II. AUDITION DES ASSOCIATIONS D'ÉLUS DU BLOC COMMUNAL
Réunie le mercredi 18 janvier 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition de MM. Christian Charpy, président de la 1ère chambre de la Cour des comptes, Pierre Breteau, co-président de la commission finances de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF), Denis Durand, membre du conseil d'administration de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), Sébastien Miossec, président délégué d'Intercommunalités de France, et François Rebsamen, co-président de la commission « Finances et fiscalité » de France urbaine, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les scénarios de financement des collectivités territoriales.
M. Claude Raynal, président. - Je salue la présence dans les tribunes d'une délégation de la Chambre des conseillers du Maroc, composée du président de sa commission des finances et de plusieurs de ses membres. Je les remercie de l'intérêt qu'ils portent à nos travaux.
Nous nous réunissons une deuxième fois au sujet de l'enquête, réalisée par la Cour des comptes à notre demande sur le fondement de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur les scénarios de financement des collectivités territoriales.
Le rapport de la Cour des comptes nous avait été présenté en octobre dernier par son Premier président, ce qui avait constitué un éclairage utile dans la perspective de l'examen des textes budgétaires de l'automne.
La méthodologie retenue, convenue avec la Cour, est fondée sur la présentation de scénarios « polaires » de financement des collectivités territoriales. Elle a le mérite de poser sereinement les enjeux et, surtout, de fournir une grille d'analyse précieuse des futures évolutions du panier de ressources des collectivités.
C'est une étape nécessaire si nous voulons enfin réformer un système dont nous constatons chaque jour les limites, sans être pour autant en mesure de dégager un consensus sur les solutions à apporter. En optimiste convaincu, je ne doute pas que nous y parviendrons. J'espère que nos échanges nuancés permettront à la fois d'identifier des thèmes sur lesquels avancer et des lignes rouges à ne pas franchir.
Le caractère systémique des scénarios de réformes, qui n'avaient pas vocation à trouver une traduction immédiate, justifie que nous remettions l'ouvrage sur le métier, à tête reposée. Sans présenter de nouveau les travaux de la Cour des comptes, il nous a paru indispensable d'inviter les représentants des différentes strates de collectivités territoriales à nous faire part publiquement de leurs réactions. Avant l'audition de Régions de France et de l'Assemblée des départements de France la semaine prochaine, la présente audition est consacrée aux observations de représentants du bloc communal.
Outre le président de la première chambre, Christian Charpy, et Mme la rapporteure Mathilde Lignot-Leloup, qui l'accompagne, nous avons le plaisir d'accueillir Pierre Breteau, coprésident de la commission Finances de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF), Denis Durand, membre du conseil d'administration de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), Sébastien Miossec, président délégué d'Intercommunalités de France - en visioconférence et en remplacement de Sébastien Martin, président, empêché - et, enfin, François Rebsamen, coprésident de la commission Finances et fiscalité de France urbaine.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous poursuivons nos travaux autour des propositions mais aussi des pistes examinées par la Cour des comptes - je pense en particulier à la question de la création d'un nouvel impôt résidentiel. Si le Gouvernement clame que les collectivités locales sont dans une bonne situation financière - tout irait même pour le mieux ! -, les questions de l'autonomie financière et des ressources fiscales des collectivités continuent en particulier de se poser avec acuité.
Les travaux de la Cour, conformément à la commande que nous lui avions faite, arrivent ainsi à point nommé pour nourrir le débat. Chacun va pouvoir s'exprimer pour donner son avis.
M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Parmi ses recommandations, la Cour des comptes nous invite à réfléchir, au-delà du débat sur le panier de ressources des collectivités, à une nouvelle gouvernance des finances publiques locales.
Il me paraît important que les associations d'élus nous donnent leur avis sur la question, qui est aujourd'hui essentielle alors que le recours à la fiscalité partagée entre l'État et les collectivités territoriales s'est fortement accru.
En règle générale, le Gouvernement s'adresse tour à tour à chacune des parties pour négocier les règles de partage de la fiscalité. Nous sommes nombreux à penser qu'il est temps de fixer un cadre institutionnel plus sérieux à cette pratique. Plus généralement, chacun a constaté l'obsolescence du système de financement des collectivités territoriales. Peut-être cette réflexion permettra-t-elle d'accélérer certaines réformes.
M. Claude Raynal, président. - Depuis trente ans que je m'intéresse à la question, je ne compte plus le nombre de fois où nous avons constaté des difficultés considérables et trouvé des équilibres en urgence, grâce à des solutions bricolées. Tout le monde s'accorde à dire que les choses doivent bouger, mais personne n'est d'accord sur les solutions.
C'est pourquoi le Parlement s'autorise, en quelque sorte, à pousser les feux, afin de sortir par le haut de cette situation et de trouver des solutions de meilleure qualité, et sur lesquelles l'ensemble des parties pourront se retrouver.
François Rebsamen, coprésident de la commission Finances et fiscalité de France urbaine. - La démarche engagée par la commission des finances du Sénat est d'autant plus pertinente et stimulante qu'elle s'inscrit dans une perspective de moyen terme visant à dégager plusieurs scénarios.
Permettez-moi également de saluer le rapport de la Cour des comptes, à l'élaboration duquel France urbaine a participé par ses réponses. Les propositions que ses auteurs formulent sont intéressantes, nouvelles et, pour certaines - je pense aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO) -, disruptives même si bien entendu, France Urbaine n'en partage pas l'intégralité.
