B. UNE ASSOCIATION INSUFFISANTE DES TERRITOIRES ULTRAMARINS

1. Un processus mal engagé
a) Une évidence oubliée : les outre-mer sont au coeur des enjeux

Grâce à ses outre-mer, la France possède le deuxième espace maritime au monde et abrite 10 % de la diversité des espèces connues.

Couvrant au total près de 11 millions de km², la ZEE française est principalement située en Polynésie (44 %) , autour des terres australes et antarctiques française (20 %), en Nouvelle-Calédonie (13 %) et dans l'ouest de l'océan Indien (10 %). La France métropolitaine ne représente que 3 % de cette ZEE .

Le milieu marin ultramarin abrite une richesse exceptionnelle, notamment par la présence de 55 000 km² de récifs coralliens et lagons, 10 % des écosystèmes récifo-lagonaires de la planète et 20% des atolls du monde.

La question de l'exploration des fonds marins dans la ZEE française, en vue d'une éventuelle exploitation des ressources minérales est de facto une question exclusivement ultramarine. Aucun des interlocuteurs de la mission n'a évoqué la présence d'éventuelles ressources autour de l'Hexagone, où les enjeux sont autres (notamment la protection des câbles sous-marins et des bâtiments de la marine, en particulier les sous-marins nucléaires).

Les principaux acquis de la recherche concernent en effet la présence de minéralisations hydrothermales et d'encroûtements cobaltifères dans la ZEE du Pacifique. Ces ressources ont été identifiées mais des campagnes d'exploration supplémentaires seraient nécessaires pour évaluer leur exploitabilité et leur intérêt économique qui est très incertain. Le potentiel des bassins atlantique et de l'océan indien est moins bien connu encore que celui du Pacifique. Certaines zones volcaniques sont jugées prometteuses, mais leur potentiel n'en a pas été vérifié ni quantifié.

Pour mémoire, d'après les travaux réalisés par l'Ifremer, si les richesses géologiques de nos fonds marins ont été peu explorées, il existe néanmoins quelques certitudes, ou de fortes présomptions concernant la présence de minéraux dans notre ZEE outre-mer :

- S'agissant des minéralisations hydrothermales (associées à des volcans actifs ou récents) : la zone jugée la plus favorable est située autour de l'île de Futuna. Une dorsale volcanique y a été identifiée lors des campagnes d'exploration menées au début des années 2010. C'est dans cette zone qu'ont été découverts les premiers champs hydrothermaux de la ZEE française. Les îles de Saint-Paul et Amsterdam (TAAF), les îles de Hunter et Matthews (Nouvelle-Calédonie), et les Antilles disposent d'un potentiel à explorer.

- L'existence d'encroûtements cobaltifères (associés à des volcans anciens et atolls immergés) est attestée en Polynésie française, notamment sur les reliefs sous-marins du plateau des Tuamotu qui contiennent des encroûtements parmi les plus concentrés en cobalt connus sur le plancher océanique au niveau mondial. Outre la Polynésie française, les îles Kerguelen, Mayotte et les îles Éparses possèdent un environnement favorable à ce type de formation géologique.

- La présence de nodules à de grandes profondeurs est également attestée : des nodules enrichis en cobalt sont connus à l'ouest de la Polynésie et des nodules polymétalliques ont été trouvés au nord de l'île de Clipperton. À ce stade toutefois, les concentrations en métaux ne paraissent pas suffisantes pour constituer des réserves économiques.

Chacun de ces milieux est associé à une riche biodiversité (voir ci-après, II.A)

D'un point de vue juridique, hors minerais ou produits utiles à l'énergie atomique, les collectivités d'outre-mer sont compétentes en matière de droit minier, tandis que les régions d'outre-mer le sont pour la délivrance des titres miniers en mer . Par conséquent, rien ne pourra se faire sans un consensus politique et sociétal dans les territoires concernés. Ce sont ces territoires qui ont vocation à porter et à mettre en oeuvre les projets, avec l'aide de l'État.

