IV. AUDITION DE RÉGIONS DE FRANCE
Réunie le mercredi 25 janvier 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition de M. Christian Charpy, président de la 1ère chambre de la Cour des comptes, Mme Mathilde Lignot-Leloup, conseillère maître à la Cour des comptes et M. Stéphane Perrin, vice-président du conseil régional de Bretagne et président délégué finances de la commission administration générale de Régions de France (RF) pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les scénarios de financement des collectivités territoriales.
M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi nos travaux sur l'enquête réalisée par la Cour des comptes, à notre demande, sur le fondement de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur les scénarios de financement des collectivités territoriales.
Après la présentation du rapport par son Premier président au début du mois d'octobre dernier, et l'audition, la semaine dernière, de représentants d'élus du bloc communal, nous auditionnons aujourd'hui Régions de France (RF), puis l'Assemblée des départements de France. Il ne s'agit pas de présenter à nouveau dans le détail les travaux de la Cour, dont vous avez déjà pu prendre connaissance. Il convient cependant de souligner que l'une des idées majeures qui se dégagent du rapport de celle-ci est de concentrer la fiscalité locale, ou du moins ce qu'il en reste, sur le seul bloc communal.
De nouvelles sources de financement sont envisagées pour les autres strates de collectivités, comme un partage de l'impôt sur le revenu avec les départements ou de l'impôt sur les sociétés (IS) avec les régions.
Ces auditions sont l'occasion de connaître les observations des représentants des régions et des départements sur ce sujet ainsi que sur les autres propositions et pistes esquissées par la Cour, par exemple en matière de gouvernance des finances locales ou de simplification de la fiscalité transférée.
Notre première audition de l'après-midi est consacrée aux régions. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Stéphane Perrin, vice-président du conseil régional de Bretagne et président délégué Finances de la commission Administration générale de Régions de France. Je remercie également le président de la 1ère chambre de la Cour des comptes, M. Christian Charpy, et la rapporteure générale de la formation commune qui a préparé cette enquête, Mme Mathilde Lignot-Leloup, de s'être rendus à nouveau disponibles pour participer à nos échanges.
Je tiens par ailleurs à excuser notre rapporteur général.
Monsieur Perrin, nous avons évidemment souhaité prendre une initiative sur le sujet du financement des collectivités territoriales, c'est en effet une litote que de dire que les élus locaux ont du mal à trouver des convergences en la matière. On peut le comprendre : chacun a d'abord en vue de préserver son domaine. Les seuls points sur lesquels nous convergeons tous, c'est, premièrement, la nécessité de tout changer et, deuxièmement, le fait que nous ne savons pas comment nous y prendre.
Le Parlement a jugé utile de poser un acte, un acte courageux, consistant à prendre un « tiers de confiance » pour exposer un certain nombre de points de vue, puis, éventuellement, à mettre sur la table une proposition avec des éléments qui nous paraissent suffisamment intéressants pour que nous poursuivions la réflexion le plus loin possible.
Avec cette audition, nous avons l'objectif de bien comprendre le point de vue de Régions de France sur ce qui s'est déjà passé pour les régions, dont le mode de financement a été très largement chamboulé dans les années passées - nous nous souvenons tous des cris d'orfraie que la peur du changement avait suscités. On a l'impression, peut-être fausse, que la question du financement des régions ne se pose plus dans les mêmes termes désormais, compte tenu du fait que l'on a limité vraiment très fortement leurs capacités d'autonomie fiscale.
Comment les régions relisent-elles cette période aujourd'hui ? Quelles réflexions vous inspirent les propositions de la Cour ?
M. Charles Guené, rapporteur. - Je veux adresser mes remerciements à la Cour, pour la qualité du travail qu'elle nous a fourni, et à vous, monsieur Perrin, pour être venu devant nous aujourd'hui évoquer ces sujets.
Je travaille particulièrement sur la gouvernance des finances locales. Comme l'a souligné la Cour, la question de la nécessité d'une sorte de nouvelle gouvernance systémique se pose, à plus forte raison dans un contexte où le partage d'impôts nationaux a pris une part importante dans le financement des collectivités territoriales.
Le rapport envisage soit la création d'une autorité indépendante, soit une transformation du Comité des finances locales (CFL). Lors de la réunion que nous avons eue avec vos collègues du bloc communal, ces derniers étaient plutôt favorables à une évolution du CFL. Quelle est votre préférence sur ce point ?
