B. UN SYSTÈME DE FINANCEMENT FRAGMENTÉ
1. Un système de financement complexe
Étant étroitement liée à la médecine et à la prise en charge des patients, la recherche en biologie-santé a pour caractéristique une double tutelle des ministères des Solidarités et de la Santé (MSS) et de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (MESRI). Il en résulte la coexistence de plusieurs sources de financement. Cette situation entraîne une complexité de l'organisation et pose des problèmes de cohérence d'ensemble, rompant notamment la continuité entre la recherche amont et la recherche clinique. Par ailleurs, elle ne permet pas d'atteindre des montants adaptés aux enjeux.
2. La mission budgétaire interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (MIRES)
a) Les financements pourvus par la MIRES sont insuffisants
Le rapport de l'Académie nationale de médecine fait apparaître à la fois une baisse des crédits consacrés aux composantes « santé » et « sciences biologiques » au sein de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (MIRES) depuis 2006 (Figure 1) mais aussi une baisse de la part représentée par ce budget dans le budget total de la mission sur cette même période (Figure 2) 15 ( * ) .
b) Les budgets des établissements stagnent
Le budget des deux grands établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) couvrant les sciences de la vie (l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et le CNRS dans sa composante « Institut des sciences biologiques ») est pris en charge par la MIRES. Une part importante étant consacrée aux rémunérations du personnel, les montants disponibles pour financer les laboratoires sont relativement restreints et demeurent constants depuis plusieurs années : respectivement de 57,5 millions d'euros pour l'INSB en 2021 16 ( * ) (contre 56 millions en 2011 17 ( * ) ) et entre 56 et 57 millions d'euros pour l'INSERM en 2017 (constant depuis 15 ans) 18 ( * ) .
c) Des appels à projets inadaptés
Un autre objectif de la MIRES est le financement du budget de l'Agence nationale de la recherche (ANR), source de financement quasi-exclusive de la recherche sur projet. L'appel à projets générique 2020 19 ( * ) a soutenu 345 projets en « sciences de la vie » (28 % de l'ensemble des projets), auxquels on peut ajouter 58 projets en « santé et environnement » (5 %) et 59 projets en « santé et numérique » (5 %) 20 ( * ) .
Si le domaine des sciences biologiques et de la santé ne semble donc pas sous-financé par rapport aux autres disciplines au niveau de l'ANR, le montant de l'ensemble des subventions allouées aux appels à projets a subi une réduction de près de 40 % entre 2009 et 2015 (de 650,2 M€ 21 ( * ) à 390,2 M€ 22 ( * ) ), non compensée par les récentes revalorisations (569 M€ en 2019 23 ( * ) ). La loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 (LPR) prévoit cependant une hausse substantielle du budget de l'ANR 24 ( * ) , devant permettre une augmentation de ces subventions dans les prochaines années.
L'Académie nationale de médecine déplore un taux de succès faible des projets présentés (environ 15 %) avec un financement moyen par projet peu important (450 000 €) et une durée des financements habituelle de 3 ans, non adaptée au domaine de la biologie-santé ainsi qu'à la prise de risque. De plus, le préciput alloué (le retour aux établissements hébergeurs) atteint uniquement 11 % (soit 55 millions d'euros annuels), ce qui entraîne des difficultés pour financer les infrastructures, les cohortes et les collections d'échantillons biologiques (la LPR prévoit cependant, à l'horizon 2027, le passage de ce préciput à 40 %) 25 ( * ) .
3. Les dotations au titre des « Missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation » (MERRI)
Le MSS attribue à la recherche des dotations MERRI (pour « missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation »), allouées aux établissements de santé sur la base de règles fixées par la Direction générale de l'offre de soins (DGOS). L'enveloppe MERRI globale se compose de deux parties : une partie dite « socle » s'élevant en 2019 à plus de 1,6 milliard d'euros, correspondant à une compensation des surcoûts ou des pertes de recettes générées par l'activité de recherche et d'enseignement 26 ( * ) , et les Programmes hospitaliers en recherche clinique (PHRC), pour lesquels, en 2019, les autorisations d'engagement représentaient 150 millions d'euros mais les crédits de paiement seulement 40 millions 27 ( * ) . Cette différence est expliquée par l'Académie nationale de médecine par les difficultés administratives rencontrées dans la mise en place des PHRC par les personnels hospitalo-universitaires.
