LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LA RAPPORTEURE521
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Jeudi 2 décembre 2021
Table ronde de journalistes
M. Benjamin POLLE, Consultor
Mme Barbara MERLE, Consultor
Mme Caroline MICHEL-AGUIRRE, L'Obs
Mme Élisa BRAUN, Politico
Observatoire de l'intelligence économique français
M. Alexandre MEDVEDOWSKY
M. Jonathan BENADIBAH
Lundi 6 décembre 2021
M. Cédric GARCIN , secrétaire général du comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI)
M. Philippe PIN , directeur des achats des Hospices civils de Lyon
Mme Mélanie JODER , directrice du budget
Jeudi 16 décembre 2021
M. Étienne CHAMPION, secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales
M. Jean-Benoît ALBERTINI , secrétaire général du ministère de l'Intérieur
Mardi 11 janvier 2022
Mme Marie-Anne BARBAT-LAYANI , secrétaire générale des ministères économiques et financiers
M. Frédéric VEAUX , directeur général de la police nationale
M. Stéphane PARDOUX , directeur général de l'Agence nationale d'appui à la performance (ANAP)
Jeudi 20 janvier 2022
M. Marc PAPINUTTI , directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGTIM)
M. Paul ARCHER et M. Sébastien CHAUSSOY, Cylad Consulting
Jeudi 27 janvier 2022
Mme Laure BÉDIER , directrice des affaires juridiques des ministères économiques et financiers
M. Thomas DAUTIEU , directeur de la conformité de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL)
Jeudi 10 février 2022
M. Martin VIAL , commissaire aux participations de l'État, directeur général de l'Agence des participations de l'État (APE)
M. Michaël NATHAN , directeur du service d'information du Gouvernement
Jeudi 17 février 2022
Table ronde des associations de la haute fonction publique
M. Fabrice DAMBRINE , président de la Fédération des grands corps techniques de l'État (FGCTE)
Mme Sandrine GOURLET , présidente de l'Union des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts (UnIPEF)
Mme Hélène FURNON-PETRESCU , première vice-présidente de l'Association des anciens élèves de l'École nationale d'administration (AAEENA)
M. François-Gilles LE THEULE , président de la commission haute fonction publique/service public de l'AAEENA
M. Michel BALLEREAU , association ENA 3 C
France Stratégie
M. Gilles DE MARGERIE , commissaire général
CONTRIBUTION DU GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN CITOYEN ET ÉCOLOGISTE (CRCE)
Les membres du groupe CRCE se félicitent de la qualité des travaux de la commission d'enquête, de son retentissement médiatique auprès de l'opinion publique. Si la réaction du peuple est saine, elle est issue de la crédibilité de ce rapport : fruit d'un nombre important d'auditions, d'un travail de recherche conséquent et de son adoption transpartisane à l'unanimité des membres. Ce document répond parfaitement à la problématique initialement posée par notre groupe : l'influence croissante des cabinets de conseil privés et d'autres acteurs du secteur privé sur la construction et la conduite des politiques publiques.
L'objectif accompli de transparence fait de ce rapport un document fondamental, qui s'inscrit pleinement dans la prérogative constitutionnelle prévue à l'article 24 de la Constitution, de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques. L'ampleur de la tâche équivaut à l'ampleur du phénomène mis au jour. Il supposait d'entendre 47 personnes sous serment, d'analyser les 7 300 documents exigés à l'administration, entreprises publiques et opérateurs et finalement de documenter un système vertical et horizontal qui gangrène l'État et cultive sa dépendance aux acteurs privés.
La commission d'enquête a aussi mis à jour un système tentaculaire dont beaucoup n'imaginait pas la puissance, l'omniprésence dans de multiples secteurs de l'action publique. Le rapport permet d'identifier le choix de société qui découle de l'intrusion du privé dans les affaires publiques.
