LES RECOMMANDATIONS
La mission d'information estime prématuré de se prononcer sur la prospection et l'exploitation des ressources minières des fonds marins, en l'absence de connaissances scientifiques suffisantes sur les grands fonds et leurs écosystèmes. Ce constat ne doit toutefois pas conduire à l'immobilisme , bien au contraire. La recherche sur les grands fonds marins doit être relancée, dans le cadre d'une Stratégie nationale, fusionnant et renforçant les dispositifs déjà existants ou annoncés . Cette Stratégie doit être assortie d'un calendrier et de mécanismes de suivi . Elle doit associer le Parlement et toutes les parties prenantes, notamment les outre-mer qui sont concernés au premier chef : c'est à une révolution copernicienne qu'il faut procéder.
Après plusieurs « faux départs », il n'y a plus de temps à perdre. Grâce à ses outre-mer, la France est présente dans tous les océans. Sa superficie maritime (ZEE) est égale à dix-sept fois sa superficie terrestre , ce qui est singulier et souvent méconnu. Or, aucune puissance maritime ne saurait aujourd'hui négliger la question des grands fonds marins. Si la France continue à temporiser, d'autres puissances n'hésiteront pas, quant à elles, à creuser l'écart sur le plan technologique et à s'approprier le sujet de façon difficilement contrôlable.
Les recommandations de la mission d'information sont les suivantes :
1) Nommer un délégué interministériel aux fonds marins, personnalité publique bénéficiant d'une expertise reconnue , placée auprès du Premier ministre et chargée de l'animation de la politique des fonds marins, de la coordination de l'action des différents ministères et acteurs scientifiques, de l'animation du réseau des outre-mer par bassin océanique, de la sensibilisation du grand public aux différents enjeux et de la bonne application de la Stratégie nationale pour les grands fonds marins.
2) Placer le « comité de pilotage » de l'objectif « grands fonds marins » de France 2030 sous la coordination du délégué interministériel et élargir ses compétences à l'ensemble de la Stratégie nationale, issue à la fois de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins du 5 mai 2021 et de l'objectif 10 du plan d'investissement France 2030.
3) Reconstituer un ministère de la mer de plein exercice chargé de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la politique maritime française, incluant les grands fonds marins, et renforcer la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture en la dotant d'un service administratif de référence en charge de la politique des fonds marins , clairement identifié et suffisamment doté en ressources humaines.
4) Relancer la mise en oeuvre de la stratégie publiée le 5 mai 2021, sous l'impulsion du délégué interministériel, dans le cadre de partenariats avec les collectivités compétentes sur les ressources minières conformément à leurs lois statutaires, à l'initiative de ces collectivités, et en déterminant un calendrier de réalisation des 8 projets identifiés, comportant des rapports d'étape réguliers.
5) Clarifier, préciser et sanctuariser les modalités de financement de la Stratégie nationale pour les grands fonds marins afin d'atteindre le montant total annoncé de 600 millions d'euros (hors défense).
6) Concrétiser en cinq ans le projet de démonstrateur afin d'évaluer l'impact environnemental, le cadre et la faisabilité d'une exploitation minière durable des grands fonds marins, par exemple sur les nodules polymétalliques de la zone de Clarion-Clipperton. Si les premiers résultats sont concluants, élargir les tests à la ZEE de collectivités d'outre-mer qui y seraient favorables afin de rééquilibrer les investissements déjà importants vers la Zone internationale.
7) À l'issue de ces tests, réunir l'ensemble des parties prenantes (chercheurs, élus, ONG, entreprises...) pour examiner l'opportunité de poursuivre ou non l'objectif d'une exploration en vue d'une exploitation industrielle et en déterminer le cas échéant les conditions techniques, le cadre juridique ainsi que les différentes étapes : à l'issue de chacune de ces étapes, un bilan permettra de décider de poursuivre, ou au contraire de renoncer au processus en fonction des risques identifiés.
8) Combler le vide juridique partiel entourant l'exploration et l'exploitation éventuelle des grands fonds marins en :
ü distinguant davantage le cadre juridique relatif aux hydrocarbures et celui des substances minérales ;
ü adoptant des normes environnementales propres aux grands fonds marins qui permettraient de définir un régime de responsabilité en cas d'anomalies ou de manquements ;
ü prévoyant la réalisation d'études d'impact préalablement à tout projet d'extraction ;
ü aménageant un cadre normatif et financier attractif distinct de l'exploration et la prospection pétrolières (et inexistant à cette date) pour inciter les acteurs privés à participer aux efforts d'exploration de nos grands fonds marins.
9) Conditionner toute ouverture éventuelle de l'exploitation minière des grands fonds marins à une réécriture par voie législative (et non par ordonnances) du chapitre III du titre II du livre I er du code minier, relatif à l'exploitation en mer , pour en clarifier les modalités techniques, financières et fiscales et les retombées pour les populations locales, à l'issue d'un débat parlementaire transparent ayant préalablement associé les collectivités d'outre-mer.
