II. LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE STIMULÉE OU PÉNALISÉE PAR LE TÉLÉTRAVAIL ?

A. LE TÉLÉTRAVAIL, SOURCE POSSIBLE D'UNE PLUS GRANDE COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES

Depuis le printemps 2020, le télétravail s'est installé comme solution temporaire pour qu'entreprises et administrations puissent continuer à travailler « en mode dégradé » dans le respect des contraintes liées au confinement.

Dans sa note (précitée) de mars 2021, l'Institut Sapiens a estimé que le télétravail avait permis de préserver entre 216 et 230 milliards d'euros de production de richesses soit 9 points de PIB en 2020.

Mais au-delà de la situation de crise que nous venons de connaître, durant laquelle le télétravail s'est avéré utile pour limiter les dégâts économiques du confinement, il convient de s'interroger sur les effets économiques du télétravail sur le long terme, en régime de croisière. Un impact positif sur la productivité serait une bonne nouvelle, car les gains de productivité ont un lien fort avec le pouvoir d'achat des salariés : des télétravailleurs plus productifs seraient ainsi à long terme des salariés plus prospères.

Une note de la direction générale du trésor (DGT) de novembre 2020 29 ( * ) conclut que le télétravail permet probablement des gains de productivité, mais avec un chiffrage très approximatif. Selon la note « plusieurs études empiriques mettent en évidence un impact positif du télétravail sur la productivité, mais qui varie fortement (entre 5 et 30 %) ».

Cet effet positif sur la productivité peut résulter de plusieurs phénomènes :

- le télétravail peut en réalité, notamment pour les cadres, conduire à une augmentation des horaires . La note précitée indique ainsi que « le télétravail induirait un accroissement de la quantité de travail effectif, permis notamment par les économies de temps de transport », s'appuyant sur les enquêtes réalisées auprès des télétravailleurs durant le confinement, déclarant plus fréquemment que leur temps de travail avait augmenté ;

- le télétravail peut aussi conduire à une plus grande efficacité au travail à travers une meilleure organisation des tâches, en supprimant les temps perdus ou contraints. Pour un même volume d'heures travaillées, on serait plus efficace en télétravail ;

- le télétravail, enfin, réduit les coûts immobiliers de l'entreprise , ce qui a été examiné plus haut.

L'idée que le télétravail puisse constituer une opportunité économique à saisir a été confirmée par l'économiste Gilbert Cette, qui avait participé à la table ronde du 1 er avril 2021 organisée au Sénat. Dans un article publié en juillet 2020 dans Futuribles International 30 ( * ) , il estimait déjà qu'avec la mise en oeuvre du télétravail, des « gains de productivité pouvant être substantiels » étaient envisageables.

Une telle affirmation s'appuie sur plusieurs travaux effectués avant la crise sanitaire de 2020. Une étude souvent citée, dirigée par Nicholas Bloom 31 ( * ) , professeur d'économie à l'Université de Stanford, portant sur l'expérience de télétravail dans une agence de voyage chinoise employant 16 000 personnes, de salariés volontaires et formés au télétravail a été publiée en 2015. Elle mettait en évidence des gains de productivité durables d'environ 5 %, ce qui est modeste mais non négligeable.

Cité par l'étude de l'Institut Sapiens, un rapport de 2016 du cabinet Kronos évaluait le gain de productivité permis par le télétravail à un niveau bien plus élevé : 22 %. Sur la base de ces chiffres, et en faisant l'hypothèse que 27 % des actifs pourraient télétravailler, l'Institut Sapiens estime que le télétravail pourrait générer une augmentation de PIB en France de 30 milliards d'euros .

Aux effets directs sur la productivité du passage au télétravail, s'ajoutent des effets indirects positifs qui pourraient améliorer le potentiel productif de l'économie. Dans l'article précité, Gilbert Cette prédit ainsi que « le télétravail peut être l'une des mutations accompagnant la révolution numérique et permettant à cette dernière de se traduire par une productivité dynamique ». En effet, le paradoxe de la révolution numérique est de ne pas se traduire aujourd'hui pas des gains massifs de productivité (c'est le paradoxe de Solow, formulé par l'économiste américain en 1987 : « on voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité »). Les économistes émettent l'idée que nous serions dans une phase d'installation (selon les termes de Bart Van Ark) et que le numérique aurait besoin de se déployer davantage. Le télétravail serait donc la forme de déploiement du numérique permettant effectivement des gains de productivité.

Enfin, on peut noter que, pour être efficace, la transition vers le télétravail doit être organisée, pensée. Dans le même article, Gilbert Cette affirmait ainsi que « les gains de productivité associés au télétravail ne se manifesteront que progressivement dans le futur, avec la reprise de l'activité et la réouverture des structures scolaires, via un processus de learning by doing » .


* 29 https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2020/11/19/que-savons-nous-aujourd-hui-des-effets-economiques-du-teletravail

* 30 https://www.futuribles.com/fr/revue/437/teletravail-et-croissance-economique-une-opportuni/

* 31 https://nbloom.people.stanford.edu/sites/g/files/sbiybj4746/f/wfh.pdf

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page