III. AGIR POUR PRÉSERVER UN ENSEIGNEMENT AGRICOLE DE QUALITÉ, DANS L'INTÉRÊT DES FILIÈRES AGRICOLES ET ALIMENTAIRES ET AU NOM DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES
Au regard des différents constats posés et de l'enjeu que représente l'enseignement agricole pour l'avenir des filières agricoles et agroalimentaires françaises, mais aussi plus largement pour les territoires ruraux, la mission d'information appelle à agir dans trois directions :
- réaffirmer le rôle de pilotage du ministère de l'agriculture et établir un nouveau projet stratégique, en lien avec l'Éducation nationale, les régions et les branches professionnelles ;
- consolider les fondamentaux de l'enseignement agricole pour qu'il contribue à relever les défis de l'agriculture et des territoires ruraux ;
- renforcer l'attractivité de l'enseignement agricole pour les élèves, pour les familles et pour les personnels.
A. RÉAFFIRMER LE RÔLE DE PILOTAGE DU MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE ET ÉTABLIR UN NOUVEAU PROJET STRATÉGIQUE POUR L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE
1. Conserver un enseignement agricole distinct de l'Éducation nationale
a) Réaffirmer la spécificité de l'enseignement agricole et le rôle de pilotage du ministère
À rebours de la position exprimée par le syndicat SNETAP-FSU, la mission d'information souhaite réaffirmer à la fois la spécificité de l'enseignement agricole et le rôle de pilotage revenant au ministère chargé de l'agriculture.
Les performances remarquables, tant en matière de taux de réussite avec un public d'apprenants très éclectique, de taux d'insertion professionnelle, d'innovations pédagogiques justifient, à elles seules, de maintenir un enseignement agricole spécifique et particulier, en dehors du périmètre de l'Éducation nationale mais en lien avec lui.
Surtout, l'ensemble des défis que le monde agricole et agroalimentaire doit relever justifie le maintien d'un enseignement agricole fort. Il en va, en outre, de l'intérêt même de l'ensemble des métiers du monde rural pour lesquels l'enseignement agricole a déjà prouvé son efficacité à former de jeunes talents.
C'est pourquoi la mission estime que l'enseignement agricole doit demeurer distinct et complémentaire de l'Éducation nationale et refuse toute perspective de fusion-absorption au sein du ministère de l'éducation nationale ou d'un grand ministère de l'éducation et de la formation . Cinq raisons, détaillées par la DGER dans la réponse apportée au questionnaire de la rapporteure et que la mission partage, le justifient.
Les cinq justifications du maintien
d'un
enseignement agricole fort, selon la DGER
L'enseignement agricole est bien un système éducatif à part entière, qui apporte une réponse différente et complémentaire de celle de l'éducation nationale :
• par son maillage du territoire, dans des zones rurales, il apporte une réponse de proximité à des jeunes qui sont bien souvent peu mobiles. En outre, cette possibilité d'accueil en formation, au plus près des besoins éducatifs des jeunes, est renforcée par l'agilité du dispositif de formation de l'enseignement agricole, l'offre d'internats, d'équipements sportifs et de restauration sur place, avec l'appui des régions ;
• par son approche pédagogique, qui privilégie le « apprendre par le geste », les stages en milieu professionnel, la pratique dans les exploitations agricoles et les ateliers technologiques, véritables petites entreprises au sein même des établissements scolaires. Cette approche pédagogique qui donne une place importante à la pluridisciplinarité entre plusieurs matières disciplinaires est différente de celle développée à l'éducation nationale tant c'est une approche systémique qui traite d'un sujet concret en veillant à imbriquer apports de connaissances et construction du savoir par les jeunes en groupe projet. Cette approche pédagogique fait ses preuves avec par exemple, en classe de 3 ème des jeunes accueillis venant de l'Éducation nationale (EN) et en grosses difficultés et pour autant un taux de succès au diplôme national du Brevet similaire à celui de l'EN ;
