PREMIÈRE TABLE RONDE

DES BIODIVERSITÉS EXCEPTIONNELLES : UNE SOURCE DE DÉVELOPPEMENT À PROTÉGER

PROPOS INTRODUCTIF



Nassima DINDAR,

Sénatrice de La Réunion

(Intervention lue par M. Teva ROHFRITSCH, sénateur de la Polynésie française)

Monsieur le Président,

Monsieur le Directeur général,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

« Je m'excuse sincèrement de ne pas pouvoir être présente avec vous pour partager vos travaux sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur.

En tant que sénatrice de La Réunion et membre du Conseil d'administration de l'Office français de la biodiversité, le patrimoine exceptionnel que constitue la biodiversité de l'océan Indien et le potentiel de développement qu'il représente sont des problématiques essentielles à mes yeux pour aborder l'avenir de cette région.

Les cultures ancestrales des communautés côtières s'y sont construites autour de la pêche, du commerce maritime et de la consommation de ressources marines. À l'heure actuelle, l'état des écosystèmes océaniques et côtiers forme encore le socle de la richesse locale et offre parallèlement un immense potentiel de développement.

Pourtant, plusieurs pays de l'océan Indien occidental comptent parmi les plus pauvres de la planète.

De plus, la poursuite de pratiques intensives d'exploitation des ressources, adoptées aux XIX e et XX e siècles sous l'impulsion des pays industrialisés, a pour effet d'accentuer la dégradation de l'environnement. Les écosystèmes côtiers et marins de l'océan Indien donnent des signes de faiblesse et toute la difficulté réside à ne pas entamer irrémédiablement ce capital irremplaçable.

Le défi consiste donc à trouver des pistes innovantes au service d'un développement économique durable !

Les différents intervenants de la présente table ronde vont tour à tour exposer les initiatives prises dans ce sens et dans lesquelles les outre-mer français de l'océan Indien jouent un rôle de premier plan.

L'île de La Réunion, pour sa part, présente une grande diversité de paysages (paysage minéral volcanique, paysage du littoral, étendues de cannes à sucre, paysage des Hauts...), tous saisissants, grandioses et spécifiques.

Cette richesse paysagère constitue pour La Réunion un atout essentiel, tant du point de vue patrimonial que touristique. On y recense notamment quelque 130 types de milieux naturels !

Le taux d'occupation par la forêt primaire y est encore remarquable. D'importants massifs de végétation indigène subsistent (forêts, landes et pelouses d'altitude), occupant encore 30 % de la surface de l'île, contre à peine 5 % à l'île Maurice. Sans compter des essences remarquables, comme le tamarin qui est un arbre endémique...

Mais depuis la fin des années 1970, le développement rapide de l'île (urbanisation, intensification de l'agriculture, grands travaux...) a provoqué une dégradation progressive de l'état des écosystèmes coralliens de la côte ouest.

Ce patrimoine est aussi menacé car l'introduction d'un nombre important d'espèces pour les besoins de l'homme (agriculture, ornement) ou accidentelles, et la prolifération de certaines d'entre elles mettent en péril les écosystèmes jusque-là peu perturbés et très vulnérables. Je mentionnerai pour mémoire l'arbre du goyavier, considéré comme une véritable « peste végétale ». Arrivée à La Réunion il y a deux cents ans, la plante recouvre depuis les zones humides et jusqu'à 40 % de certaines parties de l'île.

L'ensemble de ces menaces (invasions biologiques, braconnage et surexploitation, fréquentation accrue, défrichement, pollutions) requiert des réglementations à parfaire, à mieux faire appliquer, mais aussi un changement radical des comportements à opérer.

Il est grand temps que s'opère une véritable prise de conscience vis-à-vis de notre patrimoine naturel !

C'est dans le but de limiter ce processus de dégradation qu'a été créée la Réserve naturelle marine, pour protéger 35 km 2 de récif sur le littoral, englobant ainsi tous les lagons de l'île, à part celui de Saint-Pierre.

La stratégie nationale des aires protégées, adoptée en janvier 2021 pour dix ans, prévoit aussi de protéger 30 % du territoire, dont un tiers en protection forte.

L'enjeu actuel de La Réunion est donc de construire un modèle de développement permettant d'assurer la survie de ces récifs extrêmement vulnérables et sensibles, exposés aux pressions humaines exercées par 35 % de la population ultramarine française sur seulement 0,02 % des surfaces coralliennes nationales !

L'exemple de la mangrove de Mayotte est tout aussi éclairant. On connaît les bénéfices écosystémiques de la mangrove, qui permet de filtrer la boue et les sédiments, surtout en période de saison des pluies et d'éviter l'envasement du lagon et de la barrière de corail.

Je laisserai à mon collègue Thani Mohamed Soilihi le soin d'évoquer la protection du lagon exceptionnel de Mayotte.

Mais la disparition de la mangrove dans certains secteurs côtiers constitue un risque pour les infrastructures littorales, qui se retrouvent alors en première ligne. En absorbant une partie des polluants, la mangrove et les autres zones humides littorales contribuent aussi à la bonne santé des milieux aquatiques avoisinants. Sa préservation est donc en elle-même un facteur de développement !

Voici les éléments introductifs que je voulais formuler en préambule de cette table ronde. À présent, place donc à nos intervenants avec tous mes encouragements pour vos travaux qui appellent à une forte mobilisation au service de notre bien commun : la terre. »

Stéphane ARTANO,

Modérateur,
Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Stéphane Artano est sénateur RDSE de Saint-Pierre-et-Miquelon depuis septembre 2017. Il est titulaire d'une Maîtrise en carrière judiciaire et sciences criminelles, d'une maîtrise de droit privé, et d'un DES en gestion de patrimoine.

Depuis 2005, il est engagé dans la vie politique locale : Président du mouvement politique local « Archipel Demain » (septembre 2005) ; suppléant du député Gérard Grignon (apparenté UMP ) (2002) qui remporte les élections au conseil territorial de l'archipel (2006 et 2007). En 2016 il est élu président de l'Organisation de Pêche de l'Atlantique Nord-Ouest (OPANO).