Ce rapport fait, en effet, la démonstration d'une dérive inquiétante, celle qui permet à des cabinets de conseil dépourvus de légitimité démocratique, d'être les outils d'une mise en cause globale de l'État au service de l'intérêt général en faveur d'une conception pleinement libérale qui livre des pans entiers de l'activité publique aux intérêts privés et qui s'affranchit des compétences au sein de nos administrations. Une question de souveraineté est posée, tant populaire que nationale.
Plus concrètement, le rapport de la commission d'enquête expose de nombreux exemples pour lesquels le coût et/ou la nature des missions semble en inadéquation. Que ce soit le rapport de McKinsey, pour un colloque qui ne s'est jamais tenu sur l'avenir des professeurs au XXI ème siècle pour 500 000 euros, des « prises de note en réunions » pour le compte de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) pour un montant compris entre 40 000 et 200 000 euros ou encore la mise à disposition, entre décembre 2020 et février 2021, d'un « agent de liaison » de McKinsey rémunéré 169 440 euros. L'objectif ? Assurer le lien avec Santé Publique France, dont la mission de la direction des Alertes et des crises est justement celui-ci...
En 2021, près d'un milliard a été versé aux cabinets de conseil !
L'État connaît un démantèlement qui remet en cause ses capacités d'action et l'expose aux prestations extérieures du secteur privé, tantôt proposées pro bono (gratuitement), conformément aux règles de la commande publique ou dans l'urgence l'exonérant de toute procédure et cultivant l'opacité et le secret autour du recours à ces « conseillers privés ». Les effectifs de la fonction publique d'État n'ont pas augmenté entre 2009 et 2019. Sur la même période, en intégrant les contrats aidés les effectifs ont baissé de deux points. Depuis deux années, l'augmentation de l'emploi public s'explique par le passage en contractuel de droit public au sein du même versant de 24 500 contrats aidés déjà présents en 2018. En somme, le passage d'un statut précaire à l'autre.
L'approfondissement de ce phénomène intervient avec la Révision générale des politiques publiques (RGPP) : un plan uniquement porté sur une logique d'économies comme le revendique l'ancien président N. Sarkozy, le 12 décembre 2007, dès les premiers mots de son discours : « La réforme de l'État, je l'ai promise, je la ferai. Je la ferai parce que nos finances publiques doivent être redressées » . Ces mots, matérialisés par le « non remplacement d'un fonctionnaire sur deux », ont porté un coup important à la capacité de la fonction publique de mener à bien ses missions. Deux ans auparavant, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) qui a été votée en 2001 et appliquée en 2005 aux discussions des lois de finances, achevait l'initiative parlementaire et terminait de comprimer l'emploi public par des mécanismes bien connus. Les sénatrices et sénateurs communistes combattent ces procédés qui ne produisent que précarité et perte de compétences au sein de l'administration. Les sénatrices et les sénateurs du groupe CRCE furent bien les seuls à proposer, dans le cadre de l'examen de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques (portée par LREM, LR et le PS), la suppression de la « fongibilité asymétrique » qui permet de redéployer le budget du personnel vers des dépenses autres (investissement, interventions...ou consulting ?) mais qui interdit le mouvement inverse ainsi que la suppression des plafonds d'emplois en baisse structurelle depuis son instauration en 2006.
Ces dispositifs libéraux de constriction de l'emploi public, au prétexte de « l'obésité » de l'État, bien connus des fonctionnaires et des parlementaires, ont été mis en exergue par le Collectif Nos services publics qui constatait cet effet pervers : « de diminuer le coût du service tout en maintenant sa qualité', on en réduit la qualité' tout en dégradant les finances publiques » par le fait, notamment, de rémunérations beaucoup plus élevées pour les cabinets de conseil.