• par son souci d'appréhender le jeune dans son ensemble, d'accompagner son bien-être physique et psychique et de le former en tant que citoyen actif et éclairé. C'est rendu possible par des enseignements spécifiques à l'enseignement agricole que sont l'éducation sociale et culturelle (ESC), les technologies de l'information et des médias (TIM) et ceux prodigués par les professeurs documentalistes. Le développement des compétences sociales et professionnelles des apprenants est également rendu possible par une très grande implication des CPE et des AE et le dynamisme des ALESA, ces associations d'élèves qui portent des projets d'élèves, ouverts vers la société et portant sur des sujets de société forts ;
• grâce à ses spécificités, l'enseignement agricole apporte une réponse à des jeunes très divers dans leur origine sociale, géographique, des jeunes passionnés par la nature, le sport ou des jeunes en très grosse difficulté scolaire ou sociale et leur offre la possibilité de s'épanouir et, à terme, de s'insérer socialement et professionnellement ;
• Par les formations initiales et tout au long de la vie aux métiers liés à l'agriculture et aux connaissances qu'il produit et diffuse, il est essentiel au développement durable de l'agriculture et de l'alimentation françaises. À ce titre, il contribue notamment à relever l'enjeu majeur du renouvellement des générations en agriculture (50 % des exploitants vont partir à la retraite dans les 10 ans). Il a également un rôle majeur dans l'animation et le développement des territoires ruraux. L'importance de l'intérêt et des demandes de coopération et d'appui qu'il suscite chez de nombreux pays partenaires étrangers de la France montre sa pertinence.
Source : réponse de la DGER au questionnaire de la rapporteure
Lors de son audition, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a clairement indiqué « que l'enseignement agricole est une spécificité française qu'il faut absolument préserver », qu'il est une chance pour la France souvent mise en évidence lors des échanges avec ses ministres homologues à Bruxelles. Aussi n'a-t-il pas caché son « étonnement » lorsque la rapporteure lui a fait état de la volonté du syndicat majoritaire chez les enseignants du public, exprimée à maintes reprises tant en audition qu'auprès de nombreux membres de la mission sur le terrain, de rattacher l'enseignement agricole à un ministère unique de l'éducation de la formation 44 ( * ) .
La mission d'information prend acte de cette déclaration politique visant au maintien de la spécificité de l'enseignement agricole et s'en félicite.
Elle considère néanmoins que des conséquences doivent être tirées de cette position de principe, en termes de positionnement du ministère, mais aussi de moyens humains et budgétaires alloués à cette filière d'enseignement.
b) Le souhait d'un ministère chargé de l'agriculture qui pèse au sein de l'architecture gouvernementale
Il ressort de l'ensemble des rencontres et auditions que la mission d'information a pu mener le sentiment d'un ministère suiveur, perdant ses arbitrages face à Bercy et éprouvant des difficultés à faire entendre la spécificité de l'enseignement agricole , dont les champs d'intervention dépendent in fine de plusieurs ministères. L'animation et la cohésion des territoires est ainsi au coeur des missions de l'enseignement agricole. Cette politique est pourtant portée par un autre ministère - celui de la cohésion territoriale - et son secrétariat à la ruralité.
La relégation actuelle du ministre de l'agriculture et de l'alimentation à l'avant-dernier rang protocolaire des ministres de plein exercice a également pu contribuer à l'impression d'une forme de « déclassement » du ministère.
En outre, la configuration gouvernementale actuelle fait relever les lycées de la mer d'un autre ministère, celui de la mer, alors même qu'ils proposent des formations parfois proches de celles des lycées agricoles en matière de pêche et d'aquaculture. Le CAP conchyliculture et le baccalauréat professionnel « cultures marines » relèvent ainsi de la CPC « agriculture, agroalimentaire et aménagement des espaces » (alors que d'autres formations relèvent de la CPC « mer et navigation intérieure »).
Les lycées de la mer : un enseignement professionnel ciblé qui essaie de mieux se relier à l'enseignement agricole et à l'Éducation nationale
Le réseau des lycées de la mer comprend 12 lycées professionnels maritimes, rassemblant environ 1 600 élèves, et délivre des diplômes allant du CAP jusqu'au BTS.
En dépit d'un taux d'insertion professionnelle très élevé, le ministère de la mer a indiqué à la mission partager les difficultés d'orientation rencontrées par l'enseignement agricole, d'où la campagne de communication commune lancée pour promouvoir les « métiers du vivant ».