Dans la recherche du consensus qu'appelle de ses voeux le président Raynal, la nécessité, pour le bloc communal, de disposer de recettes territorialisées devrait au moins nous rassembler. Un autre impératif, souligné depuis de nombreuses années, est la complète remise en cause des relations financières entre l'État et les collectivités.
Force est de constater que, quarante ans après la mise en oeuvre des premières lois de décentralisation - j'étais alors simple conseiller de Pierre Joxe -, bien des questions n'ont toujours pas trouvé de réponse.
Les « réformettes » fiscales qui se sont accumulées depuis ont toujours été conçues selon le seul point de vue de l'État, qui continue de considérer les collectivités locales comme étant par essence dépensières. La question des besoins des allocataires de l'impôt local que sont les collectivités locales est rarement posée. Il en a résulté une architecture des ressources totalement déresponsabilisée, qui est à l'origine d'une perte d'efficacité de l'action publique locale.
J'en veux pour preuve l'exemple de la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales ou encore le combat que j'ai dû mener, en tant que rapporteur de la Commission pour la relance durable de la construction de logements, pour obtenir des compensations raisonnables au bénéfice des collectivités.
Le rapport de la Cour des comptes met en avant le renforcement de l'autonomie fiscale, qui paraît plus adaptée au bloc communal. La loi ayant donné la compétence générale aux communes, cette piste devrait réunir un large consensus. Elle doit cependant s'accompagner d'une solidarité territoriale plus efficace et des péréquations que le Sénat a longtemps défendues.
Il n'est pas acceptable que la gouvernance des finances locales demeure aussi archaïque et soit placée sous le signe permanent de la défiance, en raison de la verticalité des relations entre l'État et les collectivités. L'absence de concertation sur la durée est un obstacle à l'installation d'une gouvernance efficace et responsable des finances locales.
Il importe de mieux associer les collectivités à la préparation des lois de finances, comme le précise l'enquête de la Cour des comptes. Il s'agit d'une priorité pour l'État. Plusieurs propositions ont été faites au fil du temps sur ce sujet. On ne peut pas accepter, par exemple, que les collectivités découvrent, au détour d'un « 49.3 », le report de deux ans de la révision des valeurs locatives.
La Cour des comptes propose notamment de mettre en place une autorité indépendante, qui émettrait un avis sur les projets de loi relatifs aux collectivités, dans le souci de veiller au respect du principe d'équilibre, ainsi qu'à la compensation des transferts de compétences, à la perte de fiscalité et à la réduction des inégalités entre les collectivités.
Cela étant, on écarte un peu facilement le Comité des finances locales (CFL), qu'il est impossible de balayer d'un revers de main. Il faut peut-être réfléchir aussi à un rôle renforcé et différent pour le CFL, qui est une émanation des collectivités locales. Comment lui donner plus de responsabilités ?
Autorité indépendante, CFL renforcé : les options sont devant nous. En tout état de cause, il faut trouver des solutions opérationnelles.
M. Claude Raynal, président. - La Cour des comptes mentionne justement les deux possibilités : création d'une autorité indépendante ou renforcement du CFL. Avez-vous une préférence ?
M. François Rebsamen. - J'ai tendance à craindre les autorités indépendantes, et j'aurais donc une préférence à titre personnel pour le renforcement du CFL, qui est une émanation des collectivités locales. Cependant, même si le CFL fonctionne correctement, il ne doit pas se perdre dans des analyses de décrets, qui sont souvent subalternes : il doit plutôt se concentrer sur les lois de finances.
Le rapport formule l'idée de faire des DMTO un impôt national. C'est une proposition à examiner, et en tout cas pertinente. Les collectivités ont en effet besoin de visibilité, or leurs recettes sont aléatoires et très différentes d'un territoire à l'autre. Surtout, c'est pour l'essentiel l'action communale ou intercommunale qui est le moteur de la dynamique des DMTO. Il est, selon moi, curieux que le département perçoive des DMTO qui découlent du travail communal. Je prendrai un exemple : la ville de Dijon compte un grand centre commercial, Toison d'or, qui a été vendu pour 400 millions d'euros et contre lequel le département a engagé plusieurs recours. Ce centre a été installé par mon prédécesseur et conforté par moi-même en tant que maire. Je trouve pour le moins étrange que le département touche plus de 20 millions d'euros de DMTO quand la ville n'en perçoit que 4,5 millions, alors qu'il s'agit vraiment d'un projet communal consolidé au fil du temps... Votre travail permettra de clarifier les relations entre le bloc communal et le département.
Parmi les propositions que nous avons portées au cours de la campagne présidentielle, nous avons souhaité que soient revues les dotations de compensation, qui ne sont qu'une manière d'appauvrir un peu plus les collectivités. Ces dotations constituent ce que nous appelons une fiscalité « morte » : non seulement elles n'évoluent pas comme les taxes et les impôts lorsqu'ils étaient en place, mais elles sont de surcroît rognées année après année par des décisions gouvernementales en loi de finances. L'idée de les remplacer par une fraction de TVA permettrait de redonner une dynamique, au service de la réduction des inégalités territoriales.
L'un des diagnostics posés sur les subventions d'investissement, c'est qu'il faut mettre un terme aux appels à projets. Ça suffit ! On a redonné du pouvoir à l'État central à travers les préfets. Or ceux-ci ont des politiques différentes suivant les territoires. Il n'y a pas de lignes directrices, et l'accès des collectivités aux investissements peut être très divers suivant l'interprétation qu'en fera le préfet, qu'il s'agisse de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou encore de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).
