B. LES PERTES DE COMPÉTENCES LORS DE LA CRÉATION DES SECRÉTARIATS GÉNÉRAUX COMMUNS ONT CONTRIBUÉ À LIMITER LEUR EFFICACITÉ

1. Les transferts : sous-évaluation du nombre d'emplois à transférer et perte de compétences

Comme évoqué plus haut, le directeur de cabinet du Premier ministre a confié à un comité de pilotage interministériel l'évaluation des besoins de ces nouveaux secrétariats généraux communs en termes d'effectifs et de moyens. Pour ce faire, la mission a dû documenter le décompte des effectifs positionnés au sein des DDI et des préfectures sur des fonctions support. Cette évaluation devait prendre en compte la quote-part des schémas d'emplois ministériels imputés aux fonctions support.

Alors que la lettre de mission du directeur de cabinet du Premier ministre fixait comme objectif « d'assurer et de documenter le décompte des effectifs positionnés sur des missions relevant des fonctions support dans le périmètre des ministères concernés par le transfert des emplois », l'évaluation retenue in fine a consisté en un transfert d'emplois effectif inférieur au niveau constaté en 2018.

En effet, l'évaluation des besoins des futurs SGC par le comité de pilotage inter-inspection tenait d'ores et déjà compte du schéma d'emplois 2019, de sorte que le nombre d'emplois proposé par le rapport correspond aux emplois dédiés aux fonctions support dans les DDI, corrigés des fonctions restant à la charge des DDI, auquel s'ajoute un abattement de 1,5 % des effectifs pour l'application du schéma d'emplois 2019 27 ( * ) .

Finalement, à l'occasion de l'arbitrage rendu par le Premier ministre le 2 août 2019, il a été décidé de revenir sur le niveau de l'abattement au titre des schémas d'emplois pour l'évaluer à 2 % pour 2019 et d'appliquer un schéma d'emplois de 2 % pour 2020.

Alors que d'après l'évaluation du comité de pilotage inter-inspection, 1 944 ETP étaient en charge des fonctions support en 2018 dans les DDI pour les missions confiées aux SGC, dans la loi de finances initiale pour 2020, seuls 1 803 ETP ont été transférés aux SGC (soit une baisse de 7,25 % des effectifs totaux).

Opportunément, les SGC ont finalement bénéficié d'un complément d'effectif de 89 ETP en loi de finances initiale pour 2021, permettant d'amorcer la réforme dans des conditions un peu plus satisfaisantes. La rapporteure spéciale déplore que l'information apportée aux parlementaires sur ce sujet lors de l'examen du budget 2021 ait été très lacunaire 28 ( * ) .

En définitive, et compte tenu de ce complément d'effectif, il ressort que la dotation en emplois des SGC s'est trouvée finalement légèrement inférieure au nombre d'emplois en poste sur des fonctions support avant la réforme. Ainsi, alors que 1 944 ETP étaient en charge des fonctions support en 2018 dans des DDI, lors de la création des SGC, le total des agents transférés s'est élevé à 1 892 ETP.

Sans attendre les effets escomptés de la réforme, c'est donc de l'ordre de 2,6 % des ETP réalisant des fonctions support au sein des DDI qui ont été supprimés .

La rapporteure spéciale déplore le choix du Gouvernement d'anticiper les gains d'efficience issus de la réforme. Il aurait été plus pertinent d'amorcer la réforme à effectif complet, voire même légèrement renforcé, pour garantir une transition dans les meilleures conditions, avant d'envisager de « réduire la voilure ». De nombreux services se sont en effet retrouvés en grande tension dès le départ, ce qui a pénalisé le démarrage de la réforme.

