INTRODUCTION
Comment rétablir le lien de confiance entre les Français et leurs représentants, à commencer par leurs élus au niveau local ? Par quels moyens remédier au désintérêt croissant, chez certains de nos concitoyens, pour la chose publique et l'intérêt général ? Plus largement, comment redonner du sens au débat public et l'ancrer au plus proche des habitants, riverains, responsables associatifs... afin de transcender les seuls intérêts particuliers et permettre l'émergence de projets collectifs ?
Aussi lancinantes que récurrentes, ces quelques questions résument les interrogations de tout élu local aujourd'hui , dans un contexte de montée de l'abstention lors des élections et de crise de confiance à l'égard du politique. Elles portent sur les fondements même de notre système démocratique, son organisation, son fonctionnement et ses mutations.
Longtemps cantonnée à la reproduction d'un modèle unique, la démocratie locale s'ouvre désormais à de nouvelles formes d'expression et de manifestation de la volonté générale. Certes, la démocratie représentative demeure la pierre angulaire de notre système , et les élus locaux l'incarnent avec abnégation au quotidien dans nos territoires. Pour autant, comment ne pas constater qu'elle subit les contrecoups de la défiance à l'encontre des politiques ?
C'est donc sans réelle surprise que l'on a assisté, au cours de la période récente, à l'émergence d'un autre modèle d'organisation : la démocratie dite participative . Celle-ci vise à répondre à un manque ressenti par le citoyen, à un besoin d'expression non pleinement satisfait par la démocratie représentative. Parce qu'elle s'appuie sur une approche différente du débat public, cette forme « participative » de la démocratie invite aussi à revisiter les conditions de la prise de décision par les pouvoirs publics en général, et plus singulièrement dans les collectivités territoriales. Cette évolution s'est d'ailleurs trouvée favorisée par l'irruption dans notre quotidien du Numérique, qui a considérablement étendu le champ des possibles des consultations réalisables.
La forme participative de la démocratie a pu être présentée par certains observateurs comme un aboutissement indépassable et l'unique option envisageable à côté de la démocratie représentative. Tel n'est pourtant pas le point de vue de vos rapporteurs qui ont repéré, sur le terrain, une autre variation de la démocratie locale, particulièrement intéressante et porteuse d'avenir : ainsi ont-ils choisi de ranger les pratiques en question sous le concept nouveau de « démocratie implicative » . A mi-chemin entre le modèle représentatif et l'orientation participative, cette forme de démocratie opère, pour ainsi dire, la synthèse, et parfois même la réconciliation, des deux autres modes d'organisation du débat public et de la prise de décision au niveau local. Elle fait sortir le citoyen et ses élus d'un face-à-face souvent contreproductif, pour les réunir dans une relation de proximité immédiate et les associer au vivre ensemble au niveau d'une rue, d'un ensemble d'habitations, d'un quartier, d'une commune... En impliquant l'habitant, l'élu l'amène à (re)devenir un citoyen engagé dans la vie de la Cité.
C'est donc à cette plongée au coeur de la démocratie locale telle qu'elle est vécue au quotidien, qu'invite le présent rapport. Il s'est agi non seulement de cerner les tendances de fond qui travaillent nos territoires aujourd'hui, mais aussi d'en identifier les bonnes pratiques .
I. LA DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE : SORTIR DE LA CRISE EN LEVANT LES FREINS À L'ENGAGEMENT CITOYEN
Thème récurrent en particulier en période électorale, la « crise » de la démocratie représentative est évoquée depuis des années. La lassitude de l'électeur et la défiance envers les instances représentatives en sont d'incontestables signaux indicateurs, comme en témoignent les taux record d'abstention et les incivilités à l'égard des élus. Pourtant les élus locaux sont au quotidien des moteurs de la démocratie, et répondent présents sans relâche sur le terrain. L'enjeu consiste dès lors à capitaliser sur cette envie de faire en traquant les freins à l'engagement citoyen pour mieux les lever .
