N° 543
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 février 2022
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission de la culture, de
l'éducation et de la communication (1) établissant le
«
bilan
des
mesures
éducatives
du
quinquennat
»,
Par Mme Annick BILLON, M. Max BRISSON et Mme Marie-Pierre MONIER,
Sénatrices et Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial .
L'ESSENTIEL
Le quinquennat a été riche de réformes en matière éducative. Si certaines sont issues de dispositions législatives, et notamment de la loi pour une école de la confiance, d'autres n'ont fait l'objet que de débats limités au Parlement, à l'image de la réforme du lycée. Aussi, la commission de la culture a souhaité dresser un bilan du quinquennat en matière éducative, à travers l'analyse de six objectifs et mesures phares : le lien entre école et société, l'abaissement de l'âge d'instruction à trois ans, le développement de l'école inclusive, la priorité donnée au primaire à travers les politiques de limitation des effectifs de la grande section au CE1, la réforme du lycée et l'attractivité du métier d'enseignant .
Pour les rapporteurs, dans de nombreux cas, la mise en oeuvre de ces réformes donne l'impression d'une politique publique menée dans la précipitation, à la mise en oeuvre mal accompagnée. Au final, de nombreux objectifs n'ont pas été atteints conduisant à un sentiment de « naviguer à vue », de « générations d'élèves cobayes » ou une déception pour le personnel enseignant.
Face à ce constat, la commission a adopté les 36 propositions des rapporteurs.
I. D'UNE LOI POUR L'ÉCOLE DE LA CONFIANCE À UN QUINQUENNAT MARQUÉ PAR LA DÉFIANCE
Le renforcement du respect envers l'institution scolaire ainsi que l'instauration d'une relation de confiance entre la société et l'école étaient au coeur des ambitions du ministre. Cet objectif n'a pas été atteint.
Seulement 4 % des professeurs des écoles considèrent que leur métier est valorisé par la société et moins d'un Français sur deux estime que l'institution scolaire est efficace dans la transmission des savoirs fondamentaux.
La relation entre les personnels de l'éducation nationale et leur ministre est fortement dégradée . La multiplication des injonctions (vademecum, « guides », foires aux questions) sont autant de circulaires déguisées qui brident l'autonomie des établissements publics locaux d'enseignement et la liberté pédagogique des enseignants .
II. L'ABAISSEMENT DE L'ÂGE D'INSTRUCTION À 3 ANS : UNE RÉFORME SYMBOLIQUE INSUFFISAMMENT ACCOMPAGNÉE
En 2018, la quasi-totalité des enfants de 3 ans, - cette proportion atteignant 99,9 % pour les 4 ans et 100 % pour les 5 ans - était déjà scolarisée, par la volonté de leurs parents. La loi n'a fait que suivre un mouvement ancien de société .
• À Mayotte et en Guyane, une mise en oeuvre inachevée
« L'école de la République est la maison commune de toute la jeunesse de France. À ce titre, elle doit apporter à tous les élèves, où qu'ils se trouvent sur le territoire, dans l'hexagone comme outre-mer, la même chance de réussir et la même envie de saisir cette chance » (Jean-Michel Blanquer, examen du projet de loi pour une école de la confiance au Sénat, mars 2019).
Deux départements, Mayotte et la Guyane, étaient plus particulièrement concernés par cette loi en raison du taux significativement plus faible de scolarisation des élèves de maternelle (respectivement 77,9 % et 77,7 %) que la moyenne nationale (99,8 % à la rentrée 2020).
2 800 enfants en Guyane et 6 200 enfants à Mayotte en âge d'aller en maternelle ne sont toujours pas scolarisés. Interrogé par les rapporteurs, le ministère se fixe comme objectif une scolarisation de tous les enfants dès 3 ans pour 2025, soit plus de 6 ans après l'entrée en vigueur de la loi . Pour les six générations d'élèves concernées, ce sont des temps essentiels d'apprentissage perdus .
• Un abaissement non accompagné de l'âge d'instruction obligatoire
L'abaissement de l'âge d'instruction obligatoire ne s'est pas traduit par une politique d'accompagnement des enseignants et des personnels. Trop peu de modules de formation continue sont destinés aux enseignants exerçant en maternelle, notamment sur l'accueil des élèves à besoins éducatifs particuliers. L'action principale du Gouvernement se traduit par la rédaction de deux guides à destination des enseignants : « pour enseigner le vocabulaire à l'école maternelle » et « pour préparer l'apprentissage de la lecture et de l'écriture à l'école maternelle ».
Au lieu de multiplier ces guides, qui limitent la liberté pédagogique des enseignants, les rapporteurs recommandent des efforts massifs en termes de formation initiale et continue .
