CONCLUSION GÉNÉRALE

Les recommandations contenues dans le présent rapport ont pour ambition de proposer des solutions structurelles, pérennes et réalistes pour revitaliser ce qui fait l'originalité et la richesse incomparable de nos villes : leur centre.

Dans ce domaine comme dans bien d'autres, il n'y pas de fatalité au déclin des centres. Les outils existent et les élus locaux souvent font preuve en la matière d'un volontarisme politique exemplaire.

Au terme de ce travail, vos rapporteurs ont acquis la conviction qu'il est possible d'agir et d'enrayer le mouvement de fragilisation de nos centres-villes et centres-bourgs. C'est possible, mais sans doute nous trouvons-nous à présent placés au pied du mur. Car, si rien n'est fait, la situation deviendra rapidement irréversible. C'est possible à la condition de mobiliser une série de leviers efficaces et de ne pas se contenter de mesures partielles et ponctuelles.

C'est possible et nécessaire, car nous sommes collectivement face à un choix de société : un choix qui porte sur notre conception de la ville et du lien social. Veut-on la pérennité de la ville à l'européenne, avec un centre, lieu de vie sociale, citoyenne, culturelle, religieuse... , bref, un lieu de vie collective et d'identité ?

C'est possible enfin si nous acceptons un changement de paradigme.

En premier lieu, vos rapporteurs insistent sur la nécessité pour les élus de développer une approche « holistique » de la revitalisation. Il ne s'agit plus de concevoir la revitalisation des territoires uniquement par l'installation de nouveaux commerces ou l'amélioration de l'habitat ; il faut désormais penser la revitalisation de manière globale en y intégrant les services publics, les équipements sportifs, les professionnels de santé, la culture, le patrimoine, les aménités environnementales154(*), les questions d'accessibilité, de transport et de stationnement... Il s'agit de développer, voire de recréer, une authentique vie locale pour que nos centralités redeviennent des lieux de vie, de convivialité et de plaisir. Il faut donc concevoir la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs sous un angle ouvert et multiple : ce qui fait venir au centre c'est l'animation sous toutes ses formes, c'est vivre une expérience de centre-ville et c'est cette animation qui amène ensuite le commerce, l'activité économique, puis les habitants. La dynamique vertueuse peut ainsi être enclenchée.

Le maire ne doit pas seulement être un bâtisseur focalisé sur l'offre : réhabiliter des logements pour attirer de nouveaux habitants ; requalifier les rez-de-chaussée pour faire (re)venir des commerces ; construire des bureaux pour attirer des investisseurs et créer des emplois...

Le maire doit être bien plus que cela : il doit être d'une manière générale un aménageur et un créateur d'espaces adaptés aux contextes locaux. Autrement dit, ce dont les villes ont besoin, ce n'est pas de dupliquer les stratégies d'attractivité de type métropolitaines, mais bien de travailler sur des sujets de développement local autour des besoins de leurs administrés.

Comme l'écrit l'urbaniste Aurélien Delpirou, entendu par vos rapporteurs, « dans bien des cas, les objectifs de revitalisation apparaissent en décalage avec les capacités réelles d'accueil et les fonctions des villes concernées, mais aussi avec l'évolution des besoins et des modes de vie de leurs habitants. Le plan passe ainsi largement à côté d'enjeux majeurs, tels que la limitation de l'étalement urbain, la gestion du vieillissement, la rétraction des circuits commerciaux, l'aménagement des friches commerciales, la production de logements adaptés aux trajectoires résidentielles et au profil socio-professionnel des résidents, la participation des habitants à la transformation de leur cadre de vie »155(*).

En deuxième lieu, vos rapporteurs considèrent que quatre grandes conditions doivent être réunies pour assurer le succès des programmes de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs :

- la différenciation car « chaque territoire se caractérise par une histoire, une géographie, une sociologie et une économie différentes, il est de ce fait exposé à des problématiques spécifiques, qui appellent des réponses différenciées »156(*) ;

- le développement de la résilience climatique, étant rappelé que cette notion s'est installée en quelques années dans le logiciel conceptuel de tous les décideurs publics locaux ;

- le dépassement des concurrences territoriales et la priorité donnée aux stratégies coopératives et aux alliances des territoires ;

- la sélection des publics à attirer, donc à séduire, car seuls les grands territoires peuvent se permettre de multiplier les cibles, ce qui suppose d'engager une stratégie de marketing car l'attractivité est également un discours et une image157(*).

