B. OCTROYER AUX FORCES DE L'ORDRE LES MOYENS DE LEURS MISSIONS

À Mayotte, seule la commune de Mamoudzou est située en zone police. Le reste du territoire est situé en zone gendarmerie, comme le montre la carte ci-dessous.

Carte des zones police (bleu foncé) et gendarmerie (bleu clair) à Mayotte

Source : commission des lois du Sénat via Khartis

1. L'exercice des missions des forces de l'ordre est particulièrement difficile à Mayotte

Les représentants des forces de l'ordre interrogés par la mission sur place ont tous fait part de la grande difficulté avec laquelle leurs agents exercent leurs missions au quotidien .

S'agissant de la zone police , la direction territoriale de la police nationale a été en mesure de documenter le nombre de violences et d'outrages commis annuellement à l'encontre de ses fonctionnaires.

Nombre annuel de faits de violence et d'outrages
commis à l'encontre des fonctionnaires de police

2019

2020

2021
(au 30 septembre)

Faits de violence à l'encontre d'agents

92

110

50

Outrages à agent

75

50

36

Source : direction territoriale de la police nationale

Le niveau de violence que rencontrent les fonctionnaires de police sur place se traduit ainsi par la recrudescence de blessures en service.

Variation annuelle et nombre de blessés en service
de 2017 à 2021 55 ( * )

2017

2018

2019

2020

2021
(au 30 septembre)

Nombre de blessés en service

36

37

82

84

91

Variation annuelle (en pourcentage)

-

+2,78 %

+125 %

+2,44 %

+8,33 %

Source : direction territoriale de la police nationale

Les faits de violence ne sont pas circonscrits aux localités situées en zone police et les effectifs de gendarmerie sont logiquement confrontés à des difficultés similaires 56 ( * ) .

Nombre de faits de violence commis à l'encontre
des effectifs de gendarmerie en 2020 et 2021

2020

2021
(1 er semestre)

Blessés

23

18

Rébellions

20

9

Blessés à la suite de rébellions

9

7

Caillassages

160

85

Blessés à la suite de caillassages

31

13

Véhicules dégradés

90

57

Source : commandement de gendarmerie de Mayotte

Ces statistiques sont d'autant plus problématiques qu'elles reflètent pour certaines une tendance haussière . À titre d'exemple, le nombre de véhicules dégradés à la suite de caillassages connaît une très nette augmentation . Alors qu'il avait déjà progressé d'environ 350 % entre 2019 et 2020, soit une multiplication par 4,5, 57 véhicules ont été dégradés sur le seul premier semestre de 2021 : il est donc à craindre qu'en fin d'année, une nouvelle augmentation de ce nombre soit constatée. Reflet de la dangerosité des opérations conduites sur le terrain par les forces de l'ordre, ces caillassages et les dégradations nuisent gravement aux conditions de travail des agents.

Photographie d'un véhicule endommagé
à la suite d'un caillassage

Source : commandement de gendarmerie

2. Poursuivre le renforcement engagé des moyens attribués aux forces de l'ordre
a) Une organisation spécifique des forces de l'ordre, qui semble perfectible

L'organisation des forces de l'ordre reflète d'ores et déjà la spécificité du territoire mahorais . À titre d'exemple, la constitution au 1 er janvier 2020 d'une direction territoriale unique de la police nationale, rassemblant l'ensemble des directions sous l'autorité d'un seul directeur territorial a été expérimentée à Mayotte notamment en raison des défis spécifiques posés par le territoire.

Cette expérimentation, également conduite en Guyane et en Nouvelle-Calédonie 57 ( * ) , s'est traduite par une unification de la direction autour d'un directeur territorial unique ayant autorité sur l'ensemble des services territoriaux de la police nationale. Elle a permis :

- d'utiles mutualisations des fonctions dites « support » ;

- s'agissant des conditions d'opération, la fin d'un fonctionnement « en tuyaux d'orgue » dont la logique s'avérait souvent contraire aux réalités du terrain . Interrogé sur le sujet, le directeur territorial de la police nationale, Laurent Simonin, a ainsi donné l'exemple de la participation ponctuelle d'agents de la police aux frontières (PAF) à des opérations de maintien de l'ordre ;

- une consolidation de l'échelon territorial dans ses relations avec l'administration centrale . L'éclatement des directions territoriales nuit ainsi à l'expression par celles-ci de leurs besoins auprès de leur direction d'administration centrale de tutelle. Le modèle de la DTPN s'inscrit au contraire dans une logique de déconcentration, qui permet aux directions territoriales d'exprimer avec davantage de clarté et de poids leurs besoins, notamment en termes de moyens.

Jugée utile à Mayotte ainsi que dans les autres territoires où elle est expérimentée, cette évolution pourrait donc être prochainement généralisée. Cette récente réorganisation des services de police pose la question d'éventuels gains organisationnels s'agissant des forces de gendarmerie. Rencontré sur place, le commandement de gendarmerie n'a pas fait état de pistes d'amélioration en la matière . Auditionné par la mission à son retour, l'ancien préfet de Mayotte, Jean-François Colombet, a néanmoins souligné l'intérêt d'étudier deux évolutions :

- l'affectation à résidence sur Grande Terre d'officiers de commandement actuellement stationnés à Pamandzi, afin d'éviter tout risque de scission entre le commandement et les unités sur place ;

- l'engagement d'une réflexion sur une évolution de la répartition des agents entre les missions de police judiciaire et les missions de maintien de l'ordre , au profit de ces dernières.

