II. DES ÉCHANGES EN PLÉNIÈRE DENSES ET VARIÉS, PORTANT NOTAMMENT SUR L'ENVIRONNEMENT COMME NOUVEAU CHAMP DES DROITS DE L'HOMME ET SUR L'ACTUALITÉ INTERNATIONALE

A. LE RESPECT DE LA DÉMOCRATIE ET DES ASPIRATIONS DES PEUPLES, CoeUR DE LA MISSION DE L'ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE

1. Le bilan de plusieurs missions d'observation électorale à travers le rapport d'activité du Bureau et de la Commission permanente

À l'occasion de la première séance de la session d'automne, le lundi 27 septembre, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a examiné le rapport de M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) , faisant office de rapport d'activité du Bureau et de la Commission permanente. Ont été validés par la même occasion :

- les constats dressés par de la commission ad hoc d'observation des élections législatives anticipées en Arménie du 20 juin 2021, sur la base du rapport de M. George Katrougalos (Grèce - GUE), président de cette commission ;

- le rapport final de M. Stefan Schennach (Autriche - SOC), président de la commission ad hoc désignée pour observer le bon déroulement des élections législatives en République de Moldavie, le 11 juillet 2021 ;

- les conclusions de la commission ad hoc désignée pour observer les élections législatives anticipées en Bulgarie, organisées le 11 juillet elles aussi, sur le rapport de M. Alfred Heer (Suisse - ADLE), président de cette commission.

En ouverture de la discussion générale, M. Jacques Maire a évoqué la mission d'observation des élections législatives en Russie, qui s'est déroulée du 17 au 20 septembre et dont il était membre. Après avoir rappelé les modalités de celle-ci et déploré que l'OSCE et le BIDDH n'aient pu déployer d'observateurs, il a fait état de préoccupations très sérieuses sur l'organisation et le déroulement du scrutin, tout en indiquant qu'un rapport plus spécifique alimenterait le travail en cours sur le suivi du respect, par la Fédération de Russie, de ses engagements et obligations d'État membre.

Le rapporteur a relevé la bonne coopération des autorités russes avec la mission d'évaluation électorale pour le déroulement de ses auditions et visites dans les bureaux de vote et il les a encouragées à poursuivre et améliorer cette coopération et ce dialogue, notamment dans le cadre de la commission de suivi.

Il a souligné ensuite que d'autres observations électorales avaient pu se tenir, en Europe et au-delà - en Arménie, en Moldavie, en Bulgarie et au Maroc -, ce qui prouve que la pandémie ne peut plus être un prétexte pour manquer aux obligations auprès du Conseil de l'Europe.

Il a enfin conclu sa présentation en mentionnant deux pays aux confins géographiques du Conseil de l'Europe. Tout d'abord, il a noté que la situation en Afghanistan avait incité les cinq groupes politiques à demander un débat d'urgence sur ses conséquences pour l'Europe et la région. Ensuite, il a déploré que la répression des opposants et à l'encontre de la société civile se poursuive de manière massive en Biélorussie, l'APCE appelant à la libération immédiate des quelque 650 prisonniers politiques détenus, puis s'est indigné que le pouvoir biélorusse instrumentalise les flux migratoires aux frontières avec la Lettonie, la Lituanie et la Pologne, selon une forme de « guerre hybride ».

M. Jacques Le Nay (Morbihan - Union Centriste) a souligné que, le 27 août, était célébré le trentième anniversaire de l'indépendance de la République de Moldova. Cet État est membre du Conseil de l'Europe depuis 26 ans et son adhésion a illustré la volonté de créer un État démocratique. Néanmoins, intéresser les citoyens à la politique demande un effort sans cesse renouvelé, même dans les démocraties les plus anciennes. Après la crise institutionnelle de 2019 et la polarisation de la campagne qui en a découlé, les élections de 2021 se sont déroulées dans le calme mais la participation s'est établie à 48,51 %, ce qui témoigne d'une forme de défiance à l'égard des institutions et du processus électoral.

La commission ad hoc observant les élections a relevé un certain nombre de points de satisfaction. D'abord, la réforme du code électoral a permis, d'une part, de revenir à un scrutin proportionnel plus représentatif et, d'autre part, de renforcer la place des femmes sur les listes électorales, conformément aux recommandations de la Commission de Venise. Ensuite, les restrictions mises en place pour lutter contre la crise sanitaire n'ont pas entravé la campagne.