Le respect de ces conditions emporte une conséquence importante sur laquelle vos rapporteurs entendent insister : la décroissance urbaine n'est pas synonyme de perte d'attractivité des centralités. De nombreux élus mènent ainsi opportunément des politiques de rightsizing (ou redimensionnement urbain), politiques qui visent à adapter l'environnement bâti à une population moindre, via par exemple la conversion d'espaces vacants en espaces verts, le développement d'outils fonciers ou encore la participation des habitants. Plusieurs villes profitent ainsi du programme ACV pour faire de la décroissance urbaine un outil de restauration de l'attractivité : ainsi par exemple, Thiers travaille les réhabilitations à l'ilot pour réduire le nombre de logements et faire ainsi des programmes qui correspondent aux attentes des familles (appartements plus grands, importance des extérieurs...). Dieppe a détruit les logements sociaux les plus insalubres sans reconstruire. Niort a reconverti une friche industrielle en parc naturel urbain de centre-ville. Forbach a réduit le nombre des rues marchandes pour les concentrer. D'ailleurs, l'expérimentation « Territoires pilotes de sobriété foncière », greffée sur le programme ACV et qui concerne 7 territoires158(*) depuis décembre 2020, s'inscrit dans cette logique de décorrélation entre croissance urbaine et consommation d'espace, encore présente dans la loi ÉLAN de 2018 dont le titre I est intitulé « construire plus, construire mieux et moins cher ».

Ne l'oublions jamais, les élus locaux sont les meilleurs connaisseurs de leurs territoires. Il leur appartient donc de mener, avec l'appui et l'accompagnement des services de l'État, les politiques de revitalisation les plus adaptées aux enjeux locaux, dans un contexte de mutations profondes, telles que l'essor du e-commerce et du télétravail. Vos rapporteurs veulent ici rendre hommage aux nombreux élus locaux qui font preuve d'une grande détermination, illustrant la célèbre formule de Clemenceau : « Il faut savoir ce que l'on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire ».

La revitalisation, on l'a dit, touche à l'équilibre des territoires, au lien social et à l'identité de notre pays. En somme, à ce qui nous est le plus cher.

Puisse le présent rapport contribuer à une salutaire prise de conscience collective.


* 154 CGEDD, IGA et CGAAER. (2020). Les aménités rurales et leur prise en compte dans l'action publique - Réconcilier aménagement du territoire, environnement et agriculture, Rapport CGEDD n° 013367-01, IGA n° 20061-R et CGAAER n° 20039, https://agriculture.gouv.fr/les-amenites-rurales-et-leur-prise-en-compte-dans-laction-publique. « Une aménité rurale est un agrément ou un avantage économique qui présentent un caractère marchand ou non directement marchand. Cet agrément est procuré par un paysage ou son environnement, au sens de caractéristiques géophysiques, biologiques, naturelles, ou résulte d'une action humaine, non nécessairement destinée à la produire, telle que les activités agricoles et forestières. Les aménités rurales incluent les valeurs utilitaires, patrimoniales et écologiques des services écosystémiques et du capital culturel et humain des espaces ruraux, concourant à l'élévation du bienêtre par leurs effets sur le revenu, la santé, les risques, le cadre de vie ou les inégalités ».

* 155 Delpiroux, A., Op. cit.

* 156 Bouba-Olga, O., Chauchefoin, P., Chiron, H., Ferru,M., Guimond, B., et al.. (2017). Dynamiques territoriales : éloge de la diversité. Atlantique, éditions de l'Actualité scientifique.

* 157 Bouba-Olga, O. (2021). Le modèle français de la métropole attractive et ruisselante : Pourquoi il est urgent de s'en débarrasser. Regards croisés sur l'économie, 28, 118-127.

* 158 Ces territoires sont : Draguignan/ Dracénie Provence Verdon agglomération (Sud - Provence Alpes Côte d'Azur), Dreux/ Agglomération du Pays de Dreux (Centre-Val de Loire), Épernay Agglo Champagne/Épernay (Grand Est), Louviers/ Agglomération Seine-Eure (Normandie), Maubeuge/Agglomération Maubeuge -Val de Sambre (Hauts-de-France), Poitiers/ Grand Poitiers Communauté urbaine (Nouvelle Aquitaine) et Sète/Sète Agglopôle Méditerranée (Occitanie).