C. DES « HAUSSES SUSPECTES » DE TARIF DIFFICILES À CERNER, MAIS CERTAINES PRATIQUES SONT CONTESTABLES

1. Au niveau mondial, il se peut qu'une partie de la hausse provienne de spéculations financières, mais cette dernière est difficile à cerner

Les matières premières mentionnées ci-dessus s'échangent sur des marchés mondiaux, où se rencontrent l'offre et la demande. Par conséquent, comme sur tout marché, certains acheteurs ne se procurent de telles matières premières que pour les revendre à un tarif plus élevé ultérieurement, en anticipant une hausse des cours d'autant plus probable compte tenu du contexte de reprise économique et de tensions géopolitiques et climatiques.

Ce faisant, ils alimentent « artificiellement » l'augmentation du prix de ces produits, en les traitant comme de simples produits financiers échangeables, indépendamment de toute considération liée à l'économie réelle. Autrement dit, certains acheteurs ne cherchent pas à se procurer ces matières premières afin de les transformer en produits, comme le ferait un industriel, mais simplement en vue de profiter de la tendance haussière.

Si ces pratiques ne sont pas condamnables en soi, d'autant qu'elles participent souvent d'une fluidification des marchés23 ( * ), elles posent en revanche des questions d'ordre moral lorsqu'elles concernent des matières premières nécessaires à l'alimentation de la population. Leur règlement passe nécessairement par une action coordonnée au niveau international (G7-G20, OCDE, ONU), compte tenu de la mondialisation des échanges financiers. L'une des pistes parfois avancée, mais dont il n'appartient pas au groupe de suivi d'analyser la faisabilité, consiste à encadrer, au niveau mondial, le montant des opérations d'achat/vente, ainsi que leur nombre, pouvant être réalisées quotidiennement par les acteurs financiers . Certaines actions relèvent également de la sphère diplomatique, comme le déblocage des ports ukrainiens de la mer Noire afin de permettre l'exportation des dernières récoltes.

Du reste, le vent d'incertitudes et d'inquiétudes qui souffle sur les marchés compte tenu de l'instabilité géopolitique et de l'absence de prévisibilité (notamment de la fin du conflit en Ukraine) se traduit, comme souvent pour les matières premières, par une hausse des cours, sans que cela ne soit le simple fruit d'une volonté spéculatrice : la peur de la pénurie incite en effet les acteurs à constituer des stocks, notamment en multipliant les ordres d'achat sur les marchés à terme, contribuant à leur hausse. L'une des pistes pourrait ainsi d'être de contraindre les plus gros acheteurs de matières premières alimentaires et industrielles à être transparents sur le niveau des stocks qu'ils détiennent . Puisque les stocks des États sont relativement bien connus, cela permettrait potentiellement de calmer la panique qui s'empare souvent rapidement des marchés.

Ceci étant dit, l'importance du phénomène spéculatif et de panique dans la hausse des cours ne doit pas être exagérée . Les autres origines de l'inflation sont réelles et expliquent vraisemblablement la majeure partie de l'augmentation des prix des intrants.

Par exemple :

• l'Ukraine génère 50 % de la production mondiale d'huile de tournesol et la Russie 28 % . Le conflit entre ces deux pays, qui entraîne des baisses d'exportations (absence de récolte en Ukraine, ports bloqués, hausse des taxes à l'exportation en Russie), est donc naturellement une source majeure de la hausse des cours et de la pénurie pour ce produit ;

• la sécheresse en 2020 sur le pourtour méditerranéen ainsi que le gel en 2021 ont frappé la production d'huile d'olive espagnole, qui représente normalement 45 % des exportations mondiales ;

• la réduction des importations de pétrole russe contraint les États à diversifier leur approvisionnement et à acquérir cette énergie dans des pays plus éloignés , augmentant d'autant les prix du fret (le coût du transport pétrolier entre le Mexique et l'Europe a augmenté de 233 % en 2022, et de 447 % pour le pétrole provenant de la mer Baltique 24 ( * ) ). En outre, les primes de risque assurantielles ont augmenté compte tenu des tensions géopolitiques ;