Les capacités de formation proposées par les lycées de la mer apparaissent aujourd'hui insuffisantes pour accompagner le développement de l'emploi dans ces filières, en particulier dans les outre-mer, comme l'a souligné le comité interministériel de la mer en 2017 et en 2018.
L'enseignement professionnel maritime essaie de contribuer à l'ouverture de formations maritimes dans les lycées relevant de l'Éducation nationale ou de l'enseignement agricole, ce qui permettrait d'apporter une réponse rapide au plus près des besoins et de constituer un véritable réseau de formation aux métiers de la mer. Le ministère de la mer tente également de consolider le réseau des lycées maritimes en mutualisant certaines fonctions, en travaillant avec les régions pour bâtir une carte de formation cohérente et éviter la concurrence entre établissements, ainsi qu'avec les filières professionnelles.
Il s'attache ainsi à dynamiser le réseau des lycées de la mer et vient de nommer un chef de projet « réseau des lycées professionnels maritimes » 45 ( * ) qui aura en particulier pour mission de construire un véritable réseau des 12 lycées de la mer et de travailler avec les établissements relevant des ministères chargés de l'éducation nationale et de l'agriculture afin de construire une véritable offre de formation aux métiers de la mer et de susciter des synergies entre les réseaux.
Le ministère de la mer n'est pas favorable à une intégration des lycées professionnels de la mer au sein des ministères de l'éducation nationale ou de l'agriculture, considérant que les métiers de la mer nécessitent une offre de formation spécifique et qu'une telle intégration pourrait présenter des risques en termes de maintien de savoir-faire spécifiques et de proximité avec les acteurs du monde maritime.
Il promeut en revanche la conclusion d'une convention tripartite entre le ministère de la mer, celui de l'éducation nationale et celui de l'agriculture.
Aussi la mission d'information plaide-t-elle pour la création d'un ministère plus large , couvrant l'agriculture, la cohésion et le développement des territoires ainsi que la mer, afin de disposer d'une véritable autorité politique au sein du Gouvernement et de donner un sens stratégique au pilotage par ce ministère de l'enseignement agricole dans sa complétude. Elle note d'ailleurs que de précédents gouvernements avaient fait ce choix, comme entre 2010 à 2012, avec le ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire.
Proposition n° 1 : réaffirmer la spécificité de l'enseignement agricole ainsi que le rôle de pilotage de l'enseignement agricole dévolu au ministère chargé de l'agriculture, en confortant son positionnement au sein de la maquette gouvernementale.
Enfin, à plusieurs reprises, le Sénat s'est ému de l'absence du ministre de l'agriculture et de l'alimentation lors de l'examen des crédits dédiés à l'enseignement agricole dans le cadre du projet de loi de finances. Certes, ces crédits, portés par le programme 143, se situent au sein de la mission « enseignement scolaire ». Mais il est regrettable que seul le ministre de l'éducation nationale soit présent et défende la position du Gouvernement, alors qu'il n'exerce pas la compétence ministérielle sur cet enseignement. Lors de l'examen des crédits du projet de loi de finances pour 2021 au Sénat, l'enseignement agricole n'a pas été évoqué par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation lors de l'examen de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », pas plus qu'il n'a été défendu par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports lors de l'examen de la mission « enseignement scolaire », lors de leurs interventions pour présenter leurs missions respectives dans le débat général. Au regard des enjeux budgétaires, la mission considère que le ministre de l'agriculture et de l'alimentation doit incarner l'enseignement agricole lors de l'examen du projet de loi de finances.
Proposition n° 2 : exiger la participation du ministre chargé de l'agriculture aux débats au Parlement portant sur l'examen du budget de l'enseignement agricole, tant technique que supérieur.
c) Renforcer les moyens de suivi et de pilotage du ministère
Pour réaffirmer le ministère chargé de l'agriculture dans son rôle de pilotage de l'enseignement agricole, il apparaît nécessaire à la mission d'information de renforcer les moyens de suivi et de pilotage dont il dispose .
La mission note notamment les faibles données dont dispose le ministère de l'agriculture - à l'exception de la publication annuelle « portrait de l'enseignement agricole » -, notamment si on les compare à celles produites par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) pour l'éducation nationale. Pour la Cour des comptes, « la relative pauvreté des publications statistiques de [l'enseignement technique agricole] est en partie le reflet d'une insuffisance de recueil et de l'exploitation des données » .
