N° 905
SÉNAT
2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 septembre 2022
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la compétitivité de la ferme France,
Par MM. Laurent DUPLOMB, Pierre LOUAULT et Serge MÉRILLOU,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas, présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault, secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, M. Sebastien Pla, Mme Daphné Ract-Madoux, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot.
LISTE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS
AXE 1 : FAIRE DE LA COMPÉTITIVITÉ DE LA FERME FRANCE UN OBJECTIF POLITIQUE PRIORITAIRE
Recommandation n° 1 : nommer un haut-commissaire chargé de la compétitivité de la Ferme France afin d'assurer le pilotage et le suivi du plan « Compétitivité 2028 » et le doter d'une mission de collecte d'information sur le sujet, en le plaçant au plus près des filières réunies en conférences chaque année, ainsi qu'une mission d'alerte des pouvoirs publics sur le sujet par la publication d'un rapport triennal sur la compétitivité de la Ferme France.
AXE 2 : MAÎTRISER LES CHARGES DE PRODUCTION POUR REGAGNER DE LA COMPÉTITIVITÉ PRIX
Priorité 1 : Faire de l'administration un partenaire, et non un frein à la compétitivité
Recommandation n° 2 : Donner corps au principe « Stop aux surtranspositions » en :
- conférant une valeur législative au principe de non surtransposition, sauf motif d'intérêt général suffisant ;
- renforçant la transparence sur les surtranspositions en confiant au Conseil d'État la mission de les identifier dans ses avis sur les projets et propositions de loi et dans ses avis sur les décrets ;
- rendant obligatoire la production d'une estimation du surcoût d'une surtransposition par le Gouvernement dans un délai bref ;
- confiant au haut-commissaire à la compétitivité une mission de collecte des plaintes des organisations agricoles représentatives quant à des surtranspositions, une mission d'information du Parlement à ce sujet ainsi qu'une mission de proposition pour en limiter les effets, laquelle sera assortie, pour certaines surtranspositions, d'un pouvoir d'injonction d'y mettre fin.
Recommandation n° 3 : Garantir une application pondérée du principe « pas d'interdiction sans alternative et sans accompagnement », en l'absence de situation d'urgence, en complétant les missions de l'Anses afin qu'elle dresse, dans ses avis et retraits d'autorisation de mise sur le marché, un bilan « bénéfices-risques » d'une interdiction, notamment pour mesurer les effets de bord environnementaux d'une éventuelle interdiction à court terme d'une substance active, le cas échéant en prévoyant un laps de temps nécessaire à l'émergence d'alternatives crédibles et assortir toute nouvelle interdiction d'un accompagnement technique et financier adapté des professionnels ainsi que d'un plan prioritaire de recherche d'alternatives.
Priorité 2 : réduire le coût de la main d'oeuvre en agriculture et dans l'agroalimentaire sans réduire l'attractivité des filières et résoudre les problèmes d'embauches du secteur
Recommandation n° 4 : Réduire les coûts de main d'oeuvre par une politique de baisse des charges sociales sur les travailleurs saisonniers agricoles en pérennisant le dispositif dit « TO DE », en l'étendant à certains secteurs et en sortant les entreprises agroalimentaires saisonnières de l'application du bonus-malus sur les contrats courts.
Recommandation n° 5 : activer tous les leviers pour résoudre les problèmes d'embauche du secteur en :
- renforçant la connaissance des métiers de l'agriculture et de l'agroalimentaire ;
- prenant mieux en compte, dans la constitution des formations, notamment au sein de l'enseignement agricole, les besoins des industries agroalimentaires ;
- créant un partenariat entre les secteurs agricoles et agroalimentaires et Pôle emploi pour en faire un secteur prioritaire afin que Pôle emploi puisse, après leur avoir proposé des formations adaptées, davantage flécher vers ces secteurs dans les offres raisonnables d'emplois qu'il propose aux personnes à la recherche d'un poste ;
- s'assurant, en cas de réforme des conditions d'accès au revenu de solidarité active, que les secteurs agricoles et agroalimentaires soient prioritaires et deviennent ainsi éligibles pour les Français concernés, afin d'en améliorer l'employabilité dans un secteur qui cherche à recruter.
Recommandation n° 6 : mettre en place un mécanisme de suramortissement ou un crédit d'impôt pour les investissements de mécanisation dans l'agriculture ou l'agroalimentaire en faveur de la réduction des coûts du travail dans les secteurs les plus intensifs en main d'oeuvre confrontés à des difficultés de compétitivité.
