N° 806

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 juillet 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les dotations d' investissement aux collectivités territoriales ,

Par MM. Charles GUENÉ et Claude RAYNAL,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet ,
vice-présidents  ;
MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant,
Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

MM. Charles Guené et Claude Raynal, rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » ont présenté le mercredi 20 juillet 2022 les conclusions de leur contrôle budgétaire relatif aux dotations d'investissement aux collectivités territoriales.

I. DES DOTATIONS D'INVESTISSEMENT DE L'ÉTAT EN HAUSSE DANS UN CONTEXTE BUDGÉTAIRE DE PLUS EN PLUS CONTRAINT

A. UNE MONTÉE EN PUISSANCE DES DOTATIONS DE L'ÉTAT

L'État attribue quatre dotations budgétaires aux collectivités territoriales et à leurs groupements visant à cofinancer leurs projets d'investissements. En 2021, et en autorisations d'engagement, ces dotations sont réparties comme suit :

- la dotation d'équipement des territoires ruraux - DETR (1 milliard d'euros) , qui s'adresse aux communes rurales ;

- la dotation de soutien à l'investissement local - DSIL (570 millions d'euros) , qui s'adresse également au bloc communal afin de financer des projets structurants ;

- la dotation politique de la ville - DPV (150 millions d'euros) , qui s'adresse aux communes abritant des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).

- la dotation de soutien à l'investissement des départements - DSID (212 millions d'euros) , qui s'adresse aux départements.

Entre 2014 et 2022, on assiste à une montée en puissance de ces dotations , dont le montant global passe de 920 millions d'euros en 2014 à 2,3 milliards d'euros en 2022 , avec un pic à 3,6 milliards d'euros en 2021 lié au plan de relance.

Évolution des crédits alloués
aux dotations d'investissement de l'État depuis 2014 (en AE)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Cette hausse des crédits est cependant à relativiser pour deux raisons :

- en excluant les dispositifs ponctuels du plan de relance (DSIL exceptionnelle, dotation rénovation énergétique, dotation régionale d'investissement -DRI) et l'abondement exceptionnel de la DSIL en 2022, le niveau « socle » de l'effort budgétaire de l'État est stabilisé depuis 2016 à près de 2 milliards d'euros ;

- dans le même temps, les dépenses d'investissement des collectivités ont connu une très forte progression, de 9,14 % entre 2017 et 2021 pour s'établir à 57,43 milliards d'euros. Les associations d'élus auditionnées par les rapporteurs spéciaux ont fait état du très fort dynamisme actuel des projets d'investissement dans les territoires. À cet égard, nul doute que des enveloppes bien plus élevées de dotations de l'État seraient également consommées dans leur intégralité. L'évolution des concours financiers s'inscrit, toutefois, dans un contexte budgétaire que l'on sait contraint.

Montant « socle » des dotations d'investissement depuis 2016 (en AE)

Montant total des dotations « France relance »
sur 2020-2021 (en AE)

Dépenses d'investissement totales des collectivités territoriales (hors remboursements) en 2021

B. DES CAPACITÉS D'INVESTISSEMENT CONTRAINTES PAR LA CONTRIBUTION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES AU REDRESSEMENT DES FINANCES PUBLIQUES

La nécessité de faire contribuer les collectivités territoriales au redressement des comptes publics au travers des lois de programmation des finances publiques (LPFP) est à concilier avec celle de préserver l'investissement public local :

- entre 2014 et 2018 , la baisse unilatérale de la dotation globale de fonctionnement (- 13,4 milliards d'euros sur la période, soit une baisse totale de 33 %), bien que ne concernant pas directement la section d'investissement, a toutefois fortement pesé sur l'épargne des collectivités territoriales et partant sur leurs capacités à investir ;

- les « contrats de Cahors » institués par la LPFP 2018-2022 semblent moins pénaliser l'investissement public en ce qu'ils encadrent seulement la progression des dépenses de fonctionnement. Cette méthode a toutefois également des limites car la perspective d'une contrainte exercée à long terme sur l'évolution des dépenses de fonctionnement a pour effet de freiner le lancement de projets impliquant, une fois réalisés, d'importantes charges de gestion ou d'entretien.

La perspective de la prochaine LPFP est source d'inquiétudes pour le financement à venir de l'investissement public local , en particulier si des efforts accrus sont demandés aux collectivités territoriales pour limiter leur endettement et compte tenu de la baisse relative du montant des dotations de l'État du fait de la non reconduction des dotations du plan de relance et de leur diminution, en termes réels, dans le contexte inflationniste actuel. Il conviendra ainsi de veiller à ce que l'évolution des concours financiers de l'État et les éventuelles futures modalités d'encadrement des finances locales tiennent compte des caractéristiques des collectivités territoriales pour ne pas peser trop lourdement sur leurs capacités d'investissement.