• la Russie est le premier exportateur mondial de blé tendre et l'Ukraine le cinquième (sixième pour le maïs). La guerre entre ces deux pays réduit donc fortement les quantités disponibles, ce qui se traduit par une hausse mécanique des prix ;

• suite aux chaleurs extrêmes subies par le Canada en 2021 , ce pays a diminué de 60 % ses exportations de blé dur en 2022, alors qu'il intervient dans 70 % des échanges mondiaux. Ici aussi, cela entraîne une hausse soudaine des tarifs ;

• l'Ukraine est le premier exportateur mondial d'huile de tournesol, le deuxième de colza, le troisième de noix, le quatrième de maïs et d'orge, et le cinquième de blé.

Bien entendu, certains acteurs économiques en amont de la chaîne de production profitent certainement de la situation pour « gonfler » artificiellement leurs prix (il semble probable que le quintuplement du prix d'un conteneur ne soit pas le reflet fidèle des sous-jacents économiques mais traduise également un effet d'aubaine pour les entreprises qui les commercialisent). Mais compte tenu de la combinaison inédite de tant de chocs soudains bien réels (guerre dans le « grenier » de l'Europe, catastrophes climatiques, etc.) et de la reprise du cycle économique (reprise vigoureuse de l'économie mondiale en 2021), il semble que la seule spéculation financière et les effets d'aubaine ne suffisent pas à expliquer la forte inflation observée depuis plusieurs mois. Cette dernière résulte bien d'une conjonction défavorable de facteurs graves, sans que le groupe de suivi de la loi Egalim ne soit en mesure de chiffrer la part exacte qui en découle.

2. Au niveau national, une faible proportion de hausses suspectes, mais certaines pratiques préoccupantes

Il a été fait état publiquement, par un distributeur, de hausses de tarifs demandées par les industriels qui seraient non transparentes et suspectes, participant artificiellement et injustement à l'inflation des prix dans les rayons. Ces augmentations de tarif non-justifiées par la hausse du cours des matières premières représenteraient même la moitié de celles adressées aux distributeurs. Cette proportion de 50 % a également été appuyée par une autre enseigne de distribution, dans sa contribution envoyée au groupe de suivi.

Pourtant, interrogés par le groupe de suivi, les distributeurs en question ont indiqué qu'ils déploraient en fait une transparence insuffisante de la part de certains industriels, mais qu'ils n'étaient pas en mesure, au-delà de certains exemples, de dire combien de hausses de tarifs étaient réellement exagérées ou mensongères .

Des hausses suspectes qui ne le seraient finalement pas tant que cela ?

Les distributeurs ont d'abord indiqué que par « suspectes », il fallait entendre « peu transparentes » , dans la mesure où certains industriels ne justifieraient pas, au détail près, les hausses de tarifs qu'ils demandent (la loi Egalim 2 ne les contraint en effet pas à produire des pièces justificatives dès l'envoi du tarif). Par conséquent, les distributeurs, qui connaissent en réalité très bien le marché des matières premières et ont une idée assez précise de la composition des produits qui leur sont vendus, « vérifient » eux-mêmes si la hausse de tarif demandée est en ligne avec l'évolution du cours des matières premières qu'ils observent par ailleurs (en tant que donneur d'ordre pour les MDD, en tant qu'entreprise soumise à des coûts d'énergie, etc.).

Les distributeurs interrogés par le groupe de suivi ont toutefois reconnu ne pas savoir combien de ces hausses étaient, une fois ce travail de reconstitution réalisé, effectivement mensongères ou exagérées . Le groupe de suivi le déplore, d'autant plus que la dénonciation de 50 % de hausses de tarifs qui seraient suspectes a encore tendu des relations qui l'étaient déjà fortement et a eu un fort écho médiatique.