Priorité 3 : Utiliser davantage la carotte que le bâton pour accélérer les transitions environnementales
Recommandation n° 7 : lancer, sous un an, un bilan des mesures du précédent quinquennat s'agissant de la consommation d'intrants (loi Egalim, mesures fiscales comme la hausse de la redevance sur les pollutions diffuses...) afin de mettre en regard l'évolution induite des quantités d'intrants consommées et le surcoût supporté par les agriculteurs.
Priorité 4 : Ne pas saper nos atouts en termes de compétitivité prix par excès de zèle ou en restant inactif face à des crises internationales
Recommandation n° 8 : mettre en oeuvre, à court terme, un plan de résilience de l'agriculture et de l'agroalimentaire face à la crise énergétique en considérant ces secteurs comme essentiels et indispensables en temps de crise, en leur garantissant un approvisionnement suffisant pour préserver notre souveraineté alimentaire et en les rendant éligibles aux aides mises en place pour les activités prioritaires.
Priorité 5 : Faire du levier fiscal un atout en matière de compétitivité
Recommandation n° 9 : prendre, dès la loi de finances pour 2023, plusieurs mesures de baisses d'impôt en faveur de la production agricole ou agroalimentaire (absence de hausse de la TICPE sur le gazole agricole, actualisation des seuils d'exonération et d'éligibilité, baisse de la taxe foncière sur la propriété non bâtie applicable aux terres agricoles, hausse du plafond de la dotation pour épargne de précaution...).
AXE 3 : RELANCER LA CROISSANCE DE LA PRODUCTIVITÉ DE LA FERME FRANCE EN FAISANT DE LA FRANCE UN CHAMPION DE L'INNOVATION DANS LE DOMAINE ENVIRONNEMENTAL
Priorité 1 : Faire de la France un champion de l'innovation en matière environnementale
Recommandation n° 10 : prolonger le volet « Troisième révolution agricole » du plan France 2028 en :
- augmentant les crédits des plans d'investissement portant sur l'innovation agricole dans tous les domaines ;
- portant, au niveau européen, la volonté d'autoriser en réglementant les new breeding techniques, plutôt qu'une interdiction de principe.
Recommandation n° 11 : remettre la recherche agricole davantage au service des besoins techniques des agriculteurs en :
- étudiant la possibilité d'augmenter les crédits dédiés par l'Inrae à la recherche de solutions techniques pour les agriculteurs, par une redéfinition de ses missions, ou en étudiant le transfert d'une partie de son budget aux instituts techniques ;
- préservant les budgets des instituts techniques payés par les agriculteurs au travers du compte d'affectation spéciale développement agricole et rural (Casdar).
Priorité 2 : doper l'investissement en agriculture en faveur de la productivité et du renouvellement de l'appareil productif
Recommandation n° 12 : lancer un plan de simplification sous un an pour mettre en oeuvre un dispositif « accélérateur » limitant le champ des procédures administratives qui ralentissent aujourd'hui trop les agrandissements ou le développement de sites de production dans des secteurs stratégiques, le cas échéant en prévoyant une modification de la loi.
Recommandation n° 13 : préserver l'investissement agricole et agroalimentaire malgré la hausse des taux en :
- mettant en place un suramortissement ou un crédit d'impôt pour les investissements dans le secteur agricole et agroalimentaire ;
- prévoyant un plan d'investissement massif piloté par l'État pour la production agricole et agroalimentaire (par exemple un grand plan « Silos ») ;
- créant un « livret Agri », livret réglementé sur le modèle du livret de développement durable et solidaire, afin de faciliter l'accès à l'emprunt du secteur agricole et agroalimentaire à des conditions raisonnables, notamment à l'heure du renouvellement des générations.
Priorité 3 : lutter contre les effets du changement climatique sur les exploitations pour limiter les pertes en cas d'aléas
Recommandation n° 14 : renforcer la résilience des exploitations agricoles face au changement climatique en :
- favorisant les investissements destinés à réduire les dégâts liés à ces aléas par des aides dédiées comme un suramortissement ou un crédit d'impôt (stockage d'eau, filets paragrêle...) ou en simplifiant les procédures en vigueur (aspersion par exemple) ;
- développant rapidement une ambitieuse politique de gestion de stockage de l'eau autour de projets locaux de bassins versants afin de promouvoir des projets de stockage par des aides financières dédiées tout en simplifiant le déploiement de ces ouvrages, en limitant les effets délétères des contentieux abusifs contre des projets d'ouvrages de prélèvement d'eau en confiant le contentieux en premier et dernier ressort aux cours administratives d'appels.
