B. INCITER LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES À INSTAURER DES GUICHETS UNIQUES À DESTINATION DES PROFESSIONS MÉDICALES
Après des décennies d'aides à l'installation et de marketing territorial, les élus locaux éprouvent une forme de lassitude devant les difficultés à attirer et à retenir les professions de santé . L'accès aux soins n'est pourtant pas une compétence obligatoire du bloc communal, mais la plupart des communes et intercommunalités s'engagent en faveur de l'offre de soins de proximité, avec par exemple la création de maisons de santé ou de centres de santé. Il existe une vraie volonté de la part des collectivités territoriales de prendre toute leur place dans l'offre territoriale de soins, ainsi que l'ont illustré les échanges du rapporteur avec les associations d'élus locaux.
Les aides à l'installation des collectivités territoriales
En vertu de l'article L. 1511-8 du code général des collectivités territoriales (CGCT), les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent attribuer des aides destinées à favoriser l'installation ou le maintien de professionnels de santé dans les zones sous-denses .
En contrepartie de la prise en charge de frais d'investissement et de fonctionnement, de la mise à disposition d'un logement ou de locaux ou encore du versement d'une prime d'installation, une convention entre la collectivité et le praticien prévoit un engagement effectif d'exercice d'une durée minimale de trois ans sur zone ainsi que les conditions de restitution des aides en cas de non-respect de ces obligations (article R. 1511-45 du CGCT). Rien n'interdit aux collectivités de prévoir d'autres engagements. Par ailleurs, en dehors des zones sous-denses, les collectivités peuvent aussi attribuer des aides visant à financer des structures participant à la permanence des soins, notamment des maisons médicales.
Face à cette situation, plusieurs collectivités territoriales ont fait le choix d'innover. Le Loir-et-Cher a ainsi lancé Païs, une plateforme alternative d'innovation en santé qui se veut « une plateforme d'orientation et de régulation médico-sociale » tandis que le Loiret a été le premier département à proposer une complémentaire santé collective à tous ses habitants.
Les initiatives et les bonnes pratiques des collectivités territoriales en matière de lutte contre les déserts médicaux trouvent leurs limites dans les compétences restreintes des collectivités territoriales en matière de santé, mais leur utilité ne fait pas de doute.
Les efforts humains et financiers des communes n'ont cependant pas fait l'objet d'une évaluation globale , si bien que chaque maire expérimente des solutions en fonction des besoins de son territoire, sans savoir s'il actionne les bons leviers et si l'argent public qu'il mobilise à cette fin est bien dépensé. La revue de littérature internationale de la Drees mentionnée plus haut semble indiquer que « les incitations financières, largement mises en oeuvre, ont plutôt des résultats décevants » . L'expérience commune d'un certain nombre de pays ou provinces qui ont initié des politiques reposant sur des incitations financières est que celles-ci n'ont pas eu les effets escomptés.
La mission d'information déplore l'absence d'évaluation précise et insiste sur la nécessité d'études pour pouvoir en apprécier les effets, dans une logique d'efficience de la dépense publique. Elles permettront notamment aux collectivités territoriales de ne pas gaspiller leurs ressources financières et de comprendre les mécanismes permettant l'appariement harmonieux du triptyque patients-élus-professionnels de santé, au meilleur coût possible et en évitant la surenchère entre les territoires. Une fois l'étude publiée, dans une démarche de diffusion et de promotion de bonnes pratiques, un guide recensant les leviers opérationnels dont disposent les collectivités territoriales pour accroître leur attractivité médicale pourrait faire l'objet d'une publication, en partenariat avec le ministère de la santé, les conseils de l'ordre, les syndicats professionnels et les associations d'élus locaux.
Proposition 14 : Évaluer les dispositifs incitatifs à l'installation des professionnels de santé, en particulier les médecins, pour en finir avec les aides inopérantes, en affectant, le cas échéant, les crédits ainsi libérés à l'augmentation des aides les plus efficaces ou à d'autres leviers d'amélioration de la démographie médicale.
