B. UN PATRIMOINE EN BON ÉTAT MAIS DE PLUS EN PLUS MENACÉ

1. Un état sanitaire général jugé globalement correct

L'état du patrimoine religieux a toujours constitué un sujet d'inquiétude, comme le rappellent les alertes lancées par Victor Hugo en 1832 avec son pamphlet pour la sauvegarde du patrimoine intitulé Guerre aux démolisseurs ou par Maurice Barrès en 1914 avec son ouvrage intitulé La grande pitié des églises de France .

En l'absence d'inventaire complet du patrimoine religieux, il est difficile de se faire une idée précise de l'état sanitaire de celui-ci . Le dernier bilan national réalisé sous l'égide du ministère de la culture remonte au milieu des années 1980 1 ( * ) . La décentralisation de l'inventaire général du patrimoine culturel par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales n'offre plus la garantie d'un inventaire thématique permettant de couvrir l'ensemble du territoire national. Même si le patrimoine religieux fait partie des thèmes les plus sélectionnés dans les inventaires thématiques réalisés au niveau régional, la liberté laissée aux régions dans le choix du thème de leurs études et dans le calendrier de lancement de celle-ci empêche dorénavant d'obtenir à un moment donné une photographie de l'état du patrimoine religieux au niveau national. Cette situation est d'autant plus regrettable que les auteurs du dernier bilan national plaidaient justement pour sa mise à jour régulière afin d'évaluer correctement les dégradations subies par ce patrimoine et le niveau des menaces qui pèsent sur son avenir de manière à définir une politique de conservation et de mise en valeur adaptée.

Seul l'état sanitaire des édifices religieux protégés est régulièrement contrôlé à l'occasion des bilans périodiques réalisés par le ministère de la culture sur les immeubles classés et inscrits au titre des monuments historiques. Le dernier bilan sanitaire, dont les résultats ont été publiés en 2019, couvrait la période 2013-2018. La présentation des résultats de ce bilan ne fait cependant pas apparaître l'état des monuments en fonction de la typologie dont ils relèvent : il est donc impossible, à la lecture de ce bilan, de connaître précisément l'état du patrimoine religieux protégé au titre des monuments historiques . Le patrimoine religieux représentant le tiers des monuments historiques, les chiffres du dernier bilan de l'état sanitaire, qui concernent l'ensemble des monuments historiques, sont à prendre avec précaution car ils ne sauraient préjuger de l'état spécifique de cette catégorie de patrimoine. Le ministère de la culture prévoit néanmoins de produire, d'ici la fin de l'année, des bilans quantitatifs et cartographiés concernant l'état de conservation des seules cathédrales.

État des immeubles protégés au titre des monuments historiques
selon la nature de leur propriétaire

(en pourcentage)

Moyenne
nationale

État

Régions

Départements

Communes

Privés

Péril

4,76

4,78

5,06

4,61

3,90

5,66

Mauvais

18,53

12,41

10,13

15,23

21,11

15,80

Moyen

41,52

39,25

41,77

39,88

42,89

41,67

Bon

35,18

43,57

43,04

40,28

32,11

36,87

Source : ministère de la culture

Quelques enseignements intéressants du bilan de l'état sanitaire 2013-2018
en ce qui concerne le patrimoine protégé des communes

Le dernier bilan sanitaire 2013-2018 fait apparaître que les communes sont en dessous du taux national en matière de patrimoine en péril , même si elles ont un taux de monuments dans un état moyen ou bon très légèrement inférieur à la moyenne nationale (75 % contre 76,7 % au niveau national).

Contrairement à une idée reçue, le bilan sanitaire démontre également que les plus petites communes , en particulier celles de moins de 500 habitants, sont moins exposées au risque de détenir des monuments en péril que les communes situées entre 2 000 et 10 000 habitants . Les auteurs avancent l'idée que les maires des petites communes seraient plus soucieux d'entretenir leurs monuments au regard de l'importance qu'ils revêtent pour leurs administrés, qui considèrent bien souvent ce patrimoine comme un élément essentiel de leur identité. L'augmentation sensible du taux de monuments en péril dans les communes dont la population oscille entre 2 000 et 10 000 habitants pourrait être due à « une diminution du rayonnement "identitaire ou emblématique" du monument historique consécutif à l'accroissement de l'échelle urbaine de la commune ». Sans surprise, les communes de plus de 10 000 habitants restent néanmoins les moins exposées au risque de péril, sans doute en raison de leurs moyens humains et financiers supérieurs.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

L'état sanitaire du patrimoine religieux non protégé semble plus contrasté , ne serait-ce que parce que son entretien et sa restauration ne bénéficient pas du même niveau de subventions.

