LISTE DES RECOMMANDATIONS
DE LA
MISSION D'INFORMATION
AXE N° 1 : Assurer une meilleure protection du patrimoine religieux le plus menacé
? Lancer une opération nationale d'inventaire du patrimoine religieux permettant de disposer d'une cartographie précise de ce patrimoine sur l'ensemble du territoire à l'horizon 2030.
? Doter les conservateurs des antiquités et objets d'art d'une base de données interopérable avec celle des services de l'inventaire en régions et celle de l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels permettant une documentation, y compris visuelle, de l'ensemble du patrimoine mobilier protégé.
? Adopter un plan national en faveur de la préservation du patrimoine religieux en péril permettant d'empêcher la disparition totale de certains types d'édifices aujourd'hui particulièrement menacés en garantissant la protection d'un certain nombre d'édifices (patrimoine religieux du XIX e et du XX e siècles, patrimoine juif en Alsace).
AXE N° 2 : Accompagner les maires dans l'entretien de leur patrimoine religieux
? Proposer, au niveau des départements, des outils destinés à accompagner les communes dans la conservation préventive de leur patrimoine religieux (carnet de suivi d'entretien, aides financières, techniques et juridiques).
? Recourir aux conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) pour évaluer l'état du patrimoine religieux et identifier les solutions possibles pour chaque édifice.
AXE N° 3 : Permettre une réappropriation et une resocialisation des édifices cultuels
? Garantir l'ouverture du patrimoine religieux en recourant au gardiennage ou à des bénévoles, notamment parmi les jeunes.
? Améliorer la mise en valeur du patrimoine mobilier cultuel au sein des édifices.
? Développer des parcours de visites touristiques autour du patrimoine religieux à l'échelle des territoires.
? Favoriser l'usage partagé des édifices cultuels en clarifiant, par des conventions-types, les relations entre le maire, le curé affectataire et le diocèse.
AVANT-PROPOS
Dans un contexte de baisse de la pratique religieuse, la France est aujourd'hui confrontée, à l'instar des autres pays occidentaux, à la question de la pérennité et du devenir de son patrimoine religieux . Si les pays d'Europe du Nord et d'Amérique du Nord se sont engagés, depuis déjà plusieurs dizaines d'années, dans une logique de transformation et de reconversion des édifices cultuels, la réflexion éclot seulement dans les pays d'Europe de tradition catholique, dont la France.
Cette réflexion revêt pourtant un caractère fondamental face aux risques d'une dégradation accélérée du patrimoine religieux . À la différence des autres pays, la plupart des édifices d'intérêt patrimonial affectés au culte en France sont la propriété des communes, et non des cultes. La charge de leur entretien et, le cas échéant, de leur restauration, repose donc sur les maires. Ceux-ci éprouvent de plus en plus de difficultés à assumer ces dépenses, compte tenu de la raréfaction des ressources publiques et de la moindre fréquentation des édifices.
Dans la mesure où la majeure partie de ce patrimoine religieux est propriété publique, la réflexion sur son devenir constitue aussi l'affaire de tous . Au-delà de leur fonction cultuelle, ces édifices sont des témoins du passé de notre pays. La préservation de ce patrimoine constitue un enjeu public. S'il venait à disparaître, ce ne serait pas seulement quelques vieilles pierres qui seraient détruites, c'est un pan entier de la culture qui serait effacé.
Compte tenu de ces éléments, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a souhaité dresser un bilan de l'état du patrimoine religieux, des menaces qui pèsent sur sa préservation et des moyens de contribuer à sa sauvegarde.
Le rapport se concentre principalement sur la situation des édifices affectés au culte catholique bâtis avant 1905 , dans la mesure où il s'agit du patrimoine religieux le plus important en nombre et celui en proie aujourd'hui aux principales difficultés.
I. LES CONSTATS DE LA MISSION D'INFORMATION
A. UN PATRIMOINE RICHE AUQUEL LES FRANÇAIS SONT ATTACHÉS
1. Le patrimoine religieux le plus important d'Europe après l'Italie
• Un patrimoine largement détenu par les communes
D'après l'Observatoire du patrimoine religieux, la France pourrait compter jusqu'à 100 000 édifices religieux , tous cultes confondus, ce chiffre incluant aussi bien les lieux de culte actifs que ceux qui ne le sont pas, y compris des édifices dont ne subsistent que des ruines ou des vestiges. À ce jour, l'observatoire en a déjà dénombré 77 000, son recensement étant toujours en cours.
