B. RENFORCER L'ACCOMPAGNEMENT DES MINEURS ET DES « JEUNES EN ERRANCE »
Une part importante de la population mahoraise étant mineure ou jeune majeure, les conditions d'accompagnement de celles-ci sont primordiales pour lutter contre la commission, par ces publics, de faits de délinquance . Force est malheureusement de constater que la prise en charge par le conseil départemental 91 ( * ) au titre de sa compétence d'aide sociale à l'enfance (ASE) demeure largement perfectible, en particulier s'agissant des mineurs non accompagnés, qui représenteraient environ 4 500 individus sur le territoire 92 ( * ) . En 2016, la Cour des comptes 93 ( * ) puis l'inspection générale des affaires sociales 94 ( * ) (IGAS) relevaient ainsi l'insuffisant niveau de prise en charge au regard des standards exigibles tout en reconnaissant les difficultés spécifiques auxquelles est confronté le département 95 ( * ) . Pour autant qu'ils aient pu en juger, les rapporteurs n'ont pas noté une évolution favorable en la matière cinq ans après ce constat. Ainsi, rencontrées par les rapporteurs sur place, Federica Sarli et Clara Faure, juges du tribunal pour enfants de Mamoudzou, ont fait état des difficultés qu'elles rencontraient dans la conduite de leur collaboration avec le conseil départemental.
Dans un rapport d'observations définitives de 2019, la chambre régionale des comptes de Mayotte et La Réunion détaillait ainsi les difficultés rencontrées par le conseil départemental dans l'exercice de sa mission. Elle estimait que « cette mission est insuffisamment mise en oeuvre en raison de moyens limités ne permettant pas d'apporter une réponse à l'ensemble des besoins de la population et aux obligations posées par le code de l'action sociale et des familles », déplorant que la collectivité soit contrainte de privilégier le traitement des situations d'urgence. Bien que « les conditions d'exercice des missions s'améliorent depuis 2018 avec des recrutements notamment de personnels socio-éducatifs et d'assistantes familiales et la mise à disposition de moyens matériels » et le lancement de nombreux chantiers (en matière de prévention et de suivi et réexamen des situations notamment), la chambre régionale des comptes relevait que les moyens alloués par le département étaient insuffisants à couvrir les besoins : à titre d'exemple, en juin 2018, « 525 enfants étaient accueillis pour 307 places agréées [d'accueil en famille] ». Au-delà de la seule question de l'insuffisance des moyens, la chambre régionale des comptes critiquait le choix du conseil départemental de prioriser la seule prise en charge dans des familles d'accueil , qui n'est pas adaptée à tous les mineurs.
Faute de moyens suffisants et d'une politique adaptée, l'incapacité du conseil départemental à garantir une politique de l'aide sociale à l'enfance efficace, et notamment à assurer le suivi des mineurs non accompagnés, est extrêmement problématique : livrés à eux-mêmes, les mineurs concernés sont plus susceptibles de céder à la délinquance, soit dans un but de subsistance, soit dans un but d'appartenance à un groupe de pairs structuré autour d'activités violentes, tel qu'une bande.
Le conseil départemental apparaît néanmoins avoir engagé des réformes. En premier lieu, il a indiqué aux rapporteurs avoir engagé la diversification des modes de placement, tout en notant que le placement dans des structures distinctes des familles d'accueil demeurait pour l'heure insuffisant.
Répartition selon la nature de la prise en
charge des mineurs
pris en charge par le conseil départemental en
2021
Nature de la prise en charge |
Nombre d'individus pris en charge au 15 septembre 2021 |
Hébergement |
901 |
Famille d'accueil |
745 |
Maison d'enfants à caractère social (MECS) |
40 |
Lieu de vie et d'accueil (LVA) |
116 |
Milieu ouvert |
855 |
Assistance éducative à domicile (AED) |
300 |
Assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) |
325 |
Accompagnement socio-éducatif
|
230 |
Total |
1756 |
Source : conseil départemental de Mayotte
De façon analogue, le conseil départemental a indiqué aux rapporteurs avoir engagé le renforcement des équipes de travailleurs sociaux ainsi que la professionnalisation des assistants familiaux. Ces efforts, pour l'heure insuffisants à assurer une prise en charge satisfaisante des publics concernés, doivent être encouragés.
Proposition n° 15 : Encourager les efforts en cours du conseil départemental dans l'amélioration de la prise en charge des mineurs et des jeunes en errance.
* 91 Il dispose de la compétence en la matière depuis le 1 er janvier 2009, en vertu de l'ordonnance n° 2008-859 du 28 août 2008 relative à l'extension et à l'adaptation outre-mer de diverses mesures bénéficiant aux personnes handicapées et en matière d'action sociale et médico-sociale.
* 92 Si les difficultés de prise en charge rendent difficile le décompte exact des mineurs non accompagnés, un rapport de la chambre régionale des comptes de la Réunion et de Mayotte de 2019 estimait à 4 446 le nombre de mineurs non accompagnés sur le territoire mahorais en 2016, reprenant à son compte une estimation fournie par l'Observatoire des mineurs isolés. Interrogé en séance publique au Sénat sur le sujet par le sénateur Thani Mohamed Soilihi, Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, estimait à seulement 300 le nombre de mineurs non accompagnés à Mayotte, jugeant que « plus de 4 000 jeunes ne sont pas véritablement isolés, ils ont de la famille sur place » (Compte rendu intégral des débats, séance du 9 février 2021, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/cra/s20210209/s20210209_5.html .).
* 93 Cour des comptes, rapport public thématique précité.
* 94 IGAS, Mission d'appui au Département de Mayotte sur le pilotage de la protection de l'Enfance, février 2016.
* 95 Outre les difficultés démographiques et migratoires, l'on note généralement s'agissant de la prise en charge des enfants à Mayotte la présence d'une la conception de la parentalité ayant cours à Mayotte peut différer de celle d'autres territoires français. Comme le rappelle le schéma départemental de l'enfance et de la famille élaboré par le conseil départemental de Mayotte, « la parentalité dans l'archipel des Comores ne s'exerce pas selon les canons du code civil français ». En particulier, « les enfants aux Comores sont très souvent appelés à circuler entre leur foyer maternel et d'autres foyers familiaux apparentés, voire non apparentés s'agissant plus spécifiquement du confiage ou foundi (le « maitre » ou « enseignant ») de l'école coranique ». Ces spécificités tendent à rendre plus délicate le suivi des mineurs concernés, en complexifiant leur parcours et en multipliant les interlocuteurs chargés de leur prise en charge.