À la suite des élections sénatoriales de 2017, il est élu sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon. Il est toujours conseiller territorial et président du Conseil territorial des jeunes. Il est également membre de la commission des affaires sociales du Sénat 1 ( * ) , vice-président du groupe d'étude numérique, vice-président du groupe d'amitié France/Canada et membre du groupe d'amitié France/Québec.

Il préside depuis décembre 2020 la Délégation sénatoriale aux outre-mer.

Mesdames et Messieurs,

Pour la première table ronde sur « des biodiversités exceptionnelles : une source de développement à protéger », vont intervenir successivement :

- Mme Karine Pothin, directrice de la Réserve marine de l'île de La Réunion et docteur en écologie marine ;

- M. Michel Charpentier, président de l'association des Naturalistes de Mayotte ;

- M. Vincent Boullet, président du Conseil scientifique du Conservatoire botanique national de Mascarin ;

- M. Vincent Ridoux, professeur à l'Université de La Rochelle, chercheur à l'Observatoire Pelagis ;

- Mme Viviane Artigalas, sénatrice des Hautes-Pyrénées et membre du groupe d'études du Sénat sur l'Arctique, l'Antarctique et les Terres australes ;

- Mme Vivette Lopez, sénatrice du Gard et membre du groupe d'études du Sénat sur l'Arctique, l'Antarctique et les Terres australes.

Karine POTHIN,

Directrice de la Réserve naturelle marine de La Réunion

« Aire marine protégée : outil de développement du territoire - le cas de la Réserve naturelle marine de La Réunion »

Propos de présentation de M. Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Docteur en écologie marine, Mme Karine Pothin a travaillé en bureau d'études, puis comme chargée d'enseignement à l'Université de La Réunion. Depuis 2008, elle a occupé différentes fonctions à la Réserve marine de La Réunion : chargée de mission pour la rédaction du 1 er plan de gestion, responsable scientifique, directrice adjointe puis directrice depuis 2015.

Elle est également membre du Comité national de la biodiversité, du Forum des aires marines protégées, de la Western Indian Ocean Marine Science Association (WIOMSA) et du réseau des Aires Marines Protégées de la zone sud-ouest Océan Indien (WIOMPAN).

Bonjour à tous,

Je suis très heureuse de vous présenter un sujet qui m'est cher, la Réserve nationale marine de La Réunion et son lien avec l'économie bleue et le tourisme durable.

La Réserve naturelle marine de La Réunion a été créée en 2007. C'est une réserve nationale qui a pour périmètre géographique les côtes ouest et sud-ouest de l'île. C'est une réserve essentiellement marine, qui a pour objet de protéger les récifs frangeants coralliens de La Réunion et les écosystèmes associés. Cette protection a été confiée à un groupement d'intérêt public composé de 16 agents. Cette réserve marine est le siège d'un grand nombre d'usages et d'une forte fréquentation. En effet, La Réunion a vécu un fort développement démographique et une forte colonisation littorale. Cet espace est également confronté à une problématique de bassin-versant, puisque c'est une île haute. Tous les usages en amont de la réserve marine (agricoles, urbains, industriels) ont un impact, en aval, sur les récifs coralliens.

Notre caractère de groupement d'intérêt public, parallèlement à celui de réserve nationale, nous permet de bénéficier d'une forte implication des collectivités locales (Conseil régional, Conseil départemental, Intercommunalité des communes de l'Ouest, Saint-Paul, Trois-Bassins, Saint-Leu, Les Avirons et L'Étang-Salé).

Cette réserve naturelle marine s'étend sur 40 kilomètres de long et sur 3 500 hectares. Elle a comme enjeux forts le braconnage, la sensibilisation, l'amélioration des connaissances et des phénomènes climatiques qui peuvent notamment conduire à des phénomènes de blanchissement corallien.

L'équipe gestionnaire a trois missions principales : la sensibilisation et l'éducation à l'environnement, la surveillance, puisque cet espace est protégé et les usages réglementés, et une mission scientifique d'amélioration des connaissances. Nous suivons en effet l'état de santé et l'évolution des récifs coralliens.

La biodiversité est exceptionnelle, avec plus de 180 espèces de coraux durs, plus de 70 espèces d'éponges, plus de 1 000 espèces de poissons, plus de 1 000 espèces de mollusques, 659 espèces de crustacés et 200 espèces d'échinodermes, soit plus de 3 600 espèces recensées. Mais, comme vous le savez, il nous reste encore beaucoup d'espèces à découvrir.

Cette biodiversité marine exceptionnelle sur ce petit périmètre doit être préservée. Il y a au sein de la réserve des usages directs et indirects, des usages extractifs comme la pêche, des usages balnéaires ou nautiques et tous les usages littoraux et du bassin-versant. Ils ont tous un impact sur la biodiversité. En plus des activités humaines, la réserve est également confrontée, dans le contexte de changement climatique, à des phénomènes naturels comme les cyclones, les hautes marées ou l'augmentation de la température de l'eau. Nous pouvons donc observer différentes problématiques comme la perte de biodiversité, l'érosion des plages ou encore la diminution des stocks halieutiques.

Les récifs coralliens apportent au territoire une forte valeur économique, estimée à 49 millions d'euros par an, dont 28 millions d'euros pour le secteur du tourisme et des loisirs, 12 millions au titre de la protection côtière contre la houle et près de 9 millions au titre de la pêche, qu'elle soit récréative, professionnelle ou vivrière. Ces récifs doivent être protégés tout en veillant au développement durable des activités qui génèrent des emplois. Cela ne peut se faire qu'avec l'implication forte des citoyens et des usagers.

