TROISIÈME PARTIE :
COMPTE RENDU DE L'AUDITION
DE MME
CLAIRE LANDAIS, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE
DU
GOUVERNEMENT
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Mme Pascale Gruny , président de la délégation du bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances . - Madame la secrétaire générale, je vous remercie d'être présente aujourd'hui pour cette audition traditionnelle, qui suit le rythme des sessions parlementaires. Les conditions toutes particulières qui ont entouré l'année écoulée n'ont pas affecté, et ont même peut-être renforcé, l'attention vigilante apportée par le Sénat au contrôle de l'application des lois. Comme vous le savez, le bilan annuel que notre institution effectue à cette occasion comporte également une dimension relative au suivi des ordonnances, dont le nombre s'est considérablement accru l'an dernier. C'est une préoccupation de plus en plus importante pour nous, et les représentants des commissions vous interrogeront probablement à ce sujet.
Chacune dans son périmètre, les commissions permanentes sont les principaux acteurs du contrôle de l'application des lois. Tout au long de l'année, elles se mobilisent pour assurer ce suivi, et particulièrement ces dernières semaines. Elles sont représentées par Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales ; M. Patrick Chaize, vice-président de la commission des affaires économiques ; M. Cédric Perrin, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ; M. Jacques Grosperrin, en remplacement de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication ; M. Claude Raynal, président de la commission des finances ; Mme Catherine Di Folco, vice-présidente de la commission des lois et M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Je me ferai le porte-parole de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui n'est pas parvenu à se libérer ni à se faire représenter pour cette audition, car sa commission en organise une autre en ce moment.
Le Gouvernement a revendiqué, lors du conseil des ministres du 20 janvier 2021, un « effort important pour assurer l'application de l'essentiel des mesures adoptées avant l'été 2020 ». Il semble pourtant peu contestable - et cela est bien compréhensible - que la crise sanitaire a lourdement affecté le rythme d'adoption des dispositions nécessaires à l'application des lois. Aussi, et malheureusement, le délai moyen de prise des textes est, pour la première fois depuis 2014, supérieur à celui prévu par la circulaire de 2008 relative à l'application des lois. Là où elle fixait une limite de six mois, ce délai a dépassé les sept mois.
Cette lenteur contraste avec la rapidité exigée du législateur par le Gouvernement : 26 des 43 lois votées pendant la session 2019-2020 l'ont été en suivant la procédure accélérée. Cette urgence permanente se conjugue avec une inflation des textes qui conduit le Parlement à devoir se plier à des calendriers intenables. À vouloir trop accélérer le rythme d'examen de textes qui, en outre, « enflent » au cours de leur parcours législatif, on complique sans doute l'élaboration des mesures nécessaires à leur application. Nous devons ensuite assumer collectivement un double risque : celui de l'insécurité juridique d'une part, et celui du brouillage de la perception de l'action publique dans l'esprit des Français d'autre part.
Globalement, le taux d'application des lois calculé par le Sénat est d'ailleurs en forte baisse par rapport à la session précédente. Il atteint 62 %, et 69 % si l'on exclut les mesures d'application différées. Certaines lois sont même entièrement inapplicables.
Ces remarques me conduisent à vous poser une première question d'ordre général : pouvez-vous nous indiquer quels canaux ont entravé, concrètement, la mise en oeuvre par les services ministériels des lois votées par le Parlement ? Comment parer à ce problème en cas de nouvelle crise ? Si la crise sanitaire exceptionnelle que traverse notre pays peut expliquer une partie des difficultés rencontrées par le Gouvernement dans l'application des lois, le législateur ne saurait en effet se satisfaire de la persistance d'une telle situation.
J'en viens à une préoccupation croissante du Sénat - celle des ordonnances. Certaines d'entre elles excèdent leur champ d'habilitation. Comment le Gouvernement compte-t-il faire pour éviter cette malheureuse pratique ? Le Sénat estime que la solution ne doit pas résider dans un élargissement de convenance du champ de l'habilitation, comme cela est parfois le cas. Par ailleurs, il arrive que le Gouvernement n'utilise pas les habilitations à légiférer par ordonnances qu'il sollicite de la part du Parlement.
Je formulerai, enfin, une remarque sur les rapports demandés au Gouvernement. Session après session, le Sénat s'évertue à en restreindre le nombre. Mais le Gouvernement se soustrait encore trop souvent à ses obligations en la matière : le taux de remise des rapports, de seulement 28 % au cours de la session, demeure trop faible. Confronté à l'obligation de devoir répondre à un nombre trop élevé de sollicitations, le Gouvernement n'apporte pas toujours l'information véritablement utile au Parlement. Souhaitons que l'administration puisse se consacrer aux rapports, études et évaluations indispensables, qui se font souvent attendre, jusqu'à, par exemple, généraliser des expérimentations avant même d'avoir pu en évaluer les résultats.
Je vous propose de commencer par un point général, puis de revenir sur ces questions. Mes collègues vous exposeront à leur tour les interrogations qui leur semblent nécessaires sur la base, notamment, de la communication sur l'application des lois présentée par chaque président en commission.
Je me permets de saluer le travail de vos services, qui ont échangé en amont avec le Sénat pour préparer cette audition. Des questions leur ont été communiquées à cette fin, mais d'autres pourraient vous être transmises dans les tout prochains jours par écrit. Nous vous remercions d'avance des réponses que vous pourrez nous apporter d'ici à notre débat en séance. L'organisation de la session nous laisse peu de temps puisqu'il interviendra dès le 2 juin.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement . - Merci beaucoup Madame le président. Merci pour nos échanges préalables à cette audition. Madame le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis honorée de me retrouver aujourd'hui devant vous, mais aussi un peu impressionnée, car si c'est, comme vous l'avez dit, un exercice traditionnel, c'est pour moi une première. La qualité des échanges menés en amont nous permettra de nous concentrer sur le fond des sujets, car les divergences qui avaient pu se faire jour lors de la dernière édition de cette réunion ont été dissipées : nous comprenons les écarts qui peuvent exister. En dépit de la qualité des travaux de mes équipes, vous mesurerez sans doute que, pour certaines questions, mes réponses mériteront d'être complétées par écrit, ou feront facilement sentir que je n'étais pas là au moment de l'adoption de la loi. J'espère avoir, l'année prochaine et si je suis là à nouveau, une vision plus étroite de chacune des mesures attendues.
Si vous me le permettez, Madame le président, je souhaite revenir sur la méthode employée pour le suivi de l'application des lois par le Secrétariat général du Gouvernement (SGG), qui n'est que l'animateur de cette politique pour laquelle le Gouvernement est attentif et ce d'autant plus qu'il sait que vous l'êtes, et à juste titre. Après chaque promulgation et publication d'une loi, nous montons une réunion interministérielle (RIM) de programmation des textes d'application. Elle est organisée après que le service de la législation et de la qualité du droit dirigé par M. David Sarthou a effectué le recensement de toutes les mesures qui sont nécessaires pour l'application de la loi. Chacune de ces mesures - qui ne correspondent pas nécessairement à un décret, car un décret peut englober plusieurs mesures d'application - est numérotée et recensée dans un tableau. À l'occasion de cette RIM de programmation, celui-ci est balayé avec les ministères, pour identifier non seulement le ministère responsable mais aussi, en son sein, la direction qui va porter le texte, les consultations obligatoires et le calendrier qui en résulte. Il s'agit, pour les décrets simples, d'un objectif de publication, et pour les décrets en Conseil d'État, d'un calendrier de transmission au Conseil d'État et d'un objectif de publication.
Dans ces tableaux, nous recensons - et c'est un des objets sur lesquels les discussions ont pu avoir lieu entre nous - les mesures dites « actives », qui sont absolument nécessaires à l'entrée en vigueur de la loi et pour lesquelles nous devons rendre compte de la réalisation de cet indicateur et respecter ce délai de six mois que vous avez rappelé, posé par la circulaire de 2008. Il reste, malgré la dégradation du délai moyen, notre objectif. Cette catégorie des mesures actives se distingue d'autres catégories de mesures. Nous recensons ainsi les mesures « différées », pour lesquelles la loi elle-même fixe un délai d'entrée en vigueur plus lointain que celui des six mois, auquel cas nous ne les prenons en compte dans notre calcul du taux d'application qu'à partir du moment où l'entrée en vigueur est effectivement prévue. Nous faisons en sorte que le décret soit pris dans le mois qui précède l'entrée en vigueur, mais on ne les intègre pas dans le calcul initial quand celle-ci est différée. Nous mettons dans une autre catégorie les mesures qui sont seulement « éventuelles », pour lesquelles le législateur a laissé une marge de manoeuvre et a ouvert seulement une possibilité au pouvoir réglementaire. Enfin, il arrive que l'on repère -c'est un travail plus fin - des mesures qui existent déjà. Il peut arriver que certaines mesures législatives soient déjà mises en oeuvre grâce à des mesures réglementaires qui avaient été prises sur le fondement de législations antérieures et qui suffisent à mettre en application une disposition législative qui est, par exemple, modifiée à l'occasion d'une loi nouvelle. Parmi ces catégories, nous nous concentrons, lors de ces RIM de programmation, sur les mesures actives.
Je souhaite vous dire - mais je découvre aussi ces mécaniques - que ces objectifs de publication sont rendus publics : ils sont publiés sur Legifrance. Ils vous sont transmis, dorénavant, à chaque fois que nous faisons une RIM de programmation ou de suivi. Notre rythme est le suivant : nous commençons par une première réunion pour un premier balayage du tableau qui recense les objectifs, puis nous poursuivons par une nouvelle RIM à l'issue d'un délai de cinq mois pour être sûr que tout sort bien dans ce délai de six mois. Malheureusement - et cela m'est arrivé plusieurs fois cette année - des RIM peuvent être postérieures à cette date, lorsqu'il s'agit de comprendre pourquoi les délais n'ont pas été tenus. À l'issue de chacune de ces réunions, le compte-rendu est transmis aux présidents des assemblées et des commissions compétentes.