Il est vrai que toutes vos ressources n'étaient pas nécessairement en adéquation avec vos compétences. Se profile notamment l'idée d'un transfert de l'impôt sur les sociétés. Comment envisageriez-vous la répartition de cet impôt : territorialisé au niveau des régions ou réparti au plan national en fonction de critères de développement économique du territoire régional ?
M. Stéphane Perrin, vice-président du conseil régional de Bretagne, président délégué Finances de la commission Administration générale de Régions de France. - Vous avez utilisé, monsieur le président, l'expression « tiers de confiance ». Nous dialoguons fréquemment avec la Cour - j'étais encore auditionné par elle ce lundi. Le rôle de la Cour, dans ces exercices où il faut commencer par objectiver une situation de départ, nous paraît essentiel. La mobilisation de la disposition de la Lolf que vous avez évoquée me semble donc tout à fait opportune, et j'espère, à titre personnel, qu'elle fera école et que le rôle de la Cour en tant que tiers de confiance sera bien identifié.
Dans ces périodes où il faut tout changer, il faut au moins se mettre d'accord sur les termes du débat. Dans la période récente, sur la situation financière des régions, par exemple, nous avons parfois eu des difficultés à nous mettre d'accord sur les constats de départ, et c'est la Cour qui, finalement, a été le juge de paix. C'est essentiel pour débuter les discussions en projet de loi de finances (PLF) ou de loi de finances rectificative.
Je veux donc saluer le rôle de la Cour ainsi que votre initiative, d'autant plus bienvenue que le modèle de financement des régions est appelé à mourir à court terme. La crise et l'inflation que nous connaissons ont été un puissant accélérateur de cette marche vers la mort du système de recettes des régions. En effet, pour une bonne part, nos recettes sont assises sur de la fiscalité liée à l'automobile : part de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et taxe sur la carte grise, qui est notre dernier levier fiscal, à hauteur de 10 % des recettes des régions - c'est donc un tout petit levier fiscal.
Pourquoi ce système est-il mort ? Il était, déjà, absurde. En effet, les mobilités collectives - ferroviaire, trains express régionaux (TER), transport interurbain - sont l'une des compétences majeures des régions. Or, par hypothèse, plus nous allons développer le transport collectif, moins nous allons susciter de besoins en véhicules automobiles et en carburants. Par conséquent, plus nous mènerons des politiques vertueuses, moins nous aurons de recettes.
Nous allons connaître des diminutions très fortes du produit de la taxe sur la carte grise, liées au fait que le marché de l'automobile s'effondre - nos décisions modificatives de fin d'exercice 2022 et la construction des budgets pour l'année 2023 le reflètent. À cela, plusieurs facteurs : augmentation du coût des véhicules, arrêt des aides pour l'achat d'un véhicule... De fait, ce secteur était fortement mobilisateur de crédits publics. Tout cela, que ce soit sur le véhicule neuf ou, par effet de bord, sur le véhicule d'occasion, explique qu'il y ait beaucoup moins de transactions, donc beaucoup de pertes de recettes. S'y ajoute l'ambition européenne de fin du véhicule thermique à l'horizon 2035. L'assiette va donc fondre, puis disparaître complètement. Quelques régions, dont la mienne, vont relever le taux de la taxe sur la carte grise cette année pour compenser les effets de l'inflation, mais c'est une fuite en avant : plus l'assiette va fondre, plus nous allons devoir augmenter le taux. Nous savons très bien que cela ne nous mènera nulle part.
Le modèle de recettes est donc appelé à mourir. Il va falloir en changer à très court terme pour les régions, sans quoi nous serons dans l'incapacité de financer les politiques publiques, que ce soit en fonctionnement ou en investissement.
Vous m'avez appelé, monsieur le président, à faire un retour sur le passé. Il se trouve que j'ai vécu la bascule de la dotation globale de fonctionnement (DGF) vers la TVA pour les régions. Cette bascule nous a offert un bol d'air frais, sa dynamique étant sans commune mesure avec les perspectives d'évolution de la DGF, qui avait beaucoup diminué. Ainsi, si nous parvenons à assumer, pour 2022, les puissants surcoûts liés à l'inflation - factures d'énergie de nos lycées, factures d'électricité sur les mobilités, factures de carburant des mobilités par car -, c'est parce que nous avons eu, cette année-là, une bonne dynamique de TVA. Je le dis de manière très claire : cette bascule a été la bienvenue, quand bien même elle ne nous a pas redonné de l'autonomie fiscale. Cependant, il faut bien dire que la dynamique de la TVA est annulée par l'évolution de la fiscalité sur l'automobile, qui est appelée à diminuer.