Après avoir échangé avec les syndicats étudiants de médecins et d'autres professions médicales et paramédicales, le rapporteur s'est forgé la conviction qu'on ne fonde pas une politique d'attractivité territoriale sur les seules aides financières, mais en mobilisant d'autres leviers d'aménagement du territoire pour encourager l'installation dans des zones en tension. Cette intuition est corroborée par l'étude de 2019 de la commission « jeunes médecins » du CNOM sur l'installation des jeunes, qui indique que le bien-être et la qualité de vie prennent le pas sur le salaire : un jeune médecin s'installe préférentiellement dans un territoire qu'il connaît, là où une équipe pluriprofessionnelle est déjà en place, dans une zone offrant un emploi pour son conjoint et à proximité des transports et des services publics. Cette étude montre également que « l'accompagnement humain est au centre des déterminants à l'installation » : dans l'optique d'un accompagnement de son projet professionnel, les jeunes médecins sont 63 % à répondre un confrère ou une consoeur et 53 % une collectivité territoriale, ce qui donne toute sa légitimité aux élus locaux dans les stratégies d'aide à l'installation.
À l'échelle nationale, les incitations financières conventionnelles ont également été l'un des leviers privilégiés pour agir sur l'inégale répartition géographique des professionnels de santé, ainsi que le récapitule l'encadré ci-après. La répartition actuelle de l'offre de soins est le constat cuisant de leur échec, ou à tout le moins de leur notoire insuffisance.
Dispositifs nationaux pour inciter les médecins
à s'installer ou exercer en zones sous-denses
Au total, la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) recense 4 651 contrats incitatifs en cours au 5 janvier 2022. Ces dispositifs conventionnels prennent 4 formes distinctes :
- contrat d'aide à l'installation (CAIM), pour faire face aux frais d'investissement générés par le début d'activité dans une zone sous-dense : 1 999 contrats, aide moyenne de 40 000 € ;
- contrat de stabilisation et de coordination (COSCOM), pour encourager les médecins impliqués dans des démarches de prise en charge coordonnée sur un territoire : 2 446 contrats, aide moyenne de 8 000 € ;
- contrat de transition (COTRAM), pour accompagner les médecins préparant leur cessation d'activité en zones fragiles en favorisant l'installation d'un nouveau médecin dans leur cabinet : 86 contrats, aide moyenne de 20 000 € ;
- contrat de solidarité territoriale (CSTM), pour encourager l'activité à temps partiel de médecins en soutien de leurs confrères exerçant dans des zones sous-denses : 120 contrats, aide moyenne de 12 000 €.
Le montant des aides conventionnelles versées pour l'exercice 2020 s'élève à 28,7 M€.
Les étudiants et jeunes professionnels, à l'issue d'études longues et d'une formation exigeante, ont besoin d'accompagnement humain pour se repérer dans les démarches à effectuer et connaître le territoire où ils envisagent de s'installer, qu'il s'agisse du maillage des autres professionnels de santé ou de l'offre de services publics et de loisirs. À cet égard, la mission d'information tient à saluer les efforts accomplis en matière d'attractivité du territoire, notamment le développement de l'offre commerciale 24 ( * ) , qui ont des effets bénéfiques sur l'installation des professionnels de santé.
L' idée d'un guichet unique, facilement identifiable par les étudiants, les internes et les jeunes praticiens cherchant à s'installer, est à cet égard une piste intéressante à creuser. En dédiant un interlocuteur spécifique pour assurer la promotion et l'attractivité territoriale et une prestation de conseil et d'accompagnement à l'échelon intercommunal, les collectivités territoriales pourraient ainsi, si elles le souhaitaient, devenir animatrices de leur attractivité territoriale en favorisant la lisibilité pour les futurs médecins et autres professions médicales.
Le maître mot est la souplesse : cette structure pourrait être développée au sein d'un office de tourisme, de l'hôtel de communauté, d'une maison de santé pluriprofessionnelle ou une structure ad hoc. Ses tâches seraient variées, en se concentrant sur les besoins propres à chaque territoire, dans une logique d'accompagnement global : actions de promotion territoriale auprès des facultés et des instituts de formation, édition de brochures dédiées aux praticiens cherchant à s'installer, liaison avec les professionnels de santé déjà installés, organisation d'événements locaux ou de journées d'accueil en direction des internes, conseil et accompagnement pour les démarches d'installation en relation avec les agences régionales de santé (ARS), les conseils de l'ordre et les syndicats professionnels, échanges de bonnes pratiques dans le cadre d'un réseau qui pourrait être créé à l'échelle nationale, création d'une page dédiée sur les sites internet des collectivités, etc .