Concernant la partie dite « socle », les surcoûts ne sont pas pris en charge en fonction des dépenses affichées mais selon des critères de performance supposés refléter les résultats obtenus 28 ( * ) . La dotation est définie de la manière suivante : à 60 % par le Système d'interrogation, de gestion et d'analyse des publications scientifiques (SIGAPS, représentant les publications scientifiques), à 15 % par le Système d'information et de gestion de la recherche et des essais cliniques (SIGREC, représentant la recherche clinique) et à 25 % par un troisième indicateur concernant la formation. Cette méthode pose la question de la pertinence des indicateurs, les normes internationales de la recherche rejetant désormais formellement l'évaluation à partir de données purement bibliométriques, méthode réductrice et facile à manipuler 29 ( * ) .
Dans ce contexte, l'Académie nationale de médecine souhaite une réforme des subventions aux structures hospitalières et de leur mode d'attribution en confiant l'allocation des crédits MERRI « socle » (hors enseignement) et PHRC à un « Conseil d'orientation de la recherche hospitalière », qui aurait pour but d'expliciter et de coordonner la stratégie et la programmation de la recherche hospitalière au niveau national. Afin de s'appuyer sur les organismes existants, elle propose de confier :
- l'évaluation des structures au Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) ;
- la procédure des appels à projets à l'ANR.
Une telle réforme permettrait de valoriser et encourager la conduite de recherches de qualité, tout en simplifiant le système d'attribution. La Direction générale de l'offre de soins s'est montrée ouverte à une éventuelle évolution du système actuel de financements. Cependant, il conviendrait d'éviter que cette évolution ne se solde par une baisse des crédits attribués à certains centres hospitaliers universitaires, à l'instar de la réforme introduite par la circulaire relative à la première campagne tarifaire et budgétaire 2021 des établissements de santé 30 ( * ) .
4. Autres financements
Plusieurs autres sources de financement s'ajoutent à ces deux principales contributions. Plus modestes, elles ne remettent pas en question le constat du sous-financement du domaine des sciences biologiques et de la santé (la plupart de ces sources s'adressant en outre aux autres domaines de recherche).
a) Programme d'investissements d'avenir (PIA)
Le Programme d'investissements d'avenir (PIA) est piloté par le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) et géré par l'ANR. La dernière synthèse thématique en biologie-santé de l'ANR concernant le PIA fait état d'une part relativement importante de projets en matière de biologie-santé : 171 projets entre 2010 et 2017 (vagues 1 à 3), ce qui représente 42 % des projets PIA, avec une dotation d'environ 2 085 millions d'euros, soit plus de 40 % de la dotation des projets thématisés 31 ( * ) .
b) Collectivités territoriales
Les collectivités territoriales financent aussi la recherche (908,9 millions d'euros en 2019 pour l'ensemble de la recherche 32 ( * ) ). Ces financements souffrent cependant d'une hétérogénéité selon les départements et régions et sont majoritairement consacrés au transfert de technologie et aux opérations immobilières (respectivement, 35 et 22 % en moyenne de 2017 à 2019).
c) Union européenne
L'Union européenne participe également au financement de la recherche, notamment grâce au Conseil européen de la recherche qui disposait d'un budget de 13,1 milliards d'euros sur les 7 ans du programme Horizon 2020 (2014-2020), désormais augmenté pour atteindre 16 milliards dans le programme Horizon Europe (2021-2027). À titre d'exemple, les projets en sciences de la vie représentaient 28 à 30 % de l'ensemble des projets soutenus lors de la campagne de financement 2019 (selon le type de financement considéré) 33 ( * ) et le montant perçu par la France sur l'ensemble de ces différents appels à projets s'élevait à 51,2 millions d'euros 34 ( * ) . La France fait cependant partie des nations dont les financements obtenus dans le cadre du programme Horizon 2020 sont inférieurs à ses contributions, contrairement au Royaume-Uni 35 ( * ) .
d) Secteur associatif
Enfin, le secteur associatif joue aussi un rôle dans le financement de la recherche en biologie-santé avec comme principaux contributeurs : la Fondation de la recherche médicale (47 millions d'euros en 2019 36 ( * ) ), la Ligue contre le cancer (37,8 millions d'euros en 2019 37 ( * ) ), la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer (29,5 millions d'euros en 2019 38 ( * ) ).
* 15 Graphiques issus du rapport de l'Académie nationale de médecine, voir note de bas de page n° 2, page 1.
* 16 Institut des sciences biologiques ( https://insb.cnrs.fr/fr/insb-0 ).
* 17 Valeur donnée oralement par M. André Le Bivic lors de l'audition.