Toutefois, des difficultés persistent. La campagne a été marquée par les controverses sur le nombre de bureaux de vote ouverts à l'étranger, ce qui a généré des recours juridiques. Les dispositions législatives relatives aux plaintes doivent par ailleurs être revues pour être pleinement efficaces. Le renforcement du contrôle des dépenses de campagne est nécessaire pour garantir l'équité entre les candidats. Enfin, la partialité des principaux médias, du fait de leur affiliation partisane, affaiblit les dispositions légales en vigueur, qui tendent à assurer une certaine équité médiatique entre les candidats.

Tout en se félicitant que ces élections aient mis fin à la période d'instabilité politique que traversait la Moldavie depuis plusieurs années, M. Jacques Le Nay a conclu que des réformes sont indispensables. Celles-ci devront être engagées rapidement, notamment pour lutter contre la corruption et renforcer l'indépendance de la justice. Dans ce cadre, le Conseil de l'Europe devrait être appelé à appuyer le nouveau gouvernement moldave.

N'ayant pas pu prendre la parole dans le temps fixé par le service de la séance bien qu'il ait été présent dans l'hémicycle, M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - Les Républicain) a pu faire publier son intervention au compte-rendu, dans les conditions fixées par le Règlement de l'APCE. Dans celle-ci, il fait valoir que, depuis février 2019, la République de Moldova a été plongée dans une crise constitutionnelle qui a connu de multiples rebondissements. Depuis lors, le pays n'a cessé d'endurer une instabilité politique préjudiciable.

Dans ce contexte, les élections législatives anticipées qui se sont tenues le 11 juillet 2021 revêtaient une importance particulière car elles devaient mettre fin à cette période de crise et permettre enfin la réalisation des réformes tant attendues par le peuple moldave. Compte tenu de cet enjeu, les résultats de la mission d'observation de l'APCE étaient très attendus.

Ces élections ont apporté la preuve de la grande maturité démocratique des citoyens moldaves et de leur volonté farouche d'améliorer la situation politique de leur pays. Malgré une campagne fortement polarisée, notamment en raison de l'affiliation partisane des principaux organes de presse, le scrutin s'est bien déroulé. Le rapporteur a même parlé de fête pour ces élections, ce qui démontre une nouvelle maturité démocratique et un beau cadeau pour les trente ans de cette jeune République.

Mme Maïa Sandu, la nouvelle Présidente de la République, souhaitait un Parlement stable, ce que laisse augurer ces élections. Le nouveau gouvernement, mis en place en août 2021, a annoncé qu'il mettrait notamment l'accent sur la lutte contre la corruption et la réforme du système judiciaire. Ces deux points sont fondamentaux pour l'avenir du pays et il convient d'encourager les autorités moldaves à faire preuve de fermeté et de ténacité.

N'ayant pas pu prendre la parole dans le temps fixé par le service de la séance bien qu'il ait été présent dans l'hémicycle, M. Didier Marie (Seine-Maritime - Socialiste, Écologiste et Républicain) a également pu faire publier son intervention au compte-rendu, dans les conditions fixées par le Règlement de l'APCE. Dans celle-ci, il rappelle que les élections législatives anticipées en Bulgarie ont eu lieu parce que les partis élus au Parlement à la suite des élections du 4 avril ne sont pas parvenus à former un nouveau gouvernement. Les Bulgares étaient donc appelés à se rendre aux urnes pour la deuxième fois en trois mois, ce qui peut expliquer en partie une nouvelle baisse de la participation.

Cette abstention semble également s'expliquer par la défiance des électeurs à l'égard des institutions, les accusations mutuelles de corruption et de malversations financières pendant la campagne n'incitant pas à la mobilisation. La Bulgarie est le pays de l'Union européenne le moins bien classé au titre de la corruption par Transparency International.

Contrairement aux recommandations de la Commission de Venise, le gouvernement provisoire a adopté des modifications substantielles deux mois et demi avant le scrutin. Il a introduit les machines à voter et modifié la composition de la Commission électorale centrale. Toutefois, dans les bureaux de vote, les opérations électorales se sont bien déroulées. Malgré tout, des difficultés demeurent, tel l'achat de voix.

