N° 627

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 mai 2022

RAPPORT D' INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sur la reconnaissance faciale et ses risques au regard de la protection des libertés individuelles ,

Par MM. Marc-Philippe DAUBRESSE, Arnaud de BELENET et Jérôme DURAIN,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

AVANT-PROPOS

Les technologies de reconnaissance biométrique ont été popularisées dans l'imaginaire collectif par de nombreuses fictions. Ainsi, tant George Orwell dans son roman 1984 publié en 1949, que Steven Spielberg dans son film Minority Report sorti en 2002, ont souligné les risques des nouvelles technologies dans l'établissement d'une société de surveillance.

Le débat est désormais particulièrement polarisé entre les tenants d'un moratoire sur les technologies biométriques et ceux qui, à l'inverse, mettent en exergue leurs bénéfices opérationnels tant pour favoriser la sécurité des personnes et des biens que pour apporter un plus grand confort en facilitant un certain nombre d'actes de la vie quotidienne.

Parmi les technologies de reconnaissance biométriques, la reconnaissance faciale concentre l'attention. Le visage, qui conditionne selon Emmanuel Levinas « l'expérience d'autrui », nous appartient en effet en propre tout en étant offert à tous. Le déploiement de la reconnaissance faciale s'effectue cependant sans encadrement juridique spécifique, ni réflexion éthique collective.

Les possibilités d'usage de la reconnaissance faciale sont déterminées, aujourd'hui, par la règlementation relative à la protection des données personnelles. Les usages de cette technologie sont à ce jour limités, car lorsqu'ils ne se basent pas sur le consentement des personnes, ils nécessitent l'adoption d'une disposition législative ou règlementaire particulière. Deux usages développés par les forces de sécurité intérieure peuvent par exemple être cités : le dispositif PARAFE, qui permet des passages frontaliers sur la base d'une authentification biométrique, ou l'introduction d'un module de reconnaissance faciale d'aide à la décision sur le fichier du traitement des antécédents judiciaires (TAJ). Plusieurs expérimentations de la reconnaissance faciale dans les espaces accessibles au public ont par ailleurs été conduites par des acteurs privés sur la base du consentement des personnes, mais aucune d'entre elles n'a été pérennisée. Toutefois, malgré ces emplois marginaux dans l'espace public, la reconnaissance faciale se banalise avec une multiplication d'usages individuels dans la vie quotidienne, comme le déverrouillage de téléphones ou l'ouverture de comptes bancaires.

Il est donc impératif de construire une réponse collective sur l'utilisation de ces technologies, afin de ne pas être, dans les années à venir, dépassés par les développements industriels. C'est la raison pour laquelle la commission des lois du Sénat a créée en son sein une mission d'information sur la reconnaissance faciale, ses risques en matière de surveillance et de libertés publiques, en en désignant rapporteurs Marc-Philippe Daubresse, Arnaud de Belenet et Jérôme Durain.

Après avoir près de 120 personnes et réalisé 4 déplacements, la mission en est arrivée à la conclusion que, compte tenu du changement d'échelle impliqué par ces technologies dans la capacité d'exploitation des images captées dans des espaces accessibles au public, il était impératif qu'un encadrement des technologies biométriques soit réalisé au niveau législatif. Elle a également conclu qu'il fallait, de manière très claire, rejeter le modèle d'une société de surveillance en établissant d'abord des lignes rouges, compte tenu de la multiplicité des cas d'usage de la reconnaissance faciale, potentiellement illimités. Ce n'est qu'une fois ces lignes posées qu'un raisonnement cas d'usage par cas d'usage doit s'imposer, car tous les usages permis par la technologie de reconnaissance faciale ne soulèvent pas les mêmes risques au regard des libertés.

La mission d'information s'est en conséquence prononcée en faveur d'une démarche d'expérimentations permettant :

- en premier lieu, de définir au cas par cas les utilisations des technologies de reconnaissance faciale, et plus généralement biométrique, dans les espaces publics pouvant être acceptables au regard notamment du bénéfice obtenu et des principes de nécessité et de proportionnalité ;

- en second lieu, d'établir un régime de redevabilité et de contrôle adapté, afin notamment d'assurer une information effective des personnes concernées. À défaut, le risque est celui d'une banalisation des technologies biométriques au détriment de l'élaboration d'une réponse collective à leur usage. Leur complexité ainsi que leur constante évolution rendent en effet délicate l'appréhension théorique de ces technologies par les citoyens. Il est donc impératif d'instruire le débat avec le résultat des expériences réalisées au cours des expérimentations.

Parallèlement, il importe d'assurer notre souveraineté technologique afin de renforcer la maîtrise des données de nos concitoyens. Il n'est pas acceptable que l'encadrement de la recherche et développement au niveau français et européen obère l'élaboration de solutions techniques souveraines et conduise les acteurs publics et privés à privilégier des solutions développées à l'étranger, avec des niveaux de contraintes bien moindre. La France et l'Union européenne ont un rôle à jouer dans l'encouragement de technologies de qualité développées de façon éthique.

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