III. DES PROGRÈS EN FAVEUR DE L'ÉCOLE INCLUSIVE MAIS UNE POLITIQUE À POURSUIVRE
Sur le quinquennat, les crédits dédiés à l'école inclusive ont progressé de 65 % pour atteindre 3,5 milliards d'euros dans le budget pour 2022. Le nombre d'accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) a augmenté de 33 % sur l'ensemble du quinquennat . |
• Les PIAL, un nouveau mode de gestion des ressources humaines
Depuis la rentrée 2021, l'ensemble du territoire national est couvert par des PIAL (pôles inclusifs d'accompagnement localisés).
Les PIAL sont principalement un outil de gestion des ressources humaines, permettant de répondre au plus vite aux besoins d'accompagnement .
Leur mise en place a entraîné de profondes évolutions du métier d'AESH comme l' augmentation du nombre d'élèves suivis de manière simultanée et l'uniformisation à la hausse des quotités de travail proposées. Certains PIAL ont pris un engagement moral en termes de distance maximale entre les lieux d'affectation des AESH ou organisent des réunions de pré-rentrée pour entendre leurs souhaits d'affectation. Les rapporteurs recommandent de généraliser ces initiatives.
• Une évolution des conditions de recrutement des AESH, qui demeurent précaires
Les conditions de recrutement des AESH se sont améliorées lors de ce quinquennat. Principalement recrutés auparavant sous le statut de contrats aidés, ils le sont désormais en CDD de trois ans renouvelable une fois avant de se transformer en CDI. Ils bénéficient désormais d'une formation initiale de 60 heures. Certains PIAL ont entrepris un recensement des besoins de leurs AESH pour proposer des modules adaptés.
Les rapporteurs appellent à un renforcement de la formation des AESH, en partant de leurs besoins. Il est inacceptable que certains financent sur leurs fonds propres des formations pour prendre en charge les besoins des élèves qu'ils accompagnent .
Les conditions de rémunération ont progressé mais demeurent précaires. Un AESH perçoit pour l'accompagnement complet d'un élève du primaire - soit 24 heures - une rémunération mensuelle brute de 978 euros. Les AESH sont des acteurs essentiels du service public de l'école inclusive : les rapporteurs préconisent d'améliorer leurs perspectives et parcours de carrières .
Par ailleurs, l'école inclusive ne doit pas se limiter à une approche par une compensation du handicap au moyen d'un accompagnement humain. Un trop grand nombre de demandes d'accompagnement trouve leur origine dans un défaut de formation des personnels ou d'adaptation des conditions d'accueil d'un élève.
IV. L'ÉCOLE PRIMAIRE : « PRIORITÉ DES PRIORITÉS »
• Le dédoublement des classes de grande section au CE1 en éducation prioritaire : une promesse en cours de réalisation
Promesse de campagne présidentielle, le dédoublement des classes de CP et CE1 situées en zone d'éducation prioritaire a commencé à la rentrée 2017 et se fait de manière progressive. 100 % des classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire sont désormais dédoublées . Le dédoublement des classes de grande section sera achevé au plus tôt à la rentrée 2023 - mais on constate une baisse nette des effectifs moyens en grande section dès cette année.
• Des premiers résultats mitigés au regard des moyens importants consacrés
Le dédoublement des classes à des effets positifs en mathématiques, notamment pour les élèves les plus en difficulté. Néanmoins, le budget conséquent n'a pas permis une inversion franche des difficultés scolaires rencontrées par les élèves de REP et REP + .
Cette réforme doit s'accompagner d'une vigilance toute particulière pour les classes de CE2 à CM2 : + 6 à 7 élèves par classe en CE2, du fait de la fin du dédoublement.
• Des interrogations sur les moyens consacrés à la réduction des effectifs
En avril 2019, le Président de la République a annoncé un plafonnement à 24 élèves des effectifs des classes de grande section au CE1 hors éducation prioritaire, en plus du dédoublement en éducation prioritaire. Ces deux mesures - dédoublement et plafonnement - nécessitent 19 300 emplois . Sur l'ensemble du quinquennat, seuls un peu plus de 7 000 ETP ont été créés.
La différence entre les moyens nécessaires et les ETP créés est de plus de 12 200 ETP .
Baisse démographique, fin du dispositif « plus de maîtres que de classes » - sans évaluation -, et réforme de la formation initiale comblent en partie cette différence. Les rapporteurs appellent néanmoins à une vigilance particulière dans le suivi de ces réformes : elles ne doivent pas se faire au détriment des moyens de remplacement ou par des suppressions de postes .
