
Par ailleurs, une meilleure connaissance du parc est nécessaire d'après tous les rapports cités 12 ( * ) . Le CSTB a pour cela créé une base de données nationale des bâtiments permettant de récupérer, grâce au croisement de différents fichiers, pour chaque bâtiment de logements et bientôt pour le tertiaire, des données non seulement cadastrales, mais aussi de constitution du bâti, voire d'enveloppe ou de consommation d'énergie. Cette base de données reste à compléter.
3) Les mesures de suivi et de contrôle
Alors que l'efficacité des travaux doit devenir une priorité, un des points faibles de la rénovation énergétique en France est l'absence de suivi . Personne ne vérifie réellement la qualité des travaux réalisés ni celle du DPE, alors que la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite « loi ELAN » permet depuis le 1 er juillet 2021 à un acheteur ou à un locataire d'ester en justice contre le vendeur ou le bailleur s'il est incorrect. Ces défauts de suivi peuvent favoriser ce que l'on qualifie parfois d'« éco-délinquance » avec des diagnostics ou des travaux bâclés , ce qui n'est pas le cas en Allemagne par exemple 13 ( * ) où chaque rénovation est encadrée par un expert thermicien et où les aides sont conditionnées à la qualité du résultat 14 ( * ) .
Une mesure de performance après rénovation serait l'idéal , y compris avec des méthodes de mesure in situ de la performance, mais un tel dispositif exigeant serait compliqué à mettre à place. De manière plus réaliste, et autant que faire se peut, un simple suivi des travaux de rénovation par un expert thermicien serait souhaitable . Dans le rapport de 2014 précité, l'Office proposait de créer des « conseillers à la rénovation », qui iraient encore plus loin que le suivi et interviendraient de l'amont à l'aval des travaux. Un suivi plus rigoureux va plus loin que le fait de faire progresser le DPE. Dans un article critiquant la prétendue « fiabilisation du DPE », Bruno Slama invite à ne pas utiliser le DPE pour faire de l'audit énergétique 15 ( * ) .
Toutes ces évolutions visant à mieux former, mieux suivre et mieux contrôler auront pour effet de prévenir l'éco-délinquance , mais il faut également lutter efficacement contre cette dernière en la réprimant plus sévèrement . Les sanctions restent rares à ce stade, d'autant plus que l'efficacité des travaux est parfois difficile à quantifier. Lors de l'audition, plusieurs intervenants ont évoqué les grandes difficultés qu'éprouvent les organismes délivrant le label « reconnu garant de l'environnement » (RGE) à retirer celui-ci aux entreprises indélicates.
L'éco-délinquance ne concerne, de plus, pas uniquement les travaux de rénovations mais également les DPE, tant au niveau de leur réalisation que de leur préparation, par exemple au stade des démarchages par téléphone ou par courrier électronique.
III. Pour une accélération de la rénovation énergétique des bâtiments
1) S'appuyer sur la recherche
Les résultats actuels de la recherche en matière de techniques d'isolation au sens strict permettent déjà de mettre en oeuvre des campagnes de rénovations massives , ce que confirment les rapports sur le sujet ainsi que les intervenants lors de l'audition publique. Quelques voies d'amélioration sont toutefois identifiées. La recherche sur la rénovation, l'isolation, la qualité de l'air et le bâti doit par exemple être poursuivie et amplifiée. Des pistes générales sont identifiées.
Tout d'abord, le financement de la recherche doit être significativement augmenté , son niveau est extrêmement faible dans cette filière puisqu'il représente, pour le secteur privé, seulement environ 0,1 à 0,2 % des 130 milliards de chiffre d'affaires du secteur en 2018 16 ( * ) .
De même, sur le seul plan des effectifs et du côté public , la communauté de recherche française du secteur est en décroissance depuis plusieurs années, cette tendance étant à inverser. La recherche sur le bâtiment doit être remise au coeur de la politique d'économie d'énergie française et de notre stratégie de recherche .
Ensuite, des études restent à faire pour rénover, dès que possible, des bâtiments différents en utilisant les mêmes techniques , ce qui permettrait de gagner de l'efficacité et donc de rénover de plus en plus vite, à l'image de la démarche européenne Energiesprong 17 ( * ) .