Il convient en effet de ne pas confondre les notions de « suspectes », celle-ci sous-entendant que l'industriel tente d'augmenter son tarif sans qu'il n'y ait de réelle raison pour cela, et de « peu transparentes » , le doute originel pouvant être levé une fois que les pièces justificatives ont été produites.

a) Il n'a pas été constaté de phénomène massif de « hausses suspectes » des tarifs fournisseurs

Quelques exemples seulement ont été mis en avant lors des auditions. Ils concernaient principalement deux pratiques considérées comme insuffisamment fiables :

• premièrement, le fait de justifier l'évolution subie du coût des matières premières en se référant à des cours de marché, plutôt qu'à des factures d'achat . En effet, le cours mondial du blé ou du pétrole à un moment donné ne signifie pas forcément que l'industriel s'est approvisionné ce jour-là. Un distributeur a notamment déploré que l'indicateur choisi pour justifier la hausse de l'électricité soit celui du marché « spot » (gré-à-gré), qui aurait augmenté de 300 % à la date choisie par l'industriel, alors que les contrats d'approvisionnement seraient en réalité négociés sur des marchés de plus long terme, où la hausse serait plutôt de 30 % ;

• deuxièmement, le fait que pour un même produit, plusieurs industriels demandaient des hausses de tarifs très différentes entre elles (de 5 à 20 % selon le fournisseur, par exemple), malgré la similitude de leur composition. Trois industriels de l'eau auraient ainsi envoyé, respectivement, des demandes de hausse de 8,8 %, de 10 % et de 22 %, pour des produits similaires. Concernant les glaces, les tarifs envoyés iraient de + 3 % à + 14,7 % selon les fournisseurs. Concernant les bières, deux grandes multinationales du secteur proposeraient des hausses du simple au double ;

Les travaux du groupe de suivi « Egalim », notamment ceux conduits auprès des pouvoirs publics, n'ont pas permis d'observer, au-delà de ces cas particuliers, un phénomène généralisé de hausses abusives . Le président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires a par ailleurs précisé que selon lui, « il n'y a eu d'abus [généralisé] ni d'un côté ni de l'autre ».

Il peut bien entendu exister certains effets d'aubaine ponctuels , notamment liés au fait que les négociations en 2022 clôturent un chapitre de neuf ans de déflation sur les marques nationales ; il est donc probable que certaines entreprises aient tenté de soumettre des hausses de tarifs supérieures au niveau justifié par la hausse des cours des matières premières qu'elles incorporent dans leurs produits.

Mais, au-delà de ces exceptions, et en gardant à l'esprit les limites inhérentes à l'exercice auquel s'est livré le groupe de suivi 25 ( * ) , il n'a pas été constaté de déconnexion régulière entre ces deux phénomènes, qui gonflerait de façon injustifiée le niveau d'inflation . En tout état de cause, une proportion de 50 % des demandes de hausses de tarifs qui seraient suspectes, ainsi qu'avancé dans le débat public, semble sans lien avec la réalité des faits.

Le groupe de suivi rappelle que les chiffres de l'inflation des matières premières (énergie, emballage, transport, intrants alimentaires) sont particulièrement impressionnants (+ 45 % pour le verre, + 60 % pour le carton, + 75 % pour les céréales, etc.) et qu'à ce titre, il n'est pas étonnant que les demandes de hausse des tarifs émanant des industriels soient particulièrement élevées.

Un exemple : la bouteille de lait UHT demi-écrémé

Dans une bouteille de lait UHT demi-écrémé, 35 % du coût provient du lait cru, et 65 % des matières industrielles (notamment l'emballage). Les coûts de production agricoles ayant augmenté de 23,5 % entre 2021 et 2022, cette augmentation devrait en toute logique s'appliquer aux 35 % que représente le lait cru dans la valeur de la bouteille. En prenant l'hypothèse d'une hausse concomitante de 30 % des matières industrielles, le nouveau prix de la bouteille de lait UHT demi-écrémé devrait être supérieur de 27,7 % :

35*(1+ 23,5/100) + 65*(1+ 30/100) = 43,2 + 84,5 = 127,7, donc une inflation de 27,7 % .