Il convient de privilégier le développement de projets dont l'initiative viendrait des territoires dans leurs domaines de compétence . Tenter d'y mettre en oeuvre des plans préétablis à Paris ne peut déboucher que sur un échec.

b) Le « précédent » de Wallis-et-Futuna montre qu'une co-construction est nécessaire

Les campagnes d'exploration menées à Wallis-et-Futuna et leurs suites ont illustré les conséquences de l'absence d'une gouvernance participative des projets suffisamment en amont , comme l'ont souligné un grand nombre de personnes auditionnées par la mission d'information.

Le « précédent » de Wallis et Futuna est considéré par tous comme un échec majeur, causé par un manque d'anticipation des réactions suscitées par la perspective de l'exploration des ressources des fonds marins, en vue de leur exploitation éventuelle. Plus fondamentalement, cet échec a révélé une compréhension insuffisante des réalités économiques, sociales et culturelles des îles du Pacifique .

Une première campagne d'exploration a été menée à Wallis-et-Futuna en 2010 afin de rechercher des sites hydrothermaux et d'en étudier la biodiversité, dans le cadre d'un partenariat associant plusieurs établissements publics (Ifremer, BRGM, agence des aires marines protégées) à des acteurs privés (Technip, Eramet et Areva). Cette campagne a été très riche d'enseignements puisqu'elle a permis de découvrir la dorsale volcanique précédemment évoquée, notamment le volcan sous-marin de Kulo Lasi, et de localiser plusieurs dépôts hydrothermaux. Jugée très prometteuse, elle a été suivie de deux autres campagnes (2011, 2012) puis d'un projet de réforme du code minier applicable à Wallis-et-Futuna (2014), en vue d'accorder d'éventuels permis d'exploration.

La campagne de 2010 a toutefois été engagée à l'initiative de l'État et de ses partenaires, sans consultation préalable de la population locale et des chefs coutumiers.

Le projet nécessitait une réforme du code minier applicable à l'archipel, considérée par l'État comme un simple ajustement technique à réaliser pour pouvoir poursuivre les recherches entamées sur le potentiel de la zone. Cette péripétie juridique a toutefois conduit à un blocage de l'ensemble du processus , après que l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna eut émis un avis réservé et exprimé le souhait d'être pleinement associée aux projets d'exploration des richesses minières sous-marines.

En 2016, l'Assemblée territoriale a demandé une mission d'expertise afin d'examiner la question des ressources minérales profondes dans sa globalité. Une mission de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) a par conséquent été envoyée sur place, en 2018. Une présentation à la société civile a eu lieu. Mais cette mission n'a pas pu se poursuivre , en raison de l'opposition de la population et des chefs coutumiers de Wallis-et-Futuna, en particulier en raison de la réaction défavorable de la chefferie de Futuna à une éventuelle exploitation des fonds à proximité du volcan de Kulo Lasi en raison des incertitudes sur les impacts d'une telle opération en termes de pollution et de recul de la biodiversité.

Les causes de cet échec sont multiples. Aux représentations culturelles, plaçant « sous le signe du sacré la mer, le ciel et la terre conçus comme un tout indivisible », viennent s'ajouter des représentations mémorielles, résumées dans un slogan, opposé en 2018 aux chercheurs de l'IRD : « Nous ne voulons pas être détruits comme Moruroa-Nauru », faisant évidemment référence d'une part, au désastre économique et environnemental causé à Nauru par la fin de l'exploitation du phosphate, et, d'autre part, aux mensonges passés de l'État quant aux effets sanitaires et environnementaux des essais nucléaires réalisés pendant trente ans en Polynésie 27 ( * ) .

L'incompréhension profonde qui s'est installée a ensuite empêché toute avancée des travaux d'exploration. En 2019, l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna a émis un voeu relatif à la protection et la gestion durable de la zone maritime, formant le projet d'une « Déclaration sur l'Océan ». Par cette déclaration, la collectivité souhaite plaider, d'une part, pour un moratoire de 50 ans sur l'exploitation des ressources minérales profondes et, d'autre part, pour l'intégration de son espace maritime dans des stratégies de développement durable semblables à celles qui se développent ailleurs dans le Pacifique, par exemple avec la mise en place du parc naturel de la mer de corail en Nouvelle-Calédonie.