A. FACILITER LES DÉMARCHES POUR VOTER
1. Comprendre et répondre à la démobilisation citoyenne qui fragilise la légitimité des élus
a) La progression de l'abstention s'étend aux élections locales
Le phénomène de l'abstention n'est pas nouveau, mais il s'accentue au fil des élections et concerne désormais les élections locales. Épargné jusque-là, l'échelon communal a connu un taux de participation historiquement faible aux dernières élections municipales de 2020 avec 44,7 % au premier tour de scrutin. En 2021, les élections départementales et régionales, traditionnellement moins courues, ont connu le même phénomène, avec respectivement un record d'abstention de 65,6 % et 65,3 % 1 ( * ) .
L'évolution du taux de participation au premier tour des élections municipales de 1971 à 2020
Source : enquête du CEVIPOF, « Vertus et menaces autour de la démocratie municipale » (2020)
Cette faible participation inquiète légitimement une majorité d'élus : 46 % considèrent que cette abstention révèle un phénomène profond de désintérêt politique, et 9 % s'inquiètent de la légitimité de leur propre élection 2 ( * ) .
Il est assurément difficile d'identifier les raisons de cette forte abstention. Certes, les motifs conjoncturels tiennent leur part dans l'explication d'ensemble. En 2020, dans les départements où les admissions à l'hôpital dues à la Covid ont été élevées, le taux de participation a été plus faible de cinq points par rapport à la moyenne des autres départements , mais cet état de fait échoue cependant à rendre compte, à lui seul, de la baisse de la participation électorale de 20 %, comme le souligne Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF).
Des causes plus structurelles doivent donc être recherchées. Martial Foucault relève ainsi que l'action même de voter n'a plus la même signification dans l'esprit des citoyens : l'expansion d'une nouvelle culture consumériste tend à figer le citoyen dans une posture de consommateur . Olivier Rouquan, chercheur en sciences politiques, précise que ce comportement affecte le lien politique, l'individu veut être contenté immédiatement, à moindre coût, en conséquence de quoi il n'arrive plus à saisir l'intérêt général dans le long terme. Il ajoute qu'au surplus, le défaut de résultat de l'action publique est ressenti de manière exacerbée, alimentant un sentiment de déception et le désintérêt à l'égard de la nécessité d'aller voter .
Enfin, alors que le vote avait longtemps été intériorisé comme un devoir civique à nul autre pareil, il connaît une forme de banalisation et se range davantage aujourd'hui comme un outil de participation politique parmi d'autres.
b) L'abstention massive chez les jeunes
Dans les chiffres de l'abstention, la jeunesse occupe une place à part. Le rapport d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale, de nos collègues députés Xavier Breton et Stéphane Travert 3 ( * ) , identifie l'âge comme un déterminant important de la participation électorale. En effet, il relève qu'« au premier tour de la présidentielle de 2017, l'abstention est très supérieure à la moyenne chez les jeunes (31,6 % chez les 25-29 ans), réduite entre 40 et 49 ans, et faible chez les 50-54 ans (12,3 %). Elle augmente de nouveaux chez les personnes très âgées (42,7 % chez les 85 ans et plus) ». Au premier tour des élections régionales en 2021, le taux d'abstention chez les 18-24 ans a même atteint 87 % .
L'enquête « Une jeunesse plurielle » de l'Institut Montaigne 4 ( * ) souligne la forte désaffiliation politique parmi les 18-24 ans, principalement liée à la défiance à l'égard du système politique et à un net recul de l'attachement à la démocratie. Pourtant dans cette étude, 80 % des jeunes se disent dans le même temps attachés à la France, bien qu'ils soient plus cosmopolites et plus attachés à l'Europe que les générations précédentes. Leur faible attachement aux affiliations locales les différencie nettement des autres générations , plus localistes. Sur ce dernier point, l'Institut rappelle que parmi cette tranche d'âge se trouve aussi des individus par définition géographiquement plus mobiles, puisqu'ils sont nombreux à ne pas être encore stabilisés dans un emploi.