Enfin, il faut s'appuyer sur les technologies numériques et sur d'autres technologies innovantes , qui demeurent assez peu développées et dont le déploiement industriel ne doit pas rencontrer de freins dès lors que leur efficacité a été établie.
Sans même avoir besoin d'attendre de nouveaux résultats de la recherche, il est important d'augmenter son financement pour permettre de déployer ensuite, à moyen terme, des solutions de plus en plus efficaces et de moins en moins encombrantes.
Par ailleurs, comme l'évoquait la note scientifique de l'Office précitée, les sciences sociales ne doivent pas être oubliées : elles peuvent faciliter la mise en oeuvre de toutes les mesures présentées, notamment en aidant les pouvoirs publics à identifier les leviers à mobiliser pour inciter à la rénovation.
En 2018, l'Office avait, de manière plus générale, proposé de créer un institut de recherche pluridisciplinaire spécifique , dédié à la rénovation, et financé le cas échéant par le secteur privé. Il s'agirait d'une étape structurante importante pour la stratégie proposée dans le présent rapport.
2) Démultiplier les actes de rénovation, rénover les bâtiments publics et impliquer les banques
Le nombre de rénovations n'est pas à la hauteur des objectifs. Il faut mieux mobiliser les acteurs et accélérer les rénovations en améliorant en quantité et en performance l'offre de services et de travaux sur tout le territoire. En particulier, les intervenants sont d'accord pour dire que les résultats actuels de la recherche sont suffisants pour atteindre les objectifs fixés et qu' il n'est pas nécessaire d'attendre de nouveaux résultats de la recherche pour lancer une campagne de rénovations en masse . Enfin, un point qui se retrouve dans tous les rapports sur le sujet et que les intervenants ont également souligné est celui de la complexité administrative. Il faut la diminuer.
La mobilisation des collectivités territoriales a été évoquée mais, plus largement, les pouvoirs publics doivent déployer une stratégie d'impulsion exemplaire en faveur de la rénovation des bâtiments publics .
La France compte notamment 250 millions de mètres carrés de bâtiments scolaires ou de santé. Les écoles, les collèges, les lycées, les universités, les hôpitaux, les administrations, etc., doivent impulser une grande dynamique nationale. Ces rénovations, parfois réplicables et donc plus rapides, permettraient en outre que certains enfants et certains jeunes sensibilisent leurs parents et leurs aînés aux problématiques de rénovation énergétique. Lors de l'audition publique, Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable, a ainsi rappelé qu'une telle démarche de « pédagogie inversée » avait été constatée pour le port de la ceinture de sécurité.
Dans le rapport de 2009 précité, l'Office invitait déjà à mettre l'accent sur les bâtiments publics ainsi que sur les bâtiments privés du secteur tertiaire. Si les passoires thermiques représentent un enjeu environnemental considérable, il faut être vigilant à ne pas stigmatiser les ménages les plus modestes, ce qui plaide aussi pour cette stratégie d'exemplarité qui doit commencer par les bâtiments publics.
Les aides de l'État seules ne suffiront pas à financer toutes les rénovations, et elles sont en particulier insuffisantes pour les ménages qui ne peuvent pas payer les 20 % restants après attribution de MaPrimeRénov'.
Il faut donc impliquer davantage les banques et leur faire jouer le jeu de l'accélération de la rénovation énergétique des bâtiments. Il faut donc débloquer le crédit bancaire et réfléchir à une initiative permettant à ces dernières d'accorder de manière effective des prêts à taux zéro pour financer les rénovations et pas uniquement pour l'achat de logements.
Les banques doivent prendre conscience que financer ces actions est intéressant pour elles : ces travaux permettent en effet d'accroître la valeur du patrimoine de leurs clients.
3) Mieux prendre en compte les problématiques environnementales
Une stratégie de rénovation rigoureuse pourrait aussi s'appuyer sur les matériaux biosourcés afin de réduire l'empreinte carbone des logements rénovés, voire de parfois les transformer en puits de carbone 18 ( * ) .