Selon les résultats des négociations transmises au groupe de suivi, la hausse des tarifs fournisseurs acceptée par la grande distribution (au 1 er mars, puis au 1 er juillet) s'établit cumulativement à + 9,18 % .

Le groupe souligne également que même lorsque des produits contiennent des ingrédients sans lien avec le continent européen ou l'Ukraine, comme ceux à base de cacao, ils peuvent être concernés par la hausse des différentes matières premières. Une barre chocolatée, en effet, ne contient pas que du cacao, mais également du lait, du sucre, des céréales (trois produits dont la hausse des cours est décrite supra ), est entourée d'un emballage plastique, nécessite du temps de transport pour être acheminée, etc. L'ILEC a également indiqué au groupe de suivi qu'en matière de produit chocolaté, la hausse de tarif la plus importante s'est située autour de 7 %.

En outre, il convient de rappeler que dans tous les cas, hormis pour les matières premières agricoles, le distributeur est libre de refuser les hausses de tarifs qui lui semblent exagérées . Dans ce cas, si l'industriel persiste à demander cette hausse, le produit n'est plus référencé. Compte tenu du fait qu'un produit non-référencé prive l'industriel de millions de clients, et donc de millions d'euros (voire de dizaines de millions d'euros) de chiffre d'affaires, le rapport de force est grandement favorable à la grande distribution 26 ( * ) : en cas de hausse suspecte, elle est en mesure de refuser de l'accorder, ce qui est bien plus dommageable pour l'industriel que pour le distributeur.

Enfin, plusieurs acteurs entendus par le groupe de suivi, y compris des pouvoirs publics, ont fait état du fait que les négociateurs du côté de la grande distribution étaient souvent confrontés pour la première fois de leur carrière à une telle inflation . Jamais jusqu'à présent ils n'avaient eu à négocier dans un tel contexte inflationniste, avec des demandes de hausse de tarifs à deux chiffres, puisque les vingt dernières années ont été une période de grande stabilité des prix. Une partie de l'impression que les hausses demandées sont suspectes peut s'expliquer par cette situation « déroutante », inhabituelle. Or la possibilité de répercuter les hausses de coûts est souvent une question de « vie ou de mort » pour l'industriel , a fortiori lorsqu'il s'agit d'une PME.

b) Les hausses « non-transparentes », qui relèvent du fonctionnement normal des négociations, ne le sont jamais vraiment pour un distributeur

Par ailleurs, le groupe de suivi rappelle qu' une hausse « non-transparente », dénoncée médiatiquement récemment, ne l'est jamais vraiment pour un distributeur et qu'à ce titre, il est exagéré de les présenter uniquement comme des tentatives de dissimulation.

Premièrement, la non-transparence signifie simplement que l'industriel n'a pas donné au distributeur un accès plein et entier à sa comptabilité afin qu'il puisse observer la structure de coût, le niveau de marges, les sources d'approvisionnement, etc., ce qui paraît salvateur dans un contexte de rapport de force déséquilibré. C'est d'ailleurs précisément pour éviter cette « intrusion » d'une des deux parties dans la comptabilité de l'autre que la loi Egalim 2 (cf. infra ) a prévu une option permettant l'intervention d'un tiers indépendant (souvent le commissaire aux comptes) chargé de certifier que les matières premières agricoles d'un produit n'ont pas fait l'objet de discussions (et donc, indirectement, que la hausse de tarif demandée par l'industriel en raison de la hausse des matières premières agricoles est justifiée). Cette option est, du reste, également plus « protectrice » du distributeur, car la certification est un document officiel engageant la responsabilité du commissaire aux comptes. L'objectif du législateur était justement de permettre de sanctuariser ces matières agricoles, sans toutefois que le fournisseur n'ait à dévoiler au distributeur la part qu'elles représentent dans son tarif (ce qui aurait permis au distributeur de deviner facilement le niveau des marges, et donc la part du tarif sur laquelle il peut continuer de négocier à la baisse). Des améliorations doivent encore être apportées quant à l'intervention de ce tiers de confiance (cf. infra , partie II), mais l'objectif de son action reste le même.

