B. UNE RÉPONSE ÉCONOMIQUE EFFICACE MAIS INSUFFISAMMENT TERRITORIALISÉE

1. Un choc inédit en 2020, une reprise réelle au premier semestre 2021 et de fortes incertitudes pour les mois à venir
a) Une chute de l'activité très marquée en 2020, bien que moins forte qu'en France métropolitaine
(1) Une chute d'activité globale entre 3 % et 6 % du PIB en outre-mer, qui masque des situations contrastées selon les territoires

Les différents « amortisseurs » recensés supra ont « ont permis d'amortir la baisse du PIB, qui, en dépit des estimations très élevées du début d'année 34 ( * ) , s'est établie, à la fin de l'année 2020, entre moins 3 % et moins 6 %, à comparer à la diminution de 7,9 % enregistrée dans l'Hexagone, sauf en Polynésie française, où la régression du PIB a été de 7,6 % », ainsi que l'a relevé Mme Marie-Anne Poussin-Delmas devant la mission d'information.

Pour autant, cette chute de l'activité reste massive, inédite par son ampleur et sa synchronie entre les territoires, et ses conséquences dommageables devraient persister sur le moyen terme.

Dans le détail, le PIB de la Guadeloupe s'est contracté de 3 % en 2020 et les estimations de perte de chiffre d'affaires s'établissent à -13,1 %. En Martinique , la baisse du PIB est également de 3 %, et l'indicateur du climat des affaires a connu en 2020 sa plus forte baisse depuis les mouvements sociaux de 2009. Ainsi que le note une publication 35 ( * ) de l'IEOM/IEDOM d'avril 2021, « il n'en reste pas moins que l'économie martiniquaise expérimente en 2020 l'une des plus dures récessions de son histoire moderne ».

En Guyane , si le secteur du tourisme s'est effondré et ne s'était toujours pas entièrement redressé en avril 2021, l'activité des principaux secteurs est restée plutôt stable. Le moral des chefs d'entreprise, après avoir plongé lors du premier trimestre 2020, atteignait ainsi fin 2020 son niveau de 2019.

À Saint-Pierre-et-Miquelon , « malgré des incertitudes persistantes et une reprise inégale selon les secteurs d'activité, l'économie de l'archipel s'est montrée résiliente face à la crise économique en 2020 », selon le rapport IEDOM-IEOM précité, grâce notamment à la consommation des ménages et au poids de l'administration publique.

À La Réunion , les pertes de chiffre d'affaires ont atteint 9 % en moyenne sur l'année, tous les grands secteurs économiques étant touchés, mais l'économie a fait preuve dans l'ensemble d'une importante résilience en raison notamment d'une situation sanitaire mieux maîtrisée. À Mayotte en revanche, les difficultés déjà existantes ont été amplifiées par la crise sanitaire et économique, les problèmes de trésorerie des entreprises ayant été particulièrement aigus ; après une courte reprise, l'activité globale a ainsi à nouveau diminué au dernier trimestre.

En Nouvelle-Calédonie , l'économie a été fortement fragilisée tout au long de 2020 (en particulier pour les secteurs tournés vers l'extérieur comme le tourisme) et « sa capacité de résilience est dans une large mesure entamée », d'autant que le secteur du nickel a connu de nouvelles tensions.

En Polynésie française , 85 % des entreprises ont connu une baisse d'activité durant le confinement, liée notamment à la division par trois du nombre de touristes. La gravité de la situation a conduit les autorités publiques locales, appuyées par l'État, a mettre en place des mesures de soutien.

À Wallis-et-Futuna , enfin, où le territoire a été épargné par la pandémie en 2020, l'économie a maintenu une trajectoire favorable.

En ce qui concerne plus particulièrement le secteur touristique, l'activité a chuté en 2020 de 45 % en Guadeloupe, de 43 % en Martinique et de 40 % en Guyane.