J'en viens maintenant aux points de désaccord avec le rapport. Je suis contre la banalisation du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) : je ne veux pas qu'on le transforme en une subvention d'investissement. Par ailleurs, les petites taxes ne sont pas des impôts de rendement, contrairement à ce que l'on peut croire. La taxe locale sur la publicité extérieure (TLPE), par exemple, permet aux communes d'agir concrètement et d'orienter leurs politiques au plus près de nos concitoyens. Il ne s'agit donc pas d'impôts à négliger.
M. Pierre Breteau, coprésident de la commission Finances de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités. - En ce qui concerne les points de consensus, je partage globalement l'analyse de la Cour des comptes sur le niveau des dépenses locales et sur leur évolution. Il y a notamment eu toute une série de transferts de compétences ou de modifications structurelles de l'organisation, qu'il convient de souligner.
Le premier constat partagé est lié à l'augmentation des ratios d'autonomie financière et à la diminution des ratios d'autonomie fiscale. C'est un point clé. Les ratios d'autonomie financière, c'est un problème de dénominateur : la réduction drastique de la dotation globale de fonctionnement (DGF) augmente l'autonomie financière. Mais le fond du sujet, qui doit conduire notre réflexion, c'est la diminution de l'autonomie fiscale. François Rebsamen l'a rappelé, c'est un vieux rêve pour un certain nombre de ministères... Pour autant, il s'agit d'un point essentiel dans la construction même de la décentralisation et dans la façon de faire vivre une République décentralisée.
Au-delà de l'aspect technique du ratio entre autonomie financière et autonomie fiscale se pose une question politique : la capacité du bloc communal ou des élus locaux à infléchir les politiques publiques et à appeler l'impôt pour mettre en oeuvre les choix opérés. On nous oppose parfois le modèle allemand, qui est un modèle par dotation. Mais je rappelle que la chambre haute allemande ne joue pas le même rôle sur la question de la visibilité des dépenses ni en matière de cadrage des finances publiques locales. Il est essentiel pour nous de redonner une forme d'autonomie fiscale aux collectivités locales.
Le deuxième point de consensus extrêmement important est la visibilité. Les collectivités du bloc communal ont cette particularité de porter à la fois les services publics du quotidien et 70 % des investissements publics : écoles, routes, réseaux d'eau et d'assainissement, transports en commun, etc. La plupart de ces investissements ont pour caractéristique de nécessiter du temps long. Or, quels que soient les gouvernements, nous apprenons toujours au dernier moment - à la fin du mois de décembre - comment vont évoluer les finances l'année suivante, au 1er janvier... Cette dissymétrie temporelle pose un problème majeur.
Trois paramètres devraient fonder notre réflexion collective : la lisibilité - le fait que le système fiscal soit compréhensible par le contribuable est un enjeu démocratique -, la prévisibilité et la responsabilité. Comme l'AMF a eu l'occasion de le souligner à de très nombreuses reprises, on ne peut se satisfaire d'un système dans lequel celui qui décide ne finance pas, car cela entraîne une confusion démocratique.
La question de la responsabilité est politique et financière : politique parce qu'elle implique que le citoyen puisse identifier celui qui porte telle ou telle politique publique et financière car elle implique que dès lors qu'une politique a été transférée ou que des normes ont été imposées, celles-ci fassent l'objet pour leur mise en oeuvre d'un financement de celui qui a en a pris la décision. La responsabilité que j'invoque pour les collectivités locales, je la revendique aussi pour le Gouvernement. Tout cela pose la question du pilotage des finances publiques : nous appelons de nos voeux à la fois une loi de programmation dédiée aux collectivités locales et la création d'une instance de contrôle. Je partage les mêmes réserves que François Rebsamen sur les hautes autorités indépendantes, dont on ne sait finalement plus de qui elles sont l'émanation ni quelle est leur indépendance réelle. En revanche, j'ai confiance en une instance qui émanerait des élus de la République pour s'assurer de la qualité de la construction financière dans la relation entre les collectivités territoriales et l'échelon central.
Une telle instance pourrait résulter de la fusion du CFL et du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Elle serait l'émanation des collectivités territoriales.
M. Jérôme Bascher. - Cela s'appelle le Sénat !
M. Dominique de Legge. - C'est dans la Constitution !
M. Pierre Breteau. - Elle doit être garante de l'équilibre, dans la durée, des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. Si elle est parlementaire, c'est encore mieux.
J'en viens au contenu de la réforme fiscale avancée. Nous ne partageons pas, globalement, les propositions formulées par la Cour des comptes. En effet, la logique dans laquelle elles s'inscrivent - recentralisation, puis répartition - ne nous semble pas pertinente. Je pense par exemple aux DMTO, même s'il faut travailler à la péréquation : il s'agit, pour ainsi dire, de la seule recette dynamique que conservent les départements et les régions.
À cet égard, nous aurions espéré un rapport encore plus disruptif, car il faut territorialiser l'impôt en totalité. Les actions que nous menons sont au bénéfice des usagers des services publics, qu'il s'agisse des habitants ou des entreprises ; dès lors, leur financement ne saurait faire l'impasse sur telle ou telle catégorie de bénéficiaires. C'est tout le débat relatif à la suppression de la taxe d'habitation ou encore, plus récemment, à celle de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Pour sa part, l'AMF défend un impôt clair et simple pour les différents niveaux de collectivités territoriales, le cas échéant sur une base commune. C'est ainsi que l'on retrouvera de la lisibilité et une forme d'autonomie fiscale.
