AVANT-PROPOS

Depuis plus de cinquante ans, le Sénat s'attache à vérifier que les mesures d'application appelées par les lois votées par le Parlement sont bel et bien prises, et dans un délai raisonnable. Décrets et arrêtés, textes peu connus de nos concitoyens, sont en effet indispensables à la bonne mise en oeuvre de la loi et au respect de la volonté du législateur. Cette mission, que le Parlement tient directement de l'article 24 de notre Constitution, demeure pour le Sénat un devoir essentiel au sein d'une démocratie moderne.

Comme pour les précédents bilans annuels, celui-ci a été établi en lien direct avec les commissions permanentes. Leur rôle de suivi de l'application des lois et leur contribution au présent bilan, réaffirmé par le Règlement du Sénat, s'accompagne, aux termes de celui-ci, d'une mission de suivi confiée à ceux de leurs membres rapporteurs d'un texte législatif. Sur le fondement du nouvel article 19 bis B du Règlement du Sénat, plusieurs ont ainsi procédé au suivi de l'application de lois dont ils avaient été rapporteurs , contribuant ainsi pour la deuxième année à l'enrichissement de ce bilan annuel.

Depuis six années maintenant, ce bilan intègre le suivi des positions européennes effectué par la commission des affaires européennes. Globalement positif, il doit, selon notre collègue Jean-François Rapin, inciter « le Sénat à conforter sa stratégie d'influence européenne par tous moyens ». Ce suivi s'avère essentiel pour l'identification des éventuelles surtranspositions contenues dans les projets de loi examinés par le Parlement.

Cette année encore, l'écoute et la réactivité des services de la Secrétaire générale du Gouvernement (SGG) ont permis aux commissions d'obtenir de premières réponses à leurs interrogations, notamment sur les mesures non prises par le Gouvernement, ou encore prises avec un degré élevé de liberté par rapport à la volonté initiale du législateur.

En revanche, et conformément aux conclusions de la mission de réflexion sur le contrôle parlementaire approuvées en Conférence des présidents le 1 er décembre 2021, l'audition préparatoire du SGG et le débat en séance publique sont remplacés à partir de 2022 par une unique audition publique du ministre chargé des relations avec le Parlement, à laquelle pourra être associé le SGG. Cette audition concentrée, désormais ouverte à l'ensemble des sénateurs et à la presse permettra de souligner encore davantage l'importance que revêt la bonne application de la loi tant pour le Sénat que pour nos concitoyens.

Le taux global d'application des lois mesuré par le Sénat cette année est de 57 %, en retrait par rapport au taux enregistré lors d'une session 2019-2020 marquée par la crise sanitaire, et davantage encore par rapport au taux de la session 2018-2019 . Si l'on exclut les mesures dont le législateur a prévu une entrée en vigueur différée, ce taux s'établit à 63 %. En revanche, le délai moyen de prise des textes d'application s'améliore, passant de sept mois et un jour à six mois et neuf jours . Il demeure toutefois supérieur à la limite de six mois que s'est fixée le Gouvernement depuis plusieurs années.

Cette nouvelle dégradation du taux d'application, et alors que le pire de la crise sanitaire semble dernière nous, interroge. En partie due à un rattrapage bien réel du retard dans la prise des mesures nécessaires à l'application des lois votées lors de la session 2019-2020 elle s'explique principalement par le taux d'application exceptionnellement faible - 10 % - qu'affiche la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . En effet, la plupart des mesures réglementaires appelées par la loi dite « Climat et Résilience » n'ont pas été prises au 31 mars 2022. Il convient cependant de souligner que le Gouvernement a conscience de ce retard, et qu'un rattrapage important, amorcé en mai, est en cours. De même, on peut s'étonner d'un niveau d'application particulièrement modeste de la loi dite « bioéthique ».

Comme chaque année, la remise des rapports demandés au Gouvernement est insuffisante . Après un taux de remise de 28 % pour 2019-2020, le taux de la présente session s'établit à 21 %. Ce taux est même quasi-nul pour les périmètres de certaines commissions, à l'instar de la commission des affaires sociales (6 %). Même si ces taux ne sont pas acceptables, cette faiblesse conforte le Sénat dans sa politique de « chasse au rapport ». Sur les 127 demandes de rapport recensées par le Sénat sur la période considérée, seules 19 provenaient d'un amendement d'origine sénatoriale.

Enfin, l'analyse des 792 mesures appelées en application des textes votés s'est avérée riche d'enseignements. Il apparaît que le Sénat, soucieux de ne pas alimenter une inflation législative déjà chronique, est pourvoyeur raisonné de nouvelles mesures réglementaires d'application par voie d'amendement par rapport au Gouvernement ou à l'Assemblée nationale. Mais alors que le taux global de prise de textes d'application s'établit à 57 %, il chute à 33 % pour les mesures issues d'un amendement sénatorial. De même, il s'établit à 32 % pour les mesures issues d'une introduction en commission mixte paritaire, lieu par excellence de compromis et de décisions politiques entre les deux chambres. De tels chiffres interrogent quant au respect effectif de la volonté du législateur, lorsque celui-ci siège au Palais du Luxembourg.

Ce constat, et l'analyse de sa nécessaire évolution, sera sans nul doute l'un des enjeux du bilan au 31 mars 2023.

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