Pour l'année 2023, nous anticipons une dégradation de l'épargne des régions, car la dynamique de TVA ne sera pas au niveau de 2022, et encore moins des années précédentes. Dans le même temps, nous aurons toujours cette attrition des recettes sur la fiscalité automobile. Nous anticipons plutôt une dégradation du solde.
M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Malgré une bonne dynamique d'évolution de la TVA cette année ?
M. Stéphane Perrin. - Je m'en suis ouvert auprès de la Cour pas plus tard que lundi. Pour 2023, nous anticipons, en année pleine, un surcoût lié à l'inflation, en additionnant les lycées, les TER, le transport interurbain et l'effet point d'indice sur la masse salariale, de 977 millions d'euros pour l'ensemble des régions, et un surplus de recettes à hauteur de 786 millions d'euros, que nous calculons pour l'instant uniquement sur le surplus de TVA - nous partons d'une hypothèse de stabilité sur la carte grise et les certificats d'immatriculation, alors que l'on aura vraisemblablement une baisse. Le solde serait donc négatif d'environ 200 millions d'euros. En 2022, la situation était inverse, avec plus de 1,1 milliard d'euros de recettes supplémentaires du fait d'une très bonne dynamique de TVA, contre 957 millions d'euros de surcoût en dépenses, donc un solde globalement positif, même si, comme la Cour l'avait établi - c'est en cela que j'évoquais un rôle de tiers de confiance -, la région était le seul niveau de collectivité à ne pas avoir retrouvé son niveau d'épargne d'avant-covid. De fait, c'est le niveau de collectivité qui a été le moins accompagné au cours de cette crise, hormis les 600 millions d'euros de soutien à l'investissement, qui doivent cependant être mis en regard des 2,4 milliards d'euros de hausse de l'investissement des régions sur la même période, liés à leurs politiques volontaristes.
Comme le modèle de recettes paraît dépérir au fil du temps, nous risquons d'avoir une difficulté à terme, qui se traduira, non par un surendettement des régions, mais par une diminution de l'investissement, alors que nous n'avons pas encore ouvert le volet « mobilité » des contrats de plan État-région (CPER), par exemple, et que les besoins en la matière sont extraordinairement importants.
La période passée nous inspire donc à la fois la satisfaction d'avoir cette recette de TVA et le constat que le modèle de recettes, au global, ne nous permet pas d'assumer les politiques publiques en tendance longue, l'inflation et à la crise économique ayant accéléré les choses.
Il est vrai que nous n'avons quasiment plus d'autonomie fiscale. Nous avons inauguré le modèle, aujourd'hui largement répandu, de l'affectation d'une part d'impôt national. Celui-ci ouvre des questions qui dépassent largement ma condition d'élu régional, pour s'adresser aux représentants de la nation que vous êtes. D'une part, la TVA est un impôt qui présente des inconvénients compte tenu de son caractère régressif. Surtout, le fait que l'État soit aujourd'hui attributaire d'une part minoritaire du produit de la TVA et la généralisation d'un système où les collectivités sont affectataires d'une part d'impôt national interrogent sur la capacité qu'aura l'État à financer ses propres politiques publiques.
On voit bien que les choix de politique fiscale cherchent un peu à faire disparaître l'impôt. On a beaucoup recours aux impôts indirects. On réduit les assiettes. On supprime la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) pour ne plus avoir d'impôt sur la production. Quoi que l'on pense de ces choix, le système qui consiste à affecter aux collectivités une part d'impôt national sera-t-il tenable dans le temps ? L'État aussi a besoin de financer ses politiques publiques ! Ce sont des choix qui appartiennent au Parlement, puisque c'est lui qui est décisionnaire en dernier ressort sur les lois de finances.