Ce patrimoine souffre d'un entretien irrégulier et d'un niveau très variable selon les capacités financières des communes . Le bilan sanitaire réalisé dans les années 1980 mettait en évidence que les bâtiments les plus menacés étaient les chapelles et les édifices isolés et, généralement, les bâtiments les plus anciens et les plus petits du fait d'un déficit d'entretien. Les auditions ont fait apparaître que le patrimoine religieux était plus dégradé en milieu rural qu'en milieu urbain : la moindre fréquentation des édifices et leur fermeture plus répétée facilitent la survenance de désordres par manque de ventilation et par une surveillance moins régulière. Moins les édifices sont utilisés pour le culte, plus leur état de santé est mauvais.

Les auditions ont également démontré que si le clos et le couvert sont généralement entretenus, les parties intérieures des édifices cultuels faisaient l'objet d'un déficit d'entretien.

Les représentants des cultes ont néanmoins jugé ce patrimoine en relativement bon état. La Conférence des évêques de France a ainsi rendu hommage aux efforts engagés par les communes pour entretenir les édifices affectés au culte catholique.

Une analyse comparée de l'état sanitaire des lieux de culte en France par rapport à celui des lieux de culte dans d'autres pays européens met en lumière le fait que la propriété publique d'une grande partie des lieux de culte dans notre pays a largement favorisé jusqu'ici leur préservation et leur entretien . Même si elle prohibe les subventions publiques aux cultes, la loi du 9 décembre 1905 ne paraît pas avoir eu les effets négatifs redoutés sur l'état des lieux de culte.

Les édifices de cultes juif et protestant sont dans une situation différente , dans la mesure où la charge de leur entretien relève des associations cultuelles juives et protestantes auxquelles, pour l'essentiel, ils appartiennent. Le volume d'édifices est par ailleurs sans commune mesure avec ceux de culte catholique. La Fédération protestante de France avance le chiffre de 3 800 lieux de culte identifiés comme protestants en France. Le Consistoire central israélite de France évoque 300 synagogues relevant de son autorité. La base Mérimée recense environ 600 temples protestants et 200 synagogues pouvant être considérés comme des édifices d'intérêt patrimonial.

La Fédération protestante de France a indiqué que les questions de préservation du patrimoine cultuel protestant ne s'étaient pas vraiment présentées jusqu'à présent. Le Consistoire central israélite a, pour sa part, jugé nécessaire de distinguer la situation entre les zones dans lesquelles la communauté juive s'est considérablement réduite - soit après la Seconde Guerre mondiale (Alsace-Lorraine, Normandie), soit du fait d'une montée de l'antisémitisme (Seine-Saint-Denis) - et les autres zones, en particulier en milieu urbain, où la communauté juive, au contraire, se développe, entraînant la construction de nouveaux édifices.

Le Consistoire central israélite de France et la Fédération protestante de France indiquent pouvoir aujourd'hui compter sur un soutien financier fort de la communauté de fidèles . Les nouvelles règles relatives au fonctionnement des associations cultuelles résultant de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République leur font cependant craindre de potentielles difficultés pour lever des fonds pour des motifs autres que cultuels dans les années à venir.

Le culte juif et le culte protestant n'accordent par ailleurs pas la même dimension sacrée à leurs édifices de culte que le culte catholique . Pour les protestants, le temple est un abri destiné à faciliter la célébration du culte. Quant aux synagogues, elles sont aujourd'hui de plus en plus fréquemment adossées à des centres communautaires abritant différentes activités. La co-activité règne donc très largement dans ces édifices.

2. Des menaces à anticiper sans tarder

Ce bilan plutôt rassurant ne doit pas occulter les menaces qui pèsent sur la préservation du patrimoine religieux. Beaucoup d'édifices sont peu utilisés ; leur architecture est de moins en moins adaptée au niveau de la fréquentation et rend compliqué leur équipement aux besoins actuels du culte et des fidèles.

Jusqu'ici, les ventes ou démolitions d'édifices cultuels sont restées marginales . Dans une étude parue en 2017, la Conférence des évêques de France comptabilisait 255 églises communales ou diocésaines désaffectées ou vendues depuis 1905 (soit 0,6 % du total des églises et chapelles) pour 1 886 églises construites par les diocèses depuis cette même date. Les réticences en France à désaffecter les édifices cultuels sont encore vives. Cette décision est encore vécue de manière douloureuse par l'affectataire, par les maires, comme par les habitants.