La concurrence avec notre fonction publique est féroce et déloyale. En juillet 2021, entrait en vigueur chez EY un accord d'entreprise visant à permettre de contourner « la loi limitant le temps de travail à 48 heures hebdomadaires » . La CGT a dénoncé cette autorisation déguisée à travailler plus de 48h/semaine sans compensation, proposant même aux salariés un suivi de la charge de travail individualisé avec des seuils d'alerte allant jusqu'à 58h/semaine. Il est bien évident à l'aune de cet exemple que la fonction publique ne peut s'aligner sur de telles pratiques et sacrifier sur l'autel de la concurrence les conditions de vie dignes pour les agents de la fonction publique. Outre ces temps de travail irraisonnables, les fonctionnaires seraient moins « productifs » que les consultants des cabinets. Et pour cause, ces derniers peuvent s'appuyer sur des succursales dans tous les pays occidentaux et n'ont qu'à piocher dans les études déjà produites. Il est pourtant absolument impensable pour un fonctionnaire français d'accéder aux bases de données de l'État américain ou chinois pour rédiger une note. Plus encore, Julie Gervais a bien éclairé la différence de moyens entre l'administration et le cabinet : « Cette capacité à répondre dans l'urgence est dans la structure même des cabinets comme McKinsey qui ont des équipes en “ back-up”. Ils ont un centre de production de diapositives en Inde qu'ils appellent le “Studio” ; lorsque les délais demandés sont très serrés, ce centre travaille en horaires décalés pour délivrer, le lendemain à sept heures, un PowerPoint complet et mis en forme » .
Opter pour des cabinets privés au détriment de notre fonction publique, alors qu'il est établi que ceux-ci se substituent dans de nombreux cas aux fonctionnaires de notre administration, est un choix politique, qu'« assument » le Président de la République et les membres du Gouvernement. Rien d'étonnant de la part de celui qui célébrait la start-up « Nation » et entend bien gérer l'État comme une entreprise.
Quelques vérités doivent cependant être rétablies pour ne pas générer de la confusion supplémentaire et tenter de diminuer la portée de ce phénomène tentaculaire :
- Non, les prestations informatiques ne peuvent servir de prétexte pour justifier l'augmentation du recours aux cabinets privés depuis l'élection d'E. Macron en 2017 et ce pour deux raisons. D'abord parce que ce sont, pour les ministères, les dépenses de conseil à forte dimension stratégique qui ont triplé depuis le début du quinquennat pour s'élever à 445,6 millions d'euros en 2021. Le conseil en stratégie et en organisation a même quadruplé entre 2018 et 2021. Les dépenses à forte dimension informatique représentent quasiment le même montant (448,3 millions d'euros). Enfin, l'aspiration de l'État à se numériser est ancienne et remonte au programme d'action gouvernemental pour la société de l'information (PAGSI). Plus de deux décennies plus tard, la commission d'enquête doit encore plaider pour un grand plan de réinternalisation des compétences, notamment informatiques. Cela passera par la revalorisation des salaires pour améliorer l'attractivité de la fonction publique pour ces profils rares et construire des cadres d'emploi homogènes pour leur donner l'opportunité de faire carrière au service de l'État.
- Non, l'augmentation des dépenses de l'État à des cabinets de conseil n'est pas due « aux crises ». Constatons d'abord le climat d'impréparation dans lequel intervient la gestion de la crise sanitaire, sur lequel la commission d'enquête relate les conditions d'octroi d'une mission au cabinet Citwell pour l'approvisionnement du pays en masques. Il apparaît que tout au long de la crise sanitaire soit, depuis mars 2020, 41,05 millions d'euros ont été dépensés au travers de 68 commandes, soit à peine 2,7 % des sommes totales versées aux cabinets privés sur ces deux années.
- Non, les ministres n'ont pas facilité les travaux de la commission d'enquête. Pour seule preuve, la Ministre A. de Montchalin n'a livré que les données de 2018 à 2020 et sous forme de moyenne en affirmant une dépense hors informatique de 145 millions d'euros. Hormis le fait que le périmètre de la commission d'enquête était plus large, en intégrant les dépenses de 2021 censées être connues le 17 janvier 2022, date de son audition, la moyenne annuelle se serait élevée à 163 millions d'euros. Nous pourrions également citer que le Ministère de l'Économie et des Finances n'a été en mesure d'indiquer la nature des actions réalisées par les cabinets que dans 0,8 % des cas. Plus généralement, l'indispensable transparence sur le recours à des prestations de conseils privés s'est avéré complexe et chronophage mais finalement salutaire.