Si ces nouvelles élections ont permis une véritable mise en concurrence des candidats et si les libertés fondamentales ont été respectées, il est essentiel de rétablir la confiance entre l'État et les citoyens et de traiter les problèmes structurels. La lutte contre la corruption devra être une priorité du prochain gouvernement, de même que le respect de l'indépendance des médias.

À défaut de majorité claire, les Bulgares seront appelés à se rendre aux urnes une troisième fois cette année. Il faut espérer que cette nouvelle élection mobilisera davantage, dans un contexte plus apaisé, et qu'elle permettra de donner au pays un gouvernement capable de s'attaquer réellement à la corruption.

2. Les Balkans occidentaux, entre défis démocratiques et aspirations européennes : quel rôle pour le Conseil de l'Europe ?

Sur proposition des cinq groupes politiques, le Bureau de l'APCE a inscrit à l'ordre du jour un débat d'actualité sur les Balkans occidentaux, région entre défis démocratiques et aspirations européennes, afin de s'enquérir du rôle que peut jouer le Conseil de l'Europe. Ce type de débats, prévu à l'article 53 du Règlement de l'Assemblée parlementaire ne donne pas lieu à la présentation d'un rapport, ni à un vote, mais plutôt à une discussion générale libre. Il s'est tenu, en l'occurrence, le jeudi 30 septembre, en fin de matinée.

En introduction de la discussion, M. George Papandreou (Grèce - SOC), premier orateur désigné par le Bureau, a rappelé avoir eu l'honneur, en 2003, d'avoir préparé le Sommet de Thessalonique entre les Balkans occidentaux et l'Union européenne. Il a indiqué que les participants s'étaient alors mis d'accord sur un certain nombre de points importants, tels que :

- la réaffirmation par l'Union européenne de son soutien sans équivoque à la perspective européenne des pays des Balkans occidentaux ;

- le partage des valeurs de la démocratie, de l'État de droit, du respect des droits de l'Homme et des minorités, principes fondamentaux tant pour l'Union que pour le Conseil de l'Europe ;

- la priorité majeure de la lutte contre le crime organisé et la corruption, obstacles à la stabilité démocratique et à l'État de droit ;

- l'antinomie de la perspective européenne avec la fragmentation et les divisions selon des critères ethniques.

Cette feuille de route a élaboré des repères concrets pour guider en toute sécurité les pays de la région vers l'adhésion à l'Union européenne. Cette perspective a suscité de l'enthousiasme et un élan de changement dans ces pays. Elle a fait naître l'espoir que la paix s'installerait enfin et que l'État de droit démocratique s'imposerait, avec en toile de fond une garantie de prospérité dans un magnifique kaléidoscope de diversité ethnique et de traditions.

Depuis lors, l'Union européenne a fait trop peu, trop tard. Il est temps qu'elle accélère le processus d'intégration en relançant les négociations avec la Serbie et le Monténégro, en les établissant avec l'Albanie et la Macédoine du Nord, en accordant le statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine et en libéralisant les visas d'entrée au Kosovo. Ceci est de la plus haute importance car la vision et les valeurs européennes perdent de leur éclat. À leur place, le nationalisme a refait surface.

Dans ce contexte, il n'est pas étonnant d'assister à une nouvelle instrumentation géopolitique de la région, avec des tiers qui, une fois de plus, se disputent l'influence et fracturent les Balkans. Certains gouvernements ont récemment fait circuler des documents officieux promouvant le redécoupage des frontières sur la base de pays ethniquement purs. Il serait inconséquent d'ouvrir cette boîte de Pandore. Cette idée pourrait conduire à de nouveaux massacres et bains de sang.

L'APCE peut elle-même apporter une contribution majeure si elle ravive l'espoir d'une perspective européenne pour les Balkans occidentaux, si elle formule des recommandations aux autorités concernées et si elle utilise davantage, pour des réformes institutionnelles, ses capacités et son expertise, ainsi que la Commission de Venise, le GRECO, de même que les groupes d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains et la violence à l'égard des femmes (GRETA et GREVIO).

Lors du débat, M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) s'est déclaré déçu par la teneur d'échanges se limitant, bien souvent, à rejeter la responsabilité des uns sur les autres, à ne pas regarder quelle est sa propre part de chemin à faire. Il a douté que cela permette à la région de surmonter ses difficultés.