La procédure de désaffectation

L'affectation au culte d'un édifice qui appartenait à une personne publique au moment de l'entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 étant perpétuelle, il est nécessaire de procéder à sa désaffectation lorsqu'une démolition ou une reconversion sont envisagées.

En application de l'article 13 de la loi du 9 décembre 1905, la désaffectation ne peut être prononcée que dans un certain nombre de cas : soit parce que l'association bénéficiaire est dissoute ; soit parce que le culte cesse d'être célébré pendant plus de six mois consécutifs, en dehors des cas de force majeure ; soit parce que la conservation de l'édifice ou des objets mobiliers classés est compromise par l'insuffisance d'entretien et après mise en demeure dûment notifiée du conseil municipal ou, à son défaut, du préfet ; soit parce que l'association cesse de remplir son objet ou les édifices sont détournés de leur destination ; soit parce que l'association ne respecte pas ses différentes obligations légales.

Lorsque l'une de ces conditions est réunie, la désaffectation ne peut alors être prononcée que par décret en Conseil d'État. En dehors de ces cas, seule une loi peut prévoir une telle désaffectation.

S'agissant des édifices du culte appartenant aux communes, et si les conditions de la désaffectation d'un édifice sont réunies, la désaffectation peut être prononcée par arrêté préfectoral, à la demande du conseil municipal, après avis du directeur régional des affaires culturelles, et sous réserve du consentement écrit du culte affectataire. Il s'agit donc d'une procédure lourde qui suppose un triple accord : celui de la municipalité, du culte affectataire et des services de l'État.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Les nombreuses ventes et reconversions d'édifices religieux intervenues en Europe du Nord et en Amérique du Nord depuis plusieurs années doivent toutefois inciter à la prudence. La France ne saurait être totalement à l'abri d'un tel mouvement au regard des facteurs de risque qu'on peut y identifier .

Vente d'églises en Europe :
les chiffres d'une enquête du Wall Street Journal de 2015

Dans un article paru en janvier 2015, le Wall Street Journal dresse un état des lieux des fermetures d'églises en Europe dans un contexte général de baisse de la pratique religieuse. L'article avance un certain nombre de chiffres concernant plusieurs pays d'Europe du Nord :

- environ 20 églises fermeraient au Royaume-Uni chaque année ;

- environ 200 églises au Danemark seraient considérées comme sous-utilisées ou non viables ;

- plus de 500 églises catholiques auraient été fermées en Allemagne au cours de la dernière décennie ;

- les Pays-Bas seraient le pays le plus touché par ce phénomène, avec potentiellement deux tiers des 1 600 églises catholiques menacées de désaffectation d'ici dix ans et 700 églises protestantes risquant la fermeture dans les quatre ans.

Il n'est pas rare, dans ces pays, que les bâtiments soient reconvertis pour y accueillir des activités relevant du secteur privé. D'anciennes églises se retrouvent ainsi transformées en librairies, en boutiques de mode, en restaurants, en salles de sport, en supermarchés ou en discothèques. Les plus petits édifices sont acquis par des particuliers qui souhaitent en faire leur habitation.

L'article revient sur la baisse de la pratique religieuse parmi les Chrétiens dans huit pays d'Europe. La France y apparaît comme le deuxième pays où les personnes se disant chrétiennes ont la pratique régulière la plus faible (à peine plus de 10 % d'entre eux), juste derrière le Danemark (environ 7 %), alors que l'Irlande et l'Italie compteraient respectivement près de 50 % et près de 40 % de pratiquants réguliers.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Trois facteurs principaux concentrent les inquiétudes et font craindre une accélération de la dégradation du patrimoine religieux ou de l'abandon de certains édifices dans les années à venir :

- la sécularisation toujours croissante de la société, conjuguée à la désertification de certaines zones géographiques .

Les changements importants qui affectent la pratique religieuse (progression de l'athéisme, baisse de la pratique religieuse, crise des vocations sacerdotales), en particulier chez les catholiques, ont des effets sur l'état des édifices cultuels. Si la baisse de fréquentation des édifices et la baisse du nombre des célébrations religieuses ne sont pas véritablement sensibles dans les plus grandes villes compte tenu de la densité de population, ce phénomène est très marqué dans les zones rurales et s'observe également dans les villes petites ou moyennes victimes de dévitalisation. Les effets éventuels du regain d'attractivité des villes moyennes à la suite de la crise sanitaire ne pourront s'apprécier qu'à plus long terme ;

- la raréfaction des ressources financières destinées à l'entretien des édifices religieux .