Parallèlement à ses trois missions principales, la Réserve marine souhaite donc s'intégrer au territoire, notamment au niveau du développement touristique de l'île. Nous participons ainsi à l'élaboration du schéma touristique régional et à un certain nombre d'évènements qui permettent de valoriser et de mettre en lumière l'économie bleue, comme le Festival d'images sous-marines ou encore le Salon du tourisme. Nous avons aussi des conventions de partenariat avec l'île de La Réunion Tourisme, avec l'Office de tourisme de l'Ouest et nous faisons partie du Club du tourisme.

Nous avons également travaillé avec des professionnels du tourisme pour monter une commission « Tourisme et développement durable » pour la mise en place de produits écotouristiques. Nous envisageons aussi de mettre en place une marque « Réserve », peut-être en collaboration avec la Réserve de l'étang de Saint-Paul.

Nous avons également un produit écotouristique car nous gérons le sentier sous-marin qui permet de sensibiliser 1 400 personnes par an, des scolaires, des touristes et des Réunionnais. Depuis la création de la Réserve marine, plus de 23 000 personnes ont ainsi suivi la visite guidée.

Nous participons aussi à des programmes locaux qui ont trait à l'économie bleue, comme le programme Océan Metiss piloté par la Région Réunion ou la mise en place du label Odyssea pilotée par l'intercommunalité des communes de l'Ouest.

Enfin, nous sommes également intervenus dans deux séminaires internationaux liés à l'économie bleue, au Sri Lanka en 2018 et au Mozambique en 2019, pour présenter notre Réserve marine.

Un autre point important est que les usagers souhaitent s'impliquer de plus en plus dans la gestion et la protection des récifs coralliens. Ainsi, dans le cadre du deuxième plan de gestion qui couvre la période 2021-2030, nous avons construit, avec près de 170 participants, le plan d'actions de la Réserve marine. Une commission « Tourisme et développement durable » a été mise en place et nous envisageons la création d'un forum citoyen pour échanger sur les ajustements de notre gestion. Nous réfléchissons à la mise en place d'ambassadeurs bénévoles pour nous accompagner au quotidien dans cette gestion et cette protection. Enfin, nous souhaitons nous appuyer sur un Conseil des Sages composé d'anciens pêcheurs et d'anciens usagers, qui pourraient nous éclairer par leur expérience et leur connaissance du territoire.

Une aire marine protégée doit donc être intégrée dans le territoire. Comme nous l'a rappelé le Président Gérard Larcher, il faut cesser d'opposer protection d'un patrimoine naturel et développement économique. L'équipe gestionnaire doit être innovante, impliquée, force de proposition et suivre le mouvement du développement économique, en accompagnant les acteurs qui veulent mettre en place des projets de développement. Elle doit aussi travailler au quotidien et en proximité avec les citoyens. Ce modèle qui allie le développement économique, culturel et social, la protection des récifs coralliens et une plus grande proximité avec les citoyens permettra une meilleure appropriation des usagers concernant la protection des récifs coralliens et donc forcément une protection plus efficace.

Michel CHARPENTIER,

Président de l'association des Naturalistes de Mayotte

« La mangrove de Mayotte et ses bénéfices écosystémiques »

Propos de présentation de M. Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

M. Michel Charpentier préside l'association des Naturalistes depuis son installation à Mayotte, il y a 17 ans. C'est une association active dans tous les domaines de l'environnement, de la biodiversité au changement climatique sans oublier les déchets et la pollution. Elle regroupe un millier d'adhérents et une vingtaine de salariés.

Bonjour à tous,

Mayotte est l'un des plus petits territoires de l'outre-mer français, avec 374 km 2 , mais c'est aussi le plus densément peuplé avec plus de 700 habitants au km 2 . L'INSEE prévoit, à l'horizon de 2050, une très forte augmentation de la population et une densité oscillant entre 1 200 et 2 200 habitants au km 2 . Par ailleurs, cette population est très présente sur le littoral qui concentre aussi les menaces naturelles et anthropiques mettant en danger les populations : inondations, submersions marines, glissements de terrain, pollution, accumulation de déchets. Le littoral est donc un enjeu environnemental et sociétal à Mayotte.

Dans cette petite île surpeuplée au relief accidenté, les mangroves et les arrières mangroves offrent un espace plat, convoité pour les aménagements collectifs, l'extension de l'urbanisation ou l'urbanisation informelle. À l'interface terre-mer, les 700 hectares de mangrove qui bordent 26 % du linéaire côtier sont globalement en régression.

Une étude de l'ONF indique que la superficie totale de la mangrove a chuté de 20 % depuis 1980. En effet, au cours des dernières décennies, divers aménagements ont été réalisés au détriment des mangroves et des arrière-mangroves, particulièrement en zone urbaine.

Malgré l'énorme progression démographique qui tend à accaparer ces espaces, la préservation et même l'extension de ces espaces constitueraient un avantage précieux pour la société. Comme le disait le Directeur général de l'OFB, protéger la biodiversité, c'est aussi protéger les habitants.

Protection du littoral

Sur la protection du littoral, dans une étude publiée en 2019, Matthieu Jeanson a démontré, sur un site de Mayotte, que les palétuviers de la mangrove dissipaient jusqu'à 70 % de l'énergie de la houle, sur une bande de mangrove d'une centaine de mètres de largeur, grâce notamment à l'ensemble du réseau racinaire. L'absence ou la suppression de la mangrove favorise malheureusement la fragilité du littoral et des populations résidentes face aux éléments naturels.

Je souligne également le rôle protecteur et souvent méconnu des arrière-mangroves, dont il ne reste aujourd'hui que moins de 200 hectares. Zone de transition entre la mangrove et la terre ferme, les arrière-mangroves ne sont généralement touchées que par des aléas exceptionnels. Elles constituent une zone d'expansion des crues, des marées exceptionnelles, de la houle cyclonique voire de potentiels tsunamis. Ces phénomènes sont rares mais très destructeurs et nous savons qu'avec le changement climatique ils risquent de devenir plus fréquents et plus violents.