Cela dit, des représentants d'industriels entendus en audition ont reconnu que certains fournisseurs avaient pu exagérer et profiter de cette option offerte par le législateur pour refuser ne serait-ce qu'un début de justification de la hausse qu'ils demandaient . Ils ont toutefois également rappelé que plusieurs industriels sont allés au-delà de ce que prévoit l'option n° 3, et ont présenté la certification de leurs demandes avant même la fin des négociations , donc avant le moment où elle devient obligatoire au regard de la loi.

Deuxièmement, surtout, les négociations commerciales pour les marques nationales ne sont pas un univers dans lequel le distributeur négocierait simplement « à l'aveugle » , sans rien savoir des évolutions des matières premières qui affectent les coûts de l'industriel, ou de leur structure de coûts, subissant le manque de transparence sans pouvoir réagir. En effet, les distributeurs sont également donneurs d'ordre dans le cas des produits vendus sous marque de distributeur ( MDD ), c'est-à-dire qu'ils ne sont pas « preneurs » d'un produit vendu par un industriel, mais « demandeurs » d'un produit dont ils rédigent le cahier des charges et pour lequel ils passent des appels d'offres : à cette occasion, ils ont donc une vision précise de la décomposition d'un tarif et de la part que représente telle ou telle matière première dans la fabrication du prix d'un produit . Ils savent donc précisément quelles évolutions du coût des matières premières ont eu lieu, et dans quelles mesures elles impactent la marge et le tarif de leur co-contractant.

Or les fabricants de marques nationales sont bien souvent également fabricants de produits vendus sous MDD. Dès lors, les hausses de tarifs qui sont demandées par les industriels au titre des marques nationales arrivent rarement sur le bureau des distributeurs sans que ces derniers ne connaissent leurs sous-jacents , même lorsque le fournisseur ne souhaite pas dévoiler toute sa comptabilité.

À noter que si les renégociations commerciales ont dans l'ensemble été conclues bien plus rapidement dans le cadre des MDD que dans celui des marques nationales, c'est certes peut-être en raison d'une transparence qui y serait plus grande, mais également en raison du fait que les distributeurs « margent » beaucoup plus sur les MDD, et peuvent donc accepter plus facilement des hausses de tarifs sans craindre de voir leur positionnement « premier prix » remis en cause (cf. infra ).

Du reste, il n'y a aucun doute quant au fait que les conditions générales de vente (CGV) envoyées aux distributeurs par chaque industriel sont ensuite rapidement transmises par les premiers aux industriels concurrents , même indirectement, afin d'accroître la pression à la baisse des tarifs dans une logique de comparaison. Un distributeur est ainsi en mesure de justifier auprès d'un industriel A qu'il refuse la hausse de tarif demandée, étant donné que l'industriel B lui en propose une moindre. Ce faisant, la notion de confidentialité et de secret des affaires semble très relative et poreuse lors des négociations commerciales : il est illusoire pour un fournisseur de simplement parier sur l'ignorance du distributeur et de lui soumettre des hausses extravagantes , en espérant qu'il accepterait toute augmentation de tarif sans la négocier, la vérifier ou la comparer.

c) Le résultat public des négociations commerciales de mars 2022 ne corrobore pas l'hypothèse de pratiques suspectes du côté des fournisseurs

La médiation des relations commerciales agricoles 27 ( * ) conclut que les négociations commerciales tenues entre décembre 2021 et mars 2022 pour les marques nationales ont abouti à une hausse des tarifs de + 3,5 % .