Voilà pour la méthode et, encore une fois, merci des échanges entre nos équipes qui ont permis de se rendre compte que les écarts de taux pouvaient être liés, d'une part, au fait que le Sénat comptabilisait les mesures à effet différé- ce que nous ne faisons pas - et, d'autre part, au fait que nous nous concentrons, au SGG, sur l'application des lois par la prise de décret, et donc le pouvoir réglementaire de droit commun, celui du Premier ministre, dans les services duquel nous travaillons. Même si vous avez une vision plus panoramique, nous sommes concentrés sur les décrets, ce qui peut aussi expliquer un écart de taux. Si on retire, comme vous l'avez fait, les mesures d'application différée, puis l'écart lié aux arrêtés, je crois que nous n'avons pas d'incompréhension sur les chiffres.
Les grands chiffres de la session sont moins bons que ceux de l'année dernière à la même époque. 58 lois ont été publiées, dont 15 concernaient la ratification d'accords internationaux. Parmi les 43 autres lois, 15 étaient d'application directe - sans besoin de mesures d'application - et 28 comportaient des renvois à des mesures d'application. Sur ces 28 lois, nous avons identifié 520 mesures actives. Au 31 mars 2021, 380 mesures avaient été prises. Cela ne correspond pas forcément à un nombre de décrets, mais à chacun des cas dans lesquels la loi renvoie à un décret d'application. Le taux d'application des lois, au 31 mars, s'élevait à 73 %, quand il était de 82 % l'année dernière : on observe une dégradation de ce taux de 9 points.
J'évoquerai maintenant les quatre grandes catégories d'explication d'écart par rapport aux 100 %, qui ne sont jamais complètement atteignables mais qu'on approche tangentiellement au fil du temps, et même par rapport aux 82 % de l'année dernière. Évidemment, la crise sanitaire a beaucoup pesé. Si vous me le permettez, Madame le président, on peut reprocher beaucoup de choses à l'État en général, et il y a beaucoup de choses à améliorer dans le fonctionnement de nos administrations, mais je voudrais rendre hommage à l'ensemble des agents publics de ce pays, qui se sont beaucoup mobilisés et investis au cours de ces derniers mois. Ceux qui participent à la chaîne normative aussi ont été mobilisés, mais ils ont été aussi, comme toute la population, atteints par cette crise. Il y a eu forcément une période de perturbations de l'élaboration des textes d'application. Nous avons essayé de la surmonter par des outils numériques et informatiques qui nous ont aidés. Une autre perturbation est aussi venue du fait que l'on a eu besoin de prendre beaucoup de textes. C'est aussi un des enjeux : peut-être en avons-nous trop fait, mais il y avait une grande attente. On pourra parler de l'inflation normative. En tout cas, l'impact de la gestion de la crise sanitaire explique très largement, voire en totalité, l'écart par rapport à l'année dernière.
On retrouve ensuite des chapitres plus classiques, dont il a sans doute été question l'année dernière, avec des applications différentes. Peut-être est-ce propre à cette année : des lois assez techniques ont donné lieu à plus de notifications sur le fondement de la directive de 2015 sur les réglementations techniques au niveau de l'Union européenne (UE). Cela donne lieu à un statu quo qui peut durer trois mois ou, en cas d'avis circonstancié, six mois. Dans la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (dite loi « AGEC », pour loi anti-gaspillage pour une économie circulaire), par exemple, certaines dispositions ont donné lieu à ces notifications qui ont pu retarder la prise des textes. De plus, et ce n'est pas pour mettre en cause les procédures de l'UE mais pour expliquer les choses, de nombreux textes peuvent se retrouver pris dans un processus de notification pour les régimes d'aides d'État : la Commission européenne n'est pas enfermée dans un délai pour nous répondre. C'est plutôt le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) qui gère cette relation avec la Direction générale de la concurrence, ou DG COMP ( Directorate-General for Competition ), qui est réactive. Nous essayons d'avoir un dialogue fluide et une pré-notification pour préparer les choses. Ces consultations entraînent des délais supplémentaires.
Il peut également arriver que l'on bute sur des contraintes opérationnelles de mise en oeuvre pratique. Parfois, des décrets n'ont pas été pris car, concrètement, on ne sait pas comment saisir réellement la situation de terrain. Les enjeux peuvent être davantage politiques et compliquent la prise des textes d'application.
Enfin, on compte quelques rares cas dans lesquels un problème juridique se présente dans le parcours du texte. On peut, par exemple, se rendre compte que la base légale mérite d'être complétée pour être parfaitement conforme à une norme supérieure - la Constitution, le droit de l'UE ou le droit international. Une modification d'ordre législatif est alors nécessaire avant de prendre le décret prévu.
Mme Catherine Deroche , présidente de la commission des affaires sociales . - Dans les domaines de compétences de la commission des affaires sociales, l'application des lois a été affectée par des retards importants liés à la crise sanitaire. L'application de la loi de juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, dont nous avions souligné l'an dernier les importants retards, a progressé. Mais la loi reste à appliquer sur de nombreux points structurants, comme le numérique en santé ainsi que des questions d'organisation du système de santé qui ont fait l'objet d'habilitations à légiférer par ordonnance. Avec des délais d'habilitation de deux ans, on ne peut pas considérer que cette façon de légiférer fasse gagner du temps.
De la même manière le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 reste partiellement appliqué alors que cette catégorie de texte dépasse en général les 90 % d'application à cette période de l'année.
Au-delà de cette remarque générale, je voulais vous interroger sur trois points précis.
La question des compétences et des délégations de tâches est un sujet sensible, en particulier pour les infirmiers qui m'ont saisie à ce sujet. Pourriez-vous m'indiquer le calendrier de parution de l'arrêté fixant la liste des traitements et pathologies concernées par une adaptation possible par les infirmiers en application du décret du 3 février et celui de l'arrêté concernant la réingénierie du diplôme d'aide-soignant qui soulève apparemment quelques inquiétudes ?
Deuxième point : le Premier ministre a annoncé que la loi du 3 juillet 2020 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer serait mise en oeuvre en novembre prochain. Les rapporteurs de la commission des affaires sociales avaient soulevé les lacunes de coordination dans le texte nuisant à une correcte possibilité d'anticipation, pour les pensions liquidées avant le 1 er janvier 2022 comme pour l'application outre-mer. Pouvez-vous nous préciser quels sont très exactement les textes à prendre pour la mise en oeuvre de cet engagement de porter les retraites agricoles à 85 % du SMIC et comment vous allez traiter cette question des pensions liquidées avant le 1 er janvier 2022 et son application outre-mer ?
Par ailleurs, l'article 90 de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel prévoit que l'autorité administrative peut aménager les modalités selon lesquelles des employeurs détachant de manière récurrente des salariés en France peuvent satisfaire certaines de leurs obligations administratives. Toutefois, alors que près de trois ans se sont écoulés, le décret en Conseil d'État qui doit préciser la nature des aménagements susceptibles d'être accordés n'a toujours pas été publié. La publication de ce décret, qui répondrait aux inquiétudes exprimées par les partenaires économiques des entreprises françaises implantées dans les régions frontalières, est-elle envisagée prochainement ?
Enfin, et pour compléter ce qu'a dit Pascale Gruny, nous faisons, au Sénat, et en particulier à la commission des affaires sociales, la chasse aux rapports, en partant du principe que, vu le rendu des rapports, nous préférons contrôler l'action du Gouvernement nous-mêmes et faire les rapports d'information au sein de notre propre commission.
M. Patrick Chaize , vice-président de la commission des affaires économiques . - Madame la Secrétaire générale, mes chers collègues, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de la présidente Sophie Primas, retenue par une audition ministérielle dans la perspective de l'examen du projet de loi « Climat-résilience ».
Je souhaiterais vous relayer plusieurs questions concrètes sur la problématique des ordonnances à partir d'exemples issus du bilan établi cette année par la commission des affaires économiques.
Tout d'abord, l'ordonnance sur les fermetures de centrales à charbon, prévue par l'article 12 de la loi « Énergie-Climat », doit être ratifiée dans le cadre de l'article 18 ter du projet de loi « Climat-Résilience ». Or, il était prévu que cette ordonnance fasse l'objet d'une présentation devant les commissions des affaires économiques du Sénat et de l'Assemblée nationale. Comment justifier que le Gouvernement en demande la ratification sans avoir procédé formellement à sa présentation devant le Parlement ?
Deuxième exemple : trois ordonnances - sur la réécriture du code de la construction, prévue par l'article 12 de la loi Énergie-Climat, ainsi que le règlement sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat et le règlement sur la préparation aux risques dans le secteur de l'énergie, prévues par l'article 39 de la même loi - ne seront pas prises, selon les éléments d'information indiqués par l'administration. Comment mieux anticiper, à l'avenir, afin d'éviter que le Gouvernement ne demande au Parlement d'adopter des habilitations à légiférer par ordonnance qu'il n'utilise pas in fine ?
Troisième exemple : l'ordonnance du 17 février 2021 sur l'hydrogène, prise en application de l'article 52 de la loi Énergie-Climat, va bien au-delà de son champ initial puisqu'elle abroge plusieurs dispositions du code de l'énergie, par exemple sur les garanties d'origine du biogaz ou l'application du bilan carbone à la sélection des projets d'énergies renouvelables. Comment expliquer que le Gouvernement aille ainsi au-delà du champ pourtant limpide de l'habilitation à légiférer par ordonnance adoptée par le législateur ?