M. Claude Raynal, président, rapporteur spécial. - Quand le « 49.3 » n'est pas déclenché...
M. Stéphane Perrin. - Quoi qu'il en soit, c'est une vraie question. Il faut aussi avoir ces choses à l'esprit quand on choisit un scénario de financement. Pour ma part, je m'interroge sur l'opportunité de réduire les assiettes que l'on souhaite imposer ou de distribuer les produits d'impôts entre plus de bénéficiaires au moment même où la demande d'investissement et les besoins découlant des compétences régaliennes de l'État sont très forts, mais je répète que ces choix appartiennent avant tout aux représentants de la nation, même si nous en supporterons les effets en dernier ressort.
Partant de là, la question se pose du modèle vers lequel nous devons aller. La proposition que fait la Cour a globalement reçu l'assentiment de Régions de France, comme la présidente Carole Delga a eu l'occasion de le dire. En effet, l'impôt sur les sociétés est plus en lien avec nos compétences que les recettes que nous pouvions avoir jusqu'à présent. La Cour a souligné la complexité et la faible lisibilité du système. Il existe des bizarreries, comme la compensation par des parts de TICPE de dépenses relatives à l'apprentissage. Tout cela devient très tortueux. La sédimentation née de la succession de réformes rend le panier de recettes complètement illisible pour les citoyens et parfois même pour les élus. Il est donc probablement temps de passer à autre chose aussi pour des raisons démocratiques.
L'affectation d'une part d'impôt sur les sociétés appelle deux précisions.
Premièrement, avec la TVA et l'impôt sur les sociétés, nos recettes seraient intégralement liées à la conjoncture économique. Autrement dit, dans les périodes de retournement économique, l'ensemble de nos recettes connaîtrait une dépression, puisque nous n'aurions pas de « fiscalité de stock », alors même que les régions ont aujourd'hui des compétences en matière de service à la population - sur les mobilités, sur la formation professionnelle, sur les lycées -, qui, elles, ne sont pas dépendantes du cycle économique.
Comment assure-t-on le financement des politiques en période de vaches maigres ? Une des demandes formulées par Carole Delga, qui n'a pour l'instant pas été suivie en loi de finances, mais qui paraîtrait d'autant plus nécessaire dans un nouveau modèle tel que celui que propose la Cour, est d'avoir a minima la capacité de mettre en réserve la dynamique, comme cela a été fait pour les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) des départements. Si j'ai bien compris, ces derniers ont activement mobilisé ce système. Nos collègues élus des départements savent bien qu'ils sont dépendants du marché de l'immobilier alors même qu'ils ont des politiques pérennes à financer, comme l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ou le revenu de solidarité active (RSA). Un mécanisme prudentiel paraît donc absolument indispensable, au moins pour préserver les capacités d'intervention en période de crise.
Deuxièmement, vous avez posé la question, monsieur le rapporteur Charles Guené, de la gouvernance, de la codécision, de la territorialisation. Il est clair que, dans le modèle proposé, les régions, qui avaient exprimé une demande de codécision dans leur livre blanc, n'auraient pas d'autonomie fiscale. L'organisation territoriale et l'organisation fiscale d'un État sont deux choses distinctes. J'ai l'habitude de citer l'exemple de notre voisin allemand, où les Länder n'ont pas forcément d'autonomie, mais sont dans un dialogue avec l'État fédéral sur l'attribution des parts d'impôt national. Il faudrait, a minima, créer les conditions de ce dialogue, qui, il faut bien le dire, n'existe pas aujourd'hui.
J'ai siégé au CFL le jour de la présentation du projet de loi de finances : les ministres y viennent l'après-midi consacrer une heure à sa présentation, après la réunion du conseil des ministres du matin. Autant dire que l'on a peu de temps pour poser des questions ! Le PLF vit ensuite sa vie parlementaire.
Il faut que nous puissions avoir un espace de discussion, d'échange et de codécision qui n'existe pas aujourd'hui, dans un format à définir. Dans le processus de révision constitutionnelle qui avait été engagé, l'idée a circulé d'une loi de financement des collectivités territoriales, mais votre collègue Françoise Gatel m'avait expliqué que cette solution pouvait être piégeuse, y compris pour les collectivités. Le lieu de discussion que nous appelons de nos voeux peut être un CFL rénové, mais il faudra alors en regarder la composition avec précision : si les collectivités y sont minoritaires, l'exercice s'avérera assez rapidement vain et décevant. Cela ne créerait pas la confiance que nous recherchons, ce qui constituerait une difficulté.