L'affiliation à des aires géographiques selon la génération (%)
Source : enquête de l'Institut Montaigne, « Une jeunesse plurielle » (février 2022)
Cette forte mobilité inhérente à la jeunesse amène bien évidemment à réfléchir aux modalités d'inscription sur les listes électorales . Pour pouvoir exercer son droit de vote, il faut, au préalable, être inscrit sur la liste électorale de sa commune. Or, quand 40 % d'une classe d'âge poursuit des études après le bac, souvent hors de sa commune d'origine, la question du lieu d'inscription se pose.
Actuellement, à sa majorité, chaque Français est inscrit automatiquement sur les listes électorales à condition d'avoir réalisé les démarches de recensement pouvant être effectuées à partir de l'âge de 16 ans. En cas de déménagement ou de recensement tardif, la personne peut faire une demande d'inscription auprès de sa mairie ou d'un service en ligne. Pour pouvoir participer à une élection, la démarche doit avoir été réalisée au plus tard le sixième vendredi précédant le premier tour. De plus, l'électeur ne peut voter que dans la commune d'inscription. Certains électeurs peuvent donc être empêchés d'aller voter car ne résidant plus dans cette commune. C'est particulièrement le cas des étudiants et des jeunes actifs. En 2014, nos collègues députés Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann 5 ( * ) relevaient que « les personnes ayant déménagé sont moins inscrites sur les listes , à caractéristiques sociales et familiales équivalentes ».
Considérant que l'inscription sur les listes électorales représente un frein significatif à la participation aux scrutins, vos rapporteurs estiment nécessaire de la faciliter en simplifiant et en coordonnant mieux les démarches administratives qui l'entourent.
Proposition n° 1 : mieux articuler les démarches de déménagement et administratives à l'inscription sur les listes électorales afin de faciliter celle-ci.
Délai : un an
Acteur(s) : délégation interministérielle à la transformation publique (DITP)
2. Ouvrir les démarches de vote pour gagner en participation
a) L'extension du vote par procuration
En application de l'article 112 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique dite loi « Engagement et proximité », le vote par procuration répond, depuis le 1 er janvier 2022, à des règles plus souples. Le mandant et le mandataire doivent toujours être inscrits sur une liste électorale, et le mandataire doit avoir la qualité d'électeur au regard de l'élection concernée par la procuration. Néanmoins, la condition d'attache du mandant et du mandataire dans la même commune a été supprimée.
Pour le mandataire, un principe demeurait : il ne pouvait disposer que d'une seule procuration. Cependant les élections municipales de 2020 y ont dérogé puisqu'elles ont été l'occasion, pour tenir compte des risques sanitaires liés à l'épidémie de Covid-19, d'expérimenter la double procuration en application de l'article 1 er de la loi n° 2020-760 du 22 juin 2020 tendant à sécuriser l'organisation du second tour des élections municipales et communautaires de juin 2020 et à reporter les élections consulaires 6 ( * ) .
Cet épisode n'a pas souffert de difficultés particulières et a été le moyen de favoriser le vote de personnes vulnérables ou empêchées de se déplacer. Aussi, vos rapporteurs estiment-ils le moment venu de généraliser ce qui n'était, pour l'heure, qu'une expérimentation limitée dans le temps.
Proposition n° 2 : généraliser la double procuration à l'ensemble des scrutins.
Délai : un an
Acteur(s) : ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques)
b) L'expérimentation du vote par correspondance
Le vote à distance est pratiqué dans de nombreux pays d'Europe , que ce soit de manière généralisée comme en Grande-Bretagne ou en Allemagne, ou seulement pour quelques catégories d'électeurs, comme en Autriche ou en Hongrie. Dans tous ces pays, le vote par correspondance est en constante progression. Lors des élections au Bundestag en 2017 par exemple, 28,6 % du corps électoral allemand a voté par correspondance.
En France, ce dispositif a eu cours entre 1946 et 1975 pour des catégories limitées d'électeurs : ceux retenus loin de leur commune par des obligations légales ou pour motif de santé. Le risque de fraudes a toutefois motivé l'adoption de la loi n° 75-1329 du 31 décembre 1975 modifiant certaines dispositions du code électoral qui a, notamment, supprimé le caractère général du dispositif.