Quatrième exemple, dans le même registre, l'ordonnance n° 2019-362 du 24 avril 2019 relative à la coopération agricole, prévue par l'article 11 de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGalim), a fait l'objet d'un contentieux devant le Conseil d'État pour non-respect du champ de l'habilitation. Elle soumettait les coopératives au mécanisme des prix abusivement bas, non pas sur le fondement de l'habilitation de l'article 11 de la loi, qui listait strictement le champ d'habilitation de l'ordonnance sur les coopératives, mais sur celui de l'habilitation de l'article 17 qui prévoyait une mesure « balai ». Les rapporteurs du Sénat comme de l'Assemblée nationale avaient dénoncé ce point, qui revenait à sortir formellement du périmètre circonscrit du champ de l'habilitation. Le Conseil d'État leur a donné raison en annulant la partie de l'ordonnance incriminée, décision suffisamment rare pour être soulignée. Elle démontre l'importance de la vigilance des parlementaires au suivi des ordonnances. Ne faudrait-il pas, dès lors, prévoir un mécanisme ad hoc afin de véritablement associer les commissions parlementaires concernées à la procédure d'élaboration des ordonnances et en particulier au contrôle du bon respect du champ d'habilitation ? Pourquoi ne pas confier ce contrôle aux commissions et ériger le juge constitutionnel en juge d'appel en cas de désaccord entre Gouvernement et les commissions concernées ?
M. Cédric Perrin , vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Madame le Président, Madame la Secrétaire Générale, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord excuser le Président Cambon qui n'a pu être présent à cette audition en raison de l'examen en séance publique du projet de loi au relatif développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, en ce moment-même. Mon intervention comportera deux volets : le traditionnel point sur l'application des lois et un point de préoccupation qui lui est lié.
La session 2019-2020 n'a vu la promulgation d'aucune loi dans les secteurs de compétence de la commission des affaires étrangères et de la défense, au-delà des 14 projets de lois de ratification de conventions ou d'accords internationaux. Notre commission suit toujours trois lois adoptées au cours des sessions précédentes. Celles-ci présentent des taux d'application élevés ; 92 %, pour la loi de programmation militaire (LPM) du 13 juillet 2018 pour les années 2019 à 2025 et 83 % pour la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État et la LPM de 2009 pour les années 2009 à 2014.
Sur les deux LPM évoquées, nous n'attendons plus au total que trois arrêtés d'importance variable. Deux d'entre eux ne seront pas pris avant la promulgation de la loi émanant de la proposition de loi pour une sécurité globale, qui a reformulé un article de la LPM de 2018 qui introduisait une ambigüité concernant l'usage, par les militaires engagés en opération intérieure, des moyens techniques d'immobilisation des moyens de transport.
S'agissant de la loi de 2010 relative à l'action extérieure de l'État, nous regrettons à nouveau que le décret relatif aux conditions de ressources et aux modalités d'application du versement de l'allocation au conjoint ou au partenaire lié par un pacte civil de solidarité de l'agent civil de l'État en service à l'étranger n'ait pas été pris. Un échange avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a permis de comprendre pourquoi ce décret n'a pas été publié : ce dispositif avait pour vocation de remplacer l'actuel supplément familial, versé directement à l'agent expatrié lorsque son conjoint se trouve dans une situation similaire à celle prévue dans la loi de 2010. Toutefois, la mise en oeuvre de cette nouvelle allocation s'est heurtée à deux principales difficultés : sur le plan technique, il est apparu qu'il n'était pas possible d'indemniser sur le titre 2 une personne pour laquelle il n'existe aucun lien juridique avec l'État ; la direction générale des finances publiques et la direction de la sécurité sociale ont une interprétation différente du régime social à appliquer à cette nouvelle allocation. Aussi, à ce jour, le projet est resté suspendu car il n'a pas été possible de trouver une solution réglementaire de mise en oeuvre de la loi comme indiqué ci-dessus. Ce n'est guère satisfaisant. Il serait utile qu'une solution soit enfin trouvée pour que le décret soit enfin adopté.
J'en viens à notre sujet de préoccupation : le sort qui a été réservé à une disposition très importante de la loi de programmation militaire de juillet 2018. Il s'agit des conditions d'achat fixées par son article 44. Madame la Secrétaire générale, le législateur a exprimé son intention, en votant des dispositions permettant de lever les pesanteurs dans les procédures d'achat du ministère des armées. Après promulgation de la loi, ces dispositions, auxquelles la direction des affaires juridiques du ministère des armées s'est toujours opposée, ont été tout simplement effacées à l'occasion d'une codification. C'est un mépris total de la volonté du législateur, et c'est bien sûr tout à fait contraire aux principes de la codification à droit constant. Je parle à l'ancienne secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale que vous êtes : cela a aussi des conséquences non négligeables en matière de sécurité.
Au-delà du décompte des textes réglementaires pris pour l'application des lois, appliquer les lois c'est d'abord ne pas revenir en chambre sur la volonté du législateur. Cet incident est révélateur du peu de cas fait des travaux parlementaires. Je tenais à vous alerter sur ce sujet, sur lequel notre commission restera mobilisée, tant le point est important pour les militaires et tant il est évoqué quasiment quotidiennement.
M. Jacques Grosperrin , en remplacement de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Madame la secrétaire générale du gouvernement, permettez-moi tout d'abord d'excuser Laurent Lafon, qui reçoit Roselyne Bachelot en commission de la culture.
Au cours de la session 2019-2020, l'activité législative de la commission de la culture a été directement affectée par la dégradation de la situation sanitaire. Le parcours législatif du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle, qui devait notamment réformer la gouvernance de l'audiovisuel public, aété brutalement interrompu quelques jours seulement après son adoption par nos homologues de l'Assemblée nationale.
En dépit des vicissitudes associées à la Covid-19, deux lois examinées par la commission ont été néanmoins promulguées au cours de cette session si particulière.
Le bilan de leur application est à ce jour nuancé. D'une part, la loi relative à la création du Centre national de la musique est intégralement applicable. Et c'est tant mieux, compte tenu du rôle essentiel joué par ce nouvel établissement public en matière de soutien à l'ensemble des acteurs de la filière musicale au cours des mois écoulés.
En revanche, toutes les dispositions réglementaires prévues par la loi relative à la modernisation de la distribution de la presse n'ont pas encore été prises. Le taux d'application de cette loi demeure limité à 63 %, ce qui s'avère largement insuffisant compte tenu des enjeux structurants associés à la distribution de la presse dans notre pays.
S'agissant des lois promulguées avant la session 2019-2020, je me félicite de la décision du gouvernement de réduire le stock de mesures règlementaires non publiées. Dans certaines circonstances, mieux vaut tard que jamais !
Pas moins de 14 mesures d'application de lois promulguées avant le 1 er octobre 2019 ont ainsi été prises au cours de l'année écoulée, complétant le dispositif réglementaire de lois aussi importantes que celles « pour une école de la confiance », « pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet » ou « relative à la création de l'Agence nationale du sport et à diverses dispositions relatives à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ».
Au-delà de ce satisfecit , je souhaiterais vous interroger, Madame la secrétaire générale, sur trois points.
Tout d'abord, je tiens à souligner que les articles 30 et 31 de la loi pour une école de la confiance prévoient un renforcement de la coopération entre les services médico-sociaux et les établissements scolaires, ainsi qu'un dispositif intégré. En juin 2020, le ministère de l'éducation nationale indiquait que des premières réunions avaient eu lieu à ce sujet, en lien avec la direction générale de la cohésion sociale du ministère de la santé. Toutefois, les travaux ont été arrêtés en raison du confinement du printemps dernier. Pouvez-vous nous indiquer à quelle date ces travaux doivent reprendre et nous préciser où en sont les réflexions du gouvernement sur les textes d'application de ces deux articles ?
Par ailleurs, je tiens à rappeler que les articles 55 et 60 de cette loi habilitaient le Gouvernement à prendre des ordonnances visant à modifier, avant le 26 juillet 2020, l'organisation, le fonctionnement et les attributions des conseils académiques et départementaux de l'éducation nationale d'une part, et à réviser, avant le 26 janvier 2021, les dispositions législatives du code de l'éducation particulières à l'outre-mer d'autre part. Je constate que la publication de ces textes se fait toujours attendre près de deux ans après la promulgation de la loi. Ces ordonnances seront-elles publiées et quand ?
Enfin, ma troisième question porte sur l'application d'une mesure prévue par un texte relevant de la compétence de mon collègue de la commission des finances. L'article 276 de la loi de finances pour 2019 prévoyait en effet que le Gouvernement remette au Parlement, avant le 1 er juin 2019, un rapport sur la réforme de la contribution à l'audiovisuel public - que l'on appelait autrefois la redevance audiovisuelle - dans la perspective de la disparition de la taxe d'habitation qui sert de support à son recouvrement. Or ce rapport n'a toujours pas été remis au Parlement malgré des demandes récurrentes et l'engagement du précédent ministre de la culture de nous le transmettre. Quand ce rapport sera-t-il rendu public ?
M. Claude Raynal , président de la commission des finances . - L'exercice du suivi de l'application des lois par la commission des finances est particulier, puisque la loi de finances initiale pour 2020 prévoyait à elle seule 125 mesures d'application, soit les trois quarts des mesures suivies par notre commission, le quart restant relevant des trois premières lois de finances rectificatives pour 2020 adoptées dans le contexte de la crise sanitaire.
Le taux de mise en application globale baisse, avec 76 % de mesures prises cette année, contre 88 % l'an dernier. Ce taux résulte en partie du fait qu'un grand nombre d'arrêtés n'ont pas été pris : si 93 % des décrets prévus par la loi de finances pour 2020 l'ont été, ce n'est le cas que de 60 % des arrêtés. Un meilleur suivi de la publication des arrêtés me semble indispensable. À peine un peu plus de la moitié des textes réglementaires ont par ailleurs été publiés avant le délai de six mois.
Le tableau n'est cependant pas négatif puisque les deux premières lois de finances rectificatives pour 2020, qui concernaient les mesures urgentes à destination des entreprises et des ménages, ont été totalement et rapidement appliquées. Les mesures restant à prendre concernent la loi de finances initiale et la troisième loi de finances rectificative pour 2020.
Je souhaite donc vous interroger sur les mesures d'application de ces lois qui devraient encore être prises.