Lors de la table ronde organisée par la mission d'information le 3 mai 2022, M. Munipoese Muliakaaka, président de l'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna, a confirmé cette position : « Les campagnes d'exploration, dans l'optique d'une exploitation future de nos fonds marins, suscitent des avis très réservés dans nos territoires, notamment de la part de nos chefferies. Nous souhaitons établir un moratoire de cinquante ans sur l'exploitation de nos fonds marins. Notre population demande à être associée à toutes les démarches et à devenir partie prenante des débats. Il s'agit de trouver des compromis avant toute décision. »

Les principales craintes demeurent d'ordre environnemental , étant donné le lien indissoluble des habitants des îles avec la terre et l'océan : « Nos océans sont notre mère nourricière : le fait de vouloir concilier l'exploration et l'exploitation des fonds marins, tout en respectant l'océan comme source de vie pour nos populations nous paraît quelque peu contradictoire sur un plan culturel ».

L'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna a par ailleurs indiqué par écrit à la mission qu'une réflexion était en cours sur l'opportunité de protéger le milieu maritime dans le cadre d'une aire marine gérée . L'objectif est de rejoindre le mouvement en cours dans le Pacifique depuis la création par l'Australie dans les années 1980 du Parc marin de la Grande barrière de corail ou encore la création en Nouvelle-Zélande de 44 aires protégées depuis 1971. Des coopérations régionales sont envisagées notamment avec Fidji et Tuvalu. Le territoire se verrait bien constituer un « parc marin d'importance écologique et biologique » constituée des trois ZEE sud de Tuvalu / Wallis-et-Futuna / nord du plateau des Fidji » d'une superficie totale de 325 000 km 2 .

Mme Sandrine Ugatai et M. Paino Vainai, conseillers de cette même assemblée territoriale, ont regretté, pour leur part, lors de cette table ronde, le manque d'information de la population et des élus sur les résultats des travaux menés par l'Ifremer et par l'IRD dans l'espace maritime de l'archipel.

L'interruption des travaux d'exploration menés à Wallis et Futuna a eu des conséquences sur l'ensemble de la stratégie poursuivie par la France dans le domaine des grands fonds marins. C'est l'une des raisons de l'échec de la stratégie issue du Cimer d'octobre 2015, dont l'une des priorités était la recherche d'amas sulfurés dans l'archipel.

Suite à cette déconvenue, une démobilisation des acteurs privés , qui s'étaient fortement impliqués, est logique et compréhensible. L'acceptabilité sociale se révèle désormais un facteur déterminant dans la viabilité de projets dont la visibilité sur les plans économique, juridique, technologique était déjà problématique.

Au même moment, dans un contexte distinct et pour des raisons complètement différentes, un autre projet très attendu s'est également conclu sur un échec : celui de l'entreprise canadienne Nautilus minerals en Papouasie Nouvelle-Guinée, qui devait être la première mine exploitée en eau profonde au niveau mondial (Solwara-1) avant que l'entreprise ne fasse faillite.

Au-delà des risques propres au secteur des grands fonds marins, des entreprises craignent, plus largement, les répercussions en termes d'image sur l'ensemble de leurs activités et sur les métiers de la mine en général , ce qui les incite à la plus grande prudence. Lors de son audition par la mission d'information, le représentant de la société Eramet a ainsi estimé qu' « il ne faudrait pas renforcer encore la méfiance des communautés locales ou celle du consommateur final à l'égard de nos métiers. Je crains que le développement de nouvelles activités minières, dont l'impact environnemental est encore flou, ne nuise à la mise en place de l'amont minier essentiel pour tenir notre trajectoire de lutte contre le réchauffement climatique. »

Dès lors, une très forte implication des pouvoirs publics - collectivités et État - sera nécessaire pour relancer une démarche d'exploration conçue comme très risquée , tant financièrement à court terme, que pour l'image et l'avenir même de l'activité minière à long terme.

