N° 748
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 juillet 2021
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le rôle des maisons départementales des personnes handicapées dans la gestion de l' allocation aux adultes handicapés (AAH),
Par MM. Arnaud BAZIN et Éric BOCQUET,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Mme Nadine Bellurot, M. Christian Bilhac, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .
L'ESSENTIEL
MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » ont présenté le mercredi 7 juillet 2021 devant la commission des finances les conclusions de leur contrôle budgétaire relatif au rôle des maisons départementales des personnes handicapées dans la gestion de l'allocation aux adultes handicapés.
I. LE FINANCEMENT DES MDPH : UN CIRCUIT SIMPLIFIÉ MAIS DES MOYENS ENCORE INSUFFISANTS
A. UN FINANCEMENT ÉCLATÉ ENTRE L'ÉTAT, LA SÉCURITÉ SOCIALE ET LES DÉPARTEMENTS, EN VOIE DE SIMPLIFICATION
Instituées par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) sont constituées sous forme de groupements d'intérêt public (GIP) dans chaque département et présidées par le président du conseil départemental. Elles ont pour principale mission d'offrir un accès unique aux droits et prestations prévus en faveur des personnes en situation de handicap, parmi lesquels l'allocation aux adultes handicapés (AAH) qui présente la spécificité d'être financée par le budget de l'État via les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (11,2 milliards d'euros en exécution 2020).
Les membres du GIP contribuent au financement des MDPH par le biais de contributions en nature (mise à disposition de personnel etc .) et de dotations monétaires. En 2018, les contributions de toute nature aux MDPH étaient estimées à 310,2 millions d'euros (dont 200,8 millions d'euros de dotations monétaires), mais ces données ne sont qu'imparfaitement consolidées.
Part respective des contributions de toute nature aux
MDPH
par contributeur (2018)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire
Depuis 2017, la contribution de l'État qui correspond à la compensation des postes mis à disposition au moment de la constitution des MDPH en 2006 et devenus vacants , est financée non pas sur les crédits du budget général mais versée par la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) pour le compte de l'État. Cette réforme a permis une simplification du canal de financement et un raccourcissement des délais de versement.
B. UNE RELATIVE STABILITÉ DES MOYENS QUI CONTRASTE AVEC UNE HAUSSE DE L'ACTIVITÉ, NOTAMMENT AU TITRE DE L'AAH
Les contributions nationales cumulées (État et CNSA) sont restées relativement stables, passant de 135 à 152 millions d'euros entre 2015 et 2019 . L'évolution de la contribution de l'État n'a en réalité que peu d'impact sur le fonctionnement des MDPH puisqu'elle se borne à compenser, imparfaitement, les vacances constatées sur des postes préexistants.
Évolution comparée des contributions nationales au fonctionnement des MDPH et de la progression du nombre des bénéficiaires de l'AAH
Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire et les documents budgétaires
L'activité des MDPH a bondi depuis leur création en 2006 (+ 170 % des demandes traitées) selon la CNSA . En particulier, le nombre de bénéficiaires de l'AAH est particulièrement dynamique, avec une nette progression du nombre de bénéficiaires, passé de 1,06 à 1,2 million sur la même période. En particulier, la tendance observée ces dernières années est celle d'un fort dynamisme des demandes d'AAH-2 , dispositif applicable aux personnes dont le taux d'incapacité est compris entre 50 % et 79 % (contre un taux supérieur à 80 % pour l'AAH) et dont l'instruction suppose un examen de la « réduction substantielle et durable d'accès à l'emploi » (RSDAE) particulièrement complexe et chronophage pour les agents . Il est à noter que l'AAH ne représentait, en 2019, qu'une part estimée à 12,7 % des demandes traitées par les MDPH .
C. LA NÉCESSITÉ D'UN RENFORCEMENT STRUCTUREL DES MOYENS FINANCIERS ET HUMAINS DES MDPH
Face à cet accroissement massif de leur activité, un consensus existe entre les acteurs sur la nécessité de renforcer les moyens des MDPH . Une démarche en ce sens a été engagée dans le cadre de la Feuille de route « MDPH 2022 » .
Des efforts doivent à ce titre être salués avec notamment :
- la décision de « socler » une majoration de 15 millions d'euros du montant global de la dotation CNSA à compter de 2021 ainsi que la révision du calcul de la part variable de celle-ci en fonction d'indicateurs d'activité des MDPH ;
- la mise en place d'une « task force » de la CNSA en appui aux MDPH les plus en difficulté , dotée d'un budget d'intervention de 20 millions d'euros sur deux ans.