Il s'agit tout d'abord de l'article 147 de la loi de finances pour 2020 qui porte l'essentiel des mesures de transposition du paquet TVA sur le commerce électronique. Dans le contexte de crise sanitaire, la Commission européenne a permis de reporter l'entrée en vigueur des mesures au 1 er juillet 2021. Cependant, le décret et l'arrêté prévus n'ont toujours pas été pris, ce qui limite la capacité des acteurs à anticiper l'entrée en vigueur d'une réforme très importante. Quand ces mesures pourront-elles être publiées, selon vous ?
Il s'agit ensuite des mesures de soutien en faveur des médias adoptées dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020. Celle relative au crédit d'impôt au titre du premier abonnement à une publication ou à un service de presse en ligne vient d'être publiée à la suite du « feu vert » européen, mais celle relative à l'investissement dans les programmes et la création audiovisuels n'a fait l'objet d'aucune application. Ces mesures sont pourtant attendues. Où en sont les négociations avec la Commission européenne sur ce point ?
Par ailleurs, un arrêté doit fixer les conditions d'application de l'article 66 de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, lequel oblige certaines entreprises dans lesquelles l'État détient une participation à tenir des engagements climatiques. Cet article avait pour objectif d'apporter une réponse aux débats entourant la conditionnalité des prises de participations par l'État actionnaire. Or, l'arrêté n'a toujours pas été pris, l'administration mettant en avant certaines difficultés - que l'on peut entendre - en particulier pour passer d'un budget carbone établi par secteur à une trajectoire individuelle par entreprise. Alors que le Sénat va bientôt débattre du projet de loi « Climat et résilience », ne pensez-vous pas que des dispositions d'ores et déjà votées sur les engagements climatiques des entreprises à capitaux publics devraient être rapidement mises en oeuvre ?
Concernant les textes adoptés précédemment, je relèverai enfin que des décrets en Conseil d'État sont toujours attendus pour permettre l'application des articles de la loi relative à la lutte contre la fraude qui octroient aux agents des douanes et aux agents des impôts un droit de communication des données de connexion pour les besoins des enquêtes portant sur les délits douaniers et fiscaux les plus graves. Là aussi, donner une priorité à la publication de ces textes me semble indispensable.
Je passe sur la chasse aux rapports : celle-ci a déjà été évoquée.
Mme Pascale Gruny , président de la délégation du bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances . - C'est en effet une chasse constante au Sénat.
Mme Catherine Di Folco , vice-présidente de la commission des lois . -Je vous prie tout d'abord d'excuser le président François-Noël Buffet, qui se trouve en commission mixte paritaire pour le projet de loi confortant les principes de la République.
Je me permets un petit aparté très court pour rebondir sur les propos que vous avez tenus au sujet des agents de l'État qui ont continué le travail pendant cette crise sanitaire. En étant très investie dans le milieu de la fonction publique, je voudrais aussi y associer tous les agents de la fonction publique territoriale et celle de l'État qui, pendant toute la crise, ont pu maintenir un service au public de grande qualité.
Madame la secrétaire générale, alors qu'il appartient au Gouvernement de mettre en oeuvre, par les mesures réglementaires appropriées, la volonté des représentants de la Nation exprimée par la loi, la commission des lois constate, sur un plan statistique, que le quart des mesures d'application prévues par les textes qu'elle a examinés au fond pendant la session 2019-2020 n'est toujours pas pris. Cette situation est d'autant plus marquante que notre commission a examiné 23 textes, soit 53 % des 43 lois promulguées au cours de la période, hors ratification de conventions internationales.
Ce taux d'application des lois ne préjuge pas de la qualité des mesures prises et ne tient pas compte des mesures facultatives dont nous savons qu'elles ont été cette année particulièrement nombreuses en raison de l'état d'urgence sanitaire. Huit mois seulement après votre arrivée, dans un contexte objectivement difficile, je ne souhaite donc pas surinterpréter cette donnée tout en formulant le souhait que notre échange soit constructif. J'ai noté dans votre propos liminaire que vous n'êtes pas dans le registre du satisfecit , comme on pouvait l'entendre précédemment. Je compte sur nos échanges pour progresser ensemble.
Je me contenterai aujourd'hui d'attirer en premier lieu l'attention du SGG sur deux lois qui demeuraient au 31 mars entièrement inapplicables parmi les 23 relavant de la compétence de la commission des lois. Il s'agit d'une part de la loi du 3 juillet 2020 visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l'arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent et, d'autre part, de la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux. Plus de huit mois après l'entrée en vigueur de ces deux lois, aucun des décrets obligatoires prévus dans ces deux textes, pourtant issus de propositions de loi déposées par des députés membres de groupes soutenant le gouvernement, n'avait été pris à l'issue des délais impartis.
Ainsi, le Gouvernement n'a pas jugé utile de prendre dans ces délais le décret d'application de la disposition législative qui rend obligatoire, pour les salariés, une sensibilisation aux gestes qui sauvent, ni le décret précisant les modalités de tacite reconduction de l'inscription à la liste d'opposition au démarchage téléphonique, qui pourrait faciliter la vie des consommateurs, aujourd'hui contraints de renouveler leur inscription tous les trois ans. Pouvez-vous nous donner des éléments d'information sur les raisons de ces retards ?
Ensuite, j'attire votre attention sur une réalité à propos de laquelle la commission des lois du Sénat est particulièrement vigilante depuis quatre ans, et je rejoins ici les propos de Madame le président : la tendance de plus en plus forte des gouvernements successifs à recourir aux ordonnances plutôt qu'à la navette législative ordinaire. Cela nous préoccupe de plus en plus.
Rappelons que de 2012 à 2018, si l'on fait exception des lois mentionnées à l'article 53 de la Constitution, visant à la ratification d'un traité, davantage d'ordonnances que de lois ont été adoptées (346 lois votées contre 350 ordonnances publiées). L'urgence sanitaire n'a fait depuis qu'accentuer cette tendance : sur l'année parlementaire 2019-2020, parmi les 23 lois promulguées examinées au fond par la commission des lois, trois lois habilitaient le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance, conférant au Gouvernement un total de 66 habilitations, dont 59 ont été utilisées, donnant lieu à la publication de 74 ordonnances.
L'argument, généralement soulevé, selon lequel le recours aux habilitations à légiférer par voie d'ordonnance permettrait de gagner du temps et de contribuer à une forme d'efficacité, se heurte en tout cas à ce que nous constatons depuis deux ans : non seulement le recours massif aux ordonnances peut être une source d'insécurité juridique - je pourrais multiplier les exemples d'ordonnances modifiées à de multiples reprises qui se traduisent par le désarroi des acteurs concernés et constituent tout sauf un gage de qualité - mais, de surcroît, la période se caractérise par une réduction particulièrement forte des délais imposés au Parlement pour se prononcer. On nous demande d'aller toujours plus vite ! Ainsi, à trois reprises, la navette parlementaire sur des projets de loi s'est déroulée en moins de huit jours, et à sept reprises en moins de 35 jours, démontrant la capacité du Sénat et de l'Assemblée nationale de délibérer dans des conditions d'extrême célérité, remettant ainsi en cause l'argument de l'urgence souvent mis en avant par le Gouvernement pour solliciter des habilitations à légiférer par ordonnances. En moyenne, la navette parlementaire sur les 12 projets de loi examinés au fond par la commission des lois en 2019-2020 s'est achevée en 56 jours au total. Cette statistique est plus parlante encore si l'on se focalise sur les sept projets de loi consécutifs à la situation sanitaire, examinés en 2019-2020, qui l'ont été en 18 jours en moyenne. Il n'en résulte pas moins que ce raccourcissement des délais de la procédure parlementaire ne saurait se généraliser, la qualité de la loi nécessitant, quoiqu'on en dise, un délai d'examen suffisant pour mener à bien des travaux préparatoires permettant d'éclairer au mieux les parlementaires sur les effets induits par les réformes proposées au vote des représentants de la Nation.
Alors permettez-moi de faire passer un message après que mes collègues des autres commissions se sont exprimés : le contrôle de la bonne application des lois n'a d'intérêt que si le processus d'élaboration de la loi n'est pas contourné dans de si vastes proportions.
Enfin, la commission des lois vous fait part de son vif regret quant au fait que la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales n'est toujours pas pleinement applicable. Notre déception est à la hauteur de l'importance de l'objet de la loi- je pense que vous êtes sur le même registre que nous. En particulier, le décret prévu à l'article 23 concernant l'accès des mineurs aux sites pornographiques n'est toujours pas publié. Le 2 avril dernier, un projet de décret a certes été notifié à la Commission européenne, en application d'une directive. Cette procédure de notification doit permettre à l'ensemble des parties prenantes de présenter leurs observations et à la Commission de vérifier la compatibilité du projet de décret avec le droit européen, notamment en ce qui concerne le fonctionnement du marché unique. Elle ouvre un délai de trois mois pendant lequel la France ne peut adopter définitivement le décret. Sans rentrer dans le fond même du projet de décret, pourquoi le Gouvernement a-t-il tant attendu pour le transmettre aux autorités européennes ? Comment pallier, à l'avenir, ce qui semble être un manque d'anticipation ?
M. Jean-François Rapin , président de la commission des affaires européennes . - Le 4 mars dernier, j'ai présenté un rapport sur le suivi des résolutions européennes qui traduit notre attachement, y compris dans le domaine des affaires européennes, au contrôle des suites données à nos travaux. Ce rapport démontre une nouvelle fois la réelle influence du Sénat à Bruxelles. Je tiens à mentionner que, cette année encore, le Sénat français figure parmi les dix assemblées parlementaires les plus actives parmi les 39 que compte l'UE, pour ce qui concerne le dialogue politique avec la Commission européenne.
Au cours de la session 2019-2020, la commission des affaires européennes a été saisie de 852 textes européens au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Elle en a examiné directement 202, ou bien en procédure écrite, ou bien directement lors de ses réunions. 17 résolutions européennes ont été adoptées par le Sénat. Dans environ 83 % des cas, les positions exprimées par le Sénat dans ces résolutions européennes ont été prises en compte. Cinq résolutions européennes l'ont même été en totalité ou en quasi-totalité dans le texte définitif (règlement ou directive). Cela correspond à 30 % des cas, ce qui est un taux honorable, mais dix-sept points en dessous de celui de l'année dernière.