2. Une nécessaire révolution copernicienne
a) Des enseignements qui tardent à être tirés

Le rapport de M. Jean-Louis Levet analyse les raisons de l'échec de la stratégie de 2015, en revenant notamment sur les causes et les conséquences du fiasco de la mission de l'IRD à Wallis-et-Futuna. Il en déduit fort justement la nécessité de construire un dispositif de gouvernance participatif dès l'amont des projets.

La stratégie nationale issue de ce rapport, et formulée dans la circulaire du 5 mai 2021, intègre ces enseignements :

- C'est l'objet, en premier lieu, de la priorité IV : « Renforcer le partenariat avec les collectivités d'outre-mer en particulier dans le Pacifique et engager une stratégie multipartenaires aux niveaux européen et mondial ».

La formulation de cette priorité est toutefois très imparfaite :

Ø D'une part, était-il opportun de lier « partenariat outre-mer » et « coopération internationale » ? Si le partenariat avec les élus doit être renforcé, c'est dans la conception et la construction même des projets, et non au titre d'une obligation de coopération.

Ø D'autre part, fallait-il ne mentionner qu'une partie des territoires d'outre-mer (« les collectivités d'outre-mer en particulier dans le Pacifique ») ? Les auditions de la mission ont montré que tous les territoires ultramarins souhaitaient être mieux informés et davantage associés à cette question qui est l'un des volets de la politique française des océans.

- En second lieu, la priorité V invite à « travailler à la future et indispensable information des populations et des décideurs sur les ressources de l'océan profond, leur utilisation durable au service d'une prospérité commune, ainsi qu'à l'implication de toutes les parties prenantes dans les choix éventuels en matière d'exploration ou/et d'exploitation responsable des grands fonds marins . ».

On ne peut qu'approuver cet objectif, tout en remarquant :

- que le groupe de travail qui a élaboré la stratégie ne comprenait aucun représentant des territoires ultramarins et n'en a auditionné qu'un très petit nombre ;

- que le rapport de M. Jean-Louis Levet n'a pas été publié dans son intégralité , au risque de nourrir le soupçon de la part des acteurs locaux et ONG (que nous cache-t-on ?) alors même que rien dans ce rapport ne justifie qu'il soit gardé secret ;

- et, enfin, qu'à notre connaissance, la stratégie n'a pas été présentée aux collectivités concernées, ni en amont ni en aval de sa publication .

b) Des collectivités qui demandent à être mieux associées et mieux informées

Lors des tables rondes organisées par la mission avec des représentants des collectivités ultramarines 28 ( * ) , et dans leurs contributions écrites, le manque de transparence de l'État sur le sujet des grands fonds marins a été souligné à de multiples reprises :

- « Les éléments que vous nous avez transmis sont les premiers à évoquer cette stratégie relative aux grands fonds marins » (M. Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre et Miquelon) ;

- « Nous sommes très heureux de pouvoir être associés à ces stratégies nationales. Il est assez rare que nous disposions d'informations en amont. La question des concertations est essentielle » (M. Frédéric Blanchard, directeur biodiversité au sein de la collectivité territoriale de Guyane) ;

- « Concernant la participation à l'élaboration de la stratégie nationale, la collectivité de Saint-Martin n'a jamais été associée » (Mme Annick Pétrus, sénatrice de Saint-Martin) ;

- « La stratégie nationale n'a pas fait l'objet d'une consultation au niveau du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Nous l'avons découverte lorsqu'elle a été publiée, ce qui est regrettable » (M. Joseph Manaute, membre du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie). S'agissant du projet d'observatoire franco-japonais 29 ( * ) , le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a indiqué à la mission : « La Nouvelle-Calédonie est toutefois très réservée sur ce projet auquel elle n'a pas du tout été associée, alors qu'elle jouit, en matière de relations extérieures, de compétences très élargies » ;

- « Dans le cadre de la stratégie nationale, l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna n'a pas été consultée (...). Nous n'avons manifestement pas été considérés comme étant à la hauteur de ces enjeux industriels » (Mme Sandrine Ugatai, conseillère de l'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna).