En outre, comme le note la Cour des comptes, jusqu'à récemment, la notion de performance n'apparaissait pas dans l'organigramme de la DGER. C'est seulement depuis mars 2019 qu'existe une cellule d'appui au pilotage chargée « d'assurer l'analyse et la synthèse des informations et données pertinentes pour le pilotage et la performance des actions de la direction et la maîtrise des risques ».
La DGER considère elle-même , dans la réponse apportée au questionnaire de la rapporteure, que l'un des axes de progression pour l'enseignement agricole réside dans le renforcement de la robustesse et de l'efficacité des systèmes d'information (métiers et support) qui sont indispensables à la maîtrise de toutes les missions de l'enseignement agricole.
Pour la mission d'information, ce renforcement des moyens de suivi et de pilotage ne doit pas être perçu - ni utilisé - comme un outil de suppression de filières, de postes ou d'établissements, mais afin d'objectiver un certain nombre de données, de mettre en valeur les spécificités de l'enseignement agricole et d'identifier les points de faiblesse pour y répondre au bénéfice des élèves. Aussi la mission d'information fait-elle sienne la recommandation de la Cour des comptes consistant à renforcer la cellule d'appui au pilotage au sein de la DGER et à lui donner pleine compétence pour le recueil et l'analyse des données.
Dans cette perspective, la mission d'information note avec intérêt la transposition dans l'enseignement agricole du processus d'évaluation mis en oeuvre par le conseil d'évaluation de l'école (CEE). Fin 2020, ce dernier a souligné l'utilité d'évaluer la même année scolaire les établissements relevant des deux ministères chargés de l'Éducation nationale et de l'agriculture afin « d'analyser et favoriser la coopération entre eux » : selon les informations transmises par la DGER, à la fin de chaque année scolaire, le ministère chargé de l'agriculture va transmettre au CEE les résultats des évaluations d'établissements dont il a la charge, réalisées au cours de l'année scolaire écoulée.
Proposition n° 3 : développer les moyens de pilotage du ministère en renforçant la cellule d'appui au pilotage au sein de la DGER.
2. La nécessité d'un nouveau programme stratégique élaboré en lien avec l'Éducation nationale, les régions et les branches professionnelles
La réaffirmation du rôle du ministère doit aller de pair avec celle du projet de l'enseignement agricole pour les prochaines années.
La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt avait prévu l'établissement d'un projet stratégique national pour l'enseignement agricole. Ce projet stratégique, validé par le Conseil national de l'enseignement agricole en décembre 2014 puis par arrêté ministériel en novembre 2016, a servi de base pour la rédaction du 6 e schéma prévisionnel national des formations (SPNF) de l'enseignement agricole, qui couvrait les années 2016 à 2020 et comprenait 11 priorités.
Ce projet et ce schéma sont arrivés à leur terme en décembre 2020 et, dans l'attente de la mise en place d'un 7 e schéma en 2021, un addendum au 6 e SNPF, validé en novembre 2020, a fixé trois nouvelles priorités :
1 - Conduire le plan « Enseigner à produire autrement pour les transitions et l'agro-écologie » pour amplifier la contribution de l'enseignement agricole à la transformation nécessaire des systèmes agricoles et alimentaires ;
2 - Conduire la rénovation des diplômes pour préparer aux nouvelles compétences et aux métiers en évolution ;
3 - Développer le lien entre enseignement technique et enseignement supérieur long pour favoriser la promotion scolaire et sociale des élèves de l'enseignement agricole.
La DGER a indiqué à la rapporteure que cet addendum a été une préfiguration du 7 e schéma qui devrait être, avec le projet stratégique 2021-2025 dont il sera la déclinaison opérationnelle, l'ossature des prochains dialogues de gestion. Elle précise que, contrairement aux documents précédents, cet addendum contient des priorités claires avec quelques indicateurs permettant de mesurer les résultats par rapport aux objectifs fixés.