Parmi ces résolutions qui ont été satisfaites, je peux citer la volonté de garantir, au sein de la politique agricole commune (PAC), le système d'autorisation préalable de plantation viticole jusqu'en 2050 : la France a obtenu que le système d'autorisation préalable de plantation viticole soit prolongé à long terme, mais sans doute seulement jusqu'en 2045.
Par ailleurs, neuf résolutions européennes, soit dans 53 % des cas, ont été suivies partiellement, en général en raison de divisions au Conseil ayant conduit à des compromis éloignés des positions sénatoriales.
Je peux ainsi mentionner le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 de l'UE et le plan de relance européen. Le Gouvernement fait valoir que la PAC sort finalement renforcée sur cette période, avec une enveloppe en augmentation de 1,5 % en valeur par rapport à la période 2014-2020. Le montant des aides consacrées au développement rural est certes en hausse, à 11,4 milliards d'euros, mais celui des aides directes diminue. Les autorités françaises disent également s'être attachées à défendre les montants initialement proposés par la Commission pour le Fonds européen de défense et le programme spatial, mais les négociations n'ont pas permis d'atteindre les objectifs initiaux. Par ailleurs, la suppression des rabais, régulièrement réclamée par le Sénat, qui figurait parmi nos objectifs et ceux des autorités françaises, n'a pas abouti au cours des négociations : c'est à déplorer.
Dans seulement trois cas, le Sénat n'a pas du tout obtenu gain de cause. Ces résolutions portaient sur la pérennité des compagnies aériennes immatriculées dans l'Union, le renforcement des mesures exceptionnelles de la PAC pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19 et le régime de protection du loup.
J'ajoute que sur la période concernée par le rapport, notre commission n'a pas émis d'observations sur d'éventuelles surtranspositions de nos obligations européennes, comme nous y autorise, depuis juin 2019, le Règlement du Sénat. Nous restons vigilants sur ce point, et ce d'autant plus que nous avons presque tous évoqué le point que je vais aborder.
Nous sommes également préoccupés par le recours croissant aux ordonnances pour transposer nos obligations européennes. À l'initiative du Président Larcher et dans le prolongement des travaux du groupe de travail présidé par notre collègue Pascale Gruny, le Règlement du Sénat sera prochainement adapté pour permettre le suivi des ordonnances. À ce sujet, la commission des affaires européennes serait très intéressée que l'outil de suivi en ligne mis en place à cet effet soit enrichi d'une mention indiquant dans quelle mesure les ordonnances listées contribuent à la transposition et à la mise en oeuvre de nos obligations européennes. Notre commission pourrait ainsi exercer sa mission d'alerte sur les surtranspositions également sur les ordonnances prises par le Gouvernement et souvent ratifiées trop discrètement ou tacitement.
Mme Pascale Gruny , président de la délégation du bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances . - Je reprends la parole pour vous soumettre les éléments que M. Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, m'a transmis.
Madame la secrétaire générale, les travaux relatifs à l'application des lois ont été particulièrement importants pour notre commission en cette année 2021. Pour cause, deux des lois les plus volumineuses du quinquennat sont entrées, ces derniers mois, dans leur pleine phase d'application : la « LOM », loi d'orientation des mobilités, du 24 décembre 2019 et la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire - dite loi « AGEC ». L'implication de notre commission dans l'élaboration de ces textes, auxquels elle a très largement contribué, exige un suivi particulièrement attentif et vigilant de leur application, afin que l'ambition du législateur soit pleinement et fidèlement retranscrite par le pouvoir réglementaire.
Au terme de ces travaux de contrôle, notre commission déplore d'importants retards dans la mise en oeuvre de lois, dont l'examen parlementaire a pourtant été mené à vitesse soutenue. On ne peut que constater un écart entre l'urgence imposée au législateur par le Gouvernement et les délais laissés à l'administration pour appliquer ces mêmes lois...
Ainsi, au 31 mars 2021, le taux d'application de la LOM était de seulement 61 % ; celui de la loi AGEC de 65 %. Concernant la seconde loi, le ministère de la transition écologique s'était pourtant engagé, à l'occasion du comité interministériel de l'application des lois qui s'est tenu en septembre 2020, à publier l'ensemble des décrets avant la fin de l'année 2020 s'agissant des mesures déjà actives ou qui devaient l'être prochainement. Force est de constater que cet engagement n'a pas été tenu.
Le Gouvernement justifie ce retard par diverses considérations liées à la crise sanitaire : gestion de la crise, agents touchés par la Covid-19 ou moins disponibles du fait du confinement, moindre disponibilité des parties prenantes nécessitant d'allonger les concertations, nécessités de prendre en compte les conséquences de la crise sanitaire sur les personnes concernées par les mesures d'application, gel des consultations publiques... Ces considérations, aussi légitimes qu'elles soient, ne peuvent cependant excuser un tel retard. Le Gouvernement s'engage-t-il à publier en priorité l'ensemble des mesures d'application pour les dispositions législatives déjà actives ? Si oui, à quelle échéance ?
Permettez-moi de focaliser votre attention sur deux mesures d'application de ces lois.
Sur la LOM, pourriez-vous nous indiquer si le Gouvernement compte utiliser l'habilitation inscrite à l'article 83, afin de définir les conditions de la prise en charge par l'employeur des frais de transport ? Il nous a été indiqué que le Gouvernement évaluerait l'opportunité d'y recourir en fonction des résultats du baromètre du forfait mobilités durables, qui ont été publiés il y a quelques semaines. Pour la LOM, nous constatons que plusieurs habilitations n'ont pas été utilisées par le Gouvernement, ce qui illustre la tendance au recours excessif à l'article 38 de la Constitution. Quant aux ordonnances qui ont été publiées, pouvez-vous nous indiquer si leur ratification sera inscrite à l'ordre du jour ?
Sur la loi AGEC, nous aimerions évoquer un décret d'application de l'article 35, visant à lutter contre le gaspillage non-alimentaire. Cet article prévoit que des conventions définissent les conditions dans lesquelles les donateurs de biens invendus non-alimentaires contribuent aux frais de stockage des structures bénéficiaires. Or le décret d'application ne prévoit pas l'obligation, pour l'entreprise donatrice, de contribuer aux frais de stockage des produits donnés. Le décret, à tout le moins contraire à l'esprit de la loi AGEC, est ainsi susceptible d'accroitre le refus de don et d'augmenter en conséquence la part de recyclage des invendus au détriment de leur réemploi. Un recours gracieux a été formulé par plusieurs associations auprès du Premier ministre. Une suite favorable sera-t-elle donnée à ce recours ?
Madame la secrétaire générale, les questions sont nombreuses. Je me doute que vous ne pourrez pas apporter de réponse à toutes celles qui vous ont été posées, mais je suis certaine que vous le ferez après, ou au moment du débat en séance publique. Il est important que chacun puisse avoir des réponses.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement . - Il est en effet probable que je doive utiliser certains jokers, mais j'essaierai de vous apporter des réponses avant même le débat en séance publique.
De façon générale, je ne suis pas surprise de l'attention que vous portez au recours accru aux ordonnances. Je trouve en revanche - et je pense que cela appellera des travaux de notre part - très intéressants les éléments statistiques que vous avez produits pour avoir un peu de recul historique et identifier une tendance très lourde. Probablement que cette année, avec un recours aux ordonnances en mars, juin et novembre, n'est pas tout à fait représentative de cette tendance, dans la mesure où il s'agissait de la reconduction de décisions prises en mars. 91 ordonnances ont été prises dans le champ de la crise sanitaire ; elles ne concernaient pas 91 sujets, mais à chaque fois une trentaine, avec des prolongations successives. Cela ne change pas la tendance de fond. Je comprends parfaitement que cela puisse vous inquiéter. Je ne saurais toutefois pas répondre complètement à votre préoccupation. Cela dit, nous essayons de veiller - et nous sommes parfaitement aiguillonnés sur ce sujet par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel - au fait que, lorsqu'il y a des habilitations, elles doivent être les plus précises possibles dans l'objectif poursuivi. Même si le Conseil constitutionnel n'impose pas que l'on connaisse exactement la teneur de l'ordonnance qui va être prise, nous essayons de restreindre et circonscrire le champ d'habilitation. Il arrive que le Conseil d'État rattrape des choses au contentieux lorsque le champ d'habilitation a été étiré à l'excès. J'y reviendrai à l'occasion des réponses précises que je fournirai. Je crois par exemple qu'il y a eu une incompréhension sur l'ordonnance hydrogène. Je transmettrai en tout cas votre préoccupation, et j'intègre ce message fort que vous m'avez tous passé et qu'il nous faut recevoir collectivement.
Sur les délais et l'urgence, je crois que ce besoin de revenir à une forme de droit commun nous touche tous. Il est normal que la crise sanitaire ait conduit à de l'exceptionnel et du dérogatoire, et qu'on ait tous subi des formes d'urgence puisque l'on avait besoin de répondre à des situations qui, elles-mêmes, étaient urgentes. On souhaite tous revenir à la vie normale : il faudra aussi que ce soit le cas pour la production normative. Il ne faut pas s'habituer à être dans des mécanismes d'urgence, où l'on s'apercevrait que l'on parvient finalement à s'adapter. C'est le cas pour le Parlement, pour les ministères, les directions des affaires juridiques et les directions productrices de normes. C'est aussi le cas pour le Conseil d'État qui se plaint beaucoup d'être à ce point sollicité. Je crois que cette chaîne normative et, a fortiori, les principaux intéressés que sont les parlementaires, ont raison d'insister sur le besoin de ne pas s'habituer à cette forme de dégradation. Je ne suis pas sûre de disposer de tous les leviers qu'il faut pour cela, mais je plaide fortement pour que l'on soit capable de revenir à une situation où l'on prend le temps de faire correctement les choses. Sinon, il advient ce que vous dites, Mme le président, sur l'inflation normative qui rend le droit illisible, incompréhensible, et nous épuise. On fait gonfler le ballon, mais quand il faut y revenir, on se rend compte que c'est au niveau législatif : il faut donc recourir à la loi. C'est exponentiel ! Je ne réponds pas vraiment mais je suis parfaitement consciente de ces éléments.
