II. STRUCTURER L'ÉCOSYSTÈME LOCAL POUR FAIRE FACE PLUS EFFICACEMENT AU DÉFI DE L'EXCLUSION NUMÉRIQUE

A. LA NÉCESSITÉ DE CLARIFIER LA GOUVERNANCE LOCALE DE L'INCLUSION NUMÉRIQUE

1. Face à la multitude des interventions au niveau local, la difficulté d'identifier un échelon « pilote » en matière d'inclusion numérique

En matière d'inclusion numérique, le code général des collectivités territoriales ne précise pas la répartition des compétences parmi les différents échelons de collectivités. En pratique, régions et départements, de même que les collectivités du bloc communal, interviennent dans ce domaine, selon des modalités qui varient d'un territoire à l'autre.

Entendu par la rapporteure, le réseau des Interconnectés, créé en 2009 par l'AdCF, résume bien la situation en indiquant qu'en matière d'inclusion numérique, « l'échelon local est non traité, non organisé, laissé à la bonne volonté de chacun » .

Pour remédier à ce relatif « désordre », la désignation d'un « chef de file » de l'inclusion numérique, en modifiant l'article L. 1111-9 du code général des collectivités territoriales, pouvait sembler une piste intéressante.

Lors des auditions conduites par la rapporteure, plusieurs acteurs se sont déclarés favorables à cette idée, notamment les Interconnectés, l'ADF ou encore l'APTIC et certains Hubs. Lors de la consultation en ligne organisée par le Sénat, plus de 70 % des élus locaux ayant répondu se sont dits « favorables » à cette proposition . Une telle évolution pourrait permettre de clarifier la répartition des rôles au niveau local et de mieux articuler les initiatives, en désignant un échelon chargé de leur coordination.

Au terme de ses travaux et des diverses auditions conduites, la rapporteure a toutefois identifié des obstacles majeurs à la désignation d'un chef de file en matière d'inclusion numérique, qui s'avère être une fausse bonne idée.

• Premièrement, une difficulté réelle à identifier l'échelon pertinent pour assurer le chef de filât . Il ressort des auditions que chaque échelon dispose de sa propre légitimité pour intervenir en matière d'inclusion numérique et coordonner l'action commune des collectivités sur ce sujet :

Ø Le département , grâce à l'expertise dont il dispose en matière sociale, peut sembler constituer un chef de file « naturel », d'autant plus que le public des exclus du numérique est proche de celui de l'action sociale . Le département pourrait disposer d'une position avantageuse pour réaliser le diagnostic des besoins de la population en matière d'inclusion numérique. Par ailleurs, les départements ont été les premiers architectes des réseaux d'initiative publique pour le déploiement du haut débit dans les zones rurales dans le cadre du plan France Très Haut Débit (FTHD), ce qui leur a conféré un rôle central en matière de solidarité numérique .
20 % des élus ayant répondu à la consultation en ligne ont estimé que le département était l'échelon le plus pertinent pour assurer le chef de filât de l'inclusion numérique.

Ø Le bloc communal dispose aussi d'une pertinence d'intervention, en tant qu'échelon de proximité, pour les usagers. Si la commune semble être une échelle trop réduite, l'EPCI ressort comme un périmètre adapté pour développer l'offre de médiation et d'accompagnement numérique.

Près de 60 % des élus ayant participé à la consultation en ligne ont d'ailleurs désigné l'EPCI comme chef de file le plus pertinent .

Ø Enfin, la région est fondée à intervenir en matière d'inclusion numérique au titre de son rôle de chef de file en matière d'aménagement du territoire et de ses compétences de développement économique . Elle peut également jouer un rôle privilégié en matière de coordination - le périmètre des Hubs correspond d'ailleurs souvent à celui des régions - et de levée de financements , au niveau européen (Fonds européens, en particulier le FSE) et vis-à-vis du secteur privé, de même qu'en matière de mobilisation de l'ingénierie territoriale.

Toutefois, seuls près de 3 % des élus locaux ayant participé à la consultation ont indiqué que la région était le chef de file le plus pertinent en matière d'inclusion numérique dans le cadre de la consultation en ligne.

La plupart des intervenants ont souligné la difficulté d'identifier un chef de file sur le sujet de l'inclusion numérique : le Hub RhinOcc a par exemple indiqué que si le département semblait l'échelon le plus « naturel », les EPCI pouvaient également être un échelon très pertinent et qu'il ne fallait pas négliger la région. L'association Wetechcare qui intervient en matière d'inclusion numérique en France et en Belgique depuis sa fondation en 2015 et qui travaille avec de nombreuses collectivités sur le sujet, souligne que « toutes les échelles ont leur vision à apporter sur le sujet : les départements au regard des politiques sociales, les intercommunalités au regard des politiques de territoires intelligents et de filières économiques, etc. » . La direction générale des collectivités territoriales (DGCL) partage ce point de vue, indiquant que dans la mesure où « chaque niveau intervient historiquement en matière d'inclusion numérique et considère avoir une plus-value, la désignation d'un chef de file est délicate ».

• Deuxièmement, il importe que chaque échelon de collectivité continue à s'investir sur le sujet de l'inclusion numérique . Or, la désignation d'un chef de file peut avoir pour effet d'envoyer un « signal » aux autres niveaux de collectivités, selon lequel elles seraient moins concernées par cette problématique. La Banque des territoires indique à ce titre que si « désigner un chef de file peut être intéressant » , il importe d'être attentif aux « effets de bord » et de s'assurer que chaque échelon s'investisse sur ce sujet.