Ces arrière-mangroves ont connu au cours des dernières décennies une régression encore plus rapide que les mangroves. Elles ont souvent été déforestées, transformées en cultures ou pâturages ou remblayées pour des aménagements privés ou collectifs. C'est souvent aussi une zone d'habitat informel.

Filtration et stockage des sédiments qui proviennent des bassins-versants

La très forte progression démographique accroît des besoins d'espace pour l'agriculture et pour l'urbanisation dans des conditions qui ne sont pas toujours respectueuses de la protection des sols. Avec des pentes fortes et des pluies abondantes l'érosion devient très importante.

Le projet Leselam (Lutte contre l'érosion des sols et l'envasement du lagon) porté par le BRGM et les naturalistes de Mayotte travaille depuis plusieurs années sur l'érosion des sols. Globalement, l'étude estime que la masse de sédiments dégagée par l'érosion est de l'ordre de 20 000 tonnes par an. Ces sédiments s'acheminent ensuite par les eaux courantes jusqu'au littoral. Là où elles existent, les mangroves contribuent à piéger sur place les apports sédimentaires. La mangrove de Mayotte stockerait 12 millions de mètres cubes de sédiments, ce qui représenterait, en l'absence de stockage, une couche de 25 centimètres de vase sur tous les récifs frangeants de l'île.

Rôle épurateur

Dans un pays dont 80 % des habitants ne sont pas raccordés à un réseau de l'assainissement, il était intéressant de tester la capacité d'épuration de la mangrove. Dans un village du sud de l'île, le CNRS a mené une expérience visant à étudier la capacité d'épuration de la mangrove sur les eaux usées, préalablement décantées. Les résultats sont encourageants et confirment que la mangrove possède une aptitude à dépolluer.

Foyer de biodiversité

Compte tenu des contraintes spécifiques au milieu, la diversité des espèces végétales est limitée à sept espèces de palétuviers mais la production de litière est importante. Elle est estimée 6,5 tonnes par an et par hectare. Outre les feuilles de palétuviers qui sont décomposées par les crabes et autres détritivores, les sédiments provenant des bassins-versants sont chargés de matière organique.

Pour la faune, la mangrove présente l'avantage d'être à la fois une zone de refuge, de reproduction et de nourrissage. Elle offre en effet d'importantes capacités nutritives ainsi qu'un espace de protection, relativement à l'abri des prédateurs, notamment grâce au réseau racinaire des palétuviers. Ces avantages favorisent la fréquentation d'un grand nombre d'animaux marins. Certains y vivent à demeure, d'autres n'y passent qu'une phase de leur existence. La mangrove joue ainsi le rôle de nurserie pour les poissons du lagon.

Un réservoir de carbone

Comme toute forêt, les palétuviers de la mangrove apportent leur contribution au stockage du CO 2 , estimé à une quarantaine de tonnes par hectare et par an. Cette capacité de stockage est augmentée par le carbone enfoui dans les sédiments qui représenterait 7 tonnes par hectare et par an.

Tous ces services procurés par les mangroves et arrières mangroves sont précieux pour les populations littorales et pour les équilibres écologiques du lagon. Il importe donc de protéger ces écosystèmes, tout spécialement les mangroves urbaines et les arrière-mangroves particulièrement menacées.

La Mangrove (c) Squadrelli, Naturalistes Mayotte

Vincent BOULLET,

Président du Conseil scientifique du Conservatoire
botanique national du Mascarin

« La Réunion, un patrimoine mondial de biodiversité entre invasions biologiques et innovations économiques »

Propos de présentation de M. Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

M. Vincent Boullet a été directeur ou directeur scientifique de plusieurs Conservatoires botaniques nationaux (Bailleul, Massif central, Mascarin) entre 1990 et 2014. Il fut également cofondateur et président du Conservatoire d'espaces naturels de Picardie de 1991 à 2000. Depuis 2009, il est membre du Conseil national de protection de la nature et ancien Président de son Comité permanent.

Bonjour à tous,

Le patrimoine mondial de biodiversité de La Réunion, entre invasions biologiques et innovations économique, est un défi pour La Réunion, la France et la planète.

Le caractère exceptionnel et unique de la biodiversité de l'île de La Réunion est aujourd'hui bien connu depuis l'inscription en 2010 de près d'un tiers de l'île au patrimoine mondial de l'humanité, comme bien naturel pour les critères de biodiversité et de paysages naturels, soit la quasi-totalité du coeur du Parc national de La Réunion.

Pour résumer le caractère unique de La Réunion et sa valeur universelle exceptionnelle, cinq mots suffisent : La Réunion est une île, tropicale, océanique, altimontaine, afro-indienne.

Une île, c'est une évidence. Tropicale, puisque nous sommes dans la zone intertropicale. Océanique parce que volcanique et surgit des profondeurs de l'océan sans aucun héritage de matériaux continentaux. Vous connaissez tous l'activité régulière et spectaculaire du volcan de la Fournaise adossé au volcan bien plus ancien et éteint du Piton des neiges. C'est un moteur volcanique d'habitats naturels, associé à une érosion puissante et violente à l'origine des cirques, des remparts et des ravines profondes qui offrent ces paysages si spectaculaires et si diversifiés. C'est aussi un moteur altitudinal culminant à plus de 3 000 mètres, distribuant les pluies au vent et sous le vent des alizés, offrant un long gradient thermique du battant des lames au sommet des montagnes, de l'étage littoral à la base de l'étage alpin, le tout sur une distance de 20 kilomètres.

La Réunion, dont on connaît les records mondiaux de pluie, est en matière de biodiversité l'île tropicale océanique de tous les records bioclimatiques. Trois des cinq grands bioclimats tropicaux du monde (pluvial, pluviosaisonnier, xérique) sont représentés. Au niveau des températures, elle réunit quatre des sept thermoclimats tropicaux et côté pluie six des neuf ombroclimats tropicaux.

