B. S'APPUYER SUR LES ATTENTES PARTAGÉES DES PARTIES POUR OUVRIR DES NÉGOCIATIONS FRANCHES ET CONSTRUCTIVES SUR LES SUJETS DE DÉSACCORD
Fort heureusement, le processus de négociations qui doit s'engager afin d'écrire l'après-Nouméa ne semble pas devoir s'ouvrir pas dans les conditions dramatiques qui ont présidé à la signature des accords de Matignon puis de Nouméa . Ce contexte différent a, selon les rapporteurs, deux conséquences majeures sur le prochain cycle de négociations.
D'une part, les attentes partagées par les acteurs locaux quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie dépassent la seule volonté de garantir la paix civile sur le territoire. Plus nombreuses qu'à l'initiation du processus lancé par les accords de Matignon et Nouméa, ces attentes partagées doivent, selon les rapporteurs, être rappelées et constituer le socle de négociations constructives et pacifiées.
D'autre part, si ces négociations s'inscrivent nécessairement dans la suite du processus des accords de Matignon et de Nouméa qui les aura précédées, le processus qui s'engage doit dépasser celui qui s'achève aujourd'hui : « l'après-Nouméa » ne saurait constituer une simple actualisation de « Nouméa ». Dès lors, l'ensemble des parties doivent accepter que ce nouveau cycle de négociations puisse se fonder sur des équilibres et paramètres propres qui pourront différer des compromis passés. Aux yeux des rapporteurs, ceci n'apparait réalisable qu'à la condition qu' aucun sujet ne soit exclu par principe de l'agenda des négociations .
1. Les attentes partagées des parties quant à l'avenir institutionnel peuvent servir de socle à l'ouverture de négociations constructives et pacifiées
Ces négociations s'ouvrent non pas dans un contexte dramatique mais au contraire à la fin d'un cycle de trente-quatre ans de paix civile et de vivre-ensemble entre les populations sur le territoire calédonien.
La préservation de la paix sur le territoire demeure l'objectif premier, partagé par tous et justifiant à lui seul la reprise du dialogue. Comme l'a rappelé le sénateur de la Nouvelle-Calédonie Pierre Frogier le 2 décembre 2021 lors d'un discours devant la stèle d'Yves Tual à Boulouparis, « nous n'avons pas signé les accords de Matignon et de Nouméa pour prendre le risque de recréer les conditions de l'affrontement » 48 ( * ) . Constat appuyé par Gérard Poadja, sénateur de la Nouvelle-Calédonie, qui lors de son audition observait que : « nous devons être à la hauteur des accords passés qui ont su ramener la paix ». Lors de l'inauguration de la statue représentant la poignée de main entre Jean Marie-Tjibaou et Jacques Lafleur sur la place de la paix à Nouméa, Sonia Backès a également rappelé que « Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou ont offert aux Calédoniens le plus précieux des présents : la paix ».
De même, lors de leurs auditions, les partis UC-FLNKS et UNI ont insisté sur le fait que « ces accords ont permis la paix » et sur le fait que Jean Marie Tjibaou et Jacques Lafeur ont, à l'époque, « choisi la paix ».
Éminemment nécessaire, l'horizon commun de la préservation de la paix civile sur le territoire n'est plus néanmoins le seul dénominateur commun entre les parties à la négociation . Les entretiens et auditions conduits par les rapporteurs en Nouvelle-Calédonie comme à Paris ont permis de constater de nombreuses attentes supplémentaires partagées par les acteurs locaux parties aux négociations sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Selon les rapporteurs, alors que s'ouvre un nouveau cycle politique, indépendantistes et non-indépendantistes semblent partager au moins cinq autres points de convergence quant à leur vision de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie .
Premièrement, tous s'accordent dans leur volonté de voir réaffirmés les spécificités et les atouts de la Nouvelle-Calédonie . Pour reprendre les mots de Jean-François Merle, conseiller d'État honoraire, lors de son audition par les rapporteurs, « si l'on veut faire entrer la Nouvelle-Calédonie dans les cases existantes, on ne s'en sortira pas » 49 ( * ) .