(2) Les entreprises ultramarines ont bénéficié d'un soutien non négligeable de l'État

La moindre diminution en 2020 du PIB en outre-mer par rapport à l'hexagone s'explique notamment par les mesures de soutien mises en oeuvre. Ainsi, toujours selon Mme Poussin-Delmas, « les dix premières régions françaises bénéficiaires de PGE comptent six territoires ultramarins. À la fin du mois de septembre, l'encours de crédit dont les entreprises ultramarines ont bénéficié s'est élevé à 3,4 milliards d'euros, à savoir 2,5 % de l'encours pour la France entière, soit le poids exact du PIB des outre-mer dans le PIB de notre pays ».

INTENSITÉ DU RECOURS AUX PGE AU 3 SEPTEMBRE 2021 DANS LES DOM-COM

Source : IEDOM-IEOM, documents transmis à la mission d'information.

Note de lecture : l'intensité est mesurée par le ratio entre la part de la région dans le total des PGE accordés en France entre la part de la région dans le PIB total.

Mme Poussin-Delmas a par ailleurs précisé que « l'intensité du recours au dispositif d'activité partielle a également été massive lors du premier confinement. Les cinq DOM ont bénéficié de 629 millions d'euros d'indemnisation », expliquant en partie la chute plus modérée, bien que significative, de l'activité. Pour ne prendre que l'exemple de la Guadeloupe, 10,6 millions d'heures chômées ont été validées, pour une dépense publique de 101 millions d'euros, et 80 % des établissements employant au moins un salarié dans le secteur privé ont été concernés.

INTENSITÉ DU RECOURS À L'ACTIVITÉ PARTIELLE
DANS LES DOM-COM DE LA ZONE EURO

Source : IEDOM-IEOM, documents transmis à la mission d'information.

La banque centrale des collectivités du Pacifique a également joué un rôle via sa politique de refinancement. Celui-ci a ainsi été multiplié par 12 entre fin 2019 et septembre 2021, pour atteindre 150 milliards de francs Pacifique, avec des taux nuls voire négatifs.

b) La reprise épidémique mi-2021 met fin à la dynamique de reprise encourageante observée au premier semestre 2021
(1) Un regain d'activité économique soudainement stoppé

Compte tenu de la forte reprise épidémique aux mois de juillet et août, plusieurs territoires ultramarins ont à nouveau été confinés : la Guadeloupe du 4 août au 8 octobre, la Martinique du 30 juillet au 19 septembre, La Réunion de fin juillet au 18 septembre, la Nouvelle-Calédonie du 6 septembre au 14 novembre, la Polynésie française du 23 août au 20 septembre (confinement maintenu les week-ends dans les îles les plus peuplées). Tous les territoires, y compris ceux non soumis à confinement, ont fait l'objet d'un renforcement des mesures de restriction d'activité .

Or cette situation a heurté de plein fouet le regain d'activité constaté depuis le début 2021 qui permettait aux chefs d'entreprise d'anticiper une hausse de leur chiffre d'affaires de 5 % en moyenne.

ANTICIPATIONS DE L'ÉVOLUTION DU CHIFFRE D'AFFAIRES
DES ENTREPRISES ULTRAMARINES POUR 2021

Source : IEDOM-IEOM, note n° 656, avril 2021.

La matérialisation de ces anticipations se traduisait ainsi à la fois par une diminution du nombre de demandeurs d'emplois et par une hausse de l'indicateur du climat des affaires.

ÉVOLUTION DES DEMANDEURS D'EMPLOIS (DE CATÉGORIE A)
DANS LES DOM, EN GLISSEMENT ANNUEL

Source : IEDOM-IEOM, à partir des données des DIECCTE, de Pôle emploi et de la DARES.

INDICATEUR DU CLIMAT DES AFFAIRES DANS LES DOM

(100 = moyenne de longue période)

Source : Rapport CEROM, à partir des données IEDOM, IEOM, Banque de France.