Tous ces éléments donnent à cette île une offre d'habitats naturels hors norme. Cette offre entretient une fabrique de biodiversité particulièrement productive et aux principales origines métissées afro-indiennes. Une île est presque toujours une fabrique de biodiversité. Son efficience dépend de l'âge de l'île, de sa taille et de son offre d'habitats. L'isolement insulaire active les processus biologiques évolutifs et notamment les adaptations biologiques et écologiques, la spéciation et l'endémicité. La flore est un bon indicateur de cette fabrique de biodiversité. Avec l'île-soeur de Maurice, La Réunion est un centre mondial de diversité pour les plantes. 58 % des plantes à fleurs de La Réunion, soit 347 espèces sont endémiques, dont 219 (37 %) sont endémiques strictes de La Réunion.

Deux processus majeurs alimentent cette fabrique de biodiversité. D'une part une immigration depuis Madagascar et l'Afrique, que soulignent les profondes affinités afro-malgaches de la flore vasculaire de La Réunion. Le couple Afrique/Madagascar-Réunion propose ainsi un modèle continent/île exemplaire et démonstratif des processus de diversification du vivant, un peu à la manière de l'archipel des Galápagos. D'autre part, le second processus a une origine lointaine à caractère indopacifique, dont témoigne la part relativement élevée des origines orientales de sa flore endémique. L'origine lointaine de ces éléments orientaux, les côtes australiennes sont par exemple à près de 5 000 kilomètres de La Réunion, se traduit par une spéciation rapide compte tenu du grand éloignement des populations mères. À l'extrême ouest de la région indopacifique, La Réunion fonctionne, pour le contingent de plantes provenant de ces régions, à la manière d'une île océanique très isolée, un peu comme l'archipel d'Hawaï. Ce double modèle d'immigration que nous qualifierons d'afro-indien est sans doute une marque de fabrique originale du modèle biologique insulaire océanique de La Réunion. En résumé, La Réunion c'est à la fois les Galápagos et Hawaï et cela n'aurait sans doute pas déplu à Charles Darwin !

Que reste-t-il aujourd'hui de cette offre hors normes d'habitats et de cette fabrique si productive de biodiversité depuis les premières installations humaines au XVII e siècle ? Pendant plus de trois siècles et demi, l'altération ou la destruction directe par les activités anthropiques, agricoles et forestières des habitats naturels primaires ont été les processus les plus destructeurs de la biodiversité originelle de l'île. Ces processus sont aujourd'hui ralentis sous l'action conjuguée d'une politique volontariste de préservation des habitats indigènes et de gestion conservatoire de la biodiversité indigène. Le statut de parc national, avec l'obligation légale de développer une charte entre toutes les parties prenantes du territoire, garantit en théorie sur le long terme les bonnes pratiques de protection et de gestion de son territoire.

En 2010, lors de l'inscription du coeur du Parc national au patrimoine mondial de l'Unesco, il subsistait environ un tiers de milieux naturels plus ou moins intacts, correspondant essentiellement aux ceintures mésothermes et altimontaines d'habitats naturels, écosystèmes dont la dimension spatiale et la complétude de milieux ont motivé l'inscription au patrimoine mondial. Au moment de cette inscription, la menace majeure pesant sur ce tiers restant était celle des espèces exotiques envahissantes, la faune invasive (rats, chats, etc.) mais surtout la flore exotique introduite à l'origine des invasions végétales qui interfèrent avec le fonctionnement des végétations indigènes, pouvant aller jusqu'à une destruction complète des habitats et des forêts primaires.

Depuis 2010, la progression des invasions végétales s'est poursuivie dans divers secteurs, affectant sensiblement et de manière croissante les valeurs du bien. Les incendies de 2010 et de 2011 et récemment 2020 des Hauts de l'ouest de l'île ont encore aggravé la situation. Dans le cadre de son horizon du patrimoine mondial, l'Union internationale de conservation de la nature a tiré la sonnette d'alarme en 2017, en déclassant le bien du patrimoine mondial en situation de forte menace, situation maintenue en 2020. Un courrier de l'UICN en mars 2018 au ministre Nicolas Hulot alertait notamment sur l'insuffisance de moyens dédiés à la lutte et au contrôle des espèces exotiques envahissantes, sur une prise de conscience nécessaire face à l'ampleur de la situation d'invasion et de sa progression.

Des progrès ont suivi cette alerte avec une mobilisation accrue du département de La Réunion et du Parc national, permettant pour la première fois d'établir un état et une carte des invasions et de proposer une nouvelle stratégie de lutte contre les invasions et des priorités d'action. À l'inverse, l'absence actuelle de la majorité des plantes les plus envahissantes du bien dans la réglementation des espèces exotiques envahissantes de La Réunion en réponse au règlement européen et les justifications apportées de potentiel économique en sont un fâcheux contre-exemple. La tâche est telle qu'il faut clairement envisager d'abandonner une partie du bien aux invasions et se consacrer sur les fronts d'invasions et les zones encore restaurables.

Cependant, sans moyens financiers et humains nouveaux et face à l'accélération des invasions dans certaines parties du bien, cela relève d'une mission quasi impossible, dont les coûts élevés dépassent la capacité de financement public. Que faire, si ce n'est innover et changer de paradigme ?

Les invasions végétales à La Réunion ne doivent pas être uniquement une charge pour la société, mais au contraire une ressource à la fois économique et sociale permettant de financer la lutte et le contrôle des invasions jusqu'à leur maîtrise. Ce nouveau paradigme fait suite à une réflexion demandée en 2015 par la région Réunion sur le potentiel de valorisation énergétique des plantes invasives. La masse végétale exotique constitue une biomasse considérable que l'on peut aujourd'hui aisément transformer en ressources énergétiques, finançant à la fois sa récolte et sa transformation et permettant de développer l'emploi pour la lutte contre les invasions. Il ne s'agit pas non plus de créer une filière d'exploitation de plantes invasives qui se traduirait par leur maintien voire leur expansion. La stratégie proposée est de développer la valorisation des déchets verts urbains de La Réunion (aujourd'hui peu utilisés) en biomasse énergie et de profiter de cette filière pour écouler les produits de lutte contre les plantes invasives jusqu'à épuisement du stock. Soit sans doute dans plus d'une centaine d'années...