La mission souligne l'importance de disposer d'un nouveau projet stratégique clair et ambitieux pour l'enseignement agricole, assorti d'indicateurs de suivi et de performance. Dès lors que le calendrier initial n'a pas été respecté, la mission juge souhaitable, afin de lui donner une véritable portée politique, que ce nouveau projet stratégique soit adopté en début de quinquennat.
Ce projet doit évidemment être élaboré avec les acteurs de l'enseignements agricole - fédérations d'établissements, syndicats de personnels, représentants des parents et des élèves - mais pour que ce cadre ait une réelle force d'entraînement à l'égard de l'ensemble des partenaires, la mission juge nécessaire d'associer à l'élaboration de ce projet stratégique, au-delà de sa présentation en Conseil national de l'enseignement agricole, l'Éducation nationale, les régions , du fait de leurs compétences en matière de financement de l'enseignement agricole, d'orientation et de transport scolaire, ainsi que les branches professionnelles.
S'agissant de l'appropriation de ce nouveau schéma par les régions, la mission d'information invite l'ensemble des régions et des DRAAF à signer des protocoles d'accord pour valoriser l'enseignement agricole et à les décliner en contrats d'objectifs tripartite avec chaque EPLEFPA, mais aussi dans la mesure du possible avec les établissements de l'enseignement agricole privé dans leur diversité.
Proposition n° 4 : élaborer, en associant l'Éducation nationale, les régions et les branches professionnelles, un nouveau projet stratégique clair et ambitieux pour l'enseignement agricole pour la période 2022-2027, assorti d'indicateurs de suivi et de performance.
Proposition n° 5 : inviter l'ensemble des régions et des DRAAF à signer des protocoles d'accord pour valoriser l'enseignement agricole et à les décliner en contrats d'objectifs tripartite avec chaque EPLEFPA, mais aussi dans la mesure du possible avec les établissements de l'enseignement agricole privé.
3. Réévaluer les moyens budgétaires en faveur de l'enseignement agricole
Cette réaffirmation du positionnement du ministère et l'élaboration d'un projet stratégique ambitieux doivent se traduire par une réévaluation des moyens budgétaires alloués à l'enseignement agricole, aujourd'hui au bord de la rupture, comme le Sénat l'avait souligné en novembre 2020, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2021 46 ( * ) .
a) Un préalable indispensable : mettre fin à la baisse des ETP dont souffre l'enseignement agricole depuis le début du quinquennat
Depuis le début du quinquennat, l'enseignement agricole a perdu 190 ETP . Pour y faire face, deux réformes ont été mises en place : l'augmentation des seuils de dédoublement des classes qui passent de 24 à 27 élèves - sauf pour les enseignements de langues et pour ceux pour lesquels une augmentation est impossible pour des raisons de sécurité - et une plus grande autonomie des chefs d'établissements dans la gestion de la dotation globale horaire.
Mais, comme a pu le constater la mission d'information, tout au long de ses travaux, il est impossible de continuer sur la tendance actuelle , qui prévoit pour 2022 une suppression de 110 ETP - soit quasiment l'équivalent du cumul des années 2019 et 2020 ! Selon les éléments transmis par la DGER au moment de la clôture des travaux de la mission d'information - et dans l'attente des documents budgétaires non publiés à ce jour - la suppression pour 2022 serait au final de 16 ETP.
Or, ces suppressions constantes nuisent à l'attractivité de l'enseignement agricole :
- du point de vue des enseignements , par l'incapacité de proposer une diversité des spécialités, options ou même formation ( cf . notamment II.B.3 et 4 sur la stratégie de blocages d'ouverture de classes, ou les difficultés pour déployer dans de bonnes conditions la réforme du lycée) 47 ( * ) ;
- dans l' administration déconcentrée où des postes sont également supprimés : ce sont ainsi 22 postes administratifs dont la suppression est inscrite dans la loi de finances pour 2021, alors même qu'ils avaient déjà été très fortement rationnalisés par la révision générale des politiques publiques. En outre, les préconisations de la mission d'information - la mise en place d'un correspondant « enseignement agricole » équivalent du DASEN dans chaque département par exemple - pour mieux faire connaître l'enseignement agricole et ainsi augmenter le nombre d'élèves nécessite des moyens administratifs.