Aujourd'hui, seules deux catégories d'électeurs ont accès au vote à distance :
- les Français de l'étranger pour les seules élections législatives. En 2017 par exemple, 120 000 électeurs avaient déclenché la procédure ;
- les personnes incarcérées, à condition d'avoir conservé la jouissance de leurs droits civiques. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice leur avait autorisé le vote par correspondance pour les élections européennes en 2019, et la précitée loi du 27 décembre 2019 l'a généralisé à l'ensemble des scrutins.
Certes, cette modalité de vote présente des inconvénients. La France compte en effet un nombre élevé de circonscriptions par rapport à ses voisins européens, ce qui complique l'organisation d'un tel vote. De plus, elle organise généralement deux tours de scrutin, contrairement aux pays anglo-saxons qui n'en comptent qu'un. Surtout, le coût et la multiplicité des acteurs peuvent freiner l'envie de généraliser un tel dispositif .
La chaîne indicative des acteurs intervenant dans l'organisation d'un vote par correspondance
Source : Sénat, rapport d'information n° 240 (2020-2021) de François-Noël Buffet, « Le vote à distance, à quelles conditions ? »
Néanmoins, ce système de vote permettrait de redynamiser la participation électorale. Aujourd'hui, les conditions de mise en oeuvre seraient bien différentes de celles prévues en 1946, offrant alors plus de garanties de sécurité. En effet, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a publié des standards internationaux guidant l'instauration d'un vote par correspondance .
Au regard de ces standards, notre collègue François-Noël Buffet, dans son rapport d'information « Le vote à distance, à quelles conditions ? » 7 ( * ) , relève cinq conditions nécessaires à toute mise en oeuvre d'un tel dispositif :
- ne l'envisager que comme un dispositif complémentaire du vote à l'urne ;
- une bonne organisation dans la confection et l'acheminement des plis : quatre enveloppes (de transmission, d'identification, de vote et d'expédition), ainsi que les bulletins et une note explicative sont nécessaires. En Allemagne, chaque enveloppe est de couleur différente pour éviter la confusion. Il faut également penser à imprimer le bulletin de tous les candidats dans un souci d'égalité. En termes opérationnels, la base d'adresses doit être fiabilisée et les acteurs coordonnés ;
- garantir la sécurité du dispositif : cela passe par une vérification de l'identité de l'électeur, un suivi des plis en continu et le contrôle de leur conservation dans un lieu sécurisé, ainsi qu'un contrôle indépendant ;
- envisager une refonte du calendrier électoral pour permettre les délais d'acheminement du matériel, la limite étant de ne pas trop espacer les scrutins pour éviter une démobilisation dans l'entre-deux-tours ;
- réorganiser les bureaux de vote et le dépouillement pour éviter le risque de double vote.
Vos rapporteurs ont bien conscience que ce seul outil ne permettra pas de lutter contre les causes profondes de l'abstention que sont notamment l'âge, le diplôme ou la perte de confiance dans la politique. Cependant, il favorise la participation des électeurs empêchés de manière temporaire, à l'heure où la mobilité est un facteur d'absence aux urnes .
Proposition n° 3 : expertiser (pour s'assurer de sa confidentialité) et expérimenter le vote par correspondance lors des prochaines élections locales.
Délai : prochaines élections municipales (2026)
Acteur(s) : ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques)
En complément, vos rapporteurs jugent opportun de sécuriser le délai d'envoi de la propagande électorale . En effet, les élections départementales et régionales de 2021 ont été marquées par des retards importants dans la distribution des documents électoraux aux électeurs. Un envoi suffisamment en amont du jour du premier tour de scrutin préviendra ce risque de retard, tout en augmentant le temps accordé aux électeurs pour prendre connaissance des programmes des candidats. Si cette précaution calendaire était étendue à l'envoi de la propagande du second tour de scrutin, elle aurait bien évidemment une incidence sur le délai accordé entre les deux tours de scrutin, celui-ci étant actuellement d'une semaine pour les élections municipales et départementales (en application de l'article L. 56 du code électoral) ainsi que régionales (en application de l'article L. 336 du même code).