Je suis également consciente - cela me désole pour le taux de mars, mais je suis rassurée de pouvoir vous donner des éléments - de l'écart de taux entre les lois issues des projets de loi et des propositions de loi. Il est important et je comprends que cela vous inquiète : il y a près de 20 points d'écart. Certains décrets vont être publiés rapidement pour rétablir un certain équilibre.
Je souhaite aussi vous dire que, si on était à 73 % fin mars, nous sommes désormais à 78 %. J'ai dit que pour la session, 520 mesures devaient être prises. Il en reste 113 à prendre, et nous avons l'espoir d'en avoir publié 58 d'ici fin juin. D'ici à l'été, nous aurons rattrapé un taux d'application plus proche de ce que vous attendez légitimement.
J'en viens aux questions plus précises. Nous vous ferons une réponse écrite pour celle auxquelles je n'ai pas encore de réponse.
Pour les compétences et délégations de tâches, le ministère des solidarités et de la santé nous a dit que l'arrêté qui fixe cette liste des traitements et pathologies qui sont concernés par l'adaptation possible par les infirmiers a été préparé. Il est en attente de l'avis de la Haute autorité de santé (HAS) qui doit être consultée sur cet arrêté. Il est plutôt en bonne voie. Le projet d'arrêté concernant la réingénierie du diplôme d'aide-soignant a été présenté au Conseil national de l'évaluation des normes (CNEN) le 6 mai dernier et il devrait donc être publié la semaine prochaine.
Sur la revalorisation des pensions de retraites agricoles, un décret simple d'application de la loi a fait l'objet d'un arbitrage le 8 avril et il est en consultation auprès de la Caisse nationale de solidarité et d'autonomie (CNSA). Sa publication devrait avoir lieu en mai. Le décret qui permettra l'entrée en vigueur du complément différentiel est, comme vous l'avez relevé, un peu subtil : l'entrée en vigueur pour la métropole est prévue au 1 er janvier 2022 au plus tard, mais un décret pouvait anticiper cette entrée en vigueur, ce qui n'est pas le cas pour l'outre-mer. Je ne peux dire autre chose sinon que, dès lors qu'il s'agit d'une mesure favorable à ses destinataires, le Gouvernement s'autorise à prendre le risque d'une petite rétroactivité. Le texte, pour l'outre-mer, laisse penser que la date est fixée au 1 er janvier et pas avant, mais un alignement avec la métropole conduit à ce que le décret qui a été préparé, et qui est en bonne voie, anticipe un peu sur l'entrée en vigueur et permette ce complément différentiel, y compris pour l'outre-mer, dès novembre.
S'agissant de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, l'article évoqué concerne les aménagements qui peuvent être accordés par le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités en matière de formalités de détachement international de salariés en France. Il vise à traiter le cas d'entreprises transfrontalières qui détachent de façon régulière des salariés en France. Le projet de décret était prêt, mais les discussions étaient en cours avec les pays partenaires. Ces échanges portaient notamment sur les clauses de réciprocité. Le décret d'application ne pourra paraître que lorsque ces différents points auront été réglés.
J'en viens aux questions de la commission des affaires économiques. Sur la fermeture des centrales à charbon, je vais m'empresser de transmettre le message sur la nécessité de remplir l'obligation prévue par la loi de présenter, devant les commissions compétentes, cette ordonnance. En revanche, si je comprends qu'il paraisse logique de ne déposer le projet de loi de ratification qu'une fois cette présentation effectuée, il se trouve que cela s'est fait dans l'autre sens mais cela était nécessaire pour éviter la caducité. Le message selon lequel cette présentation doit être assurée sera évidemment passé.
Vous avez posé la question de trois ordonnances : l'une portant sur la réécriture du code de la construction et deux autres qui étaient des éléments de prise en compte de dispositions de règlements européens. Les habilitations prévues par l'article 39 de la loi Énergie-Climat étaient des dispositions de précaution par rapport au besoin éventuel de prendre en compte des mesures d'adaptation liées à ces règlements européens ; les travaux conduits ont montré que ce n'était pas nécessaire et que l'application directe des règlements ne justifiait pas l'usage de ces habilitations.
Au demeurant, durant la préparation de cette audition, je me suis rendu compte que dans les rares cas où le Gouvernement demande des habilitations et ne les utilise pas (7 % sur toute la législature), il arrive assez régulièrement que ce soit dans des cas de figure de transposition ou d'adaptation du droit national compte tenu d'exigences du droit de l'Union. Ainsi, pour répondre à des obligations de transposition rapides, on se donne, par précaution, une habilitation, et parfois on utilise un véhicule plus rapide pour insérer la disposition. C'est une des raisons qui expliquent que certaines habilitations ne sont pas utilisées. C'est ici le cas d'espèce.
En ce qui concerne l'article 15 de cette loi, relatif au diagnostic de performance énergétique, j'ai compris qu'il prévoyait une combinaison de la définition de la performance énergétique, qui devait mêler un indicateur en énergie primaire et un indicateur en gaz à effet de serre. Cette réflexion a donné lieu à une concertation en décembre 2020. Les acteurs du secteur concerné se sont montrés majoritairement favorables au maintien du critère de l'énergie primaire, et défavorables à l'introduction d'un critère d'énergie finale. L'ordonnance qui aurait permis d'introduire cette idée de prise en compte de l'énergie finale n'a donc pas été retenue. C'est la prise en compte des discussions avec les parties prenantes qui a conduit à ce choix. Le projet de loi Climat-Résilience, à son article 45, comporte une habilitation prévue pour toiletter et ne pas garder un appel à un critère énergétique non souhaité par les acteurs.
L'ordonnance hydrogène a été publiée le 17 février dernier. Je comprends de la question que la présidente Primas considérait qu'elle était sortie du champ de l'habilitation et, notamment, qu'elle avait abrogé des dispositions du code de l'énergie. Elle avait relevé le fait que l'on fasse disparaître les garantie d'origine sur le biogaz mais, en réalité, et sous votre contrôle - et nous vérifierons -, c'est un regroupement de l'hydrogène et du biogaz dans des dispositions communes. Effectivement, un article de l'ordonnance écrase les dispositions du code de l'énergie relatives au biogaz, mais simplement car le biogaz et l'hydrogène sont traités par une autre disposition dans un autre article de l'ordonnance. Je crois qu'il n'y a pas de disparition indue, du fait de cette ordonnance. D'ailleurs, il n'y a jamais eu de sujet devant le Conseil d'État sur le respect du champ de l'habilitation. Je pourrai vérifier de façon plus précise, mais il me semble qu'il s'agit juste d'une lecture combinée de deux articles de l'ordonnance qui aurait pu laisser croire que l'on écrasait quelque chose que l'on réinstaurait en fait dans un autre article.
M. Patrick Chaize , vice-président de la commission des affaires économiques . - De par ces exemples, la question la plus importante dans mon propos, est l'association ad hoc des commissions aux rédactions d'ordonnances pour une validation et un travail collaboratif, pour faire en sorte que les textes soient respectés. C'est vraiment la conclusion de mon intervention qu'il faut retenir et sur laquelle nous attendons avec impatience votre position.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement . - Est-ce l'idée que les commissions puissent contrôler le respect du champ de l'habilitation par le Gouvernement et qu'il y ait une forme d'instance d'appel devant le Conseil constitutionnel ?
M. Patrick Chaize , vice-président de la commission des affaires économiques . - Contrôler, oui, mais aussi participer. Cela permettrait d'éviter les interprétations a posteriori et l'impression, quelquefois de ne pas être dans le cadre qui a été déterminé. J'entends ce que vous dites sur l'hydrogène et sur les mesures d'articles qui se combinent. Mais au moment de l'autorisation et de l'habilitation de l'ordonnance, un cadre est débattu et expliqué. Il ne faudrait pas que des effets pervers de combinaison d'articles fassent que, au final, les parlementaires se sentent un peu trompés par l'objectif atteint. S'il y avait une concertation plus forte et un travail collaboratif, je pense qu'on pourrait éviter ces écueils et cette difficulté à autoriser cette pratique.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement . - Je ne sais pas si vous considérez que ce type d'audition est une forme de travail collaboratif, avec les réponses que l'on pourrait vous apporter. En tout cas, j'ai du mal à imaginer que l'on puisse institutionnaliser un mode de contrôle de l'utilisation des habilitations qui mettrait en scène les commissions et utiliser le Conseil constitutionnel comme une forme d'instance d'appel. Cela paraît difficile au regard du régime des ordonnances défini dans la Constitution. En revanche - et je crois que vous l'avez tous suffisamment souligné pour que cela allume une vraie alerte du côté du Gouvernement -, je suis d'accord pour veiller à ce que chaque audition ou échange technique soit l'occasion de nous rappeler que, si l'obligation constitutionnelle est bien de circonscrire la finalité de l'ordonnance, il nous faut en tirer des conséquences claires.
Ce que j'ai dit sur l'ordonnance hydrogène n'est pas une entourloupe. C'est vraiment un sujet légistique. Mais il faut que l'on puisse expliquer des choix, y compris légistiques, qui donnent le sentiment que l'on est à côté de la volonté parlementaire.
Je ne réponds pas vraiment à votre question car je crois que le jeu institutionnel est calé et qu'il est difficile à changer. En revanche, j'entends que l'on puisse s'organiser pour être à votre disposition pour répondre davantage ou plus fréquemment et, si cela est imaginable et sans surcharger mes équipes, pour que l'on se fasse le relais d'un besoin d'informations complémentaire ou plus régulier. Je suis à votre disposition pour réfléchir à la façon dont on pourrait mieux répondre, mais surtout retrouver des proportions et des volumes plus raisonnables.
