N° 864

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 septembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la révision des tarifs d' achats des contrats photovoltaïques signés entre 2006 et 2011 ,

Par Mme Christine LAVARDE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Mme Nadine Bellurot, MM. Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

Mercredi 29 septembre 2021, la commission des finances a examiné la communication de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial du programme 345 « Service public de l'énergie », sur son contrôle portant sur la révision des tarifs de certains contrats photovoltaïques.

L'examen de l'article 225 de la loi de finances initiale pour 2021 avait suscité beaucoup de débats . Les conditions de son adoption n'étaient pas à la hauteur de l'enjeu . En proposant de réviser les tarifs d'obligation d'achat de contrats de production d'électricité photovoltaïque conclus en application des arrêtés tarifaires publiés entre 2006 et 2010, l'État revenait sur sa parole et risquait de fragiliser la filière . En juin 2021 , les projets de textes règlementaires d'application ont fait l'objet d'une concertation . De nombreuses craintes se sont manifestées quant à la sauvegarde de la viabilité économique des exploitations .

I. UNE DÉCISION SENSIBLE PRISE DANS DES CONDITIONS INSATISFAISANTES

A. LES CONDITIONS D'UNE DÉCISION ÉCLAIRÉE DE LA REPRÉSENTATION NATIONALE N'ÉTAIENT PAS RÉUNIES

Au début des années 2000 , pour soutenir la production d'énergie photovoltaïque, l'État a mis en oeuvre un mécanisme d'obligation d'achat . Des arrêtés déterminent les tarifs d'achat de la production suivant la date de conclusion des contrats et la puissance de l'installation. L'État compense 1 ( * ) aux énergéticiens les surcoûts d'achat en référence au prix de l'électricité sur les marchés de gros. En 2006 , le nouvel arrêté tarifaire (dit « S06 »), valable jusqu'en 2010 a relevé ces tarifs. Dans le même temps, les coûts d'installation des centrales ont été divisés par quatre . Les tarifs se sont révélés trop élevés , générant un effet d'aubaine pour des contrats d'une durée de vingt ans . La commission de régulation de l'énergie (CRE) s'en est inquiétée mais l'État a tardé à réagir. Deux nouveaux arrêtés ont été pris en 2010 (S10 et S10B) mais les tarifs restaient trop attractifs. Un moratoire a été instauré en catastrophe avant une refonte du dispositif en 2011 . Entre 2006 et 2010, 235 000 contrats ont été signés pour un soutien public moyen de 480 euros par mégawatheure (MWh), soit 30 % des charges de service public liées au développement des énergies renouvelables (EnR) en 2020 et seulement 5 % de leur production .

Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2021 , le Gouvernement a proposé une disposition visant à réviser a posteriori les tarifs des contrats conclus en application des arrêtés de 2006 et 2010. Les conditions d'examen par la représentation nationale n'ont pas permis une réflexion suffisamment éclairée . Le Gouvernement a en effet déposé un amendement de dernière minute sans évaluation préalable. Les parlementaires n'en ont pas moins signalé leurs craintes . Le Sénat a suivi l'avis de la commission des finances et rejeté l'article .

Adopté par l'Assemblée nationale, l'article 225 de la loi de finances pour 2021 prévoit, pour les installations d'une puissance crête supérieure à 250 kilowatts (kW), une révision des tarifs d'achat pour retrouver une « rémunération raisonnable des capitaux ». Après la notification du tarif révisé, sur demande du producteur, un examen individuel doit éviter de compromettre la viabilité économique des producteurs. Deux textes réglementaires d'application sont prévus.

B. DES RISQUES MULTIPLES ET DES ENJEUX FINANCIERS TRÈS INCERTAINS

D'un point de vue microéconomique , la révision des tarifs fait peser des risques sur la continuité économique des producteurs. Des défauts de paiement et des faillites sont à craindre. D'un point de vue macro-économique , une telle remise en cause de la parole de l'État pourrait créer un précédent de nature à saper la crédibilité de son soutien à la filière des EnR . Les investisseurs pourraient se détourner et les banques durcir leurs conditions de financement .