Pour les rapporteurs spéciaux, il convient cependant d'aller plus loin en menant un véritable travail de qualification et de quantification des moyens dont doit disposer une MDPH pour assurer ses missions convenablement . Un tel travail doit notamment faire le point sur les effectifs et la composition des équipes pluridisciplinaires évaluant les demandes , souvent trop réduites pour remplir l'objectif d'analyse globale de la situation des demandeurs. Il convient en outre de renforcer l'appui aux MDPH les moins bien dotées , les effectifs pouvant varier selon les MDPH de 1 ETP pour 334 habitants à 1 ETP pour 23 146 habitants.
II. LES MDPH DOIVENT CONTRIBUER À EFFACER LES « ANGLES MORTS » QUI SUBSISTENT DANS LA CONNAISSANCE DE L'AAH ET DE SES BÉNÉFICIAIRES
A. LE SYSTÈME D'INFORMATION COMMUN : UN « SERPENT DE MER » EN VOIE DE CONCRÉTISATION
1. Le chantier du système d'information harmonisé
Dans le rapport qu'elle a consacré à l'AAH en 2019, la Cour des comptes a pointé la connaissance insuffisante des bénéficiaires de l'AAH, ce qui est d'autant plus problématique que la prestation est fortement dynamique.
Ce constat résulte notamment, en dépit de la claire obligation posée par la loi du 11 février 2005, de l'absence d'un système d'information unique , interdisant le traitement homogène de ces statistiques et partant la remontée d'une information robuste.
Près de 15 ans après la loi de 2005 qui posait pourtant clairement l'obligation légale d'instituer d'un système d'information unique, des avancées significatives ont enfin pu être observées dans les années récentes, avec le lancement du chantier du système d'information harmonisé (SIH) . Celui-ci a pour ambition d'harmoniser :
- les systèmes d'information de gestion des demandes ;
- les échanges de la MDPH avec ses partenaires : caisses d'allocations familiales (CAF), service public de l'emploi (SPE), Éducation nationale, établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) ;
- le dépôt des demandes en ligne.
2. Premiers résultats et perspectives
Le chantier du SIH, malgré certains retards, a d'ores et déjà permis d'accomplir certains progrès en matière de transparence, avec la constitution du « baromètre MDPH » mis en ligne par la CNSA, et ayant vocation à être enrichi. À ce stade, les informations qu'il permet d'obtenir ne permettent cependant pas d'isoler suffisamment les données relatives à l'AAH de l'ensemble des prestations.
Plus généralement, l'option du SIH par opposition à un système d'information unique peut à certains égards être assimilée à un pis-aller . Cette option emporte un certain nombre de difficultés techniques, et en particulier celle de faire mettre en oeuvre la moindre modification réglementaire par l'ensemble des éditeurs informatiques
Enfin, s'il est essentiel de mener à bien ce projet rapidement, il convient cependant de prendre en compte les complexités que ce processus induit dans le travail quotidien des agents et les besoins de formation qu'il appelle , dimensions souvent négligées par l'État et la CNSA.
B. L'OBJECTIVATION DES PHÉNOMÈNES DE FRAUDE ET LUTTE CONTRE LE NON-RECOURS À L'AAH : DES MISSIONS À DÉVELOPPER
1. Le développement de la lutte contre la fraude à l'AAH...
La nécessité de développer le contrôle au recours frauduleux à l'AAH a bien été soulignée par la Cour des comptes, cette prestation faisant partie des moins contrôlées par les CAF , ce qui peut s'expliquer par un montant estimé des indus frauduleux relativement faible (entre 31 millions d'euros et 123 millions d'euros selon la CNAF) en comparaison de celui estimé pour le revenu de solidarité active - RSA (entre 811 millions d'euros et 1 164 millions d'euros).
La Cour pointe également un « angle mort » en matière de lutte contre la fraude, dans la mesure où les CAF n'axent leurs contrôles que sur la vérification des conditions de ressources et non sur l'éligibilité. Si le phénomène de dépôt de demandes frauduleuses est marginal selon les acteurs, son objectivation constitue bien un axe d'amélioration de la gestion de l'AAH par les MDPH.
2. ...doit avoir pour corollaire la lutte contre les phénomènes de non-recours
Les rapporteurs spéciaux considèrent que l'objectif, légitime, de lutte contre la fraude doit avoir pour corollaire, dans une même logique de juste accès au droit, la lutte contre les phénomènes de non-recours.