Recommandation n° 15 : appliquer pleinement et à la lettre la loi sur l'assurance récolte, comme l'a votée le Parlement, en utilisant au maximum les possibilités laissées par la réglementation européenne et s'engager dans une réforme internationale de la moyenne olympique pour l'adapter aux conséquences du changement climatique.
AXE 4 : CONQUÉRIR LES MARCHÉS D'AVENIR, RECONQUÉRIR LES MARCHÉS PERDUS, DOPER SA COMPÉTITIVITÉ HORS PRIX
Priorité 1 : à l'extérieur, conquérir de nouvelles parts de marché
Recommandation n° 16 : entamer sous un an une révision globale de la politique d'accompagnement à l'exportation dans les domaines agricoles et agroalimentaires en France en proposant aux acteurs économiques des outils répondant réellement à leurs besoins (assurance-crédit export, aides à la promotion, accès plus aisé à la logistique...).
Recommandation n° 17 : consolider l'idée de la marque France en s'appuyant davantage sur l'image de la gastronomie française pour doper les exportations de produits français.
Priorité 2 : Sur le marché intérieur, reconquérir l'assiette des Français
Recommandation n° 18 : mettre en place une réelle transparence sur l'origine des denrées agricoles et alimentaires en :
- proposant, dans le cadre de la révision du règlement INCO, l'extension de l'affichage obligatoire de l'origine à toutes les denrées agricoles (animales et végétales) et, pour les produits alimentaires transformés, en rendant obligatoire l'affichage de l'origine des trois principaux ingrédients composant le produit ;
- harmonisant les dénominations et les définitions des produits alimentaires en Europe ;
- augmentant la fréquence et le nombre de contrôles réalisés par les autorités compétentes sur ces affichages trompeurs sur l'origine ainsi que sur la traçabilité des produits importés dans les ports d'arrivée.
Recommandation n° 19 : poursuivre et intensifier la priorité donnée aux approvisionnements en produits locaux et nationaux dans la restauration collective afin de reconquérir ce circuit de distribution largement perdu au profit des importations, par la promotion d'une évolution des règles en vigueur au niveau européen pour clairement favoriser des approvisionnements issus de produits locaux.
Recommandation n° 20 : maximiser les aides agricoles et investir dans l'innovation des productions les plus menacées par une substitution par les importations.
Priorité 3 : dire non à la décroissance agricole
Recommandation n° 21 : amender la stratégie européenne « de la Ferme à la fourchette » pour faire émerger un meilleur équilibre entre les objectifs quantitatifs en matière de production pour renforcer la souveraineté alimentaire du continent et les objectifs environnementaux.
AXE 5 : PROTÉGER L'AGRICULTURE FRANÇAISE DE LA CONCURRENCE DÉLOYALE
Recommandation n° 22 : défendre notre compétitivité européenne en s'engageant à mieux faire respecter les normes minimales de production requises au sein de l'Union européenne en :
- poursuivant le déploiement de clauses miroirs dans les législations européennes en matière agricole, notamment dès 2023 sur les textes relatifs au bien-être animal ou aux additifs destinés à l'alimentation des animaux, ainsi que dans les accords de libre-échange ;
- s'engageant plus activement dans les instances internationales de normalisation (notamment Codex Alimentarius) afin de faire évoluer l'ensemble des pratiques agricoles.
Recommandation n° 23 : durcir les contrôles sur les denrées alimentaires importées pour garantir le respect des normes minimales requises au sein de l'Union européenne en agissant :
- à court terme, au niveau national pour relever le niveau d'exigences, notamment i) en augmentant les effectifs des contrôles nationaux, profitant du transfert de la compétence sanitaire de la DGCCRF à la DGAL pour constituer une vraie « police sanitaire nationale » ; ii) en renforçant le nombre de contrôles aléatoires intégrés au plan de contrôle et en durcissant le contenu des analyses, notamment en renforçant le nombre de substances actives effectivement contrôlées par les laboratoires nationaux ;
- à moyen terme, au niveau européen en promouvant la constitution d'une task force européenne sur la sécurité alimentaire pour des interventions harmonisées au niveau européen, afin d'éviter les comportements de détournement des contrôles franco-français par une entrée dans d'autres pays.
Recommandation n° 24 : mener une politique active d'actualisation des valeurs forfaitaires d'importation pour répondre aux stratégies concurrentielles des partenaires commerciaux et préserver l'efficacité des outils de protection prévus dans les accords de libre-échange.