A minima , le gel de toute suppression d'ETP par rapport au schéma prévisionnel initial est nécessaire . À cet égard, elle sera tout particulièrement vigilante concernant d'éventuels effets d'annonces sur la réduction des suppressions de postes envisagées dans le schéma prévisionnel d'emploi pluriannuel initial, qui ne seraient dans les faits qu'un rattrapage par rapport à une sur-exécution les années précédentes.
Comme le montre le tableau qui suit, les années 2019 et 2020 ont en effet été marquées par une sur-exécution des suppressions de postes, à hauteur de 28 ETP, par rapport aux prévisions.
Schéma prévisionnel d'emplois pluriannuel 2019-2022
LFI 2019 |
LFI 2020 |
LFI 2021 |
PLF 2022 |
|
Projet |
- 50 ETP |
- 60 ETP |
- 80 ETP |
- 110 ETP |
Inscrit en loi de finances |
- 50 ETP |
- 60 ETP |
- 80 ETP |
- 16 ETP
|
Réalisés |
- 53 ETP |
- 85 ETP |
Source : DGER, dans l'attente des documents
budgétaires
relatifs au projet de loi de finances pour 2022
La mission prend acte du fait que les premières informations relatives au projet de loi de finances pour 2022 semblent indiquer que la trajectoire d'effectifs serait revue et que l'enveloppe allouée à l'enseignement agricole augmenterait, en particulier au profit de l'enseignement technique agricole. Elle se montrera très vigilante, lors de l'examen du budget, afin que les annonces du ministère se traduisent effectivement par des moyens supplémentaires pour les établissements et les personnels.
Mais au vu des actions à mener pour renforcer l'attractivité de l'enseignement agricole, la mission d'information préconise une augmentation des moyens humains , qui pourraient être affectés dans les établissements à une augmentation de la dotation globale horaire (DGH), et dans les services administratifs déconcentrés à un poste pour mieux faire connaitre l'enseignement agricole (action de communication, poste de liaison avec l'Éducation nationale).
Proposition n° 6 : à titre conservatoire, annuler au titre de 2022 les suppressions d'emploi prévues dans le schéma prévisionnel d'emplois pluriannuel 2019-2022.
Proposition n° 7 : dans le cadre du nouveau projet stratégique et afin de renforcer son attractivité, réévaluer et augmenter les moyens humains de l'enseignement agricole.
Sans engagement fort de la part du Gouvernement - en termes de moyens humains, d'actions pour renforcer la connaissance et l'attractivité de l'enseignement agricole - la mission d'information craint que ne se réalise le cri d'alarme du SNETAP-FSU, selon lequel « le quinquennat à venir sera par suite celui de la fermeture de nombreux sites en milieu rural s'il n'est pas mis fin à cette politique d'assèchement budgétaire » .
b) Mieux prendre en compte les spécificités de l'enseignement agricole dans l'estimation du coût d'un établissement agricole
L'enseignement agricole véhicule auprès du ministère de l'économie, des finances et de la relance l'image d'un enseignement qui coûte cher et d'établissements souvent déficitaires. La mission d'information reconnaît qu'il y a quelques années, un certain nombre d'établissements étaient dans une situation financière difficile, entraînant la mise en place d'un suivi annuel de l'ensemble des établissements.
Elle a toutefois souligné qu'avant la pandémie de covid-19 qui a durement frappé les établissements de l'enseignement agricole - plus encore que ceux de l'Éducation nationale - la situation financière de bon nombre d'entre eux s'était améliorée.
Lors de ses déplacements, la mission d'information - et ses membres - ont rencontré des personnels et des enseignants passionnés par l'enseignement agricole, proposant des projets innovants à leurs élèves et des expérimentations, notamment au travers de leurs exploitations et de leurs plateaux techniques qui constituent un atout indéniable. En cela, ils exécutent pleinement des missions qu'a confiées la loi à l'enseignement agricole : participer à l'animation et au développement des territoires, contribuer aux activités de développement, d'expérimentation et d'innovations agricoles et agroalimentaires.
Or, la recherche et l'expérimentation signifient un tâtonnement, des échecs dont on retire des enseignements, et donc un gain humain et d'expérience, mais un coût budgétaire . Comme a pu le dire l'un des enseignants de l'Institut de Genech, « mieux vaut que nos élèves et étudiants testent leurs idées ici, de manière encadrée et aux conséquences limitées pour eux en cas d'échec, plutôt que seuls sur leurs exploitations une fois installés » . D'ailleurs, le déficit que connaît cet établissement est dû uniquement aux expérimentations menées à l'exploitation agricole.