En effet, du côté indépendantiste, ainsi que l'a souligné Paul Néaoutyine, président de la province Nord, « nous sommes un pays avec nos spécificités qui doivent être reconnues ». Quant aux non-indépendantistes, lors de l'audition de la confédération Ensemble !, Philippe Michel, président du groupe Calédonie Ensemble au Congrès, a notamment insisté sur le besoin de négocier « d'un cadre juridique particulier et adapté à la Nouvelle-Calédonie ».
Par ailleurs, les atouts dont dispose la Nouvelle-Calédonie pour construire son avenir ont été unanimement mis en avant par les acteurs politiques auditionnés, quoique pour des raisons différentes: d'un côté, les indépendantistes pour illustrer les bénéfices économiques que la Nouvelle-Calédonie pourrait tirer de l'indépendance ; de l'autre, les non-indépendantistes pour rappeler les atouts que la Nouvelle-Calédonie peut, en restant dans la République française, apporter à la France.
Deuxièmement, les auditions ont permis de témoigner de la volonté commune de consolider le vivre-ensemble entre les communautés de Nouvelle-Calédonie. Sur ce point, les maires de Nouvelle-Calédonie ainsi que leurs représentants, auditionnés par les rapporteurs, ont été les plus fervents défenseurs de cette volonté de consolidation du vivre-ensemble sur le territoire calédonien, indépendamment de leur positionnement politique. Georges Naturel, maire de Dumbéa, a ainsi rappelé que « nous, maires, loyalistes ou indépendantistes, nous accompagnons déjà le vivre-ensemble au quotidien et nous essayons de le consolider par des actions concrètes comme le sport ou les manifestations culturelles ».
Ce constat est partagé par le comité des Sages, selon lequel « toutes les associations et les personnes entendues souhaitent le vivre ensemble et le destin commun qu'une majorité de la population vit déjà au quotidien ».
Troisièmement, les acteurs politiques s'accordent dans leur souhait de voir perdurer la garantie de la reconnaissance de chacun dans sa culture et ses spécificités .
Si cette attente est particulièrement prégnante pour les leaders indépendantistes dont le combat politique vise à décoloniser le peuple premier kanak, les non-indépendantistes ont fait leurs les attentes d'une reconnaissance des spécificités et de la culture de chacun, notamment celles des descendants des anciens bagnards de Nouvelle-Calédonie.
Ainsi, Sonia Backès, présidente de la province Sud, l'a rappelé lors de son audition, en affirmant « nous sommes français et calédoniens, nous avons nos différences et identités ». Le voeu émis par l'assemblée de la province des Iles Loyauté le 6 juillet 2022 a quant à lui réaffirmé : « la nécessité urgente de respecter et de promouvoir les droits intrinsèques des peuples autochtones, qui découlent de leurs structures politiques, économiques et sociales et de leur culture, de leurs traditions spirituelles, de leur histoire et de leur philosophie, en particulier leurs droits à leurs terres, territoires et ressources ».
Quatrièmement, les auditions menées par les rapporteurs ont témoigné de la revendication constante et unanime du maintien de liens futurs forts entre l'État et la Nouvelle-Calédonie. En effet :
- pour les indépendantistes, ainsi que l'a indiqué Paul Néaoutyine, président de la province Nord, « nous continuerons à avoir des liens privilégiés avec la France une fois l'accession à la pleine souveraineté réalisée » ;
- pour les anti-indépendantistes, les récentes annonces du Gouvernement ont été saluées en ce qu'elles « [témoignent] que les discussions s'engageront sur un avenir de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République française » comme l'a indiqué Christopher Gygès, porte-parole de la confédération Ensemble ! 50 ( * ) .
Cinquièmement, s'ils ne s'accordent pas nécessairement quant aux thèmes devant être inscrits à l'ordre du jour des négociations, les acteurs politiques auditionnés sont, dans leur ensemble, en attente d'un cycle de négociations qui apporte, au-delà du seul champ institutionnel, des réponses aux multiples défis de court et moyen termes auxquels doit faire face le territoire et sa population .