La réalité de l'impact de la déstabilisation des Balkans sur l'avenir de l'Europe n'est pas discutée. Les guerres balkaniques ne sont pas si anciennes. Le bilan lui-même, d'ailleurs, de ce qu'ont été les négociations d'élargissement dans les Balkans n'a pas vraiment été fait.

La phase d'élargissement est une période de contrainte : elle permet une convergence. Une fois intégrés dans l'Union européenne, certains États membres privilégient les aides aux valeurs, ce qui pose ensuite énormément de problèmes. Remettre du capital politique dans le processus signifie prendre au sérieux ce qu'est le projet européen et ne pas être ambigu sur ses intentions. De ce point de vue, la démarche de la Macédoine du Nord, qui a fait des arbitrages politiques très importants vis-à-vis de ses voisins, montre la voie même s'il y a encore beaucoup à faire.

Imputer la responsabilité du retard de la négociation concernant l'Albanie et la Macédoine du Nord à l'Union européenne n'est pas sérieux. La réalité est que de nouveaux problèmes balkano-balkaniques sont apparus ces derniers mois entre la Bulgarie et ses voisins. Cette situation illustre qu'un État membre de l'Union n'a pas vraiment intégré les valeurs à la base de toute adhésion.

La nouvelle procédure de négociation des adhésions à l'Union européenne est positive. Elle permet effectivement de faire en sorte que les populations puissent être plus rapidement bénéficiaires de l'élargissement, à partir du moment où une politique donnée a été négociée. Par-delà ces aspects techniques, il y a aussi une dimension politique : il est difficile aujourd'hui, au sein d'une Union européenne elle-même divisée entre deux visions de l'Europe, d'avoir un débat dépassionné sur le sujet lorsque l'on ne sait pas si certains pays candidats veulent renforcer l'Europe ou au contraire accentuer sa division de l'intérieur.

Malgré tout, les messages d'espoir et d'engagement attendus par la Macédoine du Nord doivent être donnés très rapidement pour fixer la voie pour cet élargissement nécessaire de l'Union européenne vers les Balkans.

N'ayant pas pu prendre la parole dans le temps fixé par le service de la séance bien qu'il ait été présent dans l'hémicycle, M. André Gattolin (Hauts-de-Seine - Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) a pu faire publier son intervention au compte-rendu, dans les conditions fixées par le Règlement de l'APCE. Dans cette intervention, il relève que les Balkans occidentaux recouvrent la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, l'Albanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie, mais que la question du Kosovo reste délicate, plusieurs États membres du Conseil de l'Europe ne reconnaissant pas son indépendance.

Les États des Balkans occidentaux aspirent à adhérer à l'Union européenne : la Croatie est déjà membre et quatre sont officiellement candidats. À plusieurs moments clés de l'Histoire de cette région, l'Union a failli à les intégrer en raison de sa pusillanimité. Pour autant, l'Union n'est pas seule responsable. Au prix d'efforts considérables et d'une profonde réforme de ses institutions, la Croatie a pu dès 2013 en devenir membre. Dans ce processus global d'intégration européenne, le Conseil de l'Europe joue un rôle essentiel par ses recommandations. En effet, les États des Balkans occidentaux sont de jeunes démocraties qui ont besoin de son expertise technique pour mettre en place les réformes destinées à garantir la démocratie, l'État de droit et les droits de l'Homme. Les remarques formulées dans les rapports d'observation des élections et les recommandations de la Commission de Venise sont à cet égard particulièrement utiles. Il en va de même des recommandations du GRECO, la lutte contre la corruption devant être une priorité, tout comme l'indépendance de la justice et la liberté des médias.

La présence de minorités importantes au sein de chaque État et l'Histoire complexe de la région ne doivent pas être instrumentalisées à des fins politiques. M. André Gattolin s'est félicité que M. Dimitrov ait annoncé devant l'Assemblée l'adhésion de la Macédoine du Nord à l'Observatoire de l'Histoire, dont la création est une des initiatives majeures du Conseil de l'Europe ces dernières années. Il a encouragé l'ensemble des autres États des Balkans à faire de même. Tous les pays et peuples d'Europe sont marqués par les blessures du passé, les pays des Balkans peut-être plus que les autres encore mais surmonter ces blessures constitue un des enjeux essentiel pour que l'Europe puisse en amont et au-delà de l'adhésion à l'Union faire communauté.

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