Les plateaux techniques, les exploitations agricoles et les ateliers technologiques, qui constituent des atouts indéniables pour l'enseignement agricole, doivent être correctement pris en compte dans les négociations budgétaires, comme l'ont souligné auprès de la mission l'EPLEFPA de Luçon-Pétré (Vendée) et celui du Subdray (Cher).
La mission d'information recommande donc, grâce aux nouveaux outils de suivi et de pilotage dont devra se doter la DGER, d'objectiver les coûts de fonctionnement des établissements d'enseignement agricole et d'intégrer dans les coûts pédagogiques de fonctionnement d'un établissement - et donc pris en charge par l'État, y compris pour les établissements privés sous contrat - toutes les missions que la loi confère à l'enseignement agricole, y compris les pertes financières dues à ces missions d'animation des territoires ou d'expérimentation et de recherche.
Elle rappelle également que les établissements d'enseignement agricole sont intrinsèquement liés au vivant, au territoire, à la météo. Les aléas budgétaires sont donc par nature plus importants qu'un établissement secondaire de l'Éducation nationale. Elle en veut pour preuve l'épisode de gel qui a touché le pays en avril 2021. Lors de la visite du site de l'INRAE à Gotheron, elle a appris que l'expérimentation menée sur des arbres fruitiers plantés il y a deux ans - et dont la première récolte devait avoir lieu cette année - a été très fortement touchée : toute la production a été détruite par l'épisode de gel.
De même, et malgré les aides versées, les établissements de l'enseignement agricole sont bien plus touchés que ceux de l'Éducation nationale par les conséquences de la covid-19 en raison de leurs modes de financement ; un grand nombre d'entre eux équilibrent leurs budgets par des recettes en interne : vente de production, location des internats (notamment les MFR pour des colonies de vacances), location des plateaux techniques aux exploitations du bassin, fermeture des centres de formation pour adultes...
Proposition n° 8 : grâce aux nouveaux outils de suivi et de pilotage dont devra se doter la DGER, objectiver les coûts de fonctionnement des établissements d'enseignement agricole afin d'intégrer dans les coûts pédagogiques de fonctionnement d'un établissement l'ensemble des missions que leur confère la loi.
2021 : un budget amputé de 4 millions d'euros lors de l'examen de la loi de finances rectificative
Près de 4,4 millions d'euros des crédits de l'enseignement technique agricole (2,2 millions d'euros dans la mission « enseignement scolaire » et 2,2 millions d'euros dans la mission « recherche et enseignement supérieur ») ont été annulés par le Gouvernement lors de l'examen de la loi de finances rectificative. Lors de l'examen du projet de loi, des amendements de rétablissement des crédits, déposés par plusieurs groupes politiques et soutenus par la plupart des bancs de l'hémicycle ont été adoptés. Malheureusement, l'Assemblée nationale est revenue sur ce vote.
Il s'agit, selon le ministère, de l'annulation de crédits de réserve, qui n'ont pas fait l'objet d'une programmation en début d'année et n'aurait donc pas de conséquences. Cette réserve de précaution doit notamment permettre de couvrir les aléas de gestion, les difficultés imprévues rencontrées en cours d'année.
La mission d'information regrette vivement cette annulation de crédits : en 2020 et 2021, les aléas budgétaires ont été nombreux pour l'enseignement agricole. En outre, les actions qui auraient pu bénéficier de ces sommes ne manquent pas : transposition dans l'enseignement agricole de primes annoncées dans l'Éducation nationale, soutien financier au 50 % d'établissements qui ont demandé une aide financière en raison de la covid-19 mais n'ont pour l'instant rien perçu, mise en place de la réforme du lycée, ou même revalorisation des assistants d'éducation dont le rôle est essentiel. À cet égard, la mission d'information rappelle que le rattrapage financier pour permettre aux AED de toucher la même rémunération que leurs homologues de l'Éducation nationale est estimé à 1,7 million d'euros - chiffre à mettre au regard de 2,2 millions d'euros annulés au détriment de l'enseignement technique agricole dans la mission « enseignement scolaire ».