M. Patrick Chaize , vice-président de la commission des affaires économiques . - Pour imager et compléter mon propos, et avec l'autorisation de Catherine Di Folco, un décret sur le démarchage téléphonique est en cours de rédaction. Nous sommes alertés par des associations et des acteurs sur la direction que prend le décret, alors que nous ne disposons d'aucune information. Il est assez déroutant que les consultations se fassent sur les décrets avec d'autres acteurs, en dehors du Parlement. L'idée est qu'on soit associé et proactif plutôt que mis à l'écart dans le cadre de la rédaction de ces décrets. C'est le sens et l'esprit de mon intervention.
Mme Pascale Gruny , président de la délégation du bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances . - Madame la secrétaire générale ne peut pas décider d'introduire cette proposition dans le travail que nous menons actuellement. C'est plutôt à nous, entre les commissions et avec le Gouvernement, de dire que nous souhaiterions être plus impliqués dans la rédaction du décret et la vérification du respect de la volonté du législateur.
M. Patrick Chaize , vice-président de la commission des affaires économiques . - Tout à fait. Merci, Madame le président, de cette traduction.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement . - Je ferai un retour écrit sur la préoccupation affichée par la commission des affaires étrangères. J'ai compris qu'à l'occasion d'une recodification, il y aurait eu l'écrasement d'une disposition d'allègement des formalités d'acquisition par les forces armées.
Pour en venir à la commission de la culture, le projet de loi audiovisuel a été « recyclé » dans un nouveau projet de loi qui reprend certaines de ses dispositions importantes. Le projet de décret portant application des articles 30 et 31 de la loi pour une école de la confiance est en phase de consultation obligatoire et devrait être publié d'ici la fin juin.
L'ordonnance sur la refonte des dispositions outre-mer du code de l'éducation est passée en conseil des ministres la semaine dernière et a été publiée dans la foulée. Cela a représenté un travail important : elle comptait 104 articles. Comme toujours, et c'est normal, l'outre-mer, avec ses spécificités, a donné lieu à de gros travaux, notamment le sujet compliqué de la répartition des compétences entre l'État et les collectivités pour celles du Pacifique. Ce travail a été conduit à son terme.
Vous m'avez interrogée sur l'habilitation prévue à l'article 55 de la loi : il s'agit de la substitution d'une instance de niveau régional - le conseil régional académique de l'éducation nationale - à des instances départementales, pour tenir compte de la montée en puissance et en compétence du niveau régional dans le monde de l'éducation. J'en comprends que c'est un dossier technique et très politique, avec des parties prenantes - collectivités locales, organisations syndicales, associations de parents d'élèves- très attentives à cette évolution. Il s'agit de réduire significativement le nombre de membres de l'instance, ce qui est toujours un exercice compliqué et sensible. Il faut notamment diminuer de moitié le collège des représentants du personnel. Je parlais tout à l'heure d'une troisième catégorie de textes dans laquelle on butait, soit sur des problèmes pratiques, soit sur des problèmes politiques de négociation. Cette habilitation est typiquement compliquée par les discussions avec les parties prenantes. Le ministère de l'éducation s'est également concentré, ces derniers mois, sur le transfert au 1er janvier, auprès des recteurs de région académique, des personnels du champ « jeunesse et sport ». Comme il s'agit un peu des mêmes parties prenantes, ils ont mis de côté le sujet du conseil académique de l'éducation national (CAEN) pour se concentrer sur ces transferts-là et sur le lancement du Grenelle de l'éducation et ses différents chantiers. Néanmoins, le projet CAEN n'est pas abandonné, mais ne sera pas mené à l'occasion de l'utilisation de cette habilitation.
Mme Pascale Gruny , président de la délégation du bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances . - Vous n'avez pas répondu à la question sur la loi de modernisation de la presse, avec un enjeu sur la distribution.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement . - Je le note mais je n'ai pas la réponse aujourd'hui.
J'en viens à la commission des lois. Cela répondra au sujet des propositions de loi dont le taux d'application doit être plus élevé. La loi « citoyens sauveteurs » appelle cinq mesures d'application. L'une a déjà été publiée, trois sont en bonne voie pour une publication ce mois-ci. Pour la première, qui concerne la sensibilisation à la lutte contre l'arrêt cardiaque et aux gestes qui sauvent, dont bénéficient les salariés, le décret n° 2021-469 a été publié le 20 avril 2021. Le décret visant à former les arbitres et les juges dans le domaine sportif à la lutte contre l'arrêt cardiaque et aux gestes qui sauvent a été soumis pour consultation à l'association française du corps arbitral multi-sports. Il se trouve au niveau du cabinet de la ministre chargée des sports. Sa publication est, là aussi, en bonne voie. On parle d'une publication au cours du mois de mai. Un troisième décret porte deux mesures d'application : d'une part la liste des organismes habilités, parmi les services des établissements de santé, à assurer des actions d'enseignement et de formation en matière de secourisme, et, d'autre part, les conditions d'application de l'article 6 de la loi, relatif à la formation aux premiers secours. Ce projet de décret a été transmis au Conseil d'État le 1 er avril dernier. Il devrait être examiné en section le 18 mai, et sa publication devrait intervenir d'ici la fin de ce mois. Un dernier décret vise à définir le contenu, le champ d'application et les modalités de mise en oeuvre de l'article 5 de la loi, qui institue une journée nationale de lutte contre l'arrêt cardiaque et de sensibilisation aux gestes qui sauvent. Il fait l'objet d'échanges entre le ministère de l'intérieur et le ministère des solidarités et de la santé, dont on nous dit qu'ils devraient prochainement aboutir. De nombreuses dispositions sont, en tout cas, en finalisation.
La loi sur le démarchage téléphonique et la lutte contre les appels frauduleux contenait trois mesures actives d'application et deux mesures éventuelles. Un premier décret, qui porte application de deux mesures, doit être pris afin de définir les jours et horaires ainsi que la fréquence, au cours desquels la prospection commerciale par voie téléphonique non sollicitée peut avoir lieu et la prospection en vue de la fourniture de journaux, de périodiques ou de magazines est autorisé. Ce décret a été soumis le 7 avril 2021 à la consultation des membres du Conseil national de la consommation, et cela jusqu'au 7 mai 2021. Apparemment, cela donne lieu à des débats complexes entre les associations de consommateurs et les organisations professionnelles. Je ne peux pas vous donner de réponse ferme sur un objectif de publication. Je peux en revanche vous dire que le cabinet du Premier ministre est bien sensibilisé au fait qu'il y aura probablement des arbitrages difficiles à rendre assez vite.
Mme Pascale Gruny , président de la délégation du bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances . - Ces deux sujets, les citoyens sauveteurs et, plus encore, les appels téléphoniques, intéressent particulièrement les Français. Les parlementaires sont régulièrement sur le terrain, et toutes les semaines, au moins une personne évoque ces problématiques. Il faut certes écouter les associations, mais ce sont d'importants sujets de préoccupation pour les Français, et surtout les personnes âgées ou handicapées. D'autres textes de loi peuvent être de première importance mais ces deux textes sont très attendus par la population.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement . - J'essaierai donc de vous apporter des réponses plus précises sur les calendriers éventuels et les orientations susceptibles d'être retenues. J'entends bien ce que vous dites sur l'impact sur la vie quotidienne de nos concitoyens.
Un autre décret doit être pris pour définir les modalités selon lesquelles l'inscription sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique est reconductible tacitement. Il fait l'objet d'échanges avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), qui devrait rendre prochainement son avis formel. La loi renvoie à un décret simple, mais c'est plutôt un décret en Conseil d'État qui doit être pris, puisqu'il s'agit de modifier des dispositions de l'article R. 223-3 du code de la consommation. Le Conseil d'État sera saisi d'ici la fin du mois de mai. La publication de ce texte est prévue d'ici juillet. En ce qui concerne les deux mesures éventuelles, le texte dit qu'elles sont prises en tant que de besoin. Elles dépendent de règles déontologiques qui seront adaptées par la profession.
Mme Catherine Di Folco , vice-présidente de la commission des lois . - La saisine de la Commission européenne a été un peu tardive.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement . - Je peux seulement vous indiquer que la notification a bien eu lieu, mais je ne dispose pas de précision à ce sujet.
Mme Catherine Di Folco , vice-présidente de la commission des lois . - Le projet de décret a été notifié le 2 avril, mais la loi date de juillet 2020. Il faudrait faire en sorte qu'à l'avenir, il y ait plus de célérité lorsqu'on doit passer par cette étape obligée de la Commission européenne, qui rallonge le délai de publication de trois mois.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement . - J'en viens aux questions posées par la commission des Finances. La première portait sur la transposition du paquet de TVA sur le commerce électronique, avec un projet de décret qui précise les modalités de transmission des déclarations de recouvrement et de radiation pour les personnes recourant au guichet unique européen de déclaration de la TVA. Il est en cours de contreseing depuis le 3 mai et est donc proche de la publication. Un projet d'arrêté est pris pour l'application des régimes particuliers de guichet unique de déclaration et de paiement de la TVA. Il doit être publié en même temps que le décret, donc dans un calendrier très rapproché.
Par ailleurs, le dispositif du crédit d'impôt pour dépenses de création audiovisuelle et cinématographique a été pré-notifié à la Commission européenne le 9 novembre 2020. Il a fait l'objet de discussions internes à la DG COMP quant à la possibilité de sa compatibilité, après des échanges avec les autorités nationales. Voici un exemple de ce que je mentionnais à propos des deux étapes sur les aides d'État : les textes européens n'enferment pas la décision de la Commission dans des délais. On utilise souvent la pré-notification pour gagner du temps sur la suite de la procédure. Nous y avons eu recours, nous sommes maintenant dans le cadre de la notification, qui a eu lieu le 13 avril 2021. On attend la décision d'approbation de la Commission européenne sans laquelle on ne peut pas publier de décret. Je ne suis pas capable de vous dire si la fumée blanche va sortir ou pas. Ce n'est plus entre nos mains, même si le SGAE travaille beaucoup avec la DG COMP pour s'assurer que les textes importants sortent vite.