La péréquation ne saurait être strictement horizontale. Les présidents de région et de département s'efforcent précisément de corriger un certain nombre d'inégalités territoriales. L'ensemble des paramètres de péréquation ne peuvent pas reposer les collectivités. La péréquation horizontale réduit, en partie, les écarts de richesse ; quant à la péréquation verticale, elle garantit l'équité territoriale, et l'une ne va pas sans l'autre. Or, ces dernières années, on s'est concentré sur la péréquation horizontale, puisque les enveloppes correspondantes étaient figées.
Ce problème majeur s'est encore accru, depuis quelques mois, avec le retour de l'inflation. Dans un tel contexte, si les dotations de l'État restent inchangées, les seuls dispositifs de péréquation porteront sur la fiscalité dans le cadre d'une péréquation horizontale ; on aboutira tout simplement à la négation des politiques d'équité territoriale que l'État doit mener.
M. Denis Durand, membre du conseil d'administration de l'Association des maires ruraux de France. - Au sujet du rapport de la Cour des comptes, nous faisons globalement nôtres les propos de M. Breteau.
Aujourd'hui, on observe une fracture territoriale très profonde entre les métropoles et le reste du pays. Les conséquences de cette situation sont incalculables : les problèmes causés, d'un côté, par la concentration des richesses et des populations et, de l'autre, par la désertification sont nombreux. L'une des missions de l'État est de résorber cette fracture, ce qui suppose une péréquation.
L'organisation administrative de la France date, pour l'essentiel, de 1789. Les communes, créées à partir des anciennes paroisses, sont alors devenues les cellules de base de la République. En parallèle, les départements ont été préférés aux régions, associées, à l'époque, aux logiques féodales. Excepté ceux que l'on a créés en région parisienne dans les années 1960, ils ont tous à peu près la même taille, ce qui fait d'eux un outil essentiel à l'aménagement du territoire.
Aujourd'hui encore, nos concitoyens connaissent bien ces trois niveaux d'administration : la commune, le département et l'État. J'en veux pour preuve que les scrutins nationaux et municipaux sont ceux qui recueillent la plus forte participation. En revanche, les structures créées depuis sont mal connues d'eux ; je pense aux régions, qui plus est depuis la dernière réforme, et aux structures intercommunales.
Ces trois niveaux d'intervention doivent donc être renforcés.
Avant tout, il faut mettre un terme aux outils antipéréquateurs. La DGF communale par habitant varie de 64 euros, dans les communes rurales, à 128 euros dans les communes de plus de 200 000 habitants : c'est contraire aux principes de la République. De même, la DGF intercommunale varie de 20 à 60 euros par habitant, selon que l'on se trouve à la campagne ou dans les métropoles, ce qui aggrave la fracture territoriale. Il est grand temps de respecter le principe républicain « un homme, une voix » si l'on ne veut pas que les forces extrêmes arrivent au pouvoir.
De leur côté, les communes et leurs 500 000 conseillers municipaux bénévoles accomplissent un grand travail au quotidien. La vie d'une commune ne saurait se réduire à une série de chiffres, ce que la Cour des comptes semble un peu ignorer.
Je le confirme, les communes ont besoin d'une réelle autonomie fiscale. Elles ont également besoin de prévisibilité et de responsabilité. La suppression de la taxe d'habitation a rompu un lien fort entre les communes et leurs habitants. Aujourd'hui, un habitant sur deux ne paie plus d'impôt local. À terme, cette situation affaiblira notre socle républicain.
La révision des valeurs locatives est une fois de plus reportée. Nous le regrettons. La base actuelle date de 1970 pour le foncier bâti et de 1961 pour le foncier non bâti, alors que la mécanisation a transformé l'agriculture depuis lors. En 1961, les prés avaient bien plus de valeur que les terres agricoles ; c'est aujourd'hui l'inverse. Les commissions communales et départementales avaient pourtant accompli un important travail en vue de la révision des valeurs locatives. J'espère que ce report de deux ans n'est pas, en fait, un report aux calendes grecques : il est urgent de revoir ce système.
Enfin, la coopération intercommunale libre et volontaire ne saurait en aucun cas céder place à une coopération forcée, s'apparentant à une mise sous tutelle. Si les DGF communales étaient reversées aux intercommunalités et réparties par ces dernières, c'en serait fini des communes. De même, permettre aux conseils communautaires de modifier les attributions de compensation à la majorité, serait une autre manière de placer les communes sous tutelle. Avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), la coopération intercommunale a déjà changé de nature, puisque les transferts de compétences sont désormais possibles sans l'accord des conseils municipaux. À ce titre, nous dénonçons une recentralisation - je pense notamment au transfert des compétences « eau » et « assainissement » au plus tard au 1er janvier 2026. Une coopération est d'autant plus vivante qu'elle est libre et volontaire. Déposséder les conseils municipaux c'est, in fine, déposséder nos concitoyens.
M. Sébastien Miossec, président délégué d'Intercommunalités de France. - La Cour des comptes s'est efforcée de répondre à un certain nombre de questions, parfois très anciennes. Prenons garde à ce que ce travail indispensable ne tourne pas à la polémique entre les différentes associations d'élus et strates de collectivités territoriales, qui plus est dans le contexte budgétaire actuel, marqué par la hausse des coûts de l'énergie. Nous devons prendre à la fois du recul et de la hauteur, sur la base de constats que nous dressons tous.