4. Valoriser le maillage territorial de l'enseignement agricole
L'une des principales forces de l'enseignement agricole réside dans son maillage territorial, permettant de disposer d'établissements de formation situés dans des zones rurales et répondant aux besoins du bassin de population qui y réside.
L'Agence nationale de la cohésion des territoires, en réponse au questionnaire adressé par la rapporteure, souligne ainsi que « la densité du réseau des établissements d'enseignement agricole sur le territoire national induit un maillage très intéressant et sur de nombreux territoires ruraux, l'enseignement agricole est le seul organisme de formation présent au-delà du niveau collège. Ce maillage est indiscutablement un atout d'autant plus important que de par leur statut et les missions confiées par la loi, les établissements d'enseignement agricole sont conçus pour être des acteurs de développement et ouverts sur le territoire. Il faut reconnaître que cet atout, ce levier est sans doute insuffisamment pris en compte et que la communication autour de ce levier potentiel est à faire mieux connaître . »
La chambre d'agriculture de la Nièvre a également souligné auprès de la sénatrice Nadia Sollogoub, membre de la mission, l'enjeu du maillage territorial pour l'installation en agriculture, en relevant que « la plupart des candidats formés s'installent dans un rayon de 50 km autour du centre de formation ».
Toutefois, compte tenu des fragilités financières de certains établissements, notamment en milieu rural, et de la dynamique de regroupements d'établissements, déjà enclenchée, ce maillage est aujourd'hui fragilisé, voire menacé à moyen-long terme.
Cela ne va pas sans soulever des questions de régulation de l'offre de formation , notamment par l'ouverture de classes d'enseignement général dans le cadre d'un dialogue constructif avec l'Éducation nationale et les régions.
La mission estime qu'il est essentiel que les autorités académiques relevant des deux ministères ainsi que les fédérations de l'enseignement privé s'entendent pour optimiser le remplissage des classes au niveau local et permettre, ainsi, de conserver un maillage territorial de proximité .
La mission a observé sur le terrain comment une dynamique de mutualisation peut se créer en faveur de l'enseignement agricole. L'institut d'enseignement technologique de Hoymille, établissement privé particulièrement dynamique et inséré sur son territoire (terrain de sport et vestiaires servant à la commune le week-end, amphithéâtre de haut niveau permettant d'accueillir les réunions du conseil communautaire...), accueille désormais au sein de l'établissement des jeunes relevant d'un établissement privé sous contrat avec l'Éducation nationale, dans le cadre d'une optimisation des ressources. Toujours dans le Nord, elle a eu connaissance d'une ouverture de classe générale dans un établissement d'enseignement agricole public plutôt que dans un établissement relevant de l'Éducation nationale pour des raisons de rationalité budgétaire et de mutualisation des locaux. A contrario , la rapporteure a constaté à Bordeaux les difficultés rencontrées par la direction de l'EPLEFA de Bordeaux-Gironde pour ouvrir une nouvelle classe de seconde générale, alors que le nombre de demandes reçues dépasse le seuil de création d'une classe.
La mission a également eu connaissance des synergies créées entre les établissements publics de certaines régions, comme en Bretagne avec la création d'un groupement d'intérêt public regroupant l'ensemble des EPLEFPA, ainsi que des projets innovants et structurants pour le territoire portés par certains établissements, comme l'initiative The Land ou le projet de lycée des Buissonnets relevant du CNEAP.
La mission considère qu' une politique offensive de développement et d'accompagnement des initiatives doit ainsi être menée pour valoriser et consolider le maillage territorial de l'enseignement agricole.
Proposition n° 9 : mener, dans le cadre d'un étroit partenariat entre les autorités académiques, une politique offensive de développement et d'accompagnement des initiatives pour valoriser et consolider le maillage territorial de l'enseignement agricole.
* 44 Audition du 30 juin 2021.
* 45 Lettre de mission du 9 septembre 2021.
* 46 Avis n° 143 « enseignement agricole » sur le projet de loi de finances pour 2021 de Mme Nathalie Delattre, session 2020-2021.
* 47 Cf. page 69 et suivantes.