Parmi les pistes envisageables, celle de la transformation de la biomasse invasive en pellets, grâce à un procédé d'hypercompression au bilan carbone neutre permettant de sécher la biomasse avec seulement 30 % de matière ligneuse, est la plus adaptée. Elle peut se faire sur place grâce à de petites unités mobiles. Cette technique d'hypercompression a notamment été développée en France par le département des Côtes-d'Armor et diverses agglomérations, comme celle d'Antibes. L'une d'elles a reçu le prix de l'innovation pour le développement durable.

Malheureusement, les démarches pour mettre en place ce nouveau paradigme de lutte contre les invasions et d'innovation économique à La Réunion se heurtent à de nombreux freins et n'arrivent pas encore à émerger. Pendant ce temps, les invasions progressent et le patrimoine de biodiversité si exceptionnel de La Réunion continue de s'amenuiser.

Pitons, cirques et remparts de l'ile de la Réunion (c) Hervé Douris

Vincent RIDOUX,

Professeur à l'Université de La Rochelle, chercheur à l'Observatoire Pelagis

« Le Canal du Mozambique, point chaud de biodiversité
de la mégafaune marine tropicale »

Propos de présentation de M. Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

M. Vincent Ridoux effectue des travaux de recherche qui portent sur l'écologie des oiseaux et mammifères marins et sur leur conservation. Ses travaux concernent l'étude des ressources alimentaires et des habitats utilisés par ces prédateurs marins et celle des interactions avec les activités humaines en mer. Cette orientation générale de recherche l'a amené à participer à de nombreux groupes de travail internationaux à l'interface entre sciences et politiques publiques de conservation du milieu marin.

Bonjour à tous,

J'ai le plaisir de vous présenter la valeur biologique exceptionnelle du canal du Mozambique pour les mammifères marins. Ce travail a été réalisé par l'Observatoire Pelagis pour le compte de l'Office français de la biodiversité (OFB) et du ministère la transition écologique.

Les motivations pour l'acquisition de connaissances et la conservation des mammifères marins sont multiples. Il existe des motivations générales, puisque ce sont des espèces emblématiques, parapluies ou sentinelles. Il y a aussi des motivations plus spécifiques, plus techniques, parce que ces espèces ont subi et continuent de subir un certain nombre de pressions d'origine humaine. Ces espèces ont par ailleurs une résilience faible, donc une capacité assez lente à se régénérer quand la population a été détériorée. Il existe également des motivations réglementaires. Le droit international, communautaire ou national prévoit le suivi et l'évaluation de l'état de conservation de ces espèces. Il y a aussi des motivations de souveraineté puisque l'acquisition de connaissances, la conservation et la gestion durable des espaces maritimes lointains sont une forme d'expression de la souveraineté française dans ces secteurs. Enfin, les enjeux scientifiques sont principalement la connaissance de l'abondance, la distribution et le déficit de données des régions tropicales.

Dans ce domaine, la France a un rôle particulier à jouer et une responsabilité mondiale du fait de l'étendue de sa zone économique exclusive, notamment dans l'outre-mer tropical. Dans ce cadre, le programme REMMOA (Recensement de la mégafaune marine par observation aérienne), mis en place par l'Agence des aires marines protégées qui est devenue un des éléments de l'OFB, avait pour but de cartographier la distribution de la mégafaune marine (mammifères, oiseaux, tortues) dans les outre-mer tropicaux français et si nécessaire dans les régions voisines. Cette cartographie permet d'identifier les principales zones d'intérêts biologiques et d'enjeux de conservation, d'établir un état initial pour un suivi ultérieur des effets du changement global et de mieux connaître les écosystèmes marins du large.

Les campagnes REMMOA s'appuient sur un protocole multispécifique, qui échantillonne les mammifères marins, les oiseaux, les tortues, les requins mais aussi les activités humaines, comme le trafic maritime, l'activité de pêche et les macrodéchets flottant en mer. Elles ont été déployées dans quatre régions océaniques : la région Antilles/Guyane dans l'Atlantique, dans le sud-ouest de l'océan Indien, en Polynésie et dans le sud-ouest du Pacifique. Nous utilisons une méthodologie standardisée, des transects linéaires réalisés en avion. Au cours des différentes campagnes, près de 68 000 observations ont été collectées, dont 2 300 de mammifères marins.

Dans le sud-ouest de l'océan Indien, sept secteurs ont été échantillonnés, dont trois dans le canal du Mozambique : le nord du canal avec les Comores, Mayotte et les Glorieuses ; le centre avec Juan do Nova ; le sud avec Europa et Bassas da India. Du côté des Mascareignes, un secteur allant jusqu'à Tromelin a été étudié, un autre autour de La Réunion, un troisième autour de Maurice et un dernier dans le nord, autour des Seychelles. Ces observations ont été réalisées dans le cadre d'une coopération, sous l'égide de la Commission de l'océan Indien. Elles couvrent trois sous-régions océanographiques aux caractéristiques assez différentes. Le canal du Mozambique est caractérisé par des tourbillons qui le parcourent du nord vers le sud et qui sont une source de production biologique très importante. Comme les Seychelles au nord, c'est une zone productive très importante alors que les Mascareignes sont entourées de masses d'eaux oligotrophes, donc peu productives.

Cette productivité à l'échelle des sous-régions de l'océan Indien se traduit par les densités de prédateurs marins, que ce soit des mammifères marins, des oiseaux, des requins ou des tortues. Les plus fortes densités se situent dans le canal du Mozambique et au nord autour des Seychelles alors que les zones moins densément peuplées sont observées autour des Mascareignes.