La fiscalité locale est bel et bien « à bout de souffle », pour citer le titre d'un chapitre du rapport. Bousculée à maintes reprises, elle est désormais illisible pour nos concitoyens et même pour nous, élus locaux. On déplore un certain nombre d'incohérences entre les compétences et les ressources des différentes collectivités territoriales. De même, le déséquilibre va croissant entre la fiscalité des ménages et celle des entreprises, surtout avec la suppression de la CVAE, alors que tous les bénéficiaires des services publics doivent contribuer aux budgets locaux de manière équilibrée.
Le déséquilibre entre les territoires nourrit lui aussi une inquiétude générale. Nous soulignons à notre tour l'importance des principes d'autonomie, de solidarité et de responsabilité.
Globalement, nous approuvons le scénario central retenu par la Cour des comptes, lequel reprend d'ailleurs un certain nombre de nos propositions. Il permet de redonner du souffle au bloc communal. Le rôle primordial des intercommunalités dans l'aménagement du territoire exige des ressources fiscales correspondantes. Nous avons également en commun le souhait de recouvrer un pouvoir de taux accru.
Si, dans son ensemble, ce scénario fonctionne plutôt bien, il faut faire attention à sa déclinaison locale. La suppression de la taxe d'habitation l'a montré : ce qui est pertinent techniquement, sur le papier, ne vaut pas forcément localement. De surcroît, cette suppression ne fonctionne pas du tout dans le temps long.
De même, soyons vigilants à l'hétérogénéité de nos territoires. Beaucoup de territoires ruraux sont fragiles ; d'autres, au contraire, connaissent un fort dynamisme. La péréquation a, de ce fait, toute son importance. Le partage d'impôts nationaux est également une solution, même s'il doit rester marginal. Dans un panier de ressources, une part de TVA peut ainsi avoir des effets positifs.
Denis Durand a évoqué l'histoire de notre organisation territoriale, mais reconnaissons que la France a beaucoup changé depuis quelques décennies, notamment grâce à la coopération intercommunale, née des syndicats et de la volonté des élus.
La Cour des comptes le note avec raison dans son rapport : il faut travailler davantage à l'échelle intercommunale, notamment face aux écarts de richesses et de charges. Bien sûr, le respect de l'autonomie communale est une exigence absolue - à ce stade, la gestion et la redistribution par l'intercommunalité de l'ensemble de la DGF du bloc communes-communautés de communes ne saurait être une obligation -, mais il est impératif de voir la diversité de la France à travers le prisme intercommunal.
J'ai conscience des inquiétudes que cette nécessité inspire ; c'est pourquoi il faut travailler en confiance. Dans certains endroits, l'intercommunalité ne fonctionne pas très bien, mais ces situations sont rares ; dans beaucoup d'autres cas, elle permet d'apporter des solutions adaptées aux réalités des territoires par l'exercice de certaines compétences, le partage des ressources ou encore la fiscalité. Nous devons nous doter d'outils pour construire ces solidarités territoriales.
À ce titre, le « zéro artificialisation nette » (ZAN) pose un certain nombre de questions, qu'il s'agisse d'urbanisme ou de fiscalité ; il faut en tenir compte en matière de financement. Quant au report de la révision des valeurs locatives, il constitue évidemment une très mauvaise nouvelle.
Selon nous, c'est au sein du CFL qu'il faut travailler à la péréquation. Mais il faut également s'interroger sur la manière dont ce comité organise ses travaux et, peut-être, ajuster sa composition, ce qui demandera du temps.
Enfin, en matière de soutien à l'investissement, la Cour des comptes insiste sur la nécessité de développer les dispositifs contractualisés, ce qui nous semble tout à fait pertinent. Nous devons également travailler avec l'État en ce sens, dans une logique pluriannuelle.
M. Pascal Savoldelli. - Monsieur Charpy, le rapport de la Cour des comptes propose de « rationaliser » les dotations de l'État : ce terme mérite d'être explicité. En outre, vous insistez sur la nécessité pour le bloc communal d'atteindre l'équilibre financier, tout en fixant d'autres objectifs pour les départements et les régions : pourquoi ? Selon moi, il faut commencer par traiter du bloc communal avant de se pencher sur les compétences des départements et des régions.
J'appelle votre attention sur les DMTO, qui suivent une dynamique spéculative, et sur la TVA, qui est un impôt des plus injustes. Quelle est la part de ces deux impôts dans les ressources fiscales des collectivités territoriales ?
J'entends régulièrement l'impôt être qualifié d'intrinsèquement « confiscatoire » : défendre de telles idées, c'est porter atteinte à l'impôt local en tant que tel. Nous tous, dans notre diversité, devons souligner le lien entre impôt et démocratie locale ; à mon sens, c'est aussi le rôle de votre rapport.
Dans vos différents scénarios, la part de l'emprunt reste estimée à 7 % des recettes des collectivités locales : pouvez-vous nous expliquer ce choix ?
M. Éric Bocquet. - François Rebsamen a rappelé le postulat, permanent depuis plusieurs décennies, selon lequel les collectivités territoriales seraient par définition dépensières et qu'il faudrait s'efforcer de réduire leurs dépenses.
De leur côté, les maires nous parlent de leurs projets et de leurs actions concrètes. La réponse aux problèmes que nous connaissons vient en grande partie des territoires et dépend de l'investissement des communes. Leur budget est équilibré et leur endettement est parfaitement maîtrisé : il ne représente, au maximum, que 8 % à 9 % de la dette publique globale. Elles ne sont en rien responsables de nos quelque 3 000 milliards d'euros de dette publique.