II. DES MODALITÉS D'ATTRIBUTION ET DE GESTION DES DOTATIONS LAISSANT PEU DE PLACE AUX ÉLUS LOCAUX

A. DES DOTATIONS DONT LA GESTION EST DÉCONCENTRÉE

Les dotations d'investissement ont changé de nature par rapport aux premières décennies de la décentralisation, passant de dotations globales d'équipement libres d'emploi à des dotations fonctionnant suivant une logique de subventions sur projets sélectionnés par le préfet , ce qui permet une meilleure concentration de l'emploi des crédits de l'État.

Aussi, les dotations sont octroyées soit par le préfet de région soit par le préfet de département. Si elle peut exister localement au gré des relations entre les préfets et les élus, les textes ne prévoient en principe pas d'association de ces derniers aux décisions d'attribution. Seule la procédure d'octroi de la DETR prévoit l'intervention d'une commission consultative d'élus.

B. DES DOTATIONS DE PLUS EN PLUS CIBLÉES SUR LES PRIORITÉS THÉMATIQUES FIXÉES PAR L'ÉTAT ET SOUMISES À DES CRITÈRES DE SÉLECTION PARFOIS NOMBREUX ET PEU LISIBLES

Dans les différentes instructions relatives aux dotations d'investissement, l'État définit chaque année des priorités thématiques (transition écologique, rénovation du patrimoine culturel, aménagement urbain...) qui serviront de base à la sélection des projets. Le fléchage des projets sur certaines thématiques s'est avéré particulièrement strict dans le contexte du plan de relance , l'octroi de la DSIL exceptionnelle étant resserré sur trois priorités seulement (transition écologique, résilience sanitaire et rénovation du patrimoine) et celui de la DRI sur deux (rénovation thermique et mobilités du quotidien).

Répartition de la DETR par politique publique en 2018 et en 2019

(en milliers d'euros)

Source : Intercommunalités de France, d'après les données ANCT

Les travaux conduits par les rapporteurs spéciaux ont toutefois mis en évidence certaines difficultés pénalisant la bonne appréhension par les élus locaux de la doctrine d'emploi des dotations :

- les critères nationaux manquent parfois de précision , en particulier s'agissant du critère de maturité des projets. Si celui-ci se justifie aisément par la nécessité d'engager rapidement des opérations, notamment dans le cadre du plan de relance, afin de générer un effet levier et un impact sur la croissance, il ne saurait servir les seuls objectifs de communication de l'État quant à la consommation des crédits du plan de relance ;

- des critères de sélection ajoutés localement par les préfets, nombreux et évolutifs, manquent parfois de transparence , au risque d'une certaine complexité pour les porteurs de projets ;

Il en découle le sentiment partagé par de nombreux élus d'une insuffisante prise en compte des spécificités et des besoins locaux . Les recommandations des rapporteurs spéciaux visent ainsi notamment à :

- renforcer le pouvoir consultatif des élus , en prévoyant notamment une saisine obligatoire du président de conseil départemental sur les subventions allouées au titre de la DSID et en enrichissant l'information transmises aux commissions des élus pour la DETR ;

- conforter le rôle des préfets de département dans la procédure d'octroi de la DSIL ;

- inviter les préfets, lorsque c'est pertinent, à renforcer le subventionnement des dépenses d'études préalables pour les projets éligibles à la DETR , ce qui répond à un besoin exprimé par de nombreuses collectivités, notamment les communes de petite taille ne disposant que de faibles moyens d'ingénierie.

III. DES DOTATIONS S'INSCRIVANT DE PLUS EN PLUS DANS UN SYSTÈME D'INITIATIVES CONTRACTUELLES ET PARTENARIALES : PROMESSES ET RISQUES

A. UN SOUCI LOUABLE DE MISE EN COHÉRENCE DES DISPOSITIFS MAIS LE RISQUE D'UNE COMPLEXIFICATION DE LA POLITIQUE DE SOUTIEN À L'INVESTISSEMENT LOCAL

1. Le développement des démarches contractuelles et partenariales, tentative de « globalisation » et de « labellisation » de l'action publique locale à moyens quasi-constants

Les contrats et partenariats passés entre l'État et les collectivités territoriales sont de plus en plus nombreux et concernent diverses thématiques (industrie, revitalisation des centres villes, ruralité, écologie...). Ils constituent aujourd'hui un instrument majeur de l'action publique territoriale, dans lequel la politique d'octroi des dotations d'investissement de l'État s'inscrit désormais pleinement .