Proposition n° 4 : garantir la réception de la propagande électorale une semaine avant le premier tour du scrutin.
Délai : prochaines élections municipales (2026)
Acteur(s) : ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques)
B. COMBLER LES FAILLES DE LA REPRÉSENTATIVITÉ
1. Le profil des élus locaux : l'exemple des maires
Sans prétendre dresser une typologie exhaustive, vos rapporteurs se sont cependant intéressés à distinguer quelques grandes caractéristiques de cet ensemble si riche de diversité que constituent les élus locaux. À cet égard, l'enquête précitée du CEVIPOF livre un certain nombre de grands enseignements concernant le maire, figure emblématique parmi les élus locaux.
En moyenne, les maires sont âgés de 59,4 ans , soit sept ans de plus que celui des conseillers municipaux (c'est-à-dire l'équivalent d'à peine plus que la durée d'un mandat municipal de six ans). L'écart se réduit toutefois dans les agglomérations de plus de 30 000 habitants, puisqu'il tourne autour de quatre à cinq ans.
L'âge des maires selon la taille de la commune
à l'issue des élections municipales en 2020
Source : enquête précitée du CEVIPOF
En cohérence avec cette ventilation en fonction de l'âge, l'étude des caractéristiques socioprofessionnelles montre que quatre maires sur dix sont des retraités , constat identique pour les hommes et les femmes, alors que les retraités ne représentent que 25 % des administrés. Environ 20 % des maires sont des cadres ou exercent des professions intellectuelles supérieures. Les inactifs, au sens de l'INSEE, ne représentent que 2,7 % des maires, alors qu'ils constituent en moyenne le groupe le plus nombreux parmi les administrés.
Le seuil discriminant est celui des 3 500 habitants . Sous ce seuil, les maires sont largement issus des catégories « professions intermédiaires » et « inactifs ». Au-delà, ils appartiennent davantage aux catégories dites « CSP+ ».
L'origine professionnelle des maires
à l'issue des élections municipales en 2020
Source : enquête précitée du CEVIPOF
Ce déficit de représentativité dans l'âge et la catégorie socioprofessionnelle se retrouve également dans le domaine de la répartition des mandats entre les hommes et les femmes, malgré l'instauration de quotas au cours de la période récente.
La répartition du mandat de maire entre les hommes et les femmes,
par taille de communes, à l'issue des élections municipales en 2020
Source : enquête précitée du CEVIPOF
Dans cette forte dispersion géographique, il convient néanmoins d'observer que :
- 25 % des maires des communes de plus de 100 000 habitants étaient des femmes au lendemain des élections municipales en 2020 ;
- cinq des dix plus grandes villes de France ont une femme à leur tête 8 ( * ) ;
- le taux de féminisation est plus élevé dans les communes de moins de 3 500 habitants, avec 20,3 % de femmes maires de communes de moins de 1 000 habitants . Et ce, alors qu'elles sont 37,6 % dans les conseils municipaux des communes de moins de 1 000 habitants, contre 48,5 % pour les communes de plus de 1 000 habitants.
2. Faire progresser la parité à l'échelon communal
Si la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 a marqué le début d'une féminisation des élus locaux, le mouvement est encore timide : en 2020, les femmes représentent 19,8 % des maires contre 16 % en 2014. En projetant par exemple une augmentation du taux de féminisation de 2 % à chaque élection municipale, il faudrait attendre 2092 pour atteindre la parité effective s'agissant de la répartition du mandat de maire entre les hommes et les femmes.
Dans le bloc communal, les intercommunalités demeurent, elles aussi, éloignées de la parité effective. Avant la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite « Loi NOTRe »), la France comptait 32 % de conseillères communautaires, 31 % après cette loi et 33 % en 2020. Imposant un seuil de 15 000 habitants pour bénéficier des avantages liés à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), cette loi a encouragé les territoires à opérer des fusions, conduisant à une diminution du nombre de postes de conseillers communautaires par communes, souvent au détriment des femmes. Lorsqu'un seul siège est disponible, il échoit souvent au maire, c'est-à-dire souvent à un homme.