La solution peut passer par la contractualisation, mais évidemment pas sur le modèle des contrats de Cahors - qui n'étaient d'ailleurs pas des contrats - ou du dispositif proposé il y a peu, qui reposait sur une norme de dépenses de fonctionnement à respecter.
En revanche, l'intérêt d'une contractualisation globale, intégrant un volet financier mais pas uniquement, est indéniable. Elle serait envisageable dans le cadre d'expérimentations et selon des mécanismes de différenciation à définir, même si j'ai des doutes sur le fait que l'État y soit prêt.
Je comprends parfaitement que le Gouvernement s'efforce prioritairement de crédibiliser la trajectoire budgétaire de nos finances publiques - après tout, régions et État sont dans le même bateau -, mais je suis convaincu de la nécessité d'une contractualisation plus dense que par le passé. C'est d'autant plus vrai que, si l'on porte un regard rétrospectif sur les contrats de Cahors - cet exercice inutilement vexatoire -, on observe que les régions, qu'elles les aient signés ou non, ont toutes, sans exception, respecté leur trajectoire budgétaire.
Cela étant, une contractualisation plus poussée impliquerait que l'État mette en place les outils nécessaires, y compris à l'échelon local, pour piloter les politiques conduites dans le cadre de ces contrats. Or l'actuel ministre des comptes publics a qualifié de « micro-management » le fonctionnement des contrats de Cahors. Un dialogue entre les présidents de régions et les préfets, ça ne s'appelle pas du « micro-management », ça s'appelle la République. Ces propos m'ont choqué, car une contractualisation efficace suppose un État déconcentré bien « outillé » et ouvert au dialogue.
Réfléchir à la territorialisation du financement des régions nécessite de s'interroger en parallèle sur les mécanismes de péréquation à mettre en oeuvre, même si le panier actuel des recettes des régions rend moins utile un tel travail, même si nous l'avons fait.
La territorialisation est, par ailleurs, très complexe à mettre en place, comme l'a prouvé le transfert d'une part de la CVAE aux régions. Elle peut notamment créer des effets de siège, auxquels on ne pourra échapper qu'en mettant en place une grille de lecture efficace et des critères qui permettent d'éviter des distorsions supplémentaires.
Pour Régions de France, je le redis, le travail engagé par votre commission est d'autant plus opportun que le dossier du financement des régions doit absolument trouver une issue dès l'examen du prochain projet de loi de finances, surtout en raison des graves problèmes de financement de la compétence « mobilité ».
Le fonctionnement de ce volet, qui découle de la coordination et de l'articulation entre les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), pose un vrai sujet : nos concitoyens ne comprendraient pas que l'on maintienne l'actuel fractionnement des opérateurs, alors que les déplacements, notamment professionnels, ont très souvent lieu d'un territoire à un autre et que les besoins en termes de mobilité s'accentuent. Ce point mérite qu'une réflexion plus poussée soit menée en urgence.
M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Je vous remercie pour ce propos clair et structuré.
M. Stéphane Sautarel. - Ma question est simple : si l'on créait un nouveau panier d'impôts dédié aux régions, qui repose sur une fraction des impôts nationaux que sont l'impôt sur les sociétés et la TVA, quel devrait être selon vous le taux de cette part régionalisée ? Une telle hypothèse a-t-elle un sens pour vous ?
Je partage votre avis sur la nécessité d'une contractualisation plus large entre l'État et les régions, ainsi que vos inquiétudes concernant le financement des AOM, d'autant que la contribution des régions aux CPER dépend directement de la capacité d'autofinancement de celles-ci. Notre commission a d'ailleurs décidé de créer une mission d'information sur le sujet.
M. Michel Canevet. - Avez-vous identifié des ressources fiscales qui permettraient d'accroître l'autonomie fiscale ou financière des collectivités, objectif auquel nous sommes tous attachés ici et corollaire indispensable d'une responsabilisation des élus ?
M. Marc Laménie. - Le sujet abordé est essentiel tant les collectivités territoriales investissent dans de nombreux domaines.
Concernant une question qui m'intéresse plus particulièrement, celle de l'intervention des régions dans le secteur ferroviaire, je tiens à rappeler les importants efforts réalisés par les collectivités pour renouveler les matériels, maintenir et gérer les infrastructures de réseaux. Les investissements existent : quid des recettes ? Quelles ressources devraient, selon vous, être perçues par les régions, hormis la TVA et éventuellement l'IS ? Enfin, pensez-vous que la fusion des régions a eu des effets positifs en matière de mobilité ?