D'une part, la baisse du nombre de fidèles affecte le niveau des ressources à la disposition des cultes pour contribuer à l'entretien des bâtiments. D'autre part, la charge de l'entretien des édifices cultuels devient de plus en plus lourde pour les communes, compte tenu des contraintes croissantes qui pèsent sur leurs budgets et des attentes toujours plus nombreuses des habitants. Les maires se montrent de plus en plus hésitants à engager des crédits afin de restaurer des édifices dont l'utilisation est de plus en plus réduite.

Il convient d'ajouter que la loi ne définit aucune obligation pour les maires en matière d'entretien des édifices cultuels , sauf à ce que ceux-ci bénéficient d'une protection au titre des monuments historiques. L'article 13 de la loi du 9 décembre 1905 pose le principe selon lequel les associations cultuelles « seront tenu [e] s des réparations de toute nature [...] afférentes aux édifices et aux meubles les garnissant », exception faite « des grosses réparations », expressément exclues par l'article 14. Il ajoute que « l'État, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourront engager les dépenses nécessaires pour l'entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété leur est reconnue par la présente loi », sans y poser d'obligation. Dans ces conditions, il est rare que les dépenses d'entretien afférentes aux édifices cultuels soient budgétées par les communes, ce qui explique la grande irrégularité et la fréquente insuffisance de l'entretien de ces édifices . Néanmoins, leur responsabilité est susceptible d'être engagée en cas de dommage lié à un défaut d'entretien, dans la mesure où le maire est considéré comme responsable de la sécurité des visiteurs (Conseil d'État, 10 juin 1921, Commune de Monségur ).

La situation est différente en Alsace-Moselle où les communes ont l'obligation de pallier l'insuffisance des ressources des établissements publics du culte, en principe chargés de l'entretien et de la reconstruction de l'édifice du culte. La chambre régionale et territoriale des comptes peut être saisie afin d'inscrire d'office la dépense au budget de la commune dans les cas où celle-ci refuserait de se plier à cette obligation ;

- les réformes territoriales visant à favoriser la réduction du nombre de communes par leur fusion ou leur regroupement au sein d'établissements publics de coopération intercommunale .

De même que le regroupement paroissial engagé depuis quelques décennies, la multiplication des fusions de communes et le développement des intercommunalités pourraient amplifier les risques d'abandon de certains édifices cultuels dans les années à venir, chacune des communes possédant généralement un ou plusieurs édifices cultuels.

Ces trois phénomènes constituent une menace sérieuse pour le patrimoine religieux, singulièrement dans les zones rurales où ils se font davantage sentir . Ce constat plaide pour anticiper la question du devenir du patrimoine religieux afin d'éviter qu'une partie de celui-ci ne puisse disparaître.

Le risque n'est pas tant qu'il passe aux mains de propriétaires privés, dans la mesure où les dimensions et les contraintes architecturales des édifices religieux en font un patrimoine peu convoité. Il est plutôt qu'un grand nombre d'édifices ne soient plus entretenus au point de rendre leur démolition inéluctable.

Les bâtiments de qualité médiocre ou dont la valeur architecturale est moins prisée, à l'instar de ceux datant du XIX e siècle et du XX e siècle, apparaissent les plus en danger . L'Observatoire du patrimoine religieux évalue entre 2 000 et 5 000 le nombre d'édifices cultuels susceptibles d'être abandonnés, vendus ou détruits d'ici à 2030. 500 édifices seraient déjà aujourd'hui totalement fermés.

Il convient d'éviter à tout prix que les Français ne se désintéressent progressivement de ce patrimoine, dans la mesure où un patrimoine qui ne suscite plus l'intérêt est voué à dépérir. Ce constat accroît la nécessité de réfléchir sans tarder aux modalités de valorisation de ces édifices et à leurs possibles usages , y compris non cultuels, afin de garantir leur préservation en leur redonnant un sens pour le plus grand nombre. Si cette question apparaît encore peu dans le débat public, elle constitue pourtant un enjeu sociétal majeur, notamment pour ce qui concerne les zones rurales .


* 1 Ce bilan a fait l'objet d'un ouvrage de Bernadette Dubosq et Pierre Molinier, publié en 1987 par la Documentation française, intitulé « Églises, chapelles et temples de France, un bien commun familier et menacé : état et utilisation des lieux de culte » .

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