Plus de 40 000 des édifices cultuels qui demeurent affectés à cet objet sur le territoire français appartiennent à des collectivités publiques et non aux cultes . Il s'agit d'une particularité française. Dans leur quasi-totalité, ces édifices correspondent à des édifices du culte catholique .
Les communes détiennent l'ensemble des églises paroissiales construites avant 1905, auxquelles s'ajoutent les églises reconstruites après la première ou la Seconde Guerre mondiale à l'emplacement d'églises édifiées avant 1905 et détruites par les combats, ainsi que des chapelles et 65 des 154 cathédrales situées en métropole.
À ces édifices de propriété communale s'ajoutent les 87 cathédrales appartenant à l'État, ainsi que la cathédrale d'Ajaccio, qui relève de la collectivité territoriale de Corse.
Pourquoi beaucoup de lieux de culte
appartiennent-ils aux communes en France ?
La propriété publique d'une part significative des édifices de culte est un héritage de l'histoire. Il s'agit d'une singularité française.
Elle résulte de la Révolution française au cours de laquelle les biens du clergé ont été nationalisés et du Concordat qui l'a suivie.
Le régime de propriété des lieux de culte institué par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État prévoit que les édifices mis à la disposition de la Nation en 1789 « sont et demeurent la propriété de l'État, des départements, des communes et des établissements publics de coopération intercommunale ayant pris la compétence en matière d'édifices des cultes » (article 12).
L'appartenance d'un grand nombre d'édifices aux communes est également liée à l'attitude des catholiques face au régime de séparation mis en place en 1905 . En effet, cette loi prévoyait le transfert de propriété des lieux de culte qui appartenaient, avant 1905, aux établissements publics du culte (fabriques, menses, conseils presbytéraux, consistoires...) aux associations cultuelles créées pour les remplacer (article 4).
Si la constitution de telles associations cultuelles par le culte protestant et le culte juif a rendu possibles ces transferts de propriété, le refus du culte catholique de s'organiser en associations cultuelles a conduit à transférer aux communes les églises qui avaient appartenu aux établissements publics du culte catholique. Dans un premier temps, la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes a prévu qu'à défaut d'affectations cultuelles, les édifices restaient affectés de manière perpétuelle, gratuite et exclusive à l'exercice du culte qui s'y tenait (article 5). Puis, la loi du 13 avril 1908 a organisé le transfert de propriété de ces édifices aux communes sur le territoire desquelles ils étaient situés (article 9 de la loi de 1905, tel que modifié par la loi du 13 avril 1908).
En Alsace-Moselle , où ne s'appliquent ni la loi de 1905, ni celle de 1907, ni celle de 1908, le régime concordataire est toujours en vigueur. Les édifices des cultes statutaires reconnus (catholique, réformé, luthérien et juif) appartiennent soit aux communes, soit aux établissements publics du culte . Les communes peuvent en être propriétaires, en application du concordat ou lorsqu'elles les ont elles-mêmes édifiés après 1802. Les établissements publics du culte le sont lorsqu'ils les ont eux-mêmes édifiés. Les temples protestants et les synagogues, par exemple, sont en majorité la propriété des établissements publics du culte.
Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication
• Un patrimoine datant essentiellement d'il y a plus d'un siècle
Tous les édifices religieux présents sur le territoire national n'ont pas nécessairement une valeur patrimoniale .
Seulement 15 000 édifices religieux ou d'origine religieuse bénéficient d'une protection au titre des monuments historiques . L'essentiel de ces édifices sont des lieux de culte ou d'anciens lieux de culte catholiques, les deux tiers étant constitués d'églises paroissiales appartenant aux communes. Plus d'une centaine de temples protestants, environ 60 synagogues ou anciennes synagogues, près d'une dizaine de lieux de culte orthodoxes, six mosquées ou anciennes mosquées ainsi qu'un lieu de culte bouddhique bénéficient également d'une telle protection.
La protection des objets religieux
au titre des
monuments historiques
Au même titre que le patrimoine bâti, les objets mobiliers (peinture, sculpture, mobilier, textile, orfèvrerie, instruments de musique) présentant un intérêt artistique, historique, scientifique ou technique peuvent bénéficier d'une protection au titre des monuments historiques . L'intérêt de la protection s'apprécie à la lumière de la qualité artistique ou technique de l'objet, de son authenticité, de son intégrité, de sa rareté, de son exemplarité ou de sa représentativité par rapport à un corpus ou à un type.
D'après le ministère de la culture, plus de 80 % des 300 000 objets mobiliers classés ou inscrits au titre des monuments historiques sont des objets religieux , souvent conservés dans les églises paroissiales. La grande majorité appartient au patrimoine des collectivités territoriales.