- « J'estime que nos territoires doivent être associés à cette stratégie. Il est anormal que nous ayons découvert la stratégie de protection des récifs coralliens de l'État au moment même où le Président de la République l'a dévoilée à Marseille, et ce alors même que 98 % des récifs coralliens se trouvent en outre-mer. Sur ces sujets, nos territoires disposent de compétences qu'il convient de ne pas ignorer » (M. Heremoana Maamaatuaiahutapu, ministre de la culture et de l'environnement de la Polynésie française).

- Dans ce contexte, un moratoire est envisagé en Nouvelle-Calédonie. Le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, M. Louis Mapou, s'est exprimé en ce sens, de même que le comité consultatif de l'environnement du Congrès. Un avant-projet de loi du pays a été rédigé, prévoyant de borner ce moratoire dans le temps et permettant la poursuite d'activités de recherche scientifique selon des méthodes non destructives. Ce moratoire en projet est considéré comme le moyen « de reprendre les discussions sur le fondement d'une méthode de travail reposant sur une concertation dès l'amont » (M. Joseph Manaute).

Il est ainsi regrettable que les collectivités n'aient été ni associées ni même informées, en amont ou en aval , à l'élaboration d'une stratégie qui les concerne au premier chef, alors même que l'expérience passée avait mis en évidence la sensibilité de cette question de la concertation. Comme l'a indiqué par écrit l'une des collectivités consultées, le sentiment général est que « l'élaboration de cette stratégie nationale s'est faite en vase clos, au sein des services de l'État ». Ceci est d'autant plus absurde que les collectivités d'outre-mer disposent de la compétence minière et que rien ne pourra se faire sans elles dans la ZEE.

Les représentants des collectivités regrettent par ailleurs, plus généralement, un manque d'information sur les données disponibles , soit parce que ces données n'existent pas, soit parce qu'elles ne leur seraient pas toujours transmises. La connaissance de l'environnement marin est jugée très insuffisante, les grands fonds ne constituant qu'un aspect de la question.

Les collectivités souhaitent mieux connaître leur environnement maritime et en particulier leurs grands fonds marins , préalablement à tout questionnement sur l'exploration ou l'exploitation de leurs richesses minières éventuelles :

- « Nous ne disposons d'aucune donnée sur les ressources disponibles au large de nos côtes » (M. Roger Alain Aron, vice-président de l'Assemblée de la collectivité territoriale de Guyane) ;

- « Nous disposons d'un relevé cartographique bathymétrique datant de 2020. Cependant, ce relevé ne dit rien sur la nature des sols ; malheureusement, il ne couvre pas l'ensemble de la ZEE et s'étend seulement jusqu'à 50 mètres du rivage. » (Mme Annick Pétrus, sénatrice de Saint-Martin) ;

- « L'Ifremer, qui est basé à la Martinique depuis des décennies, effectue un travail important, mais cela concerne essentiellement les ressources biologiques, et très peu la flore ; il n'y a pas de recherche sur la minéralogie » (Mme Patricia Telle, vice-présidente de la collectivité territoriale de Martinique) ;

- « De nombreuses études ont été réalisées à Mayotte sur les fonds marins, mais nous n'y sommes pas toujours associés. Pourtant, nous avons besoin d'accéder à ces données afin de pouvoir construire un avenir pour notre île et protéger notre environnement, ce qui passe par une meilleure connaissance de nos fonds marins. [...] L'apparition du volcan, voilà quelques années, a fait naître le besoin d'une meilleure information dans la population locale. » (Mme Zaminou Ahamadi, conseillère départementale de Mayotte). S'agissant du volcan, « le problème, c'est le manque d'information des Mahorais, notamment des élus de la collectivité. C'est devenu une affaire de scientifiques, qui communiquent parfois à travers les médias. S'agissant d'une telle menace, les élus devraient être plus étroitement associés » (M. Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte).