• Enfin, il paraît peu judicieux d'imposer un schéma de gouvernance unique à l'ensemble du territoire pour la mise en oeuvre de cette politique publique.

De nombreuses initiatives en faveur de l'inclusion numérique se sont développées dans les territoires ces dernières années, selon des modalités qui varient d'une région à l'autre en fonction des configurations territoriales ou des besoins de la population. En matière de gouvernance de l'inclusion numérique, on constate en particulier un clivage entre les territoires urbains , dans lesquels l'EPCI semble se dégager comme l'échelon le plus pertinent pour piloter la politique, et les territoires ruraux dans lesquels le département apparaît plus pertinent. Le réseau des Interconnectés partage ce constat, indiquant que si « l'EPCI est un échelon autonome et pertinent en territoire urbain, dans le cas de territoires plus ruraux, il travaille beaucoup avec le département, qui est alors l'échelle la plus pertinente » .

2. La nécessité d'instaurer davantage de coordination des interventions, tout en tenant compte des dynamiques locales

Soucieuse de proposer une solution souple et pragmatique aux acteurs locaux de l'inclusion numérique, qui soit respectueuse des dynamiques locales existantes, la rapporteure estime préférable de renforcer les outils de coordination au niveau local plutôt que de désigner un chef de file.

Plusieurs acteurs ont souligné la pertinence de cette démarche, en indiquant que l'inclusion numérique est « un sujet complètement transverse et implique des gouvernances collectives » ( Wetechcare ) ou encore qu'il était préférable de privilégier la mise en place de « coalitions qui s'adapteraient aux caractéristiques de chaque territoire » ( AdCF et communauté d'agglomération du Sicoval ).

Afin d'être efficaces, ces coalitions devraient prendre en compte l'ensemble des acteurs de l'inclusion numérique, qu'ils soient publics, associatifs ou privés . En effet, le secteur de l'inclusion numérique, et plus particulièrement celui de la médiation numérique, se caractérise par un fort éclatement . Le rapport publié en mai 2018 pour accompagner la Stratégie nationale pour un numérique inclusif souligne ce caractère hétéroclite :

« Les réseaux qui rendent des services de médiation numérique divergent tant par la nature des services rendus que par les structures qui les portent . Dans certains cas, les services sont dédiés au numérique (les Espaces Publics Numériques ou les ex-cyberbases), dévolus à l'accès aux services publics et essentiels (comme les MSAP ou les PIMMS), des lieux d'accueil social (les CCAS et les régies de quartier), ou encore des lieux hybrides (tiers-lieux, ateliers de fabrication collaborative, etc). Les services peuvent aussi être rendus par des acteurs qui ne sont pas reliés à des lieux précis : travailleurs sociaux, bus numériques, aidants naturels, associations, employés d'accueil de service public, etc. Il en résulte une forte hétérogénéité des structures de portage (associations, collectivités, coopératives, indépendants, franchises) et de cadre d'emploi (agents publics, salariés, bénévoles, services civiques) . »

Il résulte de ce foisonnement des acteurs et initiatives un important éclatement des sources de financement de l'inclusion numérique.

Source : plateforme territoires.societe.numerique

Face à cette situation, une meilleure coordination des actions est indispensable. Le réseau des Interconnectés souligne d'ailleurs l'importance de disposer d'une « gouvernance locale pour pouvoir mettre en ordre les politiques d'inclusion numérique, savoir qui fait quoi, et être plus efficace » .

En 2021, le réseau des Interconnectés a expérimenté l'instauration de commissions territoriales de l'inclusion numérique (CTIN) dans cinq EPCI : la communauté d'agglomération du Sicoval, la métropole du Grand Lyon ainsi que celle de La Rochelle, la métropole européenne de Lille et l'Eurométropole de Strasbourg.

Ces commissions visent à rassembler l'ensemble des acteurs de l'inclusion numérique d'un territoire donné, en les réunissant au sein de trois collèges : un collège des acteurs institutionnels (État, communes, départements, régions, mais aussi acteurs de l'inclusion sociale comme les caisses de retraite, les caisses d'assurance maladie ou encore les CCAS et Pôle emploi), un collège des acteurs privés (entreprises, opérateurs de télécommunications, groupe La Poste...) et un collège des acteurs de la médiation numérique (Hubs, organismes de formation...). Un comité de stratégie territoriale est chargé d'adopter les priorités d'action de la CTIN qui pourront être financées et soutenues, et un comité de projets, se réunissant plus régulièrement, est chargé de valider, accompagner et financer les différents projets.

L'objectif est de mettre en commun les financements à travers une logique de « pot commun » aux différents partenaires membres de la CTIN.

Si la rapporteure n'a pas pu obtenir de précisions concernant les résultats de cette expérimentation à ce stade, cette initiative apparaît pertinente et gagnerait à être étendue. Le Sénat avait d'ailleurs préconisé en 2020 de favoriser la coordination des interventions territoriales en matière d'inclusion numérique et la mutualisation des financements en faveur de l'inclusion numérique, à travers l'instauration de conférences des financeurs à l'échelle départementale (proposition n° 23 du rapport d'information sur l'illectronisme).

PROPOSITION N° 6 : Privilégier la création de commissions territoriales de l'inclusion numérique , pour coordonner les interventions territoriales des acteurs publics, privés et associatifs et mieux articuler les financements.

Page mise à jour le

Partager cette page