L'initiative de la demande de protection appartient concurremment au propriétaire du bien, à l'affectataire, ou à toute personne y ayant intérêt (collectivités territoriales, association de défense du patrimoine, etc.), de même qu'au préfet de région (direction régionale des affaires culturelles) et au ministre de la culture (direction générale des patrimoines).
Cette protection vise à garantir la préservation de ces objets et à éviter leur dispersion . Les objets classés, en particulier, font l'objet d'un récolement au moins tous les cinq ans : cette opération permet de contrôler leur présence et leurs conditions de conservation. L'État a également la possibilité de mettre en demeure une collectivité territoriale défaillante de réaliser les travaux devenus indispensables pour assurer la conservation d'un objet mobilier classé. En cas d'inaction, le préfet de région est autorisé à inscrire d'office les dépenses correspondantes au budget de la collectivité pour éviter que sa conservation ne soit compromise.
Une enquête, conduite entre 2002 et 2005, visant à recenser le patrimoine religieux des églises de l'Aube avait mis en évidence que la protection - et même l'inscription - limitait très largement les disparitions d'objets, qui concernaient prioritairement les oeuvres peu connues et donc difficiles à retrouver.
Des subventions de l'État peuvent être allouées pour les travaux d'entretien, de réparation, de mise en sécurité des objets mobiliers protégés au titre des monuments historiques. L'État peut également soutenir les travaux de restauration, les études préalables qu'ils impliquent, ainsi que l'assistance à maîtrise d'ouvrage.
Dans le cadre de leur mission de protection du patrimoine mobilier, les conservateurs des antiquités et objets d'art prospectent le territoire pour repérer des objets méritant une protection. Il leur arrive fréquemment de constituer une documentation minimale relative à certains objets, quand bien même ils n'entrent pas dans les critères justifiant leur protection, afin de contribuer à leur inventaire.
Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Il existe néanmoins un nombre bien supérieur d'édifices qui, sans bénéficier d'une protection au titre du code du patrimoine, n'en possèdent pas moins une valeur architecturale ou historique certaine . La base Mérimée, qui compile les résultats de l'inventaire du patrimoine architectural, répertorie déjà 8 000 édifices religieux non protégés en plus des 15 000 qui sont protégés au titre des monuments historiques. Ce nombre reste sans doute très en deçà de la réalité du nombre d'édifices qui présentent un intérêt culturel, historique ou scientifique, dans la mesure où toutes les régions ne se sont pas penchées sur leur patrimoine religieux dans le cadre de leur mission d'inventaire général du patrimoine culturel. Environ 25 000 édifices sont antérieurs au XIX e siècle.
2. Un héritage commun à préserver
Les Français se montrent extrêmement attachés au patrimoine religieux. Cet attachement ne se réduit pas aux seuls croyants , comme l'a révélé l'émotion suscitée par l'incendie de Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019. Les vives réactions de la population locale dans son ensemble lorsqu'un projet de démolition d'édifice cultuel est envisagé en fournissent également une illustration. Ces quelques exemples démontrent qu'au-delà de la communauté des fidèles, les Français entretiennent un lien intime avec le patrimoine religieux historique. L'appartenance d'une partie significative de ces édifices au patrimoine de la Nation depuis plus de deux cents ans n'y est peut-être pas étrangère.
À la fois composante structurelle des paysages et de l'identité des territoires et élément de mémoire de la communauté locale, il est un point de repère dans l'espace et dans le temps. Il s'agit donc d' un véritable bien commun , visible et accessible par tous, dont la valeur n'est pas seulement spirituelle, mais aussi historique, culturelle, artistique et architecturale. Sa valeur repose aussi sur l'usage qui en est fait. Il possède une dimension fédératrice .
Sa répartition et sa présence sur tout le territoire en font aujourd'hui l'un des principaux éléments du patrimoine de proximité , dont on sait l'intérêt que les Français y prêtent. Ce n'est sans doute pas un hasard si les collectes lancées par la Fondation du patrimoine pour la restauration d'édifices religieux remportent généralement un succès légèrement supérieur à celui des autres collectes. Plus que tout autre type de patrimoine, le patrimoine religieux est un vecteur de transmission de mémoire et un atout pour le développement touristique des territoires. L'intérêt patrimonial de certains édifices situés dans de très petites communes peut contribuer à leur attractivité et à leur rayonnement. La préservation et la mise en valeur de ce patrimoine constituent donc un réel enjeu pour les Français comme pour les territoires .