M. Christian Charpy, président de la 1ère chambre de la Cour des comptes. - Tout d'abord, je tiens à dire que nous sommes tout à fait conscients des difficultés financières que pourraient rencontrer à terme les régions du fait d'une fiscalité essentiellement assise sur les hydrocarbures - la TICPE et la taxe sur les certificats d'immatriculation des véhicules. C'est du reste l'une des raisons pour lesquelles nous considérons qu'il est préférable que l'État prenne en charge lui-même ces deux taxes, et plus généralement les impôts et taxes dont la part a vocation à diminuer ou qui fluctuent beaucoup, plutôt qu'il les verse directement aux collectivités locales. Nous estimons, en effet, que l'État a des capacités de réaction et d'emprunt plus importantes que ne le sont celles des collectivités.
Ensuite, j'ai eu plaisir à entendre M. Perrin dire que l'impôt national partagé n'était pas nécessairement une abomination. La TVA, pour prendre cet exemple, est un impôt relativement dynamique et très résilient aux crises, puisqu'il repose essentiellement sur la consommation des ménages. Je reconnais que l'on peut émettre davantage de réserves concernant l'IS, dont les fluctuations sont plus significatives.
Il conviendrait peut-être de réfléchir à des mécanismes de « mise en réserve », qui sont certes quelque peu contraires aux principes généraux des finances publiques, mais qui permettraient d'avancer sur un sujet sur lequel il est urgent de trouver des solutions.
S'agissant de la territorialisation de l'IS, je suis moi aussi très attentif aux effets de siège que M. Perrin a mentionnés. En territorialisant complètement cet impôt national, on favoriserait de fait les régions Île-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes, quand d'autres régions seraient très pénalisées. Une telle réforme conduirait à la mise en place de mécanismes de péréquation très lourds.
Cela étant, je suis conscient qu'il est difficile d'inciter une région à favoriser le développement économique sur son territoire, tout en ne lui permettant pas d'en tirer profit au niveau de ses ressources. C'est pourquoi nous avions imaginé deux hypothèses : la première consiste à chercher des modes de répartition qui poussent à la création d'entreprises - pourquoi ne pas imaginer qu'une part de l'IS soit répartie en fonction du nombre d'entreprises créées ? La seconde repose sur la mise en place d'un taux complémentaire d'IS. La difficulté, dans ce dernier scénario, est que les acteurs économiques sont très mobiles et qu'ils risquent de se déplacer en fonction de l'application ou non d'un tel taux dans les territoires.
Par ailleurs, je souhaite insister sur la question de l'instance de concertation et de dialogue qui, dans notre esprit, doit notamment veiller à ce que l'État respecte les règles du jeu. En effet, le partage du bénéfice des impôts nationaux présente des risques. Je pense à la décision que l'État a prise concernant la CVAE et au fait qu'il pourrait prendre une décision similaire s'agissant de l'IS dans un futur proche. De manière générale, les décisions qui affecteront l'IS au niveau national - par exemple, la baisse progressive du taux de cet impôt jusqu'à 25 % - affecteront aussi les ressources des régions.
L'instance de concertation devra donc veiller à ce que les efforts ou les compensations soient correctement partagés pour éviter tout jeu de dupes. C'est indispensable, pour assurer tant une juste compensation des baisses d'impôts qu'un certain équilibre dans l'élaboration des éventuels outils de péréquation ou l'égalité de répartition des impôts et des dotations entre collectivités en fonction de leurs besoins objectifs.
Le Comité des finances locales peut-il être cette instance ? S'il en est capable, pourquoi pas ? Cela étant, j'ai bien entendu que, selon M. Perrin, ce comité n'est pas pleinement représentatif des différents niveaux de collectivités. Il est, en outre, un peu pénalisé par le rôle de chambre d'enregistrement et de récriminations qu'il a endossé depuis quelques années.
Il est peut-être préférable de réfléchir à la mise en place d'une haute autorité, bien que le Sénat soit par principe assez réticent à la création de ce type de structures. J'observe malgré tout que le Haut Conseil des finances publiques trouve un certain écho lorsqu'il livre ses prévisions. Nous aurons en tout cas besoin d'une autorité ayant suffisamment de poids pour se faire entendre dans le cas où la loi de finances ne respecterait pas le principe de prévisibilité des ressources.