Compte tenu de la fermeture de nombre d'entreprises et des fragilités structurelles, qui ont pu se révéler temporairement vertueuses en 2020 ( cf. supra ) mais qui maintiennent ceteris paribus ces territoires dans une vulnérabilité économique, la crise de l'été 2021 , dont il n'est pas encore possible de quantifier précisément l'ampleur en termes de destruction de richesse et d'emplois, risque d'aggraver durablement une situation économique déjà fortement dégradée 36 ( * ) . En outre, plusieurs acteurs ont souligné qu'en raison d'un trop faible taux de vaccination, l'application du passe sanitaire, dans certains territoires comme Mayotte ou la Guyane, risquait d'entraîner un recul de la fréquentation des restaurants et hôtels 37 ( * ) et un manque d'effectifs. En Guyane par exemple, moins d'un tiers des restaurateurs ont pu ouvrir avec une équipe complète, en raison du faible taux de vaccination de leur personnel.

Par ailleurs, ainsi que l'a rappelé Mme Poussin-Delmas devant la mission d'information, « contrairement à l'ensemble des autres secteurs, le secteur touristique a raté son redémarrage au deuxième trimestre 2021 [alors son chiffre d'affaires a baissé de 45 % en 2020] . Il n'a pas repris du fait de la situation sanitaire, notamment de son impact sur le trafic aérien. Il se trouve dans une situation d'extrême difficulté . Le chiffre d'affaires du secteur était en recul de 4 % au premier trimestre par rapport au trimestre précédent. La situation ne s'est pas améliorée au deuxième trimestre, avec un chiffre d'affaires en recul de 14 % ». Au surplus, en Polynésie française où le secteur touristique est prépondérant, les perspectives positives offertes par la réouverture du trafic aérien international en juillet ont rapidement été balayées par le regain épidémique. Selon le Syndicat des entreprises du tour operating (Seto), la Polynésie française ne se situe ainsi qu'à 75 % de son niveau d'activité d'avant-crise, et La Réunion qu'à 36 %.

L'ANNULATION DES DÉPARTS DE CROISIÈRES : UN CHOC ÉCONOMIQUE À COURT-TERME, UNE INQUIÉTUDE À PLUS LONG TERME

Compte tenu des spécificités de cette activité (proximité des passagers, diversité des pays d'origine des passagers, nombre d'activités réalisées sans masque - repas, activités aquatiques, danse, etc. -), le dynamisme du secteur des croisières dépend étroitement des mesures sanitaires édictées dans les différents ports de départ ou de destination et du taux de vaccination observé dans ces localités.

Or le Comité France Maritime a annoncé en octobre 2021 que la Guadeloupe et la Martinique n'accueilleraient aucune escale de bateaux de croisière avant le 15 janvier 2022, c'est-à-dire lorsque la saison hivernale sera déjà entamée, et que les vacances de Noël seront achevées.

Cette décision, outre ses conséquences économiques à court-terme pour le secteur touristique (et notamment les agences de voyage), suscite des inquiétudes quant à l'attractivité de ces territoires à moyen terme. Entendus en Martinique par la mission d'information qui s'est rendue sur place, des acteurs du tourisme ont ainsi fait part de leurs craintes que cette décision permette à d'autres ports des Caraïbes (Sint-Marteen, République dominicaine) de s'imposer comme points de départ, au détriment des îles françaises, ce qui affaiblirait structurellement le dynamisme de ce secteur, pourtant vital à l'économie locale.

Le Comité du tourisme de Guadeloupe a, quant à lui, indiqué craindre que les compagnies aériennes ayant ouvert des lignes pour acheminer les croisiéristes fassent finalement le choix de les fermer.

Au total, pour la Guadeloupe, le manque à gagner pourrait représenter entre 80 et 100 millions d'euros (700 emplois dépendent directement des croisières).