André Laignel l'a rappelé il y a quelques semaines : les collectivités territoriales ont même économisé 46 milliards d'euros au cours des dernières années. Nous avons besoin d'elles pour répondre aux grands défis du moment.
M. Antoine Lefèvre. - Les communes vont devoir faire un certain nombre d'investissements en faveur des mobilités douces. Peut-on envisager de faire évoluer l'assiette de la taxe d'aménagement, en exonérant les infrastructures susceptibles d'être reconnues d'utilité publique et en compensant ces pertes par des augmentations de taux portant sur d'autres infrastructures moins vertueuses en matière environnementale ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Le fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic), censé être temporaire, est toujours en vigueur. Il fait désormais partie du modèle financier des communes et des intercommunalités. Or de nombreux élus ruraux critiquent sa clé de répartition, qui favorise les plus grandes intercommunalités : qu'en pensez-vous ?
En parallèle, les dotations de l'État aux collectivités territoriales sont censées financer des politiques publiques. Or certaines communes les perçoivent sans que l'on examine l'affectation réelle de ces fonds. Je pense par exemple à la dotation pour la protection de la biodiversité.
Enfin, la mobilisation de nouvelles sources de financements, notamment privés, n'apparaît nulle part dans le rapport. Cette troisième voie ne pourrait-elle pas être explorée ? Je pense notamment à l'ouverture du mécénat aux communes forestières, que j'ai proposée par voie d'amendement.
M. Sébastien Meurant. - Nous sommes au moins tous d'accord sur un point : le millefeuille territorial français est proprement indigeste. Que faut-il garder ? Que faut-il supprimer ? Répondre à ces questions est essentiel. Ensuite seulement, on pourra répartir intelligemment les ressources.
Heureusement que nous pouvons compter sur les maires et les conseillers municipaux de nos villes et de nos villages, dont les millions d'heures de bénévolat font vivre la démocratie au plus près de nos concitoyens.
M. Dominique de Legge. - Je souscris aux propos de Pascal Savoldelli et d'Éric Bocquet. Je me concentrerai donc sur d'autres sujets.
Tout d'abord, qu'appelle-t-on l'autonomie financière et fiscale ? Par rapport à qui et à quoi est-on autonome ? On peut être tout à fait favorable à l'autonomie fiscale mais lorsque les bases fiscales sont faibles, on espère dans le même temps qu'il y ait de la péréquation. Les collectivités territoriales ont régulièrement recours aux fonds de l'État, qu'il s'agisse de la DETR ou de la DSIL. La notion d'autonomie mériterait, à tout le moins, d'être précisée.
Ensuite, il existe déjà de nombreuses instances de concertation. On peut bien sûr en créer une de plus, mais, à l'instar du CFL, le Sénat lui-même peine souvent à faire entendre sa voix, malgré la qualité de son travail. Cette réponse n'est sans doute pas la bonne.
Enfin, plus on réforme, plus on crée d'exceptions afin de préserver des droits acquis : peut-on faire une véritable réforme à enveloppe constante ? Chacun espère avoir plus et personne n'imagine avoir moins...
M. Daniel Breuiller. - Les lois de décentralisation ont beaucoup renforcé la solidarité et la cohésion sociale dans les territoires, auxquels elles ont apporté un souffle incroyable : nos concitoyens eux-mêmes en ont la conviction. Or, depuis un certain nombre d'années, par un étrange mariage entre jacobinisme et libéralisme économique, on s'efforce d'affaiblir cette vision décentralisatrice pour transformer les maires en sous-préfets anémiés, aux moyens sans cesse affaiblis.
Laissons vivre le bloc communal ; laissons-le inventer. Beaucoup de communes sont confrontées aux problèmes provoqués par l'accumulation de logements vacants ou encore par les difficultés du ZAN. Je ne crois pas que l'État jacobin soit à même d'y apporter les meilleures réponses.
De leur côté, les collectivités territoriales ne sont pas de simples dépensières : elles créent de la cohésion sociale. Face à la crise démocratique que nous vivons, et qui devrait être considérée comme le problème prioritaire, la confiance accordée aux collectivités territoriales est peut-être la réponse la plus efficace, même si, bien sûr, nous avons aussi besoin de l'État. Vive la biodiversité, y compris en matière d'action territoriale !
M. Stéphane Sautarel. - Les finances publiques locales sont bien un sujet politique et démocratique, car elles sont au service des politiques et des libertés locales. Leur gouvernance ne saurait, dès lors, émaner que des élus.
Au titre de l'autonomie fiscale, que pensez-vous de la piste d'un impôt résidentiel ? Pour ce qui concerne les niveaux de charges, quel est l'avis des représentants des associations du bloc communal au sujet d'une norme de dépenses ? Enfin, s'il ne saurait devenir une dotation, le FCTVA doit-il selon vous évoluer ?
M. Christian Bilhac. - Tout le monde s'accorde à reconnaître le manque de lisibilité dont souffrent les finances locales. Tout le monde sait aussi que, dans tous les domaines, le maire est en première ligne : pour nos concitoyens, lui seul émerge du magma administratif.
Toutes les dotations correspondent à un impôt supprimé ; faut-il y voir une défiance envers les élus ? Comme le souligne Pascal Savoldelli, il faut bel et bien distinguer autonomie financière et autonomie fiscale.