En comparant le sud-ouest de l'océan Indien avec les trois autres régions du programme REMMOA, nous observons que le canal du Mozambique et les Seychelles sont les secteurs de plus forte densité. Cette situation est liée à l'hydrologie de cette région et à la présence de ces grands tourbillons qui sont les moteurs de la production marine. Elle a conduit à la désignation d'aires d'intérêt biologique (IMMA) particulièrement importantes pour les mammifères marins.

À l'échelle de toute la ceinture tropicale du globe, en extrapolant les données aux régions tropicales dont les caractéristiques océanographiques sont voisines de celles échantillonnées lors des campagnes REMMOA, nous constatons que les secteurs du canal de Mozambique et des Seychelles sont parmi les plus importants en termes de densité de cétacés.

Nous sommes entrés dans une phase de préparation d'une deuxième campagne sur l'ensemble de la zone de l'océan Indien pour monitorer cette mégafaune marine. Nous travaillons avec plusieurs administrations pour essayer de dépasser les différends de souveraineté de l'espace maritime. Nous souhaitons construire avec Madagascar et les autres États de la région, dans le cadre de la Commission de l'océan Indien, un projet afin d'améliorer les connaissances sur le patrimoine naturel marin, suivre les effets du changement global et produire les bases scientifiques pour un développement durable de l'économie bleue.

Enfin, les campagnes d'observation ne sont pas que des campagnes d'acquisition de données et d'études scientifiques. Elles permettent aussi de développer de multiples projets pédagogiques et les capacités scientifiques dans les territoires de la région en sensibilisant aux enjeux de la biodiversité marine au large, de la mégafaune marine et en formant des naturalistes et des scientifiques à ces sujets.

Péponocéphale - Mayotte (c) Willy Dabin Observatoire Pelagis

Viviane ARTIGALAS,

Sénatrice des Hautes-Pyrénées,
membre du groupe d'études Arctique, Antarctique et Terres australes du Sénat

« Les îles Éparses, des territoires méconnus et préservés »

Propos de présentation de M. Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

MmeViviane Artigalas est actuellement vice-présidente de la commission des affaires économiques, et membre de la Délégation sénatoriale aux outre-mer. Elle est aussi membre du Comité du massif des Pyrénées et participe à différents groupes d'études du Sénat dont celui sur l'Arctique, l'Antarctique et les Terres australes.

Bonjour à tous,

À l'heure où la lutte contre le réchauffement climatique occupe tous les esprits, il existe au coeur de l'océan Indien un patrimoine mondial préservé de toute activité économique, fait rare qui peut nous permettre de mieux comprendre et anticiper la gestion de l'évolution climatique et biologique en cours.

Les îles Éparses constituent un point de référence unique au monde dont la préservation est essentielle. Lorsque les voyages lointains étaient encore possibles, une délégation de sénateurs membres du groupe d'études « Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) » a eu l'opportunité de participer à l'automne 2019 à une tournée de souveraineté organisée conjointement par la préfète des TAAF et le général commandant la force armée de la zone sud de l'océan Indien. Cette mission nous a permis de découvrir le patrimoine naturel exceptionnel de ces îles et d'en mesurer l'importance stratégique qui justifie la présence française.

Nous avons pu visiter les îles situées dans le canal du Mozambique, dans l'archipel des Glorieuses, Juan de Nova, Europa et survoler Bassas da India. Les îles Éparses comptent également Tromelin au nord de La Réunion. Elles sont territoires d'outre-mer depuis 1955 mais la souveraineté française s'y exerce depuis 1897.

Ces îles sont importantes car elles cristallisent deux problématiques autour desquelles les relations internationales s'articulent de plus en plus : la nécessité de préserver des patrimoines naturels inviolés et les enjeux économiques mondiaux.

Les îles Éparses représentent des sanctuaires océaniques de la nature primitive qui n'ont quasiment pas connu d'occupation ni d'exploitation humaine grâce à leur isolement géographique, leur caractère insulaire et leur relative pauvreté. Elles sont ainsi devenues des refuges pour de très nombreuses espèces protégées, marines et terrestres, et représentent l'un des derniers sanctuaires de biodiversité tropicale de l'océan Indien. Leur état de naturalité, par exemple à Europa, est unique en son genre. Jusque très récemment, les îles Éparses n'ont été soumises qu'à des pressions climatiques d'origine naturelle ou à des événements cycloniques, ce qui leur confère un état de conservation unique dans l'océan Indien. Miraculeusement préservées, ces îles n'en restent pas moins au coeur d'une zone stratégique pour les échanges mondiaux, qu'il s'agisse de biens ou de personnes. L'océan Indien constitue en effet un sas entre l'Afrique de l'Est, le golfe Persique et l'Asie du Sud.

À la faveur de la mondialisation et de l'importance croissante des échanges maritimes, les îles Éparses se retrouvent donc au coeur de nombreuses convoitises et constituent un enjeu de souveraineté, de concurrence entre les États au sein du canal du Mozambique. Cependant, la Convention de la protection du patrimoine mondial culturel et naturel les identifie comme l'une des régions d'aires primaires constituant le futur du patrimoine mondial marin. Pour toutes ces raisons le maintien de la présence française dans ces îles est indispensable, non pas dans un but d'exploitation mais bien de préservation. En effet, ces territoires vierges offrent un véritable aperçu d'une nature quasiment intacte et fonctionnelle, qui permet d'établir des comparaisons avec des écosystèmes fortement anthropisés et ainsi de mieux évaluer et anticiper les conséquences de l'activité humaine sur la biodiversité et les changements climatiques.

Les îles Éparses, comme l'ensemble des TAAF, n'ont pas d'habitants permanents et notre présence est avant tout administrative et militaire. Depuis 1973, elle est opérée par les forces armées qui assurent la préservation à la fois des îles et la souveraineté de la France. L'administration des TAAF a mis en place une chaîne logistique complexe permettant de vivre en autarcie sur les îles pendant plusieurs semaines. Les détachements militaires s'emploient à réduire au maximum leur empreinte énergétique et environnementale. Le recyclage des déchets et le ramassage quotidien des macrodéchets déposés par les courants marins sont à cet égard une réussite exemplaire.