Cette dernière orientation peut néanmoins sembler paradoxale, les services de police judiciaire étant déjà particulièrement sollicités et faiblement outillés. Les rapporteurs estiment néanmoins qu'engager une réflexion sur les modalités d'organisation des forces de gendarmerie pourrait conduire à des gains marginaux.

Proposition n° 2 :  Engager une réflexion, dans la continuité des récentes évolutions s'agissant de la police nationale, sur d'éventuelles améliorations de l'organisation des forces de gendarmerie sur le territoire.

b) L'inévitable accroissement des moyens

Lors de leur visite à Mayotte à la fin du mois d'août 2021, les ministres de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu, ont annoncé un renforcement à venir des effectifs de policiers et gendarmes stationnés sur l'île, à hauteur de 40 agents .

Cette nouvelle augmentation s'inscrit dans le contexte général d'une hausse des effectifs des forces de l'ordre stationnées à Mayotte, particulièrement visible s'agissant des forces de gendarmerie.

Évolution des effectifs de gendarmes départementaux
et de gendarmes mobiles de 2014 à 2020

Source : commandement de gendarmerie de Mayotte

Si les effectifs semblent aujourd'hui en passe d'atteindre un niveau satisfaisant, les voies d'une amélioration supplémentaire des moyens pourraient être envisagées.

Les forces de gendarmerie pourraient ainsi bénéficier de moyens supplémentaires . En particulier, le préfet Jean-François Colombet a exprimé devant les rapporteurs l'intérêt de la création d'un peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG), affecté au sud de Grande Terre , notamment pour faciliter les interventions de nuit dans cette zone. Si cette évolution n'a pas fait l'objet d'une demande particulière des gendarmes rencontrés par la mission, elle apparaît néanmoins de nature à faciliter leurs conditions d'intervention.

Proposition n° 3 :  Évaluer l'opportunité de la création d'un PSIG dans le sud de Grande Terre.

S'agissant des forces de police, la création d'un commissariat à Koungou, zone urbaine particulièrement sujette à des violences urbaines, gagnerait à être envisagée . De façon connexe, il apparaît nécessaire de faire un état des lieux qui fait encore défaut aux fonctionnaires de police dans l'exercice de leurs missions. En particulier, le défaut de fourrières pour animaux et voitures pose des difficultés opérationnelles aux agents, qui gagneraient à être levées pour offrir des conditions opérationnelles de travail similaires à celles ayant cours dans l'hexagone.

Proposition n° 4 :  Procéder à un état des lieux des moyens faisant encore défaut aux forces de l'ordre.

Plus fondamentalement, les rapporteurs appellent à une réflexion plus approfondie sur les moyens humains de la police nationale à Mayotte . L'attractivité des postes ouverts à Mayotte pour les fonctionnaires de police doit faire l'objet d'une politique de ressources humaines plus dynamique . S'agissant de l'encadrement, le défaut d'attractivité des postes peut conduire à des affectations par défaut, qui ne stimulent pas l'implication d'agents envisageant rapidement leur changement d'affectation. Le développement de formes de contractualisation avec les agents affectés à Mayotte, qui obtiendraient plus facilement en retour une affectation à leur convenance, pourrait être envisagé.

Par ailleurs, le directeur territorial de la police nationale, Laurent Simonin, a évoqué la possibilité de diminuer la durée des affectations à Mayotte, qui pourraient être ramenées de quatre ans à une durée de deux ans renouvelable deux fois pour une année . Une telle durée favoriserait l'attractivité des postes proposés et permettrait une gestion plus dynamique des effectifs. Enfin, l'augmentation du nombre de Mahorais parmi les effectifs stationnés à Mayotte doit être encouragée .

Proposition n° 5 :  Renforcer l'attractivité des affectations à Mayotte en prenant en considération les spécificités de la situation mahoraise dans la gestion des moyens humains de la police nationale.

Enfin, les conditions d'exercice des missions des forces de la gendarmerie et de la police nationales seraient indéniablement facilitées par le déploiement de certains équipements qui relèvent des collectivités territoriales mahoraises .

Tel est, le cas, du développement de l'éclairage public, en particulier sur les axes interurbains, aujourd'hui gravement défaillant, voire inexistant.

Par ailleurs, le développement de la vidéosurveillance est indispensable. Les moyens récemment annoncés par les ministres Lecornu et Darmanin, qui ont promis un soutien à hauteur d'un million d'euros par an des communes pour le déploiement de la vidéosurveillance a cependant été jugé insuffisant par les élus locaux rencontrés par la mission.

Proposition n° 6 :  Accompagner les efforts des communes dans l'équipement en vidéosurveillance et l'éclairage public.


* 55 Le nombre de jours d'arrêt à l'échelle des services a néanmoins diminué, passant de 2 314 en 2017 à 1 687 en 2021. Il n'est pas à exclure qu'une telle évolution, qui inclut d'autres situations que les seules blessures en service, soit explicable par d'autres facteurs.

* 56 En raison d'un mode de décompte légèrement différent, il a été fait le choix de ne pas procéder à l'agrégation des données concernées avec celles de la police.

* 57 Voir l'annexe au décret n° 2019-1475 du 27 décembre 2019 portant création et organisation des directions territoriales de la police nationale.

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