Pour terminer, permettez-moi d'évoquer la question de la contractualisation. J'ai bien noté que M. Perrin estimait que les contrats de Cahors n'étaient pas la panacée. Ce que je constate, de mon côté, c'est que beaucoup d'instruments de contractualisation se superposent aujourd'hui et que l'on a tendance à s'y perdre. Je partage, en outre, l'avis de M. Perrin au sujet des services déconcentrés de l'État : ils doivent absolument disposer des moyens de gérer ces contrats au niveau des territoires, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
M. Stéphane Perrin. - Pour être totalement transparent, il n'existe pas de consensus entre présidents de région sur le sujet de l'autonomie fiscale. Personnellement, j'y suis favorable, car, comme M. Canévet, je considère que l'autonomie fiscale des collectivités et la responsabilité des élus vont de pair. Pour autant, il faut être conscient des effets pervers que cela peut entraîner, à savoir une concurrence fiscale accrue ou des effets anti-péréquateurs, qu'il faut ensuite corriger. Bref, le système parfait n'existe pas. En l'absence de consensus, il faudra a minima une codécision, dans un cadre qui reste à définir.
S'agissant de la compétence « mobilité », les difficultés actuelles résultent du fait que les CPER ont été dévitalisés - les derniers contrats en date ont d'ailleurs été conclus sans volet « transports ». Aujourd'hui, les régions sont dans l'inconnu, puisqu'elles doivent intégrer dans leur plan pluriannuel d'investissement des dépenses qu'elles ne sont pas en mesure d'évaluer.
Avant de parler des recettes, je pense qu'il faut aborder le modèle économique. Le modèle de financement du secteur ferroviaire est extrêmement opaque et défavorable aux collectivités. Prenons le cas des infrastructures de transport : il arrive que SNCF Réseau ne participe à leur financement qu'à hauteur de 8 %, ce qui implique que les collectivités locales investissent des sommes très élevées pour des infrastructures qui, majoritairement, ne leur appartiennent pas. C'est assez injuste d'un point de vue financier, d'autant qu'elles doivent ensuite payer une redevance ferroviaire pour faire rouler leurs TER.
À cela s'ajoute un problème conjoncturel, à savoir que la SNCF répercute, pour une large part, la hausse des tarifs de l'énergie sur les régions, alors même que nous ne savons pas si cette augmentation, que M. Farandou a évaluée à 1,6 milliard d'euros, repose sur des critères objectifs. Avant d'envisager de nouvelles ressources, il faudra donc corriger ce modèle de financement du ferroviaire, au niveau tant des investissements que du fonctionnement.
Aujourd'hui, nous sommes arrivés au bout d'un système. Les régions ne bénéficient pas du versement mobilité, alors qu'elles contribuent aux déplacements de salariés vers des métropoles où ils ne résident pas. Pourquoi ne pas explorer certaines pistes ? Je pense par exemple à la création d'un versement additionnel ou à des mécanismes de mobilité gérés à l'échelon d'aires de vie infrarégionales. Un travail de fond est nécessaire sur ce dossier.
Enfin, je répondrai à M. Laménie que la taille d'une région a une incidence sur le mode d'organisation des transports de la collectivité concernée, et bien évidemment sur la mise en oeuvre des politiques publiques. C'est d'ailleurs pourquoi les mécanismes de contractualisation devront être différenciés à l'avenir. En revanche, j'observe, sur un plan budgétaire plus général, que les économies d'échelle qui devaient découler de la création de grandes régions ne sont pas au rendez-vous.
M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Il faudra nous montrer attentif au décret relatif à la nouvelle répartition de la fraction du produit de la TVA attribuée au bloc communal, consécutive à la suppression de la CVAE, dont une part est fixe, mais dont l'autre part doit découler du niveau de développement économique local. On aurait gagné à ce que la clé de répartition précise soit fixée dans l'article de la loi de finances pour 2023 qui, je le rappelle, n'a fait l'objet d'aucun vote à l'Assemblée nationale et n'a pas été adopté par le Sénat, ce qui est assez inédit pour être souligné s'agissant d'une réforme fiscale de cette ampleur. Les modalités de répartition retenues pourraient être en effet de nature à influencer le choix que nous pourrions faire concernant une éventuelle répartition du produit de l'impôt national qu'est l'IS.