C. UNE ASYMÉTRIE DANS LA GESTION DU TEMPS QUI SEMBLE S'AGGRAVER SESSION APRÈS SESSION
1. Le paradoxe d'une procédure accélérée devenue la norme et de délais de prise de textes toujours insatisfaisants
Le délai moyen de prise des mesures réglementaires d'application est, pour la deuxième fois depuis 2014, et pour la deuxième année consécutive, supérieur à la limite de six mois que s'était fixée le Gouvernement dans la circulaire du Premier ministre du 29 février 2008 . Malgré une amélioration par rapport au précédent bilan, le délai moyen de prise de textes - lorsque ceux-ci sont pris-, s'établit à six mois et neuf jours . Il était de sept mois et un jour pour la session 2019-2020, et de cinq mois et 12 jours pour la session 2018-2019.
Par ailleurs, la commission des finances note dans sa contribution au présent bilan que le délai de prise des textes réglementaires est plus élevé quand ces derniers sont des arrêtés, ce qui plaide encore une fois pour un meilleur suivi de ces derniers par le SGG.
Concernant les lois examinées après engagement de la procédure accélérée, le délai moyen de parution des mesures réglementaires est de six mois et sept jours tandis que leur taux d'application s'établit à seulement 52 % et chute même à 35 % pour les arrêtés. Il est particulièrement étonnant de constater de tels délais et une telle faiblesse des taux d'application alors même que l'engagement de la procédure accélérée pourrait porter à croire que l'entrée en pleine application de la loi discutée est considérée par le Gouvernement comme urgente, et justifiant un examen par la représentation nationale dans des conditions dégradées.
A contrario , le délai moyen de prise de texte pour les lois adoptées selon la procédure normale, c'est-à-dire sans engager un examen accéléré, est de quatre mois et 23 jours . Le taux d'application de ces lois est quant à lui faible - 40 % - en raison de la loi « bioéthique », fort mal appliquée.
Le Sénat s'interroge donc sur le bien-fondé du recours quasi-systématique à la procédure accélérée. Cette dernière, de même que le recours aux ordonnances, a été pensée par le constituant comme l'exception au principe de la double lecture, parfois appelée par les circonstances, mais en aucun cas comme modalité normale de discussion et d'adoption de la loi. Pour la session 2020-2021, ce ne sont pas moins de 37 lois, soit 73 % de l'ensemble des lois, qui ont été examinées suivant les contraintes de la procédure accélérée . En incluant les lois pour laquelle cette procédure est de droit, ce chiffre se monte à 41 lois sur 51, soit 80 % de l'ensemble. Ces chiffres surpassent ceux de l'année précédente, pour lesquels le Gouvernement disposait de la justification de l'urgence que représentait la pandémie. À ce titre, M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, soulignant que près de 92 % des lois relevant du périmètre de sa commission ont été adoptées après engagement de la procédure accélérée - record sur dix ans -, conclut que « l'exception devient la règle » 33 ( * ) .
L'exception devient en effet la règle alors même que les taux d'application ainsi que les délais de publication des textes prouvent que l'urgence à légiférer n'était finalement que très relative. Rappelons pour conclure que sur les 37 lois adoptées après engagement de la procédure accélérée lors de la session 2020-2021, 35 % sont encore partiellement mises en application - avec les taux que l'on connait -, et une demeure non appliquée.
Ce paradoxe déjà souligné l'an dernier par le Sénat pèse sur la qualité du travail législatif et la sérénité des débats. L'année dernière, la Secrétaire générale du Gouvernement, lors de son audition, avait bien volontiers admis une « dégradation » et un « besoin de revenir à une forme de droit commun [et] à la vie normale [en matière de] production normative ». Force est de constater que la situation s'est entre-temps aggravée.
Ce constat peut également s'appliquer à l'utilisation abusive de la législation par ordonnance, conçue là encore comme l'exception à la discussion parlementaire, et non la règle. Les délais parfois marqués de prise d'ordonnance souligne la relativité de l'urgence initiale, tout comme les habilitations non utilisées. À ce titre, pour la session 2020-2021, sur les 10 habilitations à légiférer par voie d'ordonnances identifiées par la commission des lois dans son périmètre, seulement 6 ont été effectivement utilisées.
* 33 Compte rendu de la réunion de la commission des lois du mardi 10 mai 2022.