- « C'est l'État qui dispose de l'ensemble de l'information et qui la monopolise (...). Il reste que l'information est tellement technique qu'elle nécessite d'être interprétée si l'on veut que les populations la comprennent vraiment. » (Mme Sandrine Ugatai, conseillère de l'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna).

- « Nous souhaitons qu'un rapport synthétique sur l'intérêt qu'il y aurait à explorer et à exploiter ces minéraux [...] soit présenté à nos institutions respectives » (M. Gaston Tong Sang, président de l'Assemblée de la Polynésie française).

- La Nouvelle-Calédonie a été associée à un inventaire des ressources marines des grands fonds principalement entre 1991 et 2014 au travers du programme Zoneco. Les connaissances demeurent toutefois insuffisantes : « Seule 30 % de la bathymétrie de la ZEE de la Nouvelle-Calédonie est connue. Pour ne prendre que cet exemple, seuls deux nodules polymétalliques y ont été analysés à ce jour » (M. Joseph Manauté, membre du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie). Dans sa contribution écrite, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie précise par ailleurs que 104 échantillons d'encroûtements ferro-manganésifères ont été étudiés entre 2019 et 2022 (soit seulement un échantillon pour 15 000 km 2 ). Un moratoire est souhaité pour avoir le temps de faire la synthèse des connaissances existantes et d'identifier les champs de connaissance qui doivent être approfondis.

- « Il faut faire avancer l'acquisition de la connaissance ainsi que la cartographie bathymétrique pour le contexte géologique et biologique [...]. Soyons ambitieux et proposons à la Nation que nos bassins océaniques respectifs - wallisiens, futuniens, calédoniens et polynésiens - deviennent les premiers bassins de recherche pour la maîtrise de la connaissance océanique, tant au niveau national qu'au niveau européen. Il faut aussi attirer le privé dans notre stratégie » (M. Tearii Alpha, ministre de l'agriculture et du foncier du gouvernement de la Polynésie française).

La connaissance de leurs grands fonds marins constitue un levier essentiel pour les territoires ultramarins, d'un point de vue géopolitique, économique mais aussi social et éducatif :

- La dimension géopolitique est importante : « Si nous avions une meilleure connaissance de nos grands fonds marins et de leurs richesses durables possiblement exploitables, nous disposerions ainsi de leviers géopolitiques pour négocier avec le Canada sur les enjeux de développement économique » (M. Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre et Miquelon). Dans l'océan Indien, « les deux plus gros compétiteurs auxquels nous sommes confrontés sont la Chine et la Russie. La Chine a énormément investi en Afrique en finançant des infrastructures, en contrepartie d'un accès privilégié aux ressources minières, alimentaires et forestières de ces pays [...]. Madagascar, qui dispose d'importantes ressources minières, a signé en janvier un accord de coopération militaire avec la Russie. Il est vraiment fondamental de prendre en considération la protection de notre ZEE face à ces prédateurs » (M. Idriss Ingar, référent climat-énergie au conseil départemental de la Réunion). Dans le Pacifique, « sur l'exemple des îles Cook, la Polynésie française, Wallis et Futuna et la Nouvelle-Calédonie ne pourraient-ils pas être les porte-parole d'une politique française commune avec nos voisins du Pacifique ? À défaut, c'est la Chine, l'Inde ou l'Australie qui prendra les devants » (M. Heremoana Maamaatuaiahutapu, ministre de la culture et de l'environnement de la Polynésie française). Par ailleurs, la question de la sécurité des câbles sous-marins est également un sujet de préoccupation notamment pour les collectivités qui ne sont reliées aux communications du reste du monde que par un seul et unique câble (Saint-Pierre et Miquelon, la Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna).