Comme l'avait justement signalé le rapport inter-inspections préalable à la création des SGC, « cette réforme peut générer des gains d'emplois, mais de façon décalée. En effet, une diminution prématurée des emplois serait contreproductive par rapport à l'objectif poursuivi. » 29 ( * ) Ainsi, il avait été clairement souligné que l'année « de création de ces structures va désorganiser les équipes et peut conduire à une perte de productivité ; il serait particulièrement démobilisateur et irréaliste d'exiger un retour dès cette première année . »

Ce constat est renforcé par deux éléments d'analyse indispensables : d'une part, la décision de laisser le choix aux agents de rejoindre ou non les SGCD a généré d'importantes pertes de compétence lorsque les agents ont fait le choix de rester en poste au sein des DDI, et, d'autre part, certains agents des DDI n'effectuaient des fonctions support qu'à titre secondaire par rapport à leur mission.

En effet, si, avant la réforme, l'essentiel des agents avaient pour mission principale (plus de 80 % de leur quotité de travail) d'assurer la réalisation de fonctions support, une part non négligeable d'entre eux (environ 13 % des agents) n'exerçait de telles fonctions qu'en complément de leur mission principale 30 ( * ) . La part des agents n'exerçant que de façon annexe des fonctions support varie également d'une administration à l'autre. Ainsi, la DGCCRF indique, en réponse au questionnaire de la rapporteure spéciale, que « la plupart des agents exerçant des fonctions support ne le faisaient que pour une part limitée de leur temps . »

Par conséquent, la question des « rompus d'ETP » a posé des difficultés supplémentaires : le caractère annexe de certaines missions permettant aux services d'absorber plus facilement des fluctuations d'activité ou d'avoir un lien direct entre intervenants. En effet, la somme de plusieurs « rompus d'ETP » ne résulte pas nécessairement en un poste unique et cohérent.

De plus, le choix a été fait de laisser les agents des DDI et des préfectures libres de rejoindre ou non les SGC.

Il s'agit d'un élément majeur de la réforme, la DMAT indiquant, dans les réponses au questionnaire de la rapporteure spéciale qu'il « aurait été difficile de contraindre les agents qui ne le souhaitaient pas à changer de ministère. Certains demeurent très attachés à leur culture ministérielle . » Le maintien des rémunérations a été garanti. La rapporteure spéciale partage le constat que de contraindre les agents à rejoindre les SGC aurait sans doute été contre-productif au regard des inquiétudes des agents.

Cependant, cette situation aurait dû être mieux anticipée par le Gouvernement. En effet, il en est résulté une perte de compétences massive, en particulier dans le domaine des ressources humaines, qui avait pourtant été identifié en amont de la réforme comme l'un des sujets les plus sensibles. Comme le relève la DMAT dans ses réponses au questionnaire de la rapporteure spéciale « il est vrai que certains SGC-D se sont retrouvés initialement en sous-effectif et le démarrage de certains SGC-D a pu s'avérer difficile. »

Ainsi, ce refus de suivre leur poste au sein des SGC a concerné :

- 78 ETP pour le ministère de l'agriculture et de l'alimentation ;

- 142 ETP pour le ministère de la transition écologique et solidaire ;

- 225 ETP pour les ministères sociaux ;

- 31 ETP pour la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

L'augmentation des plafonds d'emplois pour permettre aux ministères d'absorber les sureffectifs nés du refus des agents de suivre leurs postes

Les corrections techniques intervenues dans le cadre de la LFI pour 2022 étaient ventilées de la manière suivante :

160 ETPT au titre du programme 155 « Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail » ;

116 ETPT au titre du programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales »,

105 ETPT au titre du programme 217 « Conduite et pilotage de l'écologie, du développement et de la mobilité durable » ;

11 ETPT au titre du programme 215 « Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture ».

Source : direction du budget

La vacance de postes et le recours à des contractuels, alors que les sujets de gestion RH étaient d'une très grande complexité du fait de la multiplicité des régimes RH et de la complexité technique du sujet a contribué à dégrader les services RH rendus aux différents services .

Cette situation a conduit à maintenir une partie des effectifs au sein des DDI et des préfectures sous lettre de mission . Dans ce cas, les effectifs restent placés sous l'autorité du directeur de DDI mais contribuent, au titre de la lettre de mission qu'ils ont reçu de lui, aux missions du SGC.