Au niveau départemental , une étude en cours au sein de l'association « Elles aussi » sur le bilan des binômes départementaux montre qu'à ce jour, ce sont les hommes qui sont la plupart du temps à l'initiative de ce binôme 9 ( * ) . Souvent, même les femmes qui ont de l'expérience politique n'ont pas de réelle maîtrise sur le binôme.
Les « zones blanches » les plus emblématiques et problématiques de la parité restent cependant les communes de moins de 1 000 habitants et les intercommunalités. Lors de son audition, Nadine Kersaudy, vice-présidente de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) en charge de la parité, a d'ailleurs fait valoir qu'environ 70 % des communes ne sont pas concernées par les règles de parité, étant sous le seuil des 1 000 habitants .
Pour pallier cette carence en représentativité, vos rapporteurs souscrivent à la disposition relative aux communes de moins de 1 000 habitants et prévue par la proposition de loi, déposée par notre collègue députée Élodie Jacquier-Laforge, visant à renforcer la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal, adoptée par l'Assemblée nationale le 3 février 2022 et transmise au Sénat 10 ( * ) . Cette disposition est reprise dans la proposition suivante.
Proposition n° 5 : aligner les règles paritaires en vigueur pour les communes de plus de 1 000 habitants aux communes de moins de 1 000 habitants.
Délai : un an
Acteur(s) : ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques)
La mise en place de cette mesure de parité au sein de toutes les communes aura nécessairement un impact positif sur la présence des femmes au sein des intercommunalités .
C. ENTRETENIR L'ENGAGEMENT DES ÉLUS
1. Renforcer la protection des élus locaux victimes d'incivilités
La détérioration du lien social et la défiance à l'égard du politique se manifeste de plus en plus dans notre pays par des expressions de colère. Ainsi, 53 % des maires interrogés dans l'enquête du CEVIPOF indiquent avoir été victimes d'incivilités et 29 % de menaces verbales ou écrites . Plus précisément, 70 % des maires sortants réélus en 2020 déclarent avoir subi une forme d'incivilité, contre 46 % des nouveaux maires « expérimentés » (c'est-à-dire ayant exercé les fonctions d'adjoint au maire ou de conseiller municipal auparavant) et 32 % pour les nouveaux maires (sans expérience).
La première source de difficultés auxquelles les maires sont confrontés et qui peuvent déboucher sur des faits de violence sont les dépôts sauvages (gravas, ordures...). Les atteintes aux biens de la commune (dégradations, vols) arrivent en deuxième position.
Les actes dont sont victimes les maires
Source : enquête précitée du CEVIPOF
Au surplus, les maires considèrent que la situation s'est dégradée au cours des cinq dernières années .
L'évolution des incivilités à l'égard des maires
au cours des cinq dernières années
Source : enquête précitée du CEVIPOF
Lors de son audition par votre délégation, David Lisnard, nouveau président de l'Association des maires de France (AMF), a rappelé que l'AMF avait lancé un observatoire de ces phénomènes afin d'accompagner les élus.
À la suite de ces constats, plusieurs avancées ont été obtenues. La loi précitée du 27 décembre 2019 dite « Loi Engagement et proximité » comportait des points positifs. En effet, désormais, les élus locaux bénéficient d'un régime de protection qui s'apparente à la protection fonctionnelle des agents publics 11 ( * ) .
Pourtant, en pratique en conseil municipal, il reste difficile de faire part d'une décision qui engage une dépense pour la protection fonctionnelle d'un élu. L'automaticité de ce dispositif éviterait des incompréhensions , voire des tensions. C'est pour cette raison que vos rapporteurs formulent la proposition suivante.
Proposition n° 6 : rendre automatique la protection fonctionnelle des élus locaux en cas d'agression.