Il existe ainsi historiquement trois démarches contractuelles principales dans le cadre desquelles les dotations de l'État sont susceptibles d'être mobilisées : les contrats de plan État-régions (CPER) , les contrats de ville (pour la DPV spécifiquement) et les contrats de ruralité. Institués dans le cadre du plan de relance et pour la durée du mandat municipal 2020-2026, les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) sont en principe signés à l'échelle des intercommunalités poursuivent notamment l'objectif de simplifier le paysage contractuel, en adoptant ainsi une approche transversale et en regroupant l'ensemble des programmes partenariaux lancés par l'État sous le précédent quinquennat (« action coeur de ville », « petites villes de demain », « territoires d'industrie »).

Au plan financier, ils visent avant tout à orienter, ordonner et valoriser des financements préexistants émanant de différents acteurs (ministères, collectivités territoriales, opérateurs...). Si de telles « labellisations » peuvent contribuer à créer des dynamiques positives dans les territoires, elles n'impliquent pour l'essentiel pas de crédits nouveaux .

2. Un paysage contractuel à simplifier et à rationaliser

In fine , le constat d'une action publique locale saturée par les contractualisations est souligné par l'ensemble des acteurs auditionnés par les rapporteurs spéciaux . Au-delà des démarches impulsées par l'État, les régions et les départements déploient en parallèle leurs propres dispositifs de soutien aux projets d'investissement du bloc communal, qu'ils intègrent également de plus en plus au sein de démarches contractualisées. Il en résulte un paysage fortement complexifié, au sein duquel de nombreux élus avouent se perdre .

Face à ce constat, les rapporteurs spéciaux appellent l'État et les élus locaux à amplifier leurs efforts - déjà existants - pour mieux articuler leurs initiatives contractuelles et encouragent la mise en place de plateformes et de procédures de constitution de dossier communes pour les demandes de subventions . Une telle démarche est indispensable pour donner aux porteurs de projets la visibilité nécessaire sur les cofinancements dont ils peuvent espérer disposer.

B. LA MOBILISATION CROISSANTE DES DOTATIONS DE L'ÉTAT EN FAVEUR DES DÉMARCHES CONTRACTUELLES ET PARTENARIALES : LE RISQUE D'UNE « CAPTATION » ?

Les instructions annuelles relatives à l'emploi des dotations d'investissement insistent spécifiquement sur leur mobilisation en appui de ces différentes démarches contractuelles et partenariales, ce qui traduit la volonté de l'État central d'exercer une influence croissante sur les politiques de soutien à l'investissement local .

Il conviendra de veiller à ce que la nécessité de financer les actions prévues dans le cadre de ces démarches ne pénalise pas les collectivités ne s'y inscrivant pas, dont les projets seraient alors en pratique exclus d'un financement par ces dotations d'investissement de l'État. À l'inverse, la contractualisation par les collectivités ne doit pas être considérée comme un « droit de tirage » automatique .

En pratique, le risque d'une forme de « captation » croissante des dotations d'investissement par ce type de démarches contractuelles et partenariales doit être surveillé dans la mesure où, d'une part, le contexte budgétaire actuel est marqué par une diminution relative des dotations d'investissement et où, d'autre part, ces initiatives contractuelles et partenariales formalisent un certain engagement financier pluriannuel de l'État.

Un tel fléchage des dotations d'investissement sur les actions contractualisées avec l'État fait ainsi l'objet de réelles appréhensions de la part des élus, qui pourraient craindre d'être jugés en fin de mandat sur un programme d'investissement largement défini par l'État en lieu et place du programme pour lequel ils ont été démocratiquement élus.

Ce risque est à ce jour difficile à objectiver finement. Le ministère des collectivités territoriales n'effectuant pas d'analyse et de suivi croisés entre les dotations d'investissement d'une part et les démarches contractuelles et partenariales d'autre part, les informations sur ce point sont parcellaires et incomplètes .

D'après les données recueillies par les rapporteurs spéciaux, il est tout de même constaté que :

- en 2020, 31 % des projets financés par la DSIL s'inscrivaient dans le cadre d'une démarche partenariale ;

- en 2021, 12,7 % des crédits engagés au titre de la DSIL et 12,1 % de ceux engagés au titre de la DETR avaient été mobilisés dans le cadre de CRTE ;

- dans quatre départements étudiés spécifiquement par les rapporteurs spéciaux (Aude, Bas-Rhin, Haute-Garonne et Haute-Marne), on peut estimer que, toutes dotations confondues, la part de projets subventionnés s'inscrivant dans une démarche contractuelle ou partenariale est en nette augmentation, passant de 12,8 % en 2020 à 22 % en 2021.

Les rapporteurs spéciaux appellent ainsi le ministère à renforcer le suivi de l'octroi des dotations et les préfectures à communiquer aux commissions DETR la part des projets subventionnés s'inscrivant dans une démarche contractuelle ou partenariale dans leur département. Ils recommandent que ces commissions puissent en outre fixer un quota indicatif de subventions qui ne seraient pas mobilisées pour le financement d'opérations s'inscrivant dans ces démarches .

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