Cette perspective - qui peut sembler utopique - consiste à utiliser comme matière première dans des produits de construction et de décoration, de mobilier fixe et comme matériau de construction dans un bâtiment, des matériaux biosourcés issus de la matière organique renouvelable (biomasse), d'origine végétale ou animale. La nature de ces matériaux est multiple : bois, chanvre, paille, ouate de cellulose, textiles recyclés, balles de céréales, miscanthus, liège, lin, chaume, herbe de prairie, etc. Leurs applications le sont tout autant dans le domaine du bâtiment et de la construction : structures, isolants, mortiers et bétons, matériaux composites plastiques ou, encore, dans la chimie du bâtiment (peinture, colles...).
La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LCETV) a confirmé l'intérêt d'utiliser ces matériaux dans le secteur du bâtiment puisqu'aux termes de son article 5 « l'utilisation des matériaux biosourcés concourt significativement au stockage de carbone atmosphérique et à la préservation des ressources naturelles » et « qu'elle est encouragée par les pouvoirs publics lors de la construction ou de la rénovation des bâtiments ».
De même, l'article 181 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ELAN, dispose que : « [Les performances énergétiques, environnementales et sanitaires des bâtiments et parties de bâtiments neufs] répondent à des objectifs d'économies d'énergie, de limitation de l'empreinte carbone par le stockage du carbone de l'atmosphère durant la vie du bâtiment, de recours à des matériaux issus de ressources renouvelables, d'incorporation de matériaux issus du recyclage, de recours aux énergies renouvelables et d'amélioration de la qualité de l'air intérieur ».
Cette stratégie d'utilisation de matériaux biosourcés étendue à la rénovation des bâtiments anciens doit être discutée, concertée, puis mise en place, en mettant l'accent sur des circuits courts et locaux autant que possible.
*
* *
La rénovation énergétique des bâtiments est un sujet de long terme, même si l'urgence climatique désormais évidente pour tous appelle à en accélérer le cours. Les présentes conclusions de l'Office s'inscrivent dans le droit fil de ses précédents travaux et en confortent les orientations. Au croisement de dimensions multiples - notamment écologique, économique, sociale, budgétaire et administrative -, la rénovation énergétique des bâtiments repose à la fois sur des technologies éprouvées, mobilisables dès maintenant pour des résultats massifs, et sur des innovations, peut-être insuffisamment encouragées. L'Office a vocation à poursuivre ses travaux afin d'apprécier plus précisément le potentiel des technologies innovantes.
* 1 Le montant cumulé des incitations financières publiques à la rénovation, révisées à plusieurs reprises pour essayer d'accroître leur efficacité, s'est élevé à 3,8 milliards d'euros pour la seule année 2015, ainsi que l'analyse la Cour des Comptes dans son rapport de 2016 sur L'efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable, qui faisait suite à une enquête demandée par la commission des finances du Sénat. Cf. : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lefficience-des-depenses-fiscales-relatives-au-developpement-durable https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lefficience-des-depenses-fiscales-relatives-au-developpement-durable
* 2 En France, le secteur du bâtiment représente de l'ordre de 25 % des émissions de gaz à effet de serre (36 % en moyenne dans l'Union européenne) et 45 % de la consommation d'énergie finale (40 % dans l'Union européenne).
* 3 Cf. le rapport de l'OPECST n° 135 (2009-2010) « La performance énergétique des bâtiments : comment moduler la règle pour mieux atteindre les objectifs ? » : https://www.senat.fr/notice-rapport/2009/r09-135-notice.html
* 4 Cf. le rapport de l'OPECST n° 709 (2013-2014) « Les freins règlementaires à l'innovation en matière d'économie d'énergie dans le bâtiment : le besoin d'une thérapie de choc » : https://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-709-notice.html
* 5 Cf. la note scientifique de l'OPECST n° 6 sur « La Rénovation énergétique des bâtiments », juillet 2018 : https://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/opecst/quatre_pages/OPECST_2018_0045_renovation_energetique_batiments.pdf
* 6 L'initiative « Rénovons » évalue le nombre de logements «passoires» (à savoir consommant plus de 330 kWh/m2/an en énergie primaire) à 7,4 millions dans le parc résidentiel privé français, dont 2,6 millions occupés par des ménages modestes.