* 18 Données issues du rapport de l'Académie nationale de médecine (voir note de bas de page n° 2, page 1) et obtenues lors des auditions qu'elle a réalisées dans le cadre de ce rapport.
* 19 Ces appels à projets comprennent les Projets de recherche collaborative (PRC), les Projets de jeunes chercheuses et jeunes chercheurs (JCJC) et les Projets de recherche collaborative - entreprise (PRCE).
* 20 Publication des résultats définitifs de l'AAPG 2020
* 21 Agence nationale de la recherche, « Rapport annuel 2009 »
( https://anr.fr/fileadmin/user_upload/documents/uploaded/2010/Rapport_ANR_2009.pdf ).
* 22 Agence nationale de la recherche, « Rapport d'activité 2015 »
( https://anr.fr/fileadmin/documents/2016/ANR-rapport-activite-2015.pdf ).
* 23 Agence nationale de la recherche, « Rapport d'activité 2019 »
( https://ra2019.anr.fr/sites/default/files/ inline-files/ra2019_integral.pdf ).
* 24 Loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur ( https://www. legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000042137953/ ).
* 25 Les préciputs ont à la fois pour objectif de financer : les frais d'hébergement de l'organisme hébergeur, les frais d'encadrement de la structure qui administre et le financement d'autres laboratoires du même établissement.
* 26 Données issues du rapport de l'Académie nationale de médecine, voir note de bas de page n° 2, page 1.
* 27 Compte rendu de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques n° 73 du 18 juin 2020, session ordinaire de 2019-2020 ( http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20200615/opecst_bul_2020_06_18.html#toc2 ).
* 28 Cette ambiguïté de ces crédits MERRI a été mentionnée dans le rapport de la Cour des comptes sur « Le rôle des CHU dans l'enseignement supérieur et la recherche médicale » (2017) : « les crédits MERRI sont répartis à partir de critères d'activités alors qu'ils sont censés compenser des surcoûts, ce qui provoque de l'incompréhension chez les chercheurs »
( https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2018-01/20180118-rapport-role-des-CHU.pdf ).
* 29 Y. Gingras, M. Khelfaoui, « L'effet SIGAPS : la recherche médicale française sous l'emprise de l'évaluation comptable », Zilsel 2021, 1, 144 ( https://www.cairn.info/revue-zilsel-2021-1-page-144.htm ).
* 30 APM News, 5 juillet 2021, « Recherche clinique: plus de la moitié des CH actuellement éligibles vont subir une baisse ou une perte de leur dotation »
* 31 Agence Nationale de la Recherche, « Synthèse thématique 2011-2018 - Biologie-Santé »
( https://anr.fr/fileadmin/documents/2019/IA-Synthese-thematique-2011-2018-BS.pdf ).
* 32 Montant prévisionnel. Donnée issue de l'enquête annuelle sur le financement de la recherche (R&T) et de l'enseignement supérieur (ES&VE) par les collectivités territoriales de Sous-direction des systèmes d'information et des études statistiques ( https://publication.enseignementsup-recherche.Gouv.fr/eesr/ FR/T301/le_financement_de_la_r_t_par_les_collectivites_territoriales/ ).
* 33 ERC Scientific Council, 14 mai 2020, « Annual report on the ERC activities and achievements in 2019 » ( https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/92905b4f-9652-11ea-aac4-01aa75ed71a1/language-en/format-PDF/source-132361062 ). Cependant, parmi les neuf sous-domaines constituant les sciences de la vie dans la terminologie utilisée, deux ne correspondent pas directement à la recherche en santé (« Écologie, évolution et biologie environnementale » et « Sciences de la vie appliquées, biotechnologie, et ingénierie moléculaire et des biosystèmes »).
* 34 Datahub of ERC funded projects ( https://erc.europa.eu/projects-figures/project-database ).
* 35 A. Abbott, Q. Schiermeier, Nature 2019, 569, 472 ( https://media.nature.com/original/magazine-assets/d41586-019-01566-z/d41586-019-01566-z.pdf ).
* 36 Fondation pour la Recherche Médicale, « Rapport annuel 2019 »
( https://www.frm.org/upload/fondation/frm_ra2019_vf2.pdf ).
* 37 La ligue nationale contre le cancer, « Rapport de la recherche 2019 »
( https://fr.calameo.com/read/00181490557f61d4bbf35 ).
* 38 Fondation ARC pour la recherche sur le cancer, « Rapport d'activité 2019 »
( https://www.fondation-arc. org/sites/default/files/2020-07/RA2019_RapportActivite.pdf ).