À titre d'exemple, la confédération Ensemble ! souhaite que soient inscrits à l'ordre du jour des négociations les thématiques suivantes : « le renforcement des moyens de lutte contre l'insécurité et la préservation du pouvoir d'achat des Calédoniens dans un contexte mondial d'hyperinflation » 51 ( * ) , tandis que le voeu de l'assemblée de la province des îles Loyauté précité appelle à négocier « sur tous sujets qui nous intéressent et qui visent l'intérêt de la collectivité » 52 ( * ) .
Cette vision semble partagée par l'État lui-même. Comme rappelé précédemment, le projet du Gouvernement quant aux négociations devant s'ouvrir le « jour d'après » la troisième consultation avait ainsi dressé une première liste de thématiques devant faire l'objet de négociations en dehors des discussions institutionnelles stricto sensu 53 ( * ) .
Au surplus, ces diverses attentes trouvent une résonance forte parmi la population calédonienne.
2. Sans remettre en cause l'héritage des accords de Matignon et de Nouméa, le nouveau cycle de négociations ne saurait exclure par principe des sujets de discussion
Selon les rapporteurs, l' « après-Nouméa » doit se construire sur un nouveau cycle de négociations qui, s'il ne peut ignorer l'héritage des accords de Matignon et de Nouméa, ne saurait être la simple actualisation de ceux-ci - ce d'autant plus que ce processus trentenaire n'a pas apporté toutes les réponses espérées aux questions institutionnelles et politiques calédoniennes.
Une telle position implique de la part des parties négociatrices le respect d'une règle commune, condition sine qua non d'un dialogue renouvelé : n'exclure par principe aucun sujet de l'agenda des négociations , au risque d'empêcher les discussions d'avancer vers une solution d'avenir pacifique et consensuelle.
En effet, si les parties souhaitent s'engager dans une négociation franche et ouverte, elles ne sauraient se prévaloir de consensus passés pour refuser de réexaminer aujourd'hui certains sujets . Si une tabula rasa n'est ni possible, ni souhaitable, les discussions quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie doivent s'extraire des face-à-face du passé et s'inscrire résolument dans l'avenir pour consolider le « destin commun » auquel aspirent les populations calédoniennes. Sauf à ce qu'ils emportent un consensus encore valable et durable, les compromis passés ne préjugent pas des compromis futurs, qu'il appartient précisément à un dialogue politique renouvelé de dégager.
À titre d'exemple, bien qu'exercé, juridiquement, à trois reprises en Nouvelle-Calédonie, le droit à l'autodétermination des Calédoniens, inscrit et protégé en droit international, demeure. De façon analogue, les modalités et le contenu des restrictions apportées au corps électoral pour les élections aux institutions calédoniennes restent aujourd'hui un sujet ouvert aux débats.
Comme l'a souligné le comité des Sages, le nouveau cycle de négociations qui s'engage doit « ouvrir la porte à tous les possibles » , faute de quoi de nouveaux équilibres pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie ne pourront être trouvés. Les rapporteurs appellent ainsi les parties à faire preuve du même esprit de responsabilité et d'ouverture que celui ayant présidé à la négociation des accords de Matignon puis de Nouméa .
* 48 « Depuis Boulouparis, le sénateur Pierre Frogier lance un appel à l'apaisement et au dialogue », NC la 1 ère , 2 décembre 2021.
* 49 Audition par la commission des lois dont le compte rendu est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220606/lois.html.
* 50 Interview télévisée de Christopher Gygès, NC la 1 ère , 17 juillet 2022. https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/transition-energetique-comite-des-signataires-dialogue-et-chute-envisagee-du-gouvernement-mapou-ce-qu-on-peut-retenir-de-l-entretien-de-christopher-gyges-membre-du-gouvernement-et-porte-parole-d-ensemble-1305032.html.
* 51 Publication sur la page Facebook de la confédération Ensemble ! Nouvelle-Calédonie le 18 juillet 2022.
* 52 Op. cit , p. 25.
* 53 Voir p. 19.