Tout ceci se traduit donc par d'importantes craintes qu'une vague de faillites ne survienne dans les prochains mois : « les chefs d'entreprise sont très inquiets, comme ils l'ont exprimé à l'occasion de notre enquête de conjoncture : 28 % craignent de devoir cesser leur activité dans un délai de douze mois - ce taux est de 25 % dans le secteur de la construction 38 ( * ) ». Cette situation contraste fortement avec les anticipations plutôt positives que les entrepreneurs portaient début 2021 sur le dynamisme de leurs secteurs respectifs. Ces considérations ne s'appliquent toutefois pas à Saint-Barthélemy, où les représentants de la CCI ont indiqué à la mission d'information que la situation économique était excellente, grâce notamment au taux élevé de vaccination et au retour des touristes américains. En revanche, en Nouvelle-Calédonie, elles se doublent d'inquiétudes vives des entrepreneurs quant à l'évolution institutionnelle du territoire, compte tenu du référendum prévu le 12 décembre 2021.

Par ailleurs, à ces difficultés liées aux restrictions d'activité s'ajoutent divers éléments exogènes susceptibles de dégrader encore la situation. Ainsi du coût du fret et de l'inflation qui en résulte : « nous connaissons aujourd'hui des pénuries de conteneurs et des lenteurs d'approvisionnement. Le prix des conteneurs a été multiplié par quatre entre septembre 2020 et août 2021. Par conséquent, les outre-mer subissent aujourd'hui, de façon générale, une hausse des prix des matières premières, des coûts du fret, du prix de l'énergie et, au-delà, de nombreux intrants 39 ( * ) ». Les retards du fret obligent les entreprises à surstocker afin de pallier toute rupture d'approvisionnement, ce qui entraîne des coûts logistiques supplémentaires, soit répercutés dans les prix de vente, soit absorbés par une réduction de leur rentabilité. Cette situation est particulièrement préjudiciable dans des territoires comme Mayotte, où 80 % des marchandises sont importées. En outre, cette hausse des prix pose des difficultés pour les titulaires de contrats dont les termes financiers ont été négociés il y a plusieurs mois ; l'équilibre desdits contrats s'en trouve d'autant modifié.

Si, mi-novembre 2021, la situation sanitaire semble s'améliorer, rien ne permet de conclure à un retour rapide à la normale de la vie économique. Aux Antilles comme en Guyane, la faiblesse de la couverture vaccinale expose à un rebond de l'épidémie qui nécessiterait de nouveau des mesures de freinage pesant sur l'activité . La mise à l'arrêt de l'économie ultramarine pouvant produire des dégâts de moyen terme voire de long terme (faillites, difficultés d'approvisionnement, marchés d'export toujours fermés, moindre appétence des touristes pour ces zones, etc.), et les entreprises ultramarines présentant des fragilités considérables, les mesures de soutien économique doivent être maintenues y compris en cas de légère reprise de l'activité.

(2) Une quatrième vague qui aggrave en outre les difficultés sociales

Les territoires d'outre-mer se caractérisent par des indicateurs sociaux plus dégradés que la moyenne. Ainsi du chômage, qui en 2020 s'est élevé par exemple à près de 19 % en Guadeloupe, 13 % en Martinique, 17 % à La Réunion, 11 % en Nouvelle-Calédonie (mais 15 % pour les Kanaks), 15 % en Polynésie française. Ainsi également du taux de pauvreté, qui atteint quant à lui 30 % 40 ( * ) en Martinique et en Guadeloupe, 42 % à La Réunion, 53 % en Guyane et même 77 % à Mayotte.

Ainsi qu'il a été rappelé en audition par M. Bourahima Ali Ousseni, président de la Confédération des PME de Mayotte, le PIB/habitant sur l'île est de 12 000 euros contre 30 000 euros environ en métropole.

À ces difficultés s'ajoutent celles liées :

• à un contexte social éruptif ;

• à un taux plus élevé d'infractions violentes 41 ( * ) et de violences intrafamiliales ;

• à « un temps effectif d'étude sensiblement inférieur à celui observé en métropole, [...] affecté par l'insuffisance des transports scolaires 42 ( * ) ».

