B. UNE INSTITUTION SCOLAIRE BOUSCULÉE

1. Des interrogations fortes sur la capacité de l'institution scolaire à remplir ses missions

Force est de constater que cet objectif n'est pas atteint au regard de la défiance de la Nation envers l'institution scolaire. Le sondage réalisé pour le Sénat par l'institut CSA, à l'occasion de l'Agora de l'éducation qui s'est tenue le 26 janvier dernier en témoigne : 53 % des Français estiment que l'école fonctionne mal , cette proportion atteignant 76 % chez les enseignants. Le système éducatif actuel a du mal à prendre en charge efficacement ses principales missions.

Capacité de l'institution scolaire à prendre en charge les missions suivantes

Grand public

Parents d'élèves

Enseignants

L'acquisition des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter, respecter autrui)

44 %

57 %

38 %

La préparation aux études supérieures

40 %

47 %

34 %

La transmission des principes de la République

36 %

51 %

52 %

La résorption des inégalités

31 %

41 %

23 %

L'orientation des élèves

29 %

37 %

34 %

Source : « Perceptions et attentes vis-à-vis du système scolaire : regards croisés des Français et des enseignants », sondage réalisé pour le Sénat par l'institut CSA, janvier 2022

L'avenir de l'école semble morose : 65 % du grand public est pessimiste pour son avenir ; cette proportion atteignant 79 % chez les enseignants.

À de nombreuses reprises, le ministre a indiqué que « la logique du pas de vague n'est plus la logique de l'éducation nationale » . Cette volonté de respect de l'école et des enseignants, affirmée tout au long du quinquennat par le ministre, ne s'est pas traduite du point de vue des enseignants par des actes concrets et une réelle évolution au quotidien. D'ailleurs, les enseignants se sentent de plus en plus mal aimés. La dernière enquête Talis de l'OCDE en 2018 offre une photographie révélatrice de ce mal-être : seuls 4  % des professeurs des écoles considèrent que leur métier est valorisé par la société 2 ( * ) . Pour les rapporteurs, ce discours politique doit se traduire concrètement par un soutien systématique des enseignants et de l'école par leur hiérarchie. Toute remise en cause de l'autorité de l'enseignant, contestations et menaces de la part des élèves ou de leurs parents doivent faire l'objet d'une réponse ferme de la part de l'institution scolaire (application des sanctions disciplinaires, bénéfice automatique d'une protection fonctionnelle de l'enseignant). Par ailleurs, toute outrage ou acte de violence doit faire l'objet d'un dépôt de plainte et d'une instruction par la justice avec la même célérité que les outrages et violences à une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public. Enfin, les personnels de l'éducation nationale concernés doivent être informés des suites données à leur plainte.

Proposition n° 1 :

Défendre systématiquement par la hiérarchie contre toute remise en cause de l'autorité de l'enseignant ou les contestations d'enseignement, notamment par la mise en place automatique de la protection fonctionnelle pour les enseignants et garantir la même célérité dans le suivi des dépôts de plaintes des enseignants que pour d'autres personnes chargées d'une mission de service public.

2. Une évolution positive de la relation parents-école du fait du confinement

Le confinement entre le 17 mars et le 3 mai 2020 a pu, sous certains aspects, faire évoluer le regard de la société sur l'école .

Selon la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) 3 ( * ) , plus de la moitié des parents estiment que les échanges et la communication sont plus fréquents en 2020-2021 qu'avant la crise sanitaire. Cette proportion atteint 61 % pour les parents dont les élèves sont scolarisés en éducation prioritaire. En outre, les échanges entre les familles et l'enseignant au sujet de l'année scolaire à venir ont été bien plus nombreux que les années précédentes.

Côté Éducation nationale, les directeurs d'école soulignent les incidences positives du confinement sur les relations entre l'institution scolaire et les familles . C'est notamment le cas en REP (réseau d'éducation prioritaire) et REP + où la grande majorité de ces directeurs estiment que la mise en place de la continuité pédagogique pourrait avoir une incidence positive sur le lien entre l'école et les familles.

Opinion des directeurs d'école sur les incidences du dispositif de continuité pédagogique sur les relations avec les familles

Source : DEPP, note 21.04, janvier 2021

3. Une relation très dégradée entre les personnels de l'Éducation nationale et leur ministre

Les rapporteurs regrettent la multiplication des injonctions ministérielles lors de ce quinquennat : vademecum, guides ou encore foire aux questions - injonction d'un genre nouveau qui s'est développée à la faveur de la pandémie et dont les réponses font offices de règles à appliquer. Ce sont autant de « circulaires déguisées » qui réduisent l'autonomie des chefs d'établissement, des directeurs d'école ou la liberté pédagogique des enseignants.

Plus de 40 ans après la création des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE), force est de constater que leur marge d'autonomie est de plus en plus faible. Alors que les textes réglementaires leur reconnaissent une certaine autonomie éducative et pédagogique, celle-ci est réduite à portion congrue dans les faits.

Les domaines d'autonomie des EPLE

L'article R. 421-2 du code de l'éducation prévoit 8 domaines d'autonomie pour les EPLE.