Si ce résultat ne suffit certes pas à connaître l'ampleur de la hausse initialement demandée par les fournisseurs, hausse pointée du doigt dans le débat public, la médiation indique également qu'en moyenne, les demandes des industriels se sont élevées à + 7,2 % 28 ( * ) . La moitié du besoin exprimé par les industriels (et qui correspond quasi-uniquement aux matières premières industrielles, puisque les matières premières agricoles sont « sanctuarisées » depuis la loi Egalim 2, cf. infra ) n'est donc pas « passée ». Selon l'ILEC, le besoin était même en réalité de 10-12 % de hausse , mais les industriels n'auraient pas exigé une telle hausse anticipant le fait qu'ils n'obtiendraient pas une telle évolution du tarif.

Si des hausses « suspectes » ont été soumises, de toute évidence les distributeurs n'ont pas été contraints de les accepter, et ne les ont pas acceptées.

d) En revanche, des pratiques gonflant artificiellement l'inflation, émanant de certains distributeurs, ont été pointées du doigt par plusieurs acteurs, y compris publics

sans qu'il ne soit possible de quantifier ni leur fréquence ni leur ampleur, plusieurs acteurs entendus par le groupe de suivi, y compris des pouvoirs publics comme la Direction générale de la concurrence, du commerce et de la répression des fraudes (DGCCRF), ont souligné que certains distributeurs appliquaient des hausses de prix de vente dans leurs rayons alors même qu'ils n'avaient pas signé de hausse de tarif d'achat du produit avec le fournisseur .

Ces pratiques seraient facilitées par le fait que les consommateurs s'attendent, de toute façon, à constater une forte inflation dans les rayons : dès lors, augmenter le prix de vente « discrétionnairement », sans même que le prix d'achat n'ait été revu à la hausse, permet à celui qui met en oeuvre cette pratique d' accroître sa marge en jouant sur l'ignorance du consommateur, qui ne sait bien entendu pas si tel ou tel produit a fait l'objet d'une renégociation commerciale en cours d'année, et dans quelle proportion.

Certains industriels ont également alerté le groupe de suivi sur le fait que des distributeurs refuseraient d'accepter des hausses de tarifs et prendraient sciemment le risque d'une rupture du contrat commercial, car le fournisseur serait de toute façon obligé de continuer à livrer les produits durant le préavis de rupture (pouvant aller jusqu'à 8-12 mois). Surtout, ces livraisons se feraient à l'ancien tarif , c'est-à-dire celui de mars 2022 : le distributeur peut donc soit, dans ses rayons, afficher un prix de vente plus bas que ses concurrents (puisqu'il achète encore le produit à l'ancien tarif), soit augmenter le prix de vente du produit compte tenu du contexte d'inflation générale, mais sans avoir eu à supporter une hausse du coût d'achat (marge nette supplémentaire, acquittée par le consommateur). Les acteurs interrogés n'ont toutefois pas pu quantifier ce phénomène.

Les acteurs de la grande distribution se seraient néanmoins engagés, si ce cas de figure se présente (rupture du contrat mais livraisons maintenues durant le préavis), à « passer » la hausse de tarif fournisseur liée aux MPA, mais pas celle liée aux matières premières industrielles. Selon les fournisseurs entendus, cet engagement serait inégalement respecté.


* 23 Il convient de rappeler, en effet, que les acteurs financiers en question s'exposent également à un retournement des cours, synonyme alors de moins-value.

* 24 https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/06/03/carburants-pates-ufs-viande-legumes-les-causes-de-l-inflation-de-26-produits-du-quotidien_6128 731_4355 770.html .

* 25 Impossibilité de contrôler les procédés de fabrication des dizaines de milliers de produits faisant l'objet d'une négociation, possibilité que les personnes auditionnées passent sous silence certains éléments ou mettant exagérément en avant certains facteurs, etc.

* 26 Par exemple, compte tenu de la part de marché de 22 % environ des établissements Leclerc, un industriel qui voit son produit déréférencé perd l'accès à un cinquième des consommateurs français.

* 27 Médiateur des relations commerciales agricoles, Observatoire des négociations commerciales annuelles, Communiqué de presse de présentation des résultats, 9 juin 2022.

* 28 Avec des variations selon les secteurs : + 5 % pour les boissons, + 10 % pour l'épicerie salée.

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