CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES
Contribution de M. le sénateur Joël Labbé
au nom du groupe Écologiste - Solidarité & Territoires
Pour un enseignement agricole doté de moyens et d'ambitions à la hauteur de l'urgence écologique et des enjeux de souveraineté alimentaire
Le Groupe Écologiste - Solidarité & Territoires salue l'initiative du Sénat et la tenue de cette mission sur le sujet essentiel qu'est l'enseignement agricole, ainsi que la qualité globale du travail qui a été mené dans ce cadre.
Il est capital que le Sénat se penche sur le sujet tant les défis à relever sont immenses pour ce secteur, défis qui ont été rappelés à juste titre par la mission. Renouvellement des générations (près de la moitié des professionnels partant en retraite sous 10 ans), changement climatique, biodiversité, bien-être animal, relocalisation de l'alimentation, le tout dans un contexte de difficultés de revenus et de conditions de travail pour un trop grand nombre d'agriculteurs : l'enseignement agricole se situe à un tournant et mérite une attention forte.
Pourtant, comme la mission l'a souligné, l'enseignement agricole souffre d'un manque criant de moyens, alors qu'il serait essentiel d'investir dans ce secteur pour le renforcer afin d'en faire un véritable outil stratégique de notre politique agricole.
Le Groupe Écologiste-Solidarité & Territoires partage ainsi les questionnements face au manque d'ambition de l'État à cet égard, qui semble laisser la place à des acteurs du privé dont le projet Hectar, qui suscite beaucoup d'interrogations, est l'un des symptômes. Le groupe écologiste va cependant plus loin que la mission en soulignant ses inquiétudes face à ce type de projets, et aux finalités idéologiques qu'ils seraient susceptibles de servir. L'ouverture de l'enseignement vétérinaire au privé ou la vente du domaine de Grignon sont d'autres signaux qui semblent traduire une forme de désengagement de l'État d'un secteur pourtant stratégique.
Ainsi le groupe EST partage les axes principaux de la mission sur le renforcement des moyens de l'enseignement agricole, de son pilotage stratégique et de ses ambitions, de la communication autour de ses atouts et des métiers de l'agriculture, de la consolidation de ses enseignements.
Ces éléments sont essentiels pour l'attractivité de l'enseignement agricole, mais, pour le groupe EST, c'est aussi, voire surtout en inscrivant pleinement l'enseignement agricole dans la transition agroécologique et en particulier dans l'agriculture biologique, qu'on lui permettra de trouver la place qu'il mérite.
C'est en effet un enjeu pour l'attractivité de cet enseignement, puisque les chiffres d'installation en bio sont en constante augmentation, en particulier chez les paysans « Non Issus du Milieu Agricole ». C'est aussi, bien sûr, un enjeu pour la transformation de notre modèle agricole, pour répondre à la demande des consommateurs, et plus globalement aux enjeux environnementaux auxquels nous faisons face. Cette problématique ne semble pas suffisamment développée par le rapport.
Renforcer la formation à l'agroécologie et à l'agriculture biologique en formation initiale et adulte
Développement de formation à « orientation bio » et de formations « spécifiques bio » :
On constate aujourd'hui un véritable manque d'ambition sur l'enseignement en agriculture biologique, alors que les installations dans ce système se développent rapidement. Si on peut regretter que le gouvernement ne se donne pas les moyens de produire des chiffres nationaux en la matière, on constate néanmoins que, en 2019, elles représentent environ un tiers des installations aidées en Régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne et Pays de la Loire.
Certes l'agroécologie a fait son entrée dans les programmes et des améliorations ont été notées depuis les plans "Enseigner à produire autrement". Mais on note une ambition de ces plans en décalage avec l'urgence écologique, la demande des consommateurs, mais aussi celle des porteurs de projet, en formation initiale comme en formation adulte. Ceci est particulièrement vrai pour les porteurs de projet non issus du milieu agricole, aujourd'hui essentiels au renouvellement des générations, et qui représentent plus de 60% des personnes se présentant aux « points installation transmission ».