Depuis que je suis élu, je garde la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen affichée dans mon bureau. J'y reviens toujours, car c'est le fondement de notre République. « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » : ne l'oublions pas.
Au sujet d'un nouvel impôt résidentiel, la Cour des comptes botte en touche : restent la TVA, qui n'est effectivement pas très juste, la taxe foncière, qui a les mêmes bases que la taxe d'habitation, et la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, qui frappe de plein fouet nos concitoyens.
Avec les réflexions de la Cour, on avance un peu, mais si, en matière financière, on ne veut pas faire de politique, on ne fait rien. Les finances publiques ne sont ni plus ni moins que la traduction des choix politiques.
M. Marc Laménie. - De nombreuses instances sont déjà compétentes en matière de finances locales : la création d'un nouveau comité risque d'accroître encore la complexité actuelle.
L'Union européenne peut elle aussi apporter une aide aux collectivités. Malheureusement, nombre d'entre elles renoncent à la solliciter, tant les dossiers sont complexes.
M. Vincent Éblé. - Tout en réclamant de l'autonomie fiscale, les collectivités veulent des dispositifs de péréquation : nous sommes bien face à une contradiction.
Pourquoi ne pas retenir un modèle de péréquation reposant, non pas sur le produit, mais sur les bases ? Cette solution suppose qu'une part du produit fiscal soit régie par un taux fixe, tous territoires confondus. Elle permettrait, en outre, de maintenir la responsabilisation des élus dans leur territoire. A-t-elle été examinée ?
M. Claude Raynal, président. - Quand elles dressent leur bilan de mandat, 80 % des équipes municipales soulignent qu'elles n'ont pas augmenté les impôts. Quand ils présentent leur projet de mandat, les candidats des diverses listes assurent qu'ils ne vont pas les augmenter. Bref, on défend l'autonomie fiscale de collectivités qui n'entendent pas employer l'outil de la fiscalité : il y a la une forme de contradiction.
M. Jean-Marie Mizzon. - La Cour des comptes observe qu'à partir de 2014 les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales ont nettement augmenté. C'est la conséquence, non pas d'un mouvement de décentralisation marqué, mais de la création des grandes régions. Ces dernières étaient censées permettre des économies d'échelles, mais, comme toujours en pareil cas, les regroupements se sont révélés onéreux pour tout le monde : on le voit clairement dans le Grand Est.
Le Président de la République a supprimé la taxe d'habitation au nom de la justice. Or la taxe foncière sur les propriétés bâties est assise pour moitié sur la même base que la taxe d'habitation. La moitié d'une injustice, c'est encore une injustice : si, demain, cette taxe est supprimée, à quoi servira l'excellent rapport de la Cour des comptes ?
M. Claude Raynal, président. - Les élus locaux ont eux-mêmes creusé la tombe de la taxe d'habitation en insistant très largement sur son caractère injuste, ce qui doit nous inciter à la prudence.
M. Jean-Claude Requier. - Je suis totalement d'accord avec le constat de la Cour des comptes : ce système de financement est à bout de souffle. Chaque fois que la DGF, créée par Valéry Giscard d'Estaing, a été réformée, tous les droits antérieurs ont été garantis. À force de tout garantir, on ne garantit plus rien et, dès lors que l'on doit travailler à budget constant, toute possibilité de réforme disparaît.
Il faut sans doute travailler sur la question de la création d'un nouvel impôt résidentiel.
Enfin, le transfert des DMTO des départements aux communes est une véritable bombe fiscale.
M. Didier Rambaud. - Je salue l'honnêteté intellectuelle du président Raynal au sujet de l'autonomie fiscale. Qui, parmi les candidats aux dernières élections municipales, a affiché l'intention d'actionner le levier de la fiscalité ? Tous se sont empressés d'annoncer qu'ils ne toucheraient pas aux impôts locaux. Certains ont même émis l'intention de les baisser. Il faut mettre un terme à cette hypocrisie.
M. Claude Raynal, président. - Vous observerez que je ne me suis pas exprimé en ces termes, même si nous pouvons nous accorder sur un certain nombre de constats...
M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes. - Tout le monde reconnaît que le système est à bout de souffle et que, pour les responsables locaux, le besoin de visibilité est un sujet majeur. Or, aujourd'hui, cette dernière n'est pas assurée.
Nous avons formulé plusieurs propositions. Une loi de programmation des finances publiques permettrait de fixer un cadre, mais, à l'évidence, elle est difficile à obtenir.
Le mandat actuel du CFL est trop restreint et sa composition n'est pas parfaite : soit il faut le réformer en profondeur, soit il faut créer une autre instance, plus politique et plus générale. Un tel choix ne relève bien sûr pas de nous, mais il nous paraissait important de rappeler cette piste.
Nous avons travaillé sur la base de l'existant, marqué, depuis plusieurs années, par un effort de réduction et de suppression des impôts locaux. L'impôt local devenant, sinon résiduel, du moins relativement restreint, nous avons proposé de le concentrer sur le bloc communal, ce qui nous a valu beaucoup d'ennemis, en particulier du côté des départements.
J'en viens à l'impôt résidentiel, en relevant que, au rugby, botter en touche est aussi une manière d'avancer ! Il me semble très difficile de revenir sur la suppression de la taxe d'habitation en créant un tel impôt. S'il est appliqué largement, il posera problème pour les classes moyennes ; s'il est concentré sur les ménages les plus aisés, il manquera son objectif, à savoir faire contribuer le plus grand nombre.