Le dispositif devrait aussi prendre en compte la situation spécifique des exploitations agricoles . Les projets photovoltaïques agricoles ont souvent accompagné la construction d'un bâtiment d'élevage ou de stockage ; la promesse de flux de revenus liés aux contrats a pu être utilisée pour financer des investissements sur l'exploitation agricole. Les contrats conclus dans les zones non-interconnectées (ZNI) devront également être appréhendés de façon spécifique. Les contrats qui ont changé de mains 2 ( * ) constituent une autre problématique complexe. À ce titre, il est regrettable que l'administration et la CRE ne disposent toujours pas d'une vision précise de la nature des détenteurs des contrats et déclarent attendre la procédure de réexamen pour disposer d'une visibilité plus fine.

Le bénéfice pour les finances publiques est sujet à caution et incertain car deux facteurs vont le réduire : la remise en cause des premiers tarifs révisés dans le cadre de l'examen individuel (la « clause de sauvegarde ») et les contentieux . Les 235 000 contrats conclus entre 2006 et 2010 représentent 2 milliards d'euros de soutien budgétaire public annuel, près de 40 milliards d'euros au total dont 25 milliards de restes à payer. Seuls 1 071 de ces contrats sont concernés . Ils représentent 9,3 milliards d'euros de charges de service public de l'énergie dans les dix ans à venir. La CRE estime que les révisions tarifaires pourraient représenter 3,7 milliards d'euros d'économies sur les dix prochaines années.

II. UNE CONSULTATION DU SECTEUR CHAOTIQUE ET DES ENJEUX QUI SE CRISTALLISENT AUTOUR DE LA PROCÉDURE D'APPEL

A. CHAOTIQUE, LA CONSULTATION A CONDUIT À ASSOUPLIR LE DISPOSITIF SANS POUR AUTANT CONVAINCRE LA FILIÈRE

1. Des projets de textes réglementaires amendés mais qui restent contestés

Les deux projets de textes d'application ont été mis en consultation en juin . Le dispositif est jalonné d'étapes. Un tarif révisé doit être notifié aux producteurs qui disposeraient de trois mois pour demander un réexamen . Cette clause de sauvegarde suspend l'application du tarif révisé pendant l'instruction de la CRE et pour une durée maximale de seize mois. À l'issue de ce réexamen, la CRE peut proposer un nouveau tarif aux ministres chargés de l'énergie et du budget qui gardent la main sur la décision.

Des erreurs matérielles dans le modèle de calcul ont exacerbé les tensions faisant craindre à la filière des baisses drastiques . La principale critique du secteur tient au fait que, pour déterminer la rémunération raisonnable des exploitations et donc le tarif révisé, l'administration ne s'appuie pas sur les données comptables réelles mais sur une approche normative qui repose sur des moyennes , y compris internationales. La filière considère que cette approche sous-estime les dépenses d'investissement (CAPEX) et les charges d'exploitation (OPEX) et, par voie de conséquence, surestime la rentabilité des centrales et le niveau de révision tarifaire .

Dans son avis consultatif du 22 juillet, le Conseil supérieur de l'énergie a rejeté à une large majorité les projets de textes réglementaires. Ses membres ont regretté un manque d'ouverture de l'État.

2. 400 installations concernées pour des baisses tarifaires moyennes de 47 %

Sur les 1 071 installations visées par les dispositions de l'article 255 de la LFI 2021, 400 pourraient voir leurs tarifs révisés dont 20 % se situeraient en ZNI et près de la moitié présenteraient une capacité de production inférieure à 1 000 kilowatts crête (kWc).

Répartition des installations visées
en fonction de leurs capacités de production en kilowatt crête (kWc)

(en %)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses de la CRE au questionnaire du rapporteur spécial

Compte-tenu de la variation rapide des coûts d'installation sur la période, le modèle se révèle particulièrement sensible aux dates de mise en service . L'administration cible les mises en service tardives en raison de la forte diminution des coûts à partir de 2010. 89 % des révisions concerneraient ainsi des mises en service postérieures à 2010. Moins d'un dixième des exploitations mises en service en 2010 verrait son tarif révisé contre neuf dixième des exploitations mises en service en 2013 . Car elles ont pu bénéficier d'économies d'échelle, les installations les plus puissantes sont aussi visées.