Lors de son déplacement en Martinique, la délégation de la mission d'information a pu évoquer avec des intervenants de l'action sociale et les services de l'État l' aggravation de la situation sociale depuis le début de la pandémie , avec des besoins accrus en matière d'aide alimentaire, notamment pour des publics jusqu'alors peu concernés tels que les étudiants, l'augmentation des violences intrafamiliales et la nécessité de trouver des solutions d'hébergement d'urgence qui en résulte ou encore l'accentuation de la fracture numérique liée au développement d'activités en distanciel. Cette situation a justifié, sous la forme d'un « bouclier social », la mobilisation de tous les dispositifs sociaux existants, qu'ils relèvent de l'État ou des collectivités locales. Par ailleurs, la fermeture des établissements scolaires, qui suivait une longue période de grève, a renforcé les risques de décrochage, avec des effets à moyen terme sur l'insertion sociale et professionnelle des jeunes.

Il est clair qu'en cas de forte reprise épidémique, la mise en place d'un nouveau confinement et/ou d'un couvre-feu dans tout ou partie des territoires ultramarins serait fortement susceptible d'accroître ces difficultés.

LA NOUVELLE-CALÉDONIE ET LA POLYNÉSIE FRANÇAISE,
DEUX COLLECTIVITÉS SANS MARGE DE MANoeUVRE BUDGÉTAIRE

Si plusieurs mesures d'aides ont été décidées par les assemblées délibérantes de ces collectivités, l'État a été contraint d'intervenir à plusieurs reprises pour combler leur déficit budgétaire et leur assurer des marges de manoeuvre financières.

En Nouvelle-Calédonie, le budget n'a ainsi pas été voté par le Congrès, mais arrêté par le Haut-commissaire. La collectivité a perçu en 2020 un prêt de l'Agence française de développement (AFD) garanti par l'État de 240 millions d'euros, ainsi qu'une subvention étatique de 82 millions d'euros en 2021. Une aide supplémentaire de 40 millions d'euros a été annoncée. D'ici la fin de l'année, le besoin de financement serait toutefois encore évalué entre 200 et 250 millions d'euros.

En audition, le ministre de la santé de Nouvelle-Calédonie a toutefois évoqué une impasse budgétaire de 375 millions d'euros pour 2020.

La Polynésie française a perçu, quant à elle, deux PGE accordés par l'AFD (240 puis 300 millions d'euros).

2. Dans l'ensemble, un soutien économique notable, mais devant mieux répondre aux besoins légitimes d'adaptation locale
a) Le soutien économique de l'État a permis d'éviter une catastrophe économique...

Les territoires d'outre-mer ont bénéficié depuis mars 2020 de mesures de soutien équivalentes à celles prévues pour la métropole. De l'avis général, elles ont été bienvenues et ont joué un rôle important pour éviter un désastre économique. Environ 6 milliards d'euros ont ainsi été injectés dans l'économie de ces territoires, qui se décomposent comme suit :

• 3,5 milliards d'euros de prêts garantis par l'État (PGE) ;

• 1 milliard d'euros au titre du fonds de solidarité ;

• 830 millions d'euros de reports de charges ;

• 650 millions d'euros au titre de l'activité partielle 43 ( * ) .

M. Éric Leung, président de la délégation aux outre-mer du Cese, a ainsi indiqué à la mission d'information : « les mesures massives qu'a apportées l'État depuis le premier confinement en mars 2020 ont répondu aux attentes du monde économique de façon générale. Si l'intensité de la mise en oeuvre de ces aides a été différenciée, nous pouvons considérer que les fonds de solidarité, l'articulation des prêts garantis par l'État, l'activité partielle ont permis de sauvegarder nos entreprises dans la très grande majorité de nos onze territoires ».