- La dimension économique, c'est-à-dire la nécessité de trouver des leviers de développement endogènes pour les territoires a également été évoquée à plusieurs reprises : bénéficier d'un retour économique pour les territoires nécessite de « favoriser une participation des acteurs économiques locaux au capital des structures concernées » par d'éventuels projets dans les grands fonds, (M. Ferdy Louisy, président de la commission eau du conseil départemental de Guadeloupe). À ce titre, un renforcement des implantations de l'Ifremer outre-mer est généralement souhaité. L'implantation récente de filiales de sociétés de services spécialisées , telles qu'Abyssa, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, pourrait permettre de poursuivre l'inventaire du patrimoine sous-marin en s'appuyant sur un écosystème de compétences locales étoffées. Les acteurs économiques doivent toutefois prendre leur essor grâce à des commandes publiques permettant de consolider leur modèle économique .

- Il s'agit également de renforcer les compétences locales , grâce à la présence de structures de formation adaptées : « il n'y a pas ici d'université des grands fonds marins. Je ne trouverais pas aberrant d'avoir une dizaine de spécialistes sur les fonds marins chez nous : cela créerait en outre des perspectives pour nos jeunes » (M. Frédéric Blanchard, directeur biodiversité au sein de la collectivité territoriale de Guyane). « Je suis pour une université des fonds marins » (M. Ferdy Louisy). « Nous devons créer des chaires internationales dans les universités et demander à ce que nos bassins deviennent des bassins d'application et de référence de l'innovation pour le compte de la France et de l'Union européenne » (M. Tearii Alpha, ministre de l'agriculture et du foncier du gouvernement de la Polynésie française)

Les craintes sont toutefois très vives quant à l'effet délétère des activités humaines sur cet environnement dans des contextes ou nature et culture sont profondément reliées :

- L'inquiétude porte sur la préservation de l'environnement et des activités économiques qui lui sont associées : pêche, tourisme, énergie, ou encore économie de la connaissance liée à la biodiversité. Préserver cet environnement est considéré comme d'autant plus fondamental qu'il est déjà fragilisé par le changement climatique. « Avant d'examiner toute la matière inerte, nous souhaitons développer et valoriser la connaissance du vivant. De ce vivant sous-marin, de l'endémisme qui existe en Polynésie française, comme en Nouvelle-Calédonie et à Wallis et Futuna, découleront certainement des innovations pharmacologiques, des solutions pour préserver notre sécurité alimentaire » (M. Tearii Alpha).

- Plus fondamentalement, la dimension culturelle de cet environnement est soulignée, notamment dans les collectivités du Pacifique : « Nous avons tous un même lien extrêmement particulier à la terre et à la mer, peut-être parce que nous sommes de petits archipels au milieu d'un immense océan » ; « Il est souvent question de spiritualité quand on aborde ces sujets » (M. Joseph Manaute, membre du gouvernement de Nouvelle-Calédonie).

c) Des collectivités à impliquer dans la mise en oeuvre de la stratégie

Le comité ministériel de pilotage de l'objectif ministériel « grands fonds marins » de France 2030 est constitué de représentants des ministères, d'organismes spécialisés (Ifremer, Shom) et de personnalités qualifiées des mondes industriels, scientifiques et maritimes. Dans le prolongement des constats du rapport de Jean-Louis Levet, afin d'éviter le phénomène de « vase clos » et d'ouvrir d'emblée le débat à la société, il serait utile d'élargir ce conseil en nommant, au sein de ce comité de pilotage, deux parlementaires représentant les outre-mer (un député et un sénateur).

Selon la même logique, la mise en oeuvre de la Stratégie nationale et du plan France 2030 doit être parfaitement transparente vis-à-vis des élus et populations de l'outre-mer . Il s'agit moins de « faire de la pédagogie » ou de « vulgariser » les connaissances que d'associer réellement toutes les parties prenantes aux processus de décision, à la mise en oeuvre et à la diffusion des résultats. C'est l'une des missions assignées au délégué interministériel en charge des grands fonds marins ( cf recommandation n°1).

Enfin, il serait légitime de renforcer les moyens de l'Ifremer et de l'Office français de la biodiversité (OFB) dans les territoires d'outre-mer , afin de leur permettre de synthétiser et diffuser les connaissances existantes et de mener des recherches nouvelles sur les grands fonds marins, en lien avec les acteurs locaux et à leur demande sur les sujets relevant de leurs compétences.