Plus largement, la question est celle de l'autonomie fiscale et financière, qui comprend les impôts nationaux partagés. Dans cette logique, il ne serait pas absurde d'attribuer une fraction d'impôt sur les sociétés aux régions, ou une part d'impôt sur le revenu aux départements, compte tenu de leur rôle dans la mise en oeuvre des politiques sociales.
Si les intercommunalités peuvent jouer un plus grand rôle dans la répartition des ressources, je comprends parfaitement le sentiment de dépossession que peuvent éprouver les représentants des communes rurales, que M. Durand a exprimé.
Au sujet des niveaux de charges, nous insistons sur la nécessité de rétablir les impôts nationaux et les dotations selon les charges objectives, comme le nombre d'habitants, la composition de la population ou encore l'étendue du réseau routier.
Les DMTO sont un sujet extrêmement sensible et ce n'est pas la première fois que leur renationalisation est évoquée. La mission Richard-Bur, à laquelle j'ai appartenu, l'a ainsi mentionnée très clairement, sans conclure en ce sens. Insistons sur le caractère extrêmement fluctuant de cette ressource ; il me semble préférable de laisser l'État supporter cet aléa, tout en accordant aux collectivités territoriales des recettes plus stables.
Le faible niveau d'emprunt constaté aujourd'hui, à hauteur de 7 % des ressources des collectivités territoriales, contraste très fortement avec la situation qui avait cours il y a trente ans. Nous sommes arrivés à un système relativement sain. Même s'il peut être mobilisé pour l'investissement, l'emprunt doit rester une ressource limitée.
Au sujet de la taxe d'aménagement, je ne suis pas compétent pour vous répondre, cette question ne relevant pas de notre rapport.
Avant de conclure, j'évoquerai le millefeuille territorial. Il fut un temps où l'exécutif cherchait à faire disparaître progressivement les départements au profit des régions et des intercommunalités. Or la création des grandes régions, qui - je le confirme - n'a pas engendré d'économies, a considérablement revitalisé les départements. Nous nous inscrivons donc assez durablement dans un système à quatre niveaux de collectivités territoriales. Dès lors, mieux vaut répartir entre elles les ressources de la manière la plus efficace possible, en fonction de leurs compétences.
M. Claude Raynal, président. - Je m'adresse à présent aux quatre représentants des associations d'élus. Quel est le premier point d'attention que vous retenez des débats d'aujourd'hui ? Sur quelle base vous semble-t-il judicieux d'avancer et quelles lignes rouges tracez-vous ?
M. Sébastien Miossec. - Il semble effectivement indispensable d'augmenter l'enveloppe globale destinée aux collectivités territoriales pour accompagner la mise en oeuvre d'une réforme du financement des collectivités locales.
Nous pouvons envisager une véritable réforme. Selon nous, le rapport de la Cour des comptes constitue une bonne base.
La concurrence entre les différents niveaux de collectivités territoriales est mortifère. Nous devons avancer ensemble. Avant d'être président d'intercommunalité, je suis maire, et je suis parfaitement conscient que le maire est le premier interlocuteur de beaucoup de nos concitoyens ; mais, seul, le maire se révèle souvent désarmé. Voilà pourquoi nous avons besoin d'une intercommunalité respectueuse des communes, dont l'action complète celle des départements et des régions.
M. Denis Durand. - La loi NOTRe n'a précisément pas promu une intercommunalité respectueuse des communes. Il n'est pas possible de confier aux intercommunalités le soin de répartir la DGF entre les communes : telle est, pour nous, la ligne rouge.
De même, il faudrait supprimer l'échelle logarithmique utilisée dans le cadre du fonctionnement du Fpic et de la DGF, qui me semble antirépublicaine. Mieux vaudrait selon moi opter pour deux fonds distincts - un Fpic entre communautés de communes et un Fpic entre communes - pour assurer davantage de solidarité.
M. Pierre Breteau. - La territorialisation de l'impôt relevant du bloc communal est essentielle. À cet égard, la question de l'inégale répartition de l'assiette pose toutefois problème en effet.
En parallèle, on ne peut pas réformer la fiscalité locale à enveloppe constante. À ce titre, l'inflation peut être une chance.
Pour ce qui concerne la gouvernance et le pilotage des finances publiques locales, il faut se montrer innovant, ce qui suppose une réforme constitutionnelle.
Enfin, en matière d'autonomie fiscale, la question n'est pas : « les élus veulent-ils utiliser le levier de l'impôt ? », mais : « le peuvent-ils ? » Je puis vous assurer que, cette année, un certain nombre d'élus de mon département vont l'actionner, notamment pour assumer leurs choix politiques, alors même qu'il n'avait pas été utilisé depuis six, dix ou douze ans.
M. François Rebsamen. - Dans une République qui se dit décentralisée, l'État jacobin continue d'imposer ses règles à un bloc communal, qui doit faire face aux besoins croissants de la population. Il y va de la cohésion sociale et de la lutte contre le changement climatique, ni plus ni moins ! Sur ce plan, ce rapport contient de bonnes propositions.
N'oublions pas que c'est à l'échelle communale que l'on résout les problèmes. C'est pourquoi il faut renforcer le bloc communal. Les intercommunalités sont désormais présentes sur l'ensemble de notre territoire ; ce qu'il nous faut, ce sont d'abord des intercommunalités de projet. C'est, je crois, ce que nous cherchons tous.
M. Claude Raynal, président. - Merci à tous pour la qualité de vos interventions.