Là encore, ces phénomènes complexes doivent être mieux objectivés et appréhendés . Comme en témoigne l'exemple du RSA, un fort dynamisme des entrées ne signifie pas l'absence de non-recours.
Les principaux leviers de lutte contre le non-recours identifiés sont le renforcement et une clarification des missions d'information des MDPH, et le développement de la territorialisation des accueils des MDPH. Selon la CNSA, environ deux tiers des MDPH disposent de points d'accueil dans les territoires et les bassins de vie (antennes polyvalentes des départements, centres communaux d'action sociale, Maisons France services etc .)
III. POUR UNE HARMONISATION DES PRATIQUES DES MDPH EN MATIÈRE D'AAH GRÂCE À UN PILOTAGE CLARIFIÉ, RENFORCÉ, ET PARTENARIAL
A. UN CONSTAT PERSISTANT : LES IMPORTANTES DISPARITÉS TERRITORIALES DE PRATIQUES ET DE RÉSULTATS ENTRE MDPH
La nécessité de résorber les disparités de pratiques constatées entre MDPH pour ce qui concerne l'attribution de l'AAH est partagée par l'ensemble des acteurs . Les principales disparités concernent :
- les délais de traitement des demandes : le délai moyen au niveau national était estimé à 4 mois et 7 jours, soit à peine au-dessus du délai légal fixé à 4 mois, même si l'on observe des variations selon les départements allant de 1,9 mois (Meuse) à 12,8 mois (Aube). Les délais excessifs sont l'un des principaux déterminants de l'insatisfaction des usagers, même si celle-ci reste multifactorielle.
Délai moyen de traitement des demandes d'AAH en 2019 |
Part des MDPH respectant le délai de 4 mois en 2019 |
Taux de satisfaction moyen en 2019 |
Source : CNSA, Baromètre MDPH
- les taux d'attribution : si le taux moyen national estimé par la CNSA est de 68 % en 2017, on observe des variations allant de 53 % (Val d'Oise) à 84 % (Haute-Corse) selon les départements.
Taux d'accord d'AAH par département en 2017
Source : CNSA
Au plan plus qualitatif, les divergences de pratiques concernent notamment l'évaluation de la réduction substantielle et durable d'accès à l'emploi conditionnant le bénéfice de l'AAH-2, critère complexe et laissant une large place à la subjectivité des instructeurs, à plus forte raison lorsque les équipes pluridisciplinaires n'intègrent pas de réelle compétence « emploi ».
B. LA CAISSE NATIONALE DE SOLIDARITÉ POUR L'AUTONOMIE : PASSER D'UN RÔLE D'ANIMATION DE RÉSEAU À UN VÉRITABLE RÔLE DE PILOTAGE
Si la CNSA assure depuis sa création une mission d'animation et d'appui des MDPH (groupes de travail, production de guides, lettre d'information...), la tendance récente est à l'enrichissement de cette mission vers un pilotage accru , articulé notamment autour de la mise en oeuvre du SI commun, de la production et l'analyse de données et plus généralement de la mise en oeuvre de la Feuille de route MDPH 2022.
Cette mission de pilotage national doit mettre au coeur de ses préoccupations l'harmonisation des pratiques, dans un souci de justice territoriale, tout en prenant en compte la situation particulière de chaque MDPH, en instaurant avec elles un réel dialogue. Les responsables de MDPH entendus par les rapporteurs spéciaux ont unanimement relevé une regrettable évolution de la CNSA vers un pilotage très directif et centré sur la remontée d'indicateurs et la gestion budgétaire .
En tant que pilote du réseau, il incombe également à la CNSA de développer l'offre nationale de formation des agents des MDPH, aujourd'hui lacunaire . Un partenariat avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) serait en cours de négociation sur ce point. L'appui juridique aux MDPH pourrait également être renforcé.
C. QUELLE PLACE POUR L'ÉTAT ?
Le rôle de l'État, et plus spécifiquement en son sein de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), reste à clarifier . Financeur de l'AAH, il ne joue pratiquement aucun rôle dans la procédure d'attribution et de service de la prestation. Pour autant, la tendance récente est celle d'un repositionnement de l'État sur la définition des orientations stratégiques de la politique du handicap, et spécifiquement en matière d'AAH.
L'État se propose de développer une compétence d'appui technique aux MDPH, via la création d'une mission nationale de contrôle et d'audit (MNCA) . Celle-ci devait être lancée en 2020 mais n'est toujours pas opérationnelle. Une incertitude demeure sur son financement, ainsi que sur son champ de compétences précis . La question de son articulation avec les actions de pilotage menées par la CNSA reste posée.