V. UNE RÉFORME DU LYCÉE AU MILIEU DU GUÉ
• Un premier bilan en demi-teinte
À la rentrée 2019, 426 triplettes ont été choisies par au moins un élève au niveau national. Il faut désormais 15 triplettes de spécialités pour retrouver 80 % des élèves de première . Mais, élèves et enseignants ont l'impression de naviguer à vue, dans une réforme mise en place de façon précipitée. Il est en effet difficile de choisir les spécialités et options sans connaître les attendus de l'enseignement supérieur.
• L'orientation : clé de voûte du nouveau système, mais parent pauvre de l'éducation nationale
« À partir de la seconde, et jusqu'à l'enseignement supérieur, les élèves passent à une autre étape, plus autonome, fondée sur des choix responsables, en étant accompagnés. C'est le sens de la réforme » (Jean-Michel Blanquer, débat au Sénat sur la réforme du lycée, octobre 2018).
des professeurs principaux et 65 % des proviseurs n'ont reçu aucune formation spécifique pour exercer leur mission d'orientation . L'accompagnement des élèves fait aujourd'hui défaut. |
Faute de dotation horaire globale (DHG) suffisante, dans un contexte de réforme du lycée fortement consommatrice d'heures pour les enseignements de spécialité et les options, de nombreux élèves ne bénéficient pas de leurs 54 heures d'orientation annuelles. La réforme du lycée risque d'accroître les inégalités territoriales entre les lycées où ces heures peuvent se dérouler et les autres qui, faute de DHG suffisante, ne sont pas en mesure de les organiser .
Les lycées de petite taille connaissent des difficultés fortes, non seulement pour programmer des heures d'orientation mais aussi pour proposer suffisamment de spécialités et d'options.
• Une prise en compte de la réforme perfectible par l'enseignement supérieur
Les réformes sur l'orientation et la réussite des étudiants et du lycée ont été conçues en silo et mises en oeuvre de manière parallèle, alors qu'elles auraient dû être liées.
Les filières du supérieur doivent davantage se mobiliser afin de prendre en compte la réforme du lycée : trop de filières sont dans une attitude attentiste ou estiment que le tronc commun suffit, allant à l'encontre de l'esprit de cette réforme.
VI. ENSEIGNANT : UN MÉTIER EN MANQUE D'ATTRACTIVITÉ ?
des enseignants se demandent s'ils n'auraient pas mieux fait de choisir une autre voie professionnelle que l'enseignement. |
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des enseignants estiment que leur pouvoir d'achat s'est dégradé ces cinq dernières années, une proportion largement supérieure à l'ensemble de la fonction publique (56 % estiment avoir subi une telle dégradation). |
• Une réforme de la formation initiale qui a du mal à atteindre ses objectifs
La réforme des INSPÉ avait notamment pour objectif de renforcer la professionnalisation des futurs enseignants par l'inscription dans les maquettes pédagogiques, d'une part de stages d'observation puis en responsabilité devant les élèves, et d'autre part, par une part accrue de cours réalisés par des professionnels de terrain .
Or, trop peu de stages devant élèves sont proposés par les rectorats : en moyenne 1 contrat pour 1,6 étudiant pour le premier degré, 1 pour 1,5 étudiant pour le second degré - avec des différences fortes selon les disciplines -, et 1 pour 3,2 formations conseillers principaux d'éducation (CPE). En outre, les INSPÉ dépendent des moyens mis à disposition par les rectorats pour assurer la part des cours par des professionnels de terrain.
Pour les rapporteurs, il est nécessaire d'avoir une action volontariste du ministère afin de s'assurer que l'objectif d'une meilleure préparation des étudiants à leur futur métier d'enseignant soit atteint : meilleure valorisation des stages devant les élèves, lors des concours de recrutement ; proposition d'un stage pour tous les étudiants en master MEEF (Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation) par les rectorats ou encore mise à disposition de moyens pour que le pourcentage des cours réalisés en INSPÉ par des professionnels de terrain respecte les textes réglementaires.
• Une revalorisation salariale à 1,16 milliard d'euros en 2021-2022 à poursuivre
À la suite du Grenelle de l'éducation, les enseignants ont bénéficié de primes et de revalorisation. Elles concernent principalement les débuts de carrière . En 2022, le périmètre de la prime d'attractivité doit être élargi et bénéficier à 58 % des professeurs, CPE et Psy-EN.
Les rapporteurs estiment que ces efforts doivent être poursuivis. Au-delà de primes, ils préconisent une accélération des rendez-vous de carrière, afin d'améliorer la rémunération des enseignants .