Les échanges avec la Fédération Nationale d'Agriculture Biologique, ou avec des syndicats d'enseignants comme le SNETAP-FSU, membre du Comité de défense de l'enseignement agricole public, font ressortir un fort manque de formations axées sur l'agroécologie et l'agriculture biologique. C'était aussi le constat dressé dans le rapport d'information du Sénat sur les financements publics consacrés à l'agriculture biologique, effectué en 2020 par la Commission des finances, qui constate que l'agriculture biologique, d'après les acteurs auditionnés, « n'avait pas encore trouvé une place suffisante dans les programmes des différents niveaux d'enseignement agricole ».
Il convient donc de se fixer des objectifs chiffrés et territorialisés en termes de développement de formations à orientation bio, en particulier pour certaines filières comme l'élevage ou les grandes cultures, pour lesquelles les formations sont quasi-inexistantes. Ceci est particulièrement problématique dans le cas de l'élevage, puisque ce secteur est particulièrement touché par les difficultés de transmission des fermes.
Renforcer la qualité des formations en bio :
On constate sur le terrain des besoins importants pour renforcer la qualité des formations en bio : la FNAB a ainsi réalisé en 2019-2020 une enquête révélant un manque de moyens des établissements concernant l'enseignement de la bio, avec des besoins en termes de formations des personnels enseignants, de proximité avec le monde professionnel bio, de contenus et de supports. Le Ministère se doit de répondre à ces attentes, qui ne peuvent être laissées à la seule charge des professionnels du secteur. Le groupe écologiste estime également que ce développement de l'enseignement de l'agroécologie doit passer par des liens avec l'Institut Technique d'Agriculture Biologique, dont l'approche systémique, en partenariat avec les agriculteurs est particulièrement adaptée à ces enjeux.
Pour le groupe écologiste, il convient aussi d'adapter les référentiels de diplômes du secteur de la production agricole à ces enjeux de développement de la bio et aux spécificités de l'agroécologie. A titre d'exemple, aujourd'hui, des formations « à orientation bio » peuvent ne contenir qu'un seul module sur la bio, ce qui est problématique. La bio et ses spécificités doivent être clairement indiquées dans les référentiels métiers.
De même, concernant la simplification de la cartographie des formations proposée par la mission, le groupe EST s'interroge sur cette orientation qui pourrait porter un risque de déqualification des formations. Un questionnement sur cette cartographie peut être pertinent s'il est plus global, pour prendre en compte la transition agroécologique (par exemple pour sortir de logiques de filière et aller vers la polyculture élevage).
Toutes ces orientations nécessitent bien sûr des moyens, pour le moment bien trop faibles.
Développement de formation sur les circuits courts et la transformation à la ferme :
Aujourd'hui, de plus en plus d'agriculteurs souhaitent se tourner vers les circuits courts. Il s'agit d'une tendance de fond qui correspond à la fois à une demande forte et en croissance des consommateurs, et à une recherche de captation de la valeur par des agriculteurs. Cette tendance est aussi un objectif de politique publique, avec notamment le dispositif des PAT. L'enseignement agricole est en retard à cet égard alors que de réelles compétences sont nécessaires pour piloter la vente en circuits courts de ses produits, ou pour la transformation de produits agricoles. La Fédération Nationale de l'Agriculture Biologique a ainsi identifié le besoin de référentiels métiers spécifiques sur les circuits courts et sur la transformation alimentaire en production biologique. Le groupe EST souhaite donc aller plus loin que les propositions de la mission sur ce sujet.
Faire des fermes des établissements d'enseignement agricole des lieux centraux pour la transition agroécologique, le développement de la bio et des circuits courts
Ces fermes sont de véritables outils, qui méritent qu'on aille au-delà des objectifs de développement de surfaces en bio, ou de sortie du glyphosate, tels qu'affichés par le plan stratégique actuel.
Certes, pour les établissements publics, 64,9 % des fermes ont au moins un atelier en bio et 16,7 % des fermes sont 100 % bio (22,5 % de la SAU). Certes, des objectifs ont été fixés pour 2025, à savoir 100 % des fermes avec au moins un atelier AB.
Mais ces objectifs restent très restrictifs par rapport à l'ensemble des possibilités qui permettraient de faire des fermes d'établissement des leviers de transition agroécologique. Pourtant, on constate, sur certains territoires, des initiatives très positives, que les politiques publiques doivent soutenir, et développer.