Part des contrats visés par des révisions tarifaires
en fonction des capacités de production en kilowatt crête (kWc)

(en %)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses de la CRE au questionnaire du rapporteur spécial

La baisse moyenne atteindrait 47 % . 4 % des exploitations se verraient appliquer le tarif plancher, soit une diminution de 95 % . Les baisses seraient moins prononcées que ce que la filière avait pu craindre en raison d'un assouplissement des dispositions dans la seconde version des textes d'application et des corrections d'erreurs.

B. LA CLAUSE DE SAUVEGARDE, UNE CORDE DE RAPPEL INDISPENSABLE

Faute de prendre en compte les données réelles en phase initiale, la procédure de réexamen est le coeur du dispositif , celui qui doit garantir la viabilité économique des producteurs. Toutes les exploitations concernées par des baisses de tarif risquent de se saisir de cette clause de sauvegarde . La CRE sera-t-elle en mesure d'instruire l'ensemble de ces dossiers dans les délais ? C'est essentiel car la période de suspension du tarif révisé est limitée à seize mois . En année pleine, le coût de gestion du dispositif pour l'État est estimé à 5 millions d'euros.

Observation n° 1 : alors que les textes ne sont toujours pas publiés et que l'application des nouveaux tarifs au 1 er octobre n'est plus envisageable, le calendrier de mise en oeuvre devra être précisé.

Lors de l'instruction des dossiers, la CRE devra estimer les conséquences du tarif révisé sur la viabilité économique du producteur « en tenant compte des mesures de redressement et de soutiens » . Les conditions d'examen dans le cadre de la clause de sauvegarde sont extrêmement sensibles . Les lignes directrices seront définies dans une délibération de la CRE . Un projet a été mis en consultation entre le 2 août et le 8 septembre.

Observation n° 2 : dans la mesure où l'appréciation des « mesures de redressement et de soutien » sera déterminante, compte-tenu notamment des difficultés qu'auront les producteurs à renégocier certains contrats (maintenance, loyers, et c.) pour réduire leurs charges d'exploitation, il convient de les objectiver avec la plus grande précision et de ne pas en faire une obligation de résultat ni une condition préalable à la saisine.

Le traitement de plusieurs cas particuliers devra être suivi avec attention . La spécificité des exploitations agricoles semble prise en compte par l'article 6 du décret qui prévoit que la viabilité économique s'apprécie au regard « de la capacité du producteur (...) à maintenir la viabilité de ses activités commerciale, artisanale, agricole ou industrielle » . Le projet de la CRE prévoit aussi un traitement spécifique des contrats cédés et pour lesquels une partie de la sur-rentabilité a été captée par le vendeur et n'a pas bénéficié au nouveau producteur.

Observation n° 3 : la procédure de réexamen individuel devra garantir la prise en compte d'une approche holistique des exploitations agricoles, ne pas pénaliser les titulaires des contrats pour des rentabilités passées captées par le développeur initial, permettre une prise en compte plus fine et territorialisée des spécificités des ZNI et proportionner au strict nécessaire les demandes de pièces faites aux producteurs.

Des risques contentieux, notamment du fait du recours à une approche normative, planent sur la mesure. Le respect du traité sur la charte de l'énergie pourrait être contesté même si une décision rendue le 2 septembre 2021 par la Cour de justice de l'Union Européenne semble exclure la possibilité de l'invoquer pour un investisseur européen.

Observation n° 4 : en cumulant les effets de la clause de sauvegarde et des contentieux, que restera-t-il des 3,7 milliards d'euros d'économies escomptés ?


* 1 Désormais via des crédits retracés au sein du programme « Service public de l'énergie ».

* 2 Peut-être plus de 50 %.

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