« art. R. 421- 2 : Les collèges, les lycées, les écoles régionales du premier degré et les établissements régionaux d'enseignement adapté disposent, en matière pédagogique et éducative, d'une autonomie qui porte sur :

1° L'organisation de l'établissement en classes et en groupes d'élèves ainsi que les modalités de répartition des élèves ;

2° L'emploi des dotations en heures d'enseignement et, dans les lycées, d'accompagnement personnalisé mises à la disposition de l'établissement dans le respect des obligations résultant des horaires réglementaires ;

3° L'organisation du temps scolaire et les modalités de la vie scolaire, sous réserve des dispositions de l'article R. 421-2-2 ;

4° La préparation de l'orientation ainsi que de l'insertion sociale et professionnelle des élèves ;

5° La définition, compte tenu des schémas régionaux, des actions de formation complémentaire et de formation continue destinées aux jeunes et aux adultes ;

6° L'ouverture de l'établissement sur son environnement social, culturel, économique ;

7° Le choix de sujets d'études spécifiques à l'établissement, en particulier pour compléter ceux qui figurent aux programmes nationaux ;

8° Sous réserve de l'accord des familles pour les élèves mineurs, les activités facultatives qui concourent à l'action éducative organisées à l'initiative de l'établissement à l'intention des élèves ainsi que les actions d'accompagnement pour la mise en oeuvre des dispositifs de réussite éducative définis par l'article 128 de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale . »

Dans son rapport de décembre 2021 intitulé « une école plus efficacement organisée au service des élèves » , la Cour des comptes souligne que les établissements publics locaux d'enseignement « demeurent principalement un échelon d'exécution et non de conception » : « seulement 10 % des décisions prises en matière éducative le sont au niveau des établissements, dont à peine 2 % en « autonomie totale » ». Les rapporteurs tiennent à le rappeler : ce sont des établissements publics avec un conseil d'administration qui prend des délibérations. Aucun autre établissement public ne connaît une telle réduction de son autonomie par son ministère de tutelle. Il est temps de revenir à l'esprit souhaité par le législateur dans les lois de décentralisation .

Proposition n° 2 :

Garantir aux établissements publics locaux d'enseignement la capacité d'agir dans leurs domaines d'autonomie .

Surtout, trente mois après le vote de la loi pour une école de la confiance, il ressort de l'audition des syndicats des enseignants une forte défiance des enseignants envers leur ministre. Celle-ci est accentuée par la crise sanitaire, des protocoles sanitaires successifs, souvent publiés tardivement et en constante évolution. Comme l'a souligné l'un des rapporteurs à l'occasion des questions au Gouvernement le 12 janvier dernier : « le dernier protocole sanitaire à l'école, le septième en dix-huit mois, édité le 2 janvier, appliqué le 3, modifié le 6, encadré par les préfets le 8 et assoupli le 10 par le Premier ministre, donne l'impression, selon les propos d'une directrice d'école, d'un mauvais jeu de société, dont les règles changent tous les deux jours » .

À cela s'ajoutent la persistance de difficultés dans la distribution des masques aux personnels de l'éducation nationale et l'absence de capteurs de CO2 dans les classes deux ans après le début de la pandémie.

La grève du 13 janvier dernier, réunissant tous les syndicats et tous les personnels de l'éducation nationale a été d'une ampleur inédite .

Extraits de la table ronde des syndicats enseignants du 9 novembre 2021,
auditionnés par les rapporteurs

« Il n'y a actuellement "aucune confiance ni dans l'avenir, ni dans le ministre" » ;

« L'état de la profession envers son ministre a atteint des records. La très grande distance que tous les personnels veulent mettre à l'endroit de leur ministre est un sujet de préoccupation » ;

« On a toujours eu nos collègues "grognons" envers le ministre, mais ils démarraient vite pour un projet, ils étaient enthousiastes pour l'école. Or, là, on les sent épuisés ».

*

* *

Les rapporteurs estiment que l'on est loin de « l'école de la confiance », prônée par le ministère tout au long du quinquennat.

La relation entre l'école et la société reste dégradée, avec des doutes élevés des Français sur la capacité de l'institution scolaire à prendre en charge ses principales missions telles que l'acquisition des savoirs fondamentaux, la transmission des principes de la République ou la réduction des inégalités.

Quant à la relation du ministère avec ses personnels, elle a été marquée par une succession d'injonctions descendantes, réduisant l'autonomie des établissements et la liberté pédagogique des enseignants.

Il est urgent de faire confiance aux équipes pédagogiques, directeurs d'écoles et chefs d'établissements. Ce sont eux qui connaissent le mieux leurs élèves, leurs difficultés et besoins, leurs établissements et leurs environnements de travail.


* 2 Note DEPP 21.34, satisfaction professionnelle et bien-être des professeurs des écoles : résultats de l'enquête Talis 2018, septembre 2021.

* 3 Confinement et fermeture des écoles au printemps 2020 : le vécu des familles d'enfants scolarisés en CP et CE1, DEPP, note 22.03, janvier 2022.

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