On peut citer à ce titre les pépinières d'entreprise ou espaces test agricoles, développés sur certaines fermes d'exploitations : ces espaces permettent à des porteurs de projets de tester leur activité pendant une durée déterminée, généralement d'un an. Ce dispositif est particulièrement utile pour les porteurs de projets non issus du milieu agricole qui peuvent ainsi sécuriser leur installation en démarrant une activité de production en condition réelle mais dans un cadre permettant un accompagnement, et sans risques liés à l'investissement.
Toujours dans cet esprit de renouvellement des générations, il conviendrait de développer, sur ces exploitations agricoles, des fermes pédagogiques, afin de sensibiliser le public non agricole à cette profession. Cela serait également un outil pour recréer du lien entre agriculture et consommateur.
Enfin le développement d'ateliers de transformation et/ou de vente directe sur les fermes des établissements seraient également des atouts. En particulier, les points de vente sur le site des établissements, qui existent déjà sur certaines fermes permettent à la fois de former à la vente directe, mais aussi de créer du lien entre le monde agricole et les territoires qui les entourent.
L'agroécologie a aussi une dimension économique et sociale, de lien au territoire, qui doit être englobée dans son ensemble par les exploitations des établissements.
Toutes ces orientations nécessitent encore une fois des moyens : aujourd'hui bon nombre des exploitations et ateliers technologiques des établissements sont en grandes difficultés financières, du fait de la crise Covid, mais aussi de façon structurelle. Elles doivent être aidées pour mener à bien leur conversion agroécologique et leurs missions pédagogiques.
Doter les futurs installés d'un maximum d'autonomie pour développer la résilience agricole :
La réforme de l'enseignement agricole a acté une perte d'heures sur la partie gestion d'entreprise, ce qui nuit au développement de compétences permettant une meilleure autonomie sur sa ferme, par la bonne maîtrise des notions de pilotage d'activité, gage de résilience économique, et de réflexion sur la captation de la valeur, dans un contexte où les rapports de force économiques sont trop souvent défavorables aux paysans.
Il en va de même concernant la perte d'heures sur les agroéquipements, alors que les futurs agriculteurs doivent être en mesure de comprendre l'impact du choix de leur équipement sur le sol, sur leur travail, sur l'économie de leur exploitation, afin d'effectuer des choix éclairés, dans un contexte où l'on constate trop souvent un suréquipement des fermes, pouvant parfois conduire à des difficultés économiques.
Une gouvernance ouverte et pluraliste de l'enseignement agricole nécessaire pour mener à bien la transition agroécologique :
Enfin, pour le groupe EST, cette transition vers l'agroécologie doit aussi passer par une ouverture de la gouvernance de l'enseignement agricole. En effet, il ne peut être abordé uniquement sous l'angle économique du besoin des filières, l'agriculture étant au carrefour d'enjeux sociétaux majeurs.
Ainsi, les orientations de la loi dite Pénicaud de 2018, qui renforce le côté marchand de la formation professionnelle, et notamment son décret d'application définissant la composition de la Commission Professionnelle de Certification (CPC) de l'enseignement agricole, sont éminemment problématiques.
Alors que les CPC sont chargées d'émettre des avis conformes sur la création ou la révision de diplômes professionnels, leur pluralisme a été très fortement restreint par le décret du 26 décembre 2018. Ce texte exclut de la CPC les personnalités qualifiées qui représentent les usagers (familles et apprenants) et les acteurs sociaux (dont les personnels de formation). Les syndicats agricoles minoritaires n'y ont pas de droit de vote. Cela renforce fortement la place des professionnels, et notamment de ses acteurs majoritaires dans le secteur agricole et agroalimentaire, mais aussi d'acteurs économiques sans lien spécifique avec le monde agricole. Ainsi, ne sont pas représentées dans ces instances les attentes sociétales et la pluralité du monde agricole, à l'heure où un changement de modèle est reconnu comme nécessaire. Le Groupe EST estime qu'une modification de ce décret est indispensable, des CPC pluralistes étant nécessaires pour l'orientation des formations agricoles.