Fin janvier 2022, 27 agents 31 ( * ) étaient encore dans cette situation. Si ce statut a offert une flexibilité nécessaire lors de la mise en oeuvre de la réforme, la rapporteure spéciale considère qu'il est désormais nécessaire de mettre un terme à ces situations . Les effectifs encore sous lettre de mission doivent être incités à rejoindre les SGC et il est nécessaire de sortir de cet entre deux pour acter du caractère définitif de la réforme.

Recommandation n° 5 - Secrétariat général du ministère de l'intérieur - secrétariats généraux des ministères représentés dans les DDI : régulariser sans délai la situation des agents ayant fait le choix de ne pas rejoindre les secrétariats généraux communs en restant au sein des directions départementales interministérielles sous lettre de mission.

La rapporteure spéciale ne peut enfin que souscrire à l'avertissement prémonitoire du rapport inter-inspections : « les modalités d'exercice des fonctions support dans une organisation, qu'elle soit publique ou privée, sont cruciales pour son bon fonctionnement. En dépendent non seulement les conditions de travail au sein de la structure mais aussi la capacité de son personnel à pouvoir pleinement se consacrer à ce pourquoi il a été recruté. Un amenuisement ou une désorganisation des services concernés peut générer des pertes de temps et en conséquence une efficience moindre de l'entité dans son ensemble. Des gains immédiats d'effectifs sur ces fonctions peuvent alors avoir un effet globalement négatif . » 32 ( * ) C'est précisément cette situation qui a été rencontrée lors de la création des SGC.

2. Le ressenti d'une dégradation de la qualité des services rendus par les SGC par rapport aux anciens SG des DDI

Lors des déplacements et des échanges avec les agents des SGC et des DDI, il est apparu que les premiers mois après la mise en place des SGC avaient été l'occasion de difficultés très importantes . Alors que de nombreux agents des DDI ont fait le choix de ne pas suivre leur poste, des postes se sont retrouvés vacants dès la création de la structure, mettant en difficulté un collectif à peine constitué.

Ainsi, pour exemple, à la préfecture de la Creuse, 50 % des postes étaient vacants lors de la création du SGC 33 ( * ) . Le recours à des agents sous lettre de mission au sein des DDI a permis d'assurer la continuité du service . Le directeur du SGC, M. Fabien Faure, a distingué une première phase, qualifiée « d'euphorique », à l'occasion de laquelle les équipes ont fait bloc pour surmonter les importantes difficultés rencontrées dans l'exercice des missions. Il a néanmoins constaté, dans un deuxième temps, une certaine forme de fatigue, voire de lassitude, de la part des effectifs du SGC.

La rapporteure spéciale partage pleinement ce constat : alors que la création de ces nouvelles structures a pu conduire à un certain nombre de concessions de la part des agents (stress, heures supplémentaires, etc.), il est indispensable de parvenir à un rythme de croisière pour garantir le succès de la réforme et permettre à la structure d'être attractive.

Les difficultés concernent principalement la fonction RH, pour laquelle les effectifs se sont trouvés confrontés à des régimes très différents et des outils informatiques de gestion cloisonnés entre eux .

Ainsi, alors que le ministère de l'intérieur recourt à l'outil Dialogue 2, le ministère de la transition écologique et solidaire, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation et les ministères sociaux disposent chacun d'une version différente de RenoiRH, ces versions étant cloisonnées entre elles. Les logiciels RH des services sont nombreux, rendant particulièrement complexe la réalisation de leurs missions.

Ces difficultés ont été accentuées par le nombre important de postes vacants au sein des SGC et un taux de rotation élevé sur les effectifs RH.