LES MESURES DE SOUTIEN ÉCONOMIQUE ONT ÉTÉ PROLONGÉES EN OUTRE-MER
À LA SUITE À LA RÉSURGENCE DE L'ÉPIDÉMIE

Alors que le terme du « quoi qu'il en coûte » est intervenu fin septembre 2021 en métropole (notamment avec l'extinction du fonds de solidarité), différentes mesures de soutien économique ont été prolongées en outre-mer à la suite du déclenchement de l'état d'urgence sanitaire à La Réunion, en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane :

- concernant l' activité partielle , les entreprises dont l'activité est partiellement ou totalement interrompue sur décision de l'État restent éligibles à ce dispositif ; pour les autres, si leur perte de chiffre d'affaires est supérieure à 60 %, elles sont éligibles à ce dispositif (sans reste à charge pour l'entreprise). Pour celles dont la perte est inférieure à 60 %, le bénéfice de l'activité partielle dépend de leur couverture ou non par un accord collectif relatif à l'activité partielle de longue durée (APLD). Si elles sont couvertes, elles sont éligibles à l'activité partielle avec un reste à charge de 15 % ; si elles ne le sont pas, le reste à charge était de 25 % en août et de 40 % à partir de septembre ;

- le fonds de solidarité est maintenu, mais selon un schéma complexe, qui dépend de l'interruption totale ou non de l'activité sur décision de l'État pendant plus de 21 jours au cours du mois, du type d'activité exercée (secteurs protégés ou non) et de l'emplacement géographique de l'entreprise (territoire soumis à état d'urgence sanitaire ou non, ou soumis à un confinement pendant plus de 8 jours) ;

- l' exonération de charges patronales et le régime plus favorable d' aide au paiement des charges sociales sont maintenus pour les petites entreprises du tourisme, de l'événementiel, de la culture, du sport et du transport aérien, mais uniquement pour les entreprises exerçant leur activité dans un secteur protégé et employant moins de 250 salariés.

b) ... mais est resté insuffisamment adapté aux fortes spécificités des entreprises ultramarines, y compris en 2021

Les différents acteurs économiques entendus par la mission ont tous relevé que ces aides ont permis d'amortir, temporairement, les effets de la crise. Pour autant, plusieurs d'entre eux ont mis en avant le fait que les mesures de soutien ne tenaient pas suffisamment compte des réalités locales . Ils ont notamment déploré que peu de suites aient été données à leurs demandes d'adaptation, ou trop tardivement.

(1) Des critères d'éligibilité parfois trop restrictifs

Le maintien du fonds de solidarité au-delà de septembre 2021 obéit à un schéma particulièrement complexe , et semble comporter plusieurs « trous dans la raquette » liés à la multiplicité des critères d'éligibilité.

SCHÉMA EXPLICATIF DE L'ÉLIGIBILITÉ AU FONDS DE SOLIDARITÉ EN OUTRE-MER

Source : Ministère des outre-mer

Ainsi, une entreprise qui n'a pas été fermée administrativement, mais qui exerce son activité dans un secteur protégé au sein d'un territoire non soumis à état d'urgence sanitaire n'est éligible à l'indemnisation de 20 % de la perte de chiffre d'affaires qu'à la condition d'avoir déjà touché le fonds de solidarité en avril ou mai 2021 ; dans tous les cas, elle n'est plus éligible depuis septembre. De même, une entreprise qui n'a pas été fermée administrativement, qui n'exerce pas dans un secteur protégé mais qui est basée dans un territoire soumis à confinement pendant plus de huit jours ne peut percevoir qu'une indemnisation d'au plus 1 500 euros, et seulement si la perte de chiffre d'affaires est supérieure à 50 %. Or toutes ces entreprises, sans être en « première ligne » face aux confinements et fermetures administratives, peuvent souvent être des victimes collatérales du marasme général de l'écosystème dans lequel elles s'inscrivent.

UNE INDEMNISATION QUI NE TIENT PAS SUFFISAMMENT COMPTE DE L'AMPLEUR DE LA PERTE, DÈS LORS QUE CELLE-CI EST IMPORTANTE

Il convient de noter que le montant de l'indemnisation jusqu'à 40 % de la perte de chiffre d'affaires, pour les entreprises situées dans un territoire soumis à état d'urgence sanitaire et qui exercent leur activité dans un secteur protégé (donc les entreprises les plus directement touchées), est plafonnée à 20 % du chiffre d'affaires.

