II. L'IMPORTANCE DES DÉFENSES SOL-AIR ET DE LA LUTTE ANTI-DRONES
L'absence de pilote à bord n'étant pas une caractéristique déterminante dans le choix des modes de protection, la France opère plutôt à ce sujet une classification par la taille, en distinguant les drones massifs qui relèvent de la défense aérienne classique et les drones de petite taille qui appellent une réponse spécifique, de l'ordre de la lutte anti-drones (LAD).
A. DÉFENSES SOL-AIR, UN ENJEU NÉGLIGÉ DANS LE MONDE POST-GUERRE FROIDE
1. Des capacités qui se sont fortement réduites
Les défenses sol-air (DSA) arméniennes, pourtant denses, y compris les systèmes S 300, ont été dépassées par l'offensive azerbaïdjanaise. La mauvaise prise en compte de la menace « drones » dans la définition des capacités de DSA a eu des conséquences dévastatrices.
La France n'est, certes, pas dans la situation de l'Arménie, ni d'un point de vue géopolitique, ni en termes de capacités militaires.
Mais force est de constater que les défenses sol-air ont été négligées, de façon d'ailleurs logique, en situation de contrainte budgétaire, dans le contexte post-guerre froide, alors que nos opérations extérieures se font en situation de supériorité aérienne.
À grands traits, dans le domaine de la DSA :
- l'armée de l'air et de l'espace dispose de systèmes de défense sol-air moyenne portée/terrestre (SAMP/T) Mamba et de systèmes de défense sol-air courte portée (Crotale) ;
- l'armée de Terre dispose du système sol-air à très courte portée (SATCP) Mistral, destiné à la couverture sol-air du corps blindé et mécanisé.
La capacité opérationnelle et les effectifs de la DSA ont subi des coupes drastiques, particulièrement à compter de 2008. L'armée de Terre a abandonné les segments « courte » et « moyenne » portée (Roland et Hawk). Le 54 e régiment d'artillerie est devenu le seul régiment de l'armée de Terre spécialisé dans la DSA.
2. La défense de proximité des unités terrestres
Le conflit du Haut-Karabagh a montré, en particulier, comment les drones peuvent procurer la supériorité sur le « ciel terrestre », immédiatement au-dessus du champ de bataille, avec demain, peut-être, la perspective d'attaques d'essaims de drones coordonnés visant à une saturation des défenses. Ainsi, d'après Michel Goya, « contrairement à ce que certains ont pu écrire, ce conflit n'a pas signé la fin du char de bataille », « cela ne signifie pas la fin des unités motorisées, et notamment de chars qui au contraire ont été le fer de lance de l'offensive azérie, mais qu'elles doivent être accompagnées d'un système de défense adapté à courte portée et de moyens de guerre électronique (...) » 28 ( * ) .
Pour affronter ce type de menace, les unités terrestres doivent être dotées de systèmes mobiles de défense. En audition à l'Assemblée nationale, le général François Lecointre, chef d'état-major des armées, a reconnu l'existence d'une lacune dans ce domaine 29 ( * ) :
« Le choix a été fait il y a quinze ans d'abandonner la capacité de défense sol-air d'accompagnement qui était assurée par les Roland, système de missiles à moyenne portée sur caisse blindée chenillée qui pouvaient accompagner dans la bataille, en particulier, le corps blindé mécanisé. En remplacement, nous avons essayé de développer la capacité d'accompagnement du système de défense sol-air à très courte portée Mistral, ce qu'il fait moins bien, puisqu'il ne peut se déplacer au rythme des blindés ni sur les mêmes terrains. De son côté, l'armée de l'Air avait conservé un système identique de courte portée, le système Crotale, conçu pour les bases aériennes et non pour le champ de bataille. Par ailleurs, nous disposons du système à moyenne portée SAMP/T, mis en oeuvre par l'armée de l'Air. Les moyens dont nous disposons aujourd'hui en courte ou en moyenne portée, Crotale et SAMP/T, permettent de défendre les bases aériennes et les bases à vocation nucléaire dans le cadre du contrat opérationnel en matière de dissuasion, mais ils ne permettraient pas d'accompagner au combat une manoeuvre mobile offensive d'un dispositif terrestre. Je le répète, il y a le pis-aller du missile sol-air à très courte portée (SATCP) et le choix qui a été fait tient à ce que nous considérons que nous avons ou que nous aurions la supériorité aérienne.
Vous avez raison, le phénomène drone change la donne, assez peu contre des véhicules blindés, mais ce que nous savons de l'attaque contre le site Aramco en Arabie Saoudite montre que des drones assemblés à partir de moyens récupérés dans divers endroits du monde peuvent menacer très sérieusement des dispositifs tactiques ou mobiles. Nous y réfléchissons. La question aujourd'hui est de déterminer la vraie menace dans la troisième dimension. »
* 28 Michel Goya, La guerre du Haut-Karabagh (2020), Enseignements opérationnels.
* 29 Audition du général François Lecointre, chef d'état-major des armées, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 15 octobre 2019.