S'agissant de l'article 66 de la loi de finances pour 2020, comme l'a dit le président Raynal, le passage de la logique d'un budget par secteur à une trajectoire par entreprise nous est signalé comme complexe. Des échanges inter-services entre Bercy et le ministère de la transition écologique ont permis de rédiger un projet, au stade de la consultation avec les parties prenantes avant sa publication.
La question de l'accès des douaniers et des services du fisc aux données de connexion a également été posée. Dans ce dossier, la décision du Conseil d'État qui faisait suite à l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) rendu le 6 octobre 2020 et confirmant l'arrêt Tele2 Sveridge, était attendue. Le Conseil d'État s'est prononcé en assemblée le 21 avril. Il a rendu une décision qui est dans la continuité de l'arrêt de la CJUE, mais en fait une interprétation audacieuse. Elle permet de durcir les exigences pour l'accès aux données de connexion conservées mais préserve les capacités de conservation des données de connexion par les opérateurs pour que les services de renseignement, mais aussi les autorités administratives - indépendantes ou pas, comme les douanes ou les services fiscaux - puissent accéder aux données. Je ne connais pas le sort de ces deux décrets mais je suis sûre que leur publication était conditionnée quant au régime juridique de la conservation des données de connexion par les opérateurs. On est maintenant au clair. D'ailleurs, la lettre rectificative au projet de loi de lutte contre le terrorisme et pour le renseignement présenté en conseil des ministres le 28 avril tire les conséquences de la décision du Conseil d'État. Cela débloquera la mécanique des décrets.
J'en viens au sujet du suivi des arrêtés. Je comprends assez bien la comparaison qui est faite avec le suivi que le SGG met en place sur les décrets. Même s'il a ses faiblesses, il s'agit d'une mécanique centralisée qui représente un élément de réassurance pour vous : il permet de se repérer, d'autant que nous nous efforçons d'être transparents. Comme les arrêtés relèvent de chacun des départements ministériels, il est plus difficile d'avoir une vision panoramique. Néanmoins, et j'imagine que mon prédécesseur avait dû vous faire la même réponse, imaginer que le SGG puisse être la tour de contrôle de la production des arrêtés conduirait à un bouleversement complet de sa physionomie. C'est une toute petite maison. Or on dénombre 8 000 arrêtés par an. On peut réfléchir à des modes d'aiguillonnement des départements ministériels, mais il est certain que nous ne sommes pas capables d'assurer le même suivi des arrêtés que celui que nous assurons pour les décrets d'application, dont le Premier ministre est l'auteur.
Je remercie maintenant la commission des affaires européennes, car je n'avais pas en tête l'impact et le positionnement du Sénat, ainsi que la richesse de ce dialogue. Je savais que vous étiez très présents dans ce domaine, mais j'avoue que je n'avais pas mesuré à quel point vous arriviez à faire évoluer de façon très significative les choses.
M. Jean-François Rapin , président de la commission des affaires européennes . - J'avais également souligné l'impact des ordonnances, et alerté sur la capacité du Gouvernement à transposer les directives européennes de manière incorrecte, et sur la façon dont il peut excéder ce qui est nécessaire pour remplir nos obligations européennes.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement . - Ce qui pose à nouveau la question du champ de l'habilitation.
M. Jean-François Rapin , président de la commission des affaires européennes . - Si le texte d'une ordonnance comporte une surtransposition, nous ne pouvons pas le détecter.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement . - Nous menons également, de façon conjointe avec le SGAE, une chasse à la surtransposition. Le Conseil d'État est également assez attentif, comme l'a montré l'exemple récent d'une ordonnance. Je peux juste vous assurer que nous y veillons, et cela fait partie des commandes un peu politiques que nous recevons.
Mme Pascale Gruny , président de la délégation du bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances . - Monsieur le président de la commission des affaires européennes m'avait envoyé un message sur le suivi des ordonnances, en mentionnant ce qu'on met en ligne sur le site du Sénat. J'ai noté qu'il ne fallait pas oublier les textes suivis par la commission des affaires européennes. Ce sera fait.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement . - J'en viens à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. 75 % des 113 mesures qui nous restent à prendre sont concentrées sur quatre lois : tout d'abord, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 - ce qui s'explique facilement par la mobilisation des équipes - et ensuite la loi Énergie-Climat, la LOM et la loi AGEC, qui ont été de grosses pourvoyeuses de mesures d'application et donc de retards dans leur application. Nous les avons bien en tête : nous organisons des RIM de vérification du respect des engagements pris par le ministère pour tenir les délais. L'application de cette loi a aussi été affectée par la préparation simultanée de la loi Climat-Résilience. Nous continuons en tout cas à pister les mesures.
Mme Pascale Gruny , président de la délégation du bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances . - Deux questions très précises avaient été posées par le président Longeot. Elles concernaient, dans la loi LOM, l'habilitation inscrite à l'article 83 sur la prise en charge par l'employeur des frais de transport et, dans la loi AGEC, le décret d'application de l'article 35 visant à lutter contre le gaspillage non-alimentaire, et particulièrement les conventions sur la contribution des donateurs de biens aux frais de stockage.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement . - J'en viens aux questions relatives à la LOM. S'agissant du forfait mobilité durable, les résultats du baromètre doivent être complétés par l'évaluation des accords collectifs qui portent sur cette thématique de mobilité domicile-travail et sont issus des négociations annuelles rendues obligatoires par la LOM. Une mission d'évaluation vient d'être confiée à l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui devrait s'achever en fin d'année. C'est au regard des résultats du baromètre et de cette évaluation des accords collectifs que la décision de recourir à une ordonnance sera prise, sachant que le calendrier de l'habilitation avait été prévu pour tenir compte de ce processus. Le délai expire seulement en avril 2022. Nous sommes donc dans les temps.
La question posée sur la loi AGEC porte sur le recours gracieux formé contre le décret d'application du 28 décembre 2020 sur le transport et le stockage des dons. Pour l'avoir lu rapidement, l'article L. 541-8-15 du code de l'environnement n'est pas du tout méconnu par le décret. Que les associations regrettent que le décret n'oblige pas les donateurs à prendre en charge les frais de transport et de stockage est une question qui se pose plus en opportunité qu'en droit. De ce que je comprends, le choix en opportunité était de faire en sorte que le décret précise des conditions minimales sur les conventions à conclure entre les donateurs et les bénéficiaires. Autant le décret pose des garanties en termes de qualité des produits donnés aux associations bénéficiaires, autant le choix a été fait de maintenir de la souplesse pour laisser la place à des dispositions complémentaires mais facultatives, à négocier dans ces conventions, pour inciter les donateurs et ne pas les dissuader ou les faire essayer d'échapper à ces nouvelles obligations en exigeant trop d'eux. C'est un choix délibéré, et je ne suis pas certaine que le recours gracieux le fasse évoluer. Ce n'est en tout cas certainement pas sur le terrain juridique que les auteurs du recours pourraient obtenir gain de cause car le décret ne pose pas de difficultés de ce point de vue.
Mme Pascale Gruny , président de la délégation du bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances . - Nous vous remercions beaucoup. Si besoin, des compléments d'information pourront vous être demandés lors du passage en hémicycle, nous pourrions même éventuellement être amenés à vous solliciter avant.
En conclusion, j'ai deux messages. Les ordonnances nous irritent beaucoup, car elles nous privent du débat. C'est d'autant plus regrettable que le Sénat est l'assemblée des territoires. Nous écoutons les attentes du terrain et avons à coeur de les relayer auprès du Gouvernement pour en débattre. Il est pourtant fréquent que l'ordonnance publiée ne corresponde pas aux attentes que la loi avait pu faire naître.
D'autre part, en ce qui concerne l'application de la loi, je veux souligner le rôle des chaînes d'information en continu. Quand une loi passe en conseil des ministres, nos concitoyens nous demandent déjà si elle est appliquée. La population ne comprend pas le rôle de l'Assemblée nationale, encore moins du Sénat, d'une deuxième lecture éventuelle, d'une commission mixte. Le décret est une réalité rarement appréhendée. Ce processus peut générer une forme de colère dans la population.
Parfois, un sujet d'actualité apparaît et une loi est votée. Puis un autre surgit dans les mois qui suivent, et la population ne comprend pas toujours pourquoi des avancées ne sont pas intervenues entre-temps. Après un fait divers qui occupe l'actualité, un deuxième survient quelques temps après et provoque l'incompréhension quant aux avancées intervenues entre temps. De ce point de vue, le suivi de l'application des lois et la célérité avec laquelle les ministères s'acquittent de leurs obligations sont essentiels pour les citoyens.
Dernier sujet que je souhaitais évoquer : l'insécurité juridique. Les juristes avaient l'habitude de lois bien écrites, et aujourd'hui c'est plutôt le contraire qui entraîne souvent des contentieux. Désormais, le droit à l'erreur permet parfois, en cas de mauvaise interprétation, de passer outre, mais cela met en insécurité les entreprises et l'administration. Tout le monde est concerné, y compris les collectivités qui, d'ailleurs, n'ont pas le droit à l'erreur. Ce sont des sujets importants.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement . - Merci Madame le président, je note tous ces points et je transmettrai. Sur le dernier point, je suis parfaitement convaincue. Il y a une grande attente de la norme comme garantie de sécurité. Mais paradoxalement, à force d'écrire, d'écrire trop vite et trop, on crée de l'insécurité juridique qui ruine l'effort premier qui visait à sécuriser en écrivant. Je partage ce diagnostic, mais il est malheureusement compliqué d'identifier les pistes de solutions. Toutes les parties prenantes attendent que la norme réponde à leurs préoccupations très particulières ; on essaye donc de tout écrire, mais on n'y parvient pas. C'est un sujet que l'exécutif et le Parlement ont en partage : essayer d'être dans la précision, de prendre plus de temps et d'être plus sobre, plutôt que de risquer de créer des nids à contentieux dans chaque texte.
Mme Pascale Gruny , président de la délégation du bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances . - Merci Madame la présidente, à vous et vos équipes.