Autrement dit, seules les entreprises qui enregistrent des pertes de moins de 50 % peuvent toucher une aide de 40 % de leur chiffre d'affaires (au-dessus de 50 % de perte, l'indemnisation serait limitée par le fait que le plafond de 20 % du chiffre d'affaires serait dépassé).

Ce qui signifie qu'à chiffre d'affaires égal, deux entreprises dont l'une a perdu 70 % de son activité et l'autre 35 % perçoivent la même indemnité.

Le volet n° 2 du fonds de solidarité (compensations financières accordées par les collectivités) n'était par ailleurs initialement ouvert qu'aux entreprises employant au moins un salarié 44 ( * ) . Or quatre entreprises sur cinq en Martinique, Guadeloupe et Guyane n'emploient aucun salarié, ce qui les excluait d'office du bénéfice de ces aides.

Au rang des critères trop restrictifs, plusieurs acteurs économiques ont déploré par ailleurs l'exigence d'avoir bénéficié du fonds de solidarité en avril ou mai 2021 (ou entre janvier et juin 2020 pour la Polynésie française) pour pouvoir en bénéficier en septembre-octobre 2021. Les entreprises n'en ayant pas ressenti le besoin au printemps sont dès lors pénalisées à l'automne (par exemple en Polynésie française, où la situation sanitaire était plus calme au printemps) ; si la situation semble avoir été ultérieurement réglée par l'État, elle a engendré un surcroît de complexité et de démarches, et placé temporairement lesdites entreprises dans une situation fragile du point de vue de leur trésorerie.

En outre, ces aides étant conditionnées au fait d'être à jour des obligations fiscales et sociales, un certain nombre d'entreprises qui n'étaient pas dans ce cas, même de manière exceptionnelle, en ont été écartées. La CCI de Martinique évalue ainsi à 13 % cette proportion.

Parallèlement, le poids élevé du secteur informel a conduit, mécaniquement, à une sous-estimation de l'ampleur du soutien nécessaire aux entrepreneurs ultramarins.

(2) Un « maquis d'aide » d'une grande complexité, alors que les bénéficiaires sont de petites entreprises peu familiarisées à de telles démarches

De façon générale, il a été fréquemment déploré, lors des échanges des rapporteurs avec le monde économique, que les différentes aides relèvent d'une multiplicité d'interlocuteurs 45 ( * ) , complexifiant d'autant les démarches et provoquant un allongement des délais de versement, voire un renoncement des chefs d'entreprises. Cette difficulté est plus prononcée en outre-mer qu'en métropole, compte tenu de la très forte prépondérance des très petites entreprises, dont certaines n'ont aucun salarié.

En outre, la dématérialisation systématique de toutes les démarches représente un handicap dans les zones où l'accès au numérique reste insuffisant, ainsi que le réseau consulaire l'a souligné lors du déplacement de la mission d'information en Martinique. Cette réflexion vaut au demeurant tant pour les dispositifs nationaux que pour certaines mesures plus locales, comme le « prêt territorial covid-19 » mis en place en Martinique.

Par ailleurs, les plus petites d'entreprises n'ont, souvent, pas de comptabilité, ce qui les excluait d'office du bénéfice du PGE.

(3) Une hausse drastique et potentiellement fatale de l'endettement des TPE-PME

Par ailleurs, le recours aux PGE a conduit les entreprises à augmenter leur taux d'endettement. Si cette situation n'est pas propre à l'outre-mer, elle soulève des difficultés particulières pour les entreprises de ces territoires. Ainsi que l'a souligné M. Leung à la mission d'information, « en matière de trésorerie, au-delà du mur de dettes, des besoins en fonds de roulement et des délais de règlement qui sont hors norme chez nous, il faut ajouter le fait que, depuis 2018 et la crise des « gilets jaunes », les territoires ultramarins sont considérés par certains établissements bancaires ou certains assureurs crédits comme des « pays » à haut risque. Comme les comptes à la fin de l'année 2020 ont été clôturés avec des taux d'endettement ou des résultats d'exploitation médiocres, il s'ensuit que beaucoup de nos entreprises connaissent des relations très difficiles avec nos partenaires bancaires. Sans trésorerie et sans accompagnement de nos entreprises, ce sera extrêmement compliqué ».