Nous ne notons que deux pistes d'amélioration pour l'autonomie des missions : l'accès à l'eau potable et l'usage des énergies renouvelables, notamment à Grande Glorieuse avec l'installation de panneaux solaires.

Dans la perspective de développer à grande échelle des énergies respectueuses de l'environnement plus économes et durables, les îles Éparses restent donc des territoires d'expérimentation particulièrement pertinents dont nous avons la responsabilité et que nous devons continuer à préserver.

Vivette LOPEZ,

Sénatrice du Gard,
membre du groupe d'études Arctique, Antarctique et Terres australes du Sénat

« Les îles Éparses, des territoires méconnus et préservés »

Propos de présentation de M. Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Membre de la commission des affaires étrangères, et du bureau de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, Mme Vivette Lopez est aussi auditrice de la 6 e session nationale « enjeux et stratégies maritimes » de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et membre du groupe d'études Arctique, Antarctique et Terres australes du Sénat. Elle est très engagée auprès du Comité national de l'Initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) et du Conservatoire national du littoral.

Bonjour à tous,

Au-delà de la conservation du patrimoine naturel, la collectivité des TAAF s'est engagée dans une vaste stratégie de développement de la recherche sur l'ensemble de son territoire. Les TAAF sont des territoires sentinelles pour la recherche du fait de leur isolement, du bon état de préservation écologique et de leur présence sur un gradient latitudinal unique dans l'hémisphère sud.

Depuis plusieurs décennies la recherche scientifique y constitue l'une des principales activités humaines et s'exerce principalement dans les domaines des sciences de la terre et de l'univers et des sciences du vivant. Cette présence scientifique confère aux TAAF un rayonnement international et constitue une source considérable de connaissances indispensables pour définir des mesures de gestion éclairée pour la protection et la préservation des espaces et des écosystèmes.

Une réflexion sur l'avenir des îles Éparses s'est ouverte le 5 octobre 2009, lors du colloque « Les îles Éparses, terres d'avenir », organisé au Sénat. Elle identifie ces territoires inhabités et historiquement préservés des impacts anthropiques comme stratégiques pour le développement d'activités de recherche. Situées au coeur du canal du Mozambique, bassin extrêmement dynamique et dont le rôle dans la régulation du climat reste très peu documenté, ces îles offrent une opportunité unique à la communauté scientifique française de se positionner sur cette thématique au niveau international.

L'ensemble de ces connaissances à vocation à être partagé à l'échelle du bassin pour guider les politiques publiques en matière de planification spatiale maritime, d'adaptation au changement climatique ou encore de préservation de la biodiversité et la gestion durable des ressources naturelles, notamment au travers des organisations et conventions régionales, dont la Convention de Nairobi.

En l'absence de compétences de l'Institut Paul-Émile Victor en milieu tropical, la collectivité des TAAF s'est tournée vers les acteurs nationaux concernés, afin d'établir un cadre de recherche répondant aux attentes de l'État en matière de développement de la recherche. Un consortium de recherche a été mis en place pour la période 2011-2013 puis plus récemment pour la période 2017-2020, rassemblant plusieurs des grands instituts de recherche français, le CNRS, IFREMER, l'IRD, l'OFB mais aussi l'université de La Réunion et le centre universitaire de Mayotte pour garantir son ancrage régional.

Cette initiative portée et coordonnée par l'État a permis de signer un accord de consortium en août 2017 et de financer 14 projets de recherche pluridisciplinaires à hauteur de 545 000 euros. Au-delà du soutien apporté pour renforcer les activités de recherche sur les îles Éparses, les membres du consortium partagent la volonté que ce programme puisse être moteur dans le développement de coopérations régionales. Ainsi, parmi les 14 projets lauréats sur la période 2017-2020, cinq sont menés en collaboration avec des pays étrangers de la zone de l'océan Indien : Mozambique, Seychelles et Madagascar.

Depuis 2011, ce consortium a permis la réalisation de plus de 150 missions de terrain sur les îles Éparses, dont deux campagnes pluridisciplinaires réalisées sur le Marion Dufresne, navire français qui assure le ravitaillement des TAAF. Les TAAF ont assuré le soutien administratif, logistique et technique en lien avec le ministère des Armées. Le consortium a publié plus de 70 articles dans des revues internationales. Les résultats ont permis de confirmer le statut de référence des îles Éparses, au regard de leur exceptionnelle biodiversité et de leur faible anthropisation.

Le 23 octobre 2019, le président de la République en visite aux Glorieuses a annoncé sa volonté d'y créer une réserve naturelle nationale et de renforcer la présence scientifique en installant une station scientifique pour développer la recherche autour des enjeux de la biodiversité et du climat. Ces engagements ont été précisés lors d'une réunion interministérielle le 29 novembre 2019.

Parallèlement, une réflexion est engagée sur le renouvellement du consortium de recherche des îles Éparses pour la période 2021-2024. Une note de cadrage a été transmise à cet effet par les TAAF aux partenaires institutionnels le 24 juin 2020.

Pour conclure, je remercie l'ancien président de la délégation, Michel Magras, que j'ai grand plaisir à retrouver et notre président actuel, Stéphane Artano, pour la confiance qu'il m'accorde au sein de la délégation. Je tiens également à remercier Cédric Marteau, l'ancien directeur de la réserve naturelle des TAAF, aujourd'hui directeur du pôle de la protection de la nature, qui m'a été d'une aide précieuse dans mes recherches.

(c)TAFF

Projection d'une vidéo sur l'exposition Outre-mer grandeur nature , organisée sur les grilles du Jardin du Luxembourg de septembre 2020 à janvier 2021.

(c)Stéphanie Légeron/Îles Kerguelen


* 1 En 2019, il a cosigné un rapport d'information sur la santé au travail « Pour un service universel de santé au travail ». Il est co-rapporteur au Sénat de la proposition de loi visant à renforcer la prévention en santé au travail.

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