Délai : un an
Acteur(s) : ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales / ministère de la Justice (direction des affaires criminelles et des grâces)
L'AMF a également mis en place, en lien avec la gendarmerie nationale, et plus récemment avec la police nationale, des formations à l'attention des élus pour les aider à appréhender les situations de crise . Au total, 15 000 maires et adjoints au maire ont été formés, dont 14 000 avec la gendarmerie nationale. Des formateurs du groupement d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) ont parfois été mis à contribution, sur le thème de la gestion des menaces et des situations de crise.
Considérant cette initiative particulièrement pertinente, vos rapporteurs jugent nécessaire qu'elle soit désormais pérennisée dans le temps et forme donc la recommandation suivante.
Proposition n° 7 : former, dès leur prise de mandat, les élus locaux à la gestion des situations de crise et des comportements agressifs dont ils peuvent être la cible.
Délai : un an pour les élus en cours de mandat, puis à compter des prochaines élections municipales (2026)
Acteur(s) : associations d'élus locaux / ministère de l'Intérieur (direction générale de la police nationale - DGPN - et direction générale de la gendarmerie nationale - DGGN -)
Lors de son audition, David Lisnard a également remarqué que les associations départementales de maires peuvent se constituer partie civile en cas d'acte commis à l'encontre d'un maire. Il a indiqué être en faveur de la même possibilité pour l'AMF, nécessitant une évolution de l'article 2-19 du code de procédure pénale. Cela permettrait, grâce au recours à des avocats spécialisés de rayonnement national, de veiller à ce que les procédures puissent prospérer, alors que les classements sans suite restent aujourd'hui trop nombreux . En outre, cette évolution serait l'occasion de médiatiser, lorsqu'il le faut, certaines actions, et d'alourdir la sanction à l'encontre de l'auteur des faits (en raison de la possibilité d'une indemnisation supplémentaire).
Vos rapporteurs considèrent qu'accorder cette faculté à l'AMF, mais aussi aux communes elles-mêmes, sera un progrès dans la protection juridique des maires et un signal fort de reconnaissance de l'importance de leur rôle dans le fonctionnement de la démocratie locale.
Proposition n° 8 : donner à l'AMF et aux communes la faculté de se constituer partie civile en cas d'agression d'un maire.
Délai : un an
Acteur(s) : associations d'élus locaux / ministère de la Justice (direction des affaires criminelles et des grâces)
2. Reconnaître l'engagement des élus locaux
A l'occasion des élections municipales en 2020, près de 60 % des maires sortants ont été réélus, soit un taux de renouvellement conséquent de 40 % .
Par ailleurs, la plupart des maires élus il y a près de deux ans disposent d'une antériorité politique, à peine 5 % d'entre eux n'étaient pas élus auparavant comme conseillers municipaux ou premiers adjoints. La trajectoire politique des maires élus s'inscrit donc dans la durée. L'engagement municipal dépasse largement la fonction de maire. En effet, selon l'enquête du CEVIPOF, une forte majorité de nouveaux maires exerçait déjà soit une fonction de conseiller municipal (68 %), soit une fonction d'adjoint (32 %) au cours de la mandature précédente.
Le devenir des maires en 2020
Source : enquête précitée du CEVIPOF
Lors de son audition, Martial Foucault a rappelé que pas un seul pays au monde rapporté à sa population n'est capable de mobiliser un million de candidats à une élection locale, comme le fait la France .
Cependant, en 2020, près d'un maire sortant sur trois (30 %) n'était pas candidat à sa propre succession . Ce pourcentage s'explique par la difficulté à mener de front une vie professionnelle et un mandat, mais aussi par la délicate conciliation entre une vie personnelle et la fonction de maire. Dans une moindre mesure, prend sa part le sentiment de ne plus pouvoir gouverner la commune comme initialement envisagé.
En 2018, votre délégation faisait déjà remarquer, dans le rapport d'information de nos collègues Josiane Costes, Bernard Delcros et Charles Guené « Faciliter l'exercice des mandats locaux : le régime indemnitaire » 12 ( * ) , que choisir de se dédier entièrement à ses missions d'élu local ne devait pas constituer un sacrifice disproportionné. Ainsi, « résoudre la crise des vocations, c'est aussi donner aux futurs élus l'assurance que leur parcours électif ne les pénalisera pas pour le reste de leur vie professionnelle et personnelle ».