Ainsi, le bilan des différents ministères est plutôt mitigé : pour le ministère de la transition écologique « le bilan n'est pas homogène selon les missions mutualisées » car pour les RH « le principe même d'une mutualisation est plus complexe à mettre en oeuvre ». Pour la DGCCRF, « à date le bilan reste mitigé, et hétérogène selon les sites et selon les missions ; le dispositif doit encore gagner en stabilité et en maturité . »

Pour les ministères sociaux, le secrétariat général a fait valoir que la création des SGCD avait « complexifié l'organisation de la filière RH » du fait de l'importance du niveau régional avant la réforme.

Si des évolutions ont eu lieu, en particulier via une clarification de la répartition des compétences, « la gestion RH des SGCD reste difficile, les SGCD ne maitrisant pas encore les spécificités tant statutaires qu'en termes de règles de gestion des multiples corps de fonctionnaires et des agents contractuels en poste dans les DDI. Les articulations restent à fluidifier entre les différents acteurs (DDETS, DREETS, SGC et DRH ministérielle). [...] De réelles difficultés de reprise de certaines missions RH existent encore dans certains SGC (recrutement, action sociale, calendriers et campagnes) accentuées par la nécessité de clarifier encore le rôle de chacun des échelons dans la chaîne de décision. » 34 ( * )

Il apparaît indispensable de résorber ces difficultés et de garantir le bon fonctionnement des SGC sur le volet RH. En effet, la qualité de la fonction RH est essentielle au fonctionnement des services et génère des externalités positives.

La détérioration de ces fonctions peut, à l'inverse, avoir des conséquences très négatives sur les agents : démotivation, risques psycho-sociaux, détérioration du climat au travail. Au-delà de la fonction RH, ces difficultés ont également été rencontrées concernant les déploiements SI, sur la compatibilité des postes « NOEMI », déployés par le ministère de l'intérieur, avec certaines applications métiers, ou concernant les conditions de remboursement des frais professionnels.

Surtout, les difficultés RH entrainent une perte de temps pour l'encadrement . Plusieurs directeurs de DDI ont en effet indiqué à la rapporteure spéciale que la création des SGC avait eu une incidence directe sur le temps qu'ils devaient consacrer à des fonctions support . En effet, en présence de difficultés, les agents et les syndicats se tournent désormais vers les directeurs de DDI, alors que les anciens secrétaires généraux de DDI pouvaient jouer ce rôle dans la mesure où ils étaient présents au sein des mêmes locaux.


* 27 Cet abattement au titre du schéma d'emploi 2019 a conduit à recommander un transfert d'effectif diminué de 86 ETP par rapport à la référence 2018.

* 28 Alors que le rapport sur le projet annuel de performance (PAP) de la mission « Administration générale de l'État » pour 2021 se contente de préciser le nombre d'ETP transférés, les rapports sur les autres missions n'apportent pas d'indication plus précise. Ainsi, pour la mission « Écologie, développement et mobilité durables », le PAP se contente d'indiquer : « 45 ETPT depuis l'action 07 (Pilotage, support, audit et évaluations) vers le programme 354 « Administration générale et territoriale de l'État » du ministère de l'intérieur, correspondant au transfert complémentaire lié à la création des secrétariats généraux communs en DDI ».

* 29 Rapport sur la constitution des secrétariats généraux communs aux préfectures et aux directions départementales interministérielles, de l'inspection générale des services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, de l'inspection générale de l'administration, de l'inspection générale de la jeunesse et des sports, du conseil général de l'environnement et du développement durable et du conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, mai 2019.

* 30 Ibid.

* 31 11 agents pour les ministères sociaux, 8 agents pour le ministère de la transition écologique et solidaire, 2 agents pour le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, et 6 agents pour le ministère de l'intérieur.

* 32 Rapport sur la constitution des secrétariats généraux communs aux préfectures et aux directions départementales interministérielles, de l'inspection générale des services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, de l'inspection générale de l'administration, de l'inspection générale de la jeunesse et des sports, du conseil général de l'environnement et du développement durable et du conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, mai 2019.

* 33 Hors le service interministériel départemental des systèmes d'information et de communication.

* 34 Réponses du secrétaire général des ministères sociaux au questionnaire de la rapporteure spéciale.

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