L'OFB pourrait ainsi, par exemple, réaliser outre-mer des actions telles que celle menée actuellement dans les grands fonds marins corses, dans le cadre d'une mission d'exploration de monts sous-marins grâce à un AUV de la société Abyssa.

Les moyens de l'Ifremer et de l'OFB outre-mer

Pour mémoire, les laboratoires ultramarins de l'Ifremer sont aujourd'hui présents : dans l'océan Pacifique en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie ; dans l'océan Indien à l'Ile de La Réunion ; dans l'océan Atlantique, en Martinique, en Guyane et à Saint-Pierre et Miquelon. Ces laboratoires hébergent une centaine de salariés de l'Ifremer dont environ cinquante de façon permanente. Ils accueillent également des chercheurs, ingénieurs et techniciens d'autres laboratoires pour des missions temporaires. L'Ifremer dispose d'équipements particulièrement remarquables tels que des plateformes aquacoles (Martinique, Polynésie française et Nouvelle Calédonie) et des systèmes d'observation et de surveillance du milieu côtier et des lagons (Martinique, La Réunion).

Plusieurs de ces laboratoires s'inscrivent dans des dispositifs mixtes avec d'autres organismes de recherche (CNRS ou IRD), avec des universités ou encore avec des acteurs socioéconomiques locaux.

Pour chacune des implantations de l'Ifremer, prise séparément, les effectifs permanents sont toutefois assez réduits, comme le montre le tableau ci-dessous. Les laboratoires outre-mer sont rattachés au département « Ressources Biologiques et Environnement » de l'Ifremer. Le département « Ressources physiques et Écosystèmes de fond de Mer », compétent sur les sujets relatifs aux grands fonds, intervient quant à lui depuis la métropole .

Effectifs de l'Ifremer au 31 mars 2019

Source : Ifremer

L'Office français de la biodiversité est lui aussi implanté dans la plupart des territoires ultramarins.

Source : OFB

Le renforcement des moyens de l'Ifremer et de l'OFB doit permettre de de développer les dynamiques et écosystèmes locaux de recherche dans le domaine des grands fonds marins.

Recommandations

10) Nommer un député et un sénateur représentant les outre-mer au sein du comité de pilotage de la Stratégie, précédemment mentionné, et associer les délégations parlementaires aux outre-mer ainsi que les exécutifs ultramarins à chaque étape de mise en oeuvre de la Stratégie et notamment aux décisions concernant la localisation et le déroulement des missions d'exploration ainsi qu'à la diffusion de leurs résultats (notamment : planeur sous-marin, AUV et ROV à 6000 m, issus du CIMER 2022, et démonstrateur).

11) Renforcer les moyens humains et financiers de l'Ifremer et de l'Office français de la biodiversité notamment dans leurs implantations outre-mer, pour synthétiser les connaissances acquises, assurer leur diffusion auprès des élus et des populations et mener de nouvelles recherches sur les grands fonds marins dans le cadre de partenariats avec les acteurs locaux. Mettre également l'accent sur le renouvellement et la modernisation de la Flotte océanique française.


* 27 D'après : Pierre-Yves Le Meur et Valelia Muni Toke, « Une frontière virtuelle : l'exploitation des ressources minérales profondes dans le Pacifique », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Hors-série 33, mars 2021, mis en ligne le 25 mars 2021, consulté le 23 mai 2022. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/29723 ; DOI :

https://doi.org/10.4000/vertigo.29723

* 28 Auditions des 2, 3 et 4 mai 2022, vidéo et compte-rendu disponibles sur le site internet du Sénat : http://www.senat.fr/commission/missions/2021_fonds_marins.html

* 29 Cette coopération entre l'Ifremer et l'opérateur japonais JAMSTEC (Japan agency for marine-earth science and technlogy) s'inscrit dans cadre du projet n°6 de la stratégie nationale publiée le 5 mai 2021.

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