Aussi, pour faciliter la transition entre la vie professionnelle et le mandat électif, les rapporteurs appuient la recommandation, déjà formulée en 2018, d'étudier la possibilité, durant l'exercice du mandat ayant occasionné la suspension de la vie professionnelle, de cotiser au régime général de retraite à un montant identique à celui de l'emploi à temps plein abandonné.
Proposition n° 9 : étudier la possibilité, durant l'exercice du mandat ayant occasionné la suspension de la vie professionnelle, de cotiser au régime général de retraite à un montant identique à celui de l'emploi à temps plein abandonné afin de ne pas être pénalisé par le choix effectué notamment au moment de faire valoir ses droits à la retraite.
Délai : 3 ans
Acteur(s) : ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales / ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion
Compte tenu de l'exigence croissante en temps et en investissement personnel nécessaire à l'exercice d'un mandat local, l'article 105 de la loi dite « Engagement et proximité » a prévu un principe d'accompagnement des élus locaux à travers des formations professionnelles adéquates, via un compte professionnel de formation. La loi précitée permet un élargissement de l'offre locale de formations professionnelles en s'adaptant le plus possible aux besoins des élus. Le droit individuel à la formation (DIF) bénéficie également aux élus pour des formations nécessaires à leur reconversion professionnelle. En application de l'article L. 1221-3 du code général des collectivités territoriales (CGCT), les organismes de formation qui souhaitent former les élus locaux doivent, au préalable, obtenir un agrément du ministre chargé des collectivités territoriales. C'est par exemple le cas de Sciences Po Lyon qui, pour son programme de formation de 2022, a inscrit la maîtrise des finances locales, le rôle de l'élu dans la transition énergétique et climatique ou encore la maîtrise du mécénat territorial 13 ( * ) .
S'ils saluent comme une avancée très positive l'accompagnement en formation professionnelle des élus, vos rapporteurs considèrent qu'il s'agit désormais de la faire vivre et de lui donner autant de consistance matérielle que possible.
Proposition n° 10 : développer des partenariats avec les établissements d'enseignement supérieur afin de faire vivre la validation des acquis d'expérience résultant de l'exercice d'un mandat électoral local.
Délai : 3 ans
Acteur(s) : établissements d'enseignement supérieur et associations représentant les élus locaux
* 1 Source ministère de l'Intérieur.
* 2 Source : enquête du CEVIPOF précitée.
* 3 Assemblée nationale, rapport d'information n° 4970 (2021-2022).
* 4 Février 2022.
* 5 Rapport d'information sur les modalités d'inscription sur les listes électorales, Assemblée nationale, n° 2473 (2014-2015).
* 6 La loi prévoyait également la venue à domicile du commissariat ou de la gendarmerie pour établir la procuration.
* 7 Sénat, rapport d'information n° 240 (2020-2021).
* 8 Anne Hidalgo pour Paris, Michèle Rubirola pour Marseille, Jeanne Barseghian à Strasbourg, Martine Aubry à Lille et Johanna Rolland à Nantes.
* 9 Les résultats définitifs de cette étude devraient être connus dans le courant de l'année.
* 10 Proposition de loi n° 451 (2021-2022).
* 11 À la suite de cette loi, deux circulaires ont été adressées par le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, aux parquets afin que ceux-ci portent une attention particulière aux agressions à l'encontre des élus et aux plaintes qu'ils déposent :
- la circulaire du 6 novembre 2019 relative au traitement judiciaire des infractions commises à l'encontre des personnes investies d'un mandat électif et au renforcement des échanges d'informations entre les élus locaux et les procureurs de la République ;
- la circulaire du 7 septembre 2020 visant à renforcer le suivi judiciaire des auteurs d'infractions commises à l'encontre des élus locaux.
* 12 Sénat, rapport d'information n° 642 (2017-2018).
* 13 Cf. site internet de Sciences Po Lyon, rubrique « formations des élus ».