* 7 La priorité doit donc être donnée aux mesures qui favorisent une rénovation efficace de l'ancien par rapport à l'amélioration des performances des constructions neuves lesquelles présentent par ailleurs l'inconvénient de mobiliser plus de matières premières et, dans un grand nombre de cas, des terres agricoles de qualité et de proximité. Pourtant, les parties prenantes (responsables politiques, administrations, organismes, associations, etc.) ont depuis une trentaine d'années tendance à privilégier surtout le perfectionnement des réglementations, méthodes et technologies destinées à la construction neuve.
* 8 La directive 2018/844 /UE du 30 mai 2018 qui actualise les directives 2010/31/UE et 2012/27/UE prévoit, pour atteindre les objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l'établissement, dans chaque État membre, d'une stratégie de rénovation de long terme, avec pour objectif de disposer, d'ici 2050, d'un parc immobilier à haute efficacité énergétique et décarboné, notamment au travers de mesures visant à encourager les rénovations lourdes, à cibler les passoires énergétiques, à déployer des technologies numériques, à mobiliser et optimiser les investissements dans la rénovation, par exemple au travers de l'agrégation de projets via des plateformes ou des consortiums de petites et moyennes entreprises.
* 9 Cf. le rapport du 10 février 2021 de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la rénovation thermique des bâtiments, n° 3871, 15 e législature, sur la rénovation énergétique des bâtiments : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-dvp/l15b3871_rapport-information#
* 10 Cf. ces données du gouvernement : https://www.economie.gouv.fr/plan-de-relance/mesures/renovation-energetique-batiments-publics
* 11 Cf. le compte-rendu de l'audition publique de l'Office du 6 octobre 2022 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20221003/opecst_bul_2022_10_6.html
* 12 Cf. la note scientifique de 2018 précitée ainsi que le rapport de l'ADEME de 2021 pour la rénovation énergétique des bâtiments : https://www.union-habitat.org/sites/default/files/articles/pdf/2021-01/rapport_ademe_renovations_performantes_par_etapes_vf.pdf
* 13 En Allemagne, trois dispositifs favorisent des rénovations de qualité financées par le programme de rénovation à haute efficacité énergétique de la banque publique de développement KfW (Kreditanstalt für Wiederaufbau) : la mesure de performance globale après rénovation, la progressivité des aides en fonction de la performance énergétique atteinte, et l'intervention d'un expert thermicien qui conseille sur les travaux à réaliser, suit le chantier et certifie les résultats obtenus. Cette démarche a permis d'obtenir, entre 2008 et 2015, une baisse de 11,1 % de la consommation d'énergie finale des logements.
* 14 Cf. la note scientifique de 2018 précitée.
* 15 Dans son article, il dénonce trois grands défauts du DPE : sa méthode, son calcul et son évaluation. Ainsi, il explique que la méthode de calcul du DPE ne repose sur « aucune étude scientifique spécifique » et agrège différentes méthodes antérieures sans aboutir à un résultat satisfaisant, que le moteur de calcul est partiel, non stabilisé et présente donc des résultats qui évoluent sans cesse notablement, enfin, que « le processus d'évaluation a été mené dans des conditions apocalyptiques », menant « les éditeurs de logiciels au bord de la crise de nerf, sans que soient sérieusement examinés les différents aspects des calculs réalisés par les logiciels ». Cf. le détail des analyses de Bruno Slama au lien suivant : https://conseils.xpair.com/actualite_experts/nouveau-dpe-chronique-desastre-annonce.htm
* 16 Données pour l'ensemble de la filière, et non pour la rénovation seule. Cf. la note scientifique de 2018 précitée.
* 17 Cf. le site de cette démarche européenne : https://www.energiesprong.fr/
* 18 Cf. le chapitre consacré aux logements dans le Plan de transformation de l'économie française, proposé par le Shift Project ainsi que l'arrêté du 19 décembre 2012 relatif au contenu et aux conditions d'attribution du label « bâtiment biosourcé », qui concerne davantage le neuf que l'ancien et qui gagnerait à être actualisé en fonction des connaissances actuelles.