Cette mission est aujourd'hui confiée aux ARS qui l'exercent de façon anecdotique ou partielle, à une échelle trop éloignée des territoires et avec un outillage qui ne correspond pas aux attentes des professionnels de santé. Les étudiants en médecine entendus par le rapporteur déplorent par ailleurs le faible nombre de sollicitations par les élus locaux pour connaître leurs attentes concernant l'installation : ce contexte plaide pour des solutions sur mesure, tenant compte des projets de vie des professionnels, mises en oeuvre par les collectivités territoriales sur un mode optatif.
Proposition 15 : Favoriser la création par les collectivités territoriales de guichets uniques, points d'entrée des professionnels de santé ainsi que des étudiants et instruments de l'attractivité médicale des territoires.
Ces guichets uniques pourraient être un moyen de promouvoir et augmenter le nombre de bénéficiaires des contrats d'engagement de service public (CESP), principale mesure à destination des étudiants en médecine encore en formation, qui ne rencontre qu'un succès modeste. Créé par la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST) du 21 juillet 2009 et réformé par décret en 2020 25 ( * ) , le contrat d'engagement de service public permet le versement d'une allocation mensuelle de 1 200 € brut à partir du 2 e ou du 3 e cycle des études de médecine ou d'odontologie, en échange de laquelle les bénéficiaires s'engagent, pendant un nombre d'années égal à celui durant lequel ils auront perçu l'allocation et pour 2 ans minimum - à choisir une spécialité moins représentée ou à s'installer dans une zone où la continuité des soins est menacée.
Une montée en puissance des contrats de début d'exercice est également souhaitable, à laquelle les guichets uniques pourraient contribuer par des actions de promotion. La mission d'information estime que ce levier incitatif est un bon moyen d'accroître l'incitation à l'installation dans les zones sous-denses.
Le contrat de début d'exercice (CDE)
Le contrat de début d'exercice (CDE) s'adresse à l'ensemble des médecins généralistes et spécialistes, exerçant depuis moins d'un an, qu'ils soient installés ou remplaçants. Par ses mesures incitatives, il facilite leur installation dans les territoires où la démographie médicale est la plus fragile.
Il résulte de la fusion depuis la fin d'année 2020 des 4 contrats « État » dans un dispositif unique, avec des conditions d'accès identiques : le contrat de praticien territorial de médecine ambulatoire (PTMA), de médecine générale (PTMG), de remplacement (PTMR) et de praticien isolé à activité saisonnière (PIAS). Il vise à sécuriser les débuts d'exercice, notamment grâce à une garantie de revenus la première année du contrat, afin de permettre aux jeunes de s'installer dans des conditions optimales et de se constituer leur patientèle.
Le CDE garantit un revenu dont le montant est calculé en fonction des honoraires perçus et du plafond d'aide mensuel (ou trimestriel pour les remplaçants) pendant la 1 ère année d'exercice.
Source : ameli.fr.
Le CDE apporte également aux médecins signataires d'autres avantages :
- un droit aux congés maladie, équivalent à environ 70 € par jour à partir du 8 e jour d'absence, auquel s'ajoute une aide en cas de congés maternité/paternité/adoption aux médecins remplaçants, équivalent à environ 100 € par jour ;
- un accompagnement à la gestion entrepreneuriale et administrative du cabinet.
Pour la mission d'information, l'aménagement du territoire est une composante essentielle de l'attractivité médicale d'un territoire : les efforts entrepris par les collectivités territoriales pour améliorer la qualité et le cadre de vie, en favorisant notamment le développement commercial, l'implantation de services publics et l'existence de débouchés professionnels, concourent à l'installation des professionnels de santé. Les territoires actuellement les mieux dotés sont ceux qui bénéficient d'un fort pouvoir attractif par leur cadre de vie et leur offre de services primaires et de loisirs.
* 24 Soutenir le commerce en milieu rural : 43 mesures déclinées en 10 axes , rapport d'information n° 577 (2021-2022) de Bruno Belin et Serge Babary, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques - 16 mars 2022.
* 25 Décret n° 2020-268 du 17 mars 2020 relatif au contrat d'engagement de service public prévu à l'article L. 632-6 du code de l'éducation.