10) Nommer un député et un sénateur représentant les outre-mer au sein du comité de pilotage de la Stratégie, précédemment mentionné, et associer les délégations parlementaires aux outre-mer ainsi que les exécutifs ultramarins à chaque étape de mise en oeuvre de la Stratégie et notamment aux décisions concernant la localisation et le déroulement des missions d'exploration ainsi qu'à la diffusion de leurs résultats (notamment : planeur sous-marin, AUV et ROV à 6000 m, issus du CIMER 2022, et démonstrateur).
11) Renforcer les moyens humains et financiers de l'Ifremer et de l'Office français de la biodiversité notamment dans leurs implantations outre-mer , pour synthétiser les connaissances acquises, assurer leur diffusion auprès des élus et des populations et mener de nouvelles recherches sur les grands fonds marins dans le cadre de partenariats avec les acteurs locaux. Mettre également l'accent sur le renouvellement et la modernisation de la Flotte océanique française.
12) En association avec les laboratoires pharmaceutiques volontaires, consacrer une partie des crédits du plan d'investissement France 2030 dédiés aux grands fonds marins à l'étude des potentialités biologiques des organismes des grands fonds marins et des adaptations médicales qui pourraient en résulter.
13) Associer davantage l'Office français de la biodiversité à l'acquisition des connaissances scientifiques sur la vie marine profonde ainsi qu'à la gouvernance des grands fonds marins français en faisant de l'OFB un pôle d'expertise de référence sur la biodiversité des grands fonds marins, chargé de conseiller les pouvoirs publics en vue de la protection de la biodiversité ainsi référencée.
14) Conditionner toute ouverture de l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins à une étude d'impact préalable et à la mise en place d'un corps d'inspection , chargé de vérifier le respect par les exploitants des normes environnementales qui encadreront cette éventuelle exploitation. Moyennant un réagencement des missions et des ressources de l'OFB, cette mission pourrait être confiée aux inspecteurs de l'environnement de ce dernier, lesquels seraient formés aux problématiques propres à la vie marine profonde et aux conséquences de l'activité humaine sur ces écosystèmes.
15) Créer un conseil scientifique réunissant des représentants de l'ensemble des disciplines scientifiques concernées par la compréhension des grands fonds marins (océanographes, géologues, biologistes, ingénieurs des mines, économistes, etc.) afin de favoriser le dialogue entre les différentes disciplines et d'éclairer les politiques publiques notamment sur le besoin en minerais d'origine marine pour la transition énergétique , compte tenu des ressources alternatives potentielles. Le secrétariat de ce conseil scientifique pourrait être assuré par le service administratif de référence dont il est proposé la création au sein du ministère de la mer.
16) Créer un pôle d'excellence « fonds marins » , sur le modèle du pôle d'excellence cyber, associant acteurs civils et militaires, publics et privés, académiques et industriels, afin de favoriser les synergies, de structurer une filière industrielle qui ne pourra se développer que grâce à la commande publique, et de renforcer l'offre de formation en lien avec les universités, les grandes écoles et les territoires, en particulier outre-mer. Créer des classes « enjeux maritimes » dans l'enseignement secondaire.
17) Accompagner la mue de l'AIFM pour que celle-ci dispose des moyens humains et matériels nécessaires au développement d'une véritable expertise scientifique et à la réalisation de contrôles efficients sur les sites d'exploration et, éventuellement, d'exploitation.
18) Associer le Parlement à la définition de la position française relative à l'exploitation minière des fonds marins internationaux. Élargir le débat sur les positions françaises à l'AIFM à la communauté scientifique et aux ONG.
19) En matière de défense, inscrire dans la prochaine loi de programmation militaire la feuille de route suivante :
ü Acquisition d'une première capacité exploratoire avant 2025 constituée d'un AUV 6000m et d'un ROV 6000m ainsi que d'un AUV 3000m et un ROV 3000m ;
ü Acquisition d'ici à 2028 d'un complément constitué d'un AUV 6000m, d'un ROV 6000m, d'un AUV 3000m et d'un ROV 3000m ;
ü Première projection outre-mer d'une telle capacité d'ici à 2025 et possibilité d'un troisième incrément capacitaire en fonction des retours d'expérience ;
ü Remplacement d'ici à 2030 des frégates de surveillance par des navires ayant nativement la capacité de mettre en oeuvre des AUV/ROV profonds dans le cadre du programme European patrol corvette ;
ü Optimisation des retombées économiques pour les territoires où ces capacités seront stationnées , grâce à un soutien décentralisé outre-mer.
ü Mise à contribution et montée en puissance de la base industrielle et technologique française afin de ne pas rater le tournant des drones sous-marins comme la France a manqué, il y a quelques années, le tournant des drones militaires aériens.
20) Accentuer l'effort de l'Agence française de développement en faveur de projets portant sur les grands fonds marins , qui sont au coeur de problématiques économiques, environnementales et culturelles à l'intersection de plusieurs préoccupations de l'Agence (biodiversité, changement climatique, transition énergétique...).