Compte tenu de la faiblesse structurelle des fonds propres de ces entreprises, il a également été demandé par les acteurs économiques qu'une fraction des PGE soit convertie en fonds propres, afin tant d'éloigner le spectre de la faillite que d'accélérer leur désendettement et de renforcer leurs capacités d'investissement. La CCI de Guadeloupe a ainsi indiqué à la mission d'information, lors de son déplacement sur place, que « les petites entreprises ne disposaient d'aucun fonds propre leur permettant de rembourser les PGE ».

En résumé, ces insuffisances ne sont bien entendu pas propres aux outre-mer, mais leur tissu économique étant plus fragile, inadaptations et complexité y sont encore plus dommageables que dans l'hexagone, laissant ces territoires plus exposés au risque de faillites et d'effondrement de la vie économique.

(4) Un plan France Relance trop peu adapté aux spécificités des territoires ultramarins

Le déploiement du plan de relance, présenté en septembre 2020 et adopté à la fin de l'année, semble se heurter à plusieurs écueils dans les territoires ultramarins. Plusieurs élus locaux ont ainsi déploré manquer de l'ingénierie technique nécessaire pour constituer les dossiers de demande de fonds, au demeurant dans un calendrier contraint.

En outre, ces élus regrettent que les aides du plan soient trop directement fléchées vers certains types de projets, pénalisant les initiatives des collectivités qui souhaiteraient mettre en oeuvre un projet utile à leur territoire mais ne répondant que partiellement aux critères définis au niveau national. La maire de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, indiquait ainsi : « il faut cocher des cases, sauf que chez nous, dans les outre-mer, on ne peut pas toujours cocher toutes les cases 46 ( * ) ».


* 34 Les premières estimations conduites par l'IEOM/IEDOM en mai 2020 tablaient sur une baisse de 10 à 20 % du PIB pour les territoires d'outre-mer.

* 35 IEDOM-IEOM, « Conjoncture outre-mer 2020 et perspectives 2021 : après le choc de la crise covid », Publications économiques et financières n° 656, avril 2021.

* 36 La Polynésie française a par exemple perdu 2 050 emplois en 2020.

* 37 Mme Carine Sinaï-Bossou, présidente de la Chambre de commerce et d'industrie de la Guyane, a par ailleurs indiqué à la mission d'information que la fréquentation du zoo de Guyane avait chuté de 70 % suite à la mise en place du pass sanitaire.

* 38 Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directrice générale de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM), audition du 28 septembre 2021.

* 39 Ibid.

* 40 Insee, « Niveau de vie et pauvreté dans les DOM », juillet 2020.

* 41 Ministère de l'intérieur, « Insécurité et délinquance en 2020 : bilan statistique » Fiche thématique #7 Outre-mer.

* 42 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances du Sénat pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le système éducatif dans les académies ultramarines, par M. Gérard LONGUET (décembre 2020).

* 43 Il convient de noter que le dispositif d'activité partielle n'a pas été mis en place en Polynésie française.

* 44 Article 4 du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.

* 45 En Nouvelle-Calédonie, par exemple, l'organisme instructeur du chômage partiel est la direction du travail et de l'emploi (DTE), celui de l'aide au paiement des cotisations sociales est la Cafat, celui du report du paiement de l'impôt sur le revenu est la direction des services fiscaux (DSF), celui du plan d'urgence « Province Sud » est le centre administratif de la province Sud (CAPS), celui de la prise en charge des cotisations sociales est la direction du développement économique et de l'environnement (DDEE), et celui du fonds de solidarité est le Haut-commissariat.

* 46 Public Sénat, « France Relance : des élus ultramarins dénoncent « un fléchage » peu adapté aux spécificités de leurs territoires », 15 novembre 2021.

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