L'avenir des cabinets de conseil apparaît radieux dans leur relation avec l'État. Dans la circulaire d'opportunité datée du 19 janvier 2022, le jour même de l'audition de la Ministre A. de Montchalin et de son épanchement dans la presse, il aurait fallu retenir un message : l'État baissera sa consommation de 15 % de cabinets de conseil en stratégie et organisation. Cela revient à diminuer la note de 20 millions d'euros alors que le budget annuel consacré aux dépenses de conseil avoisine 900 millions d'euros soit en vérité 2 % de l'enveloppe totale. Le recours est systémique, le Premier ministre ne souhaite pas revenir sur ce système mais l'encadrer à la marge. Pour ne citer que deux autres divergences, notre groupe, conformément à la proposition n° 14 de la commission d'enquête, souhaite interdire purement et simplement les prestations gratuites ( pro bono ) pour le compte de l'administration. Tout comme il souhaite abaisser à 150 000 euros (contre 500 000 euros dans la circulaire) le seuil rendant obligatoire un avis conforme par Direction interministérielle de la transformation publique (DITP).
Nous nous réjouissons que les mensonges tenus sous serment par M. Karim Tadjeddine fassent l'objet d'un signalement au procureur conformément à l'article 40 du code de procédure pénale. La situation fiscale de la branche française de McKinsey qui ne paie pas d'impôts depuis au moins 10 ans tout en réalisant 329 millions d'euros en 2020, dont 5 % issus de l'argent des contribuables, est absolument scandaleuse. Nous demandons au Gouvernement de suspendre tout contrat avec ce cabinet, qui même si elles s'avèrent être légales, s'adonne à des pratiques d'optimisations fiscales extrêmement préjudiciables à l'image de l'État.
La question fondamentale qui est posée face à ce système installé, c'est la répartition des rôles entre les cabinets privés et les représentants politiques en matière de décision. Les cabinets privés proposent des scénarios imprégnés de l'idéologie néolibérale, prétendant « rationaliser » - en vérité réduire, indicateurs à l'appui - le nombre de fonctionnaires leur permettant de s'arroger toujours plus de missions. Autrement dit, « les cabinets organisent la dépendance à leur égard », tel est le « paradoxe du serpent » mis en lumière par le sociologue Frédéric Pierru. Dans de nombreuses décisions politiques majeures, les cabinets de conseil ont su s'immiscer et prodiguer des conseils coûteux : la réforme des APL (McKinsey, 3,88 millions d'euros) ; la réforme de la formation professionnelle (Roland Berger, 2,16 millions d'euros) ou encore l'hypothèse d'instauration d'un bonus-malus sur les cotisations patronales d'assurance chômage (EY, 592 380 euros). Eux qui se veulent si discrets pour leurs clients privés, revendiquent leurs interventions sur les projets publics pour améliorer leur image de serviteurs et se servir dans les caisses du contribuable.
R. Dahl, dans son ouvrage « Qui Gouverne ? », définissait l'influence par la célèbre formule : « A exerce un pouvoir sur B dans la mesure où il obtient de B une action Y que celui-ci n'aurait pas effectué autrement ». A c'est un cabinet de conseil, B c'est le Gouvernement et Y c'est la casse des services publics.
Le groupe CRCE s'investira pleinement dans l'élaboration de la proposition de loi transpartisane annoncée par la commission d'enquête afin de donner force de loi dans les meilleurs délais aux recommandations édictées dans le rapport.
* 521 La rapporteure a ouvert ces auditions aux membres de la commission d'enquête. Elles n'ont pas fait l'objet de comptes rendus publiés et les personnes entendues n'ont pas été appelées à prêter serment.