Rapport d'information n° 607 (2020-2021) de M. Jérôme BASCHER , fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 mai 2021
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AVANT-PROPOS
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L'ESSENTIEL
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PREMIÈRE PARTIE
LA SYNDICATION, UNE TECHNIQUE MINORITAIRE MAIS INDISPENSABLE POUR PLACER LA DETTE DE L'ÉTAT
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I. LA SYNDICATION, UNE TECHNIQUE D'ÉMISSION
DE TITRES MINORITAIRE QUI SE DISTINGUE PAR UN ÉCHANGE DIRECT ENTRE
L'ÉMETTEUR ET LES INVESTISSEURS FINAUX
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A. LA SYNDICATION CORRESPOND À UN ENGAGEMENT
PRÉCIS ENTRE L'AGENCE FRANCE TRÉSOR ET LES SPÉCIALISTES EN
VALEUR DU TRÉSOR, REGROUPÉS EN UN SYNDICAT
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1. Les deux techniques d'émission de la
dette publique : l'adjudication et la syndication
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2. Un cadre juridique commun
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3. Principes et fonctionnement d'une
syndication
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a) La syndication : une confrontation directe
de l'offre et de la demande
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b) Organiser une syndication (1) : la date,
une dimension d'opportunité
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c) Organiser une syndication (2) : la
constitution du syndicat bancaire
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(1) Le choix des chefs de file du syndicat
bancaire
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(2) Les spécialistes en valeur du
Trésor : un rôle de garant
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d) Les syndications opérées en
2021 : de très bons résultats
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a) La syndication : une confrontation directe
de l'offre et de la demande
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1. Les deux techniques d'émission de la
dette publique : l'adjudication et la syndication
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B. AUPARAVANT MAJORITAIRES, LES SYNDICATIONS SONT
DEVENUES MINORITAIRES POUR L'ÉMISSION DES TITRES DE LA DETTE DE
L'ÉTAT À COMPTER DES ANNÉES 1980
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A. LA SYNDICATION CORRESPOND À UN ENGAGEMENT
PRÉCIS ENTRE L'AGENCE FRANCE TRÉSOR ET LES SPÉCIALISTES EN
VALEUR DU TRÉSOR, REGROUPÉS EN UN SYNDICAT
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II. LA SYNDICATION, UNE TECHNIQUE D'ÉMISSION
PERTINENTE POUR LE LANCEMENT DE PRODUITS INNOVANTS ET DE TITRES SUR LES
SEGMENTS MOINS PROFONDS DE MARCHÉ, MAIS ÉGALEMENT
MOBILISÉE POUR RÉPONDRE À LA CRISE
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I. LA SYNDICATION, UNE TECHNIQUE D'ÉMISSION
DE TITRES MINORITAIRE QUI SE DISTINGUE PAR UN ÉCHANGE DIRECT ENTRE
L'ÉMETTEUR ET LES INVESTISSEURS FINAUX
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SECONDE PARTIE
LES PRODUITS ÉMIS PAR SYNDICATION NE PEUVENT CONSTITUER UNE SOLUTION « MIRACLE » À LA HAUSSE DE LA DETTE PUBLIQUE
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I. LA SYNDICATION, UNE TECHNIQUE D'ÉMISSION
QUI DOIT RESTER MINORITAIRE ET RÉSERVÉE AU LANCEMENT DE PRODUITS
INNOVANTS OU DE TITRES DE TRÈS LONG-TERME
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A. PLUS ADAPTÉES POUR LANCER DES PRODUITS
PARTICULIERS, LES SYNDICATIONS REPRÉSENTENT TOUTEFOIS UNE SOURCE
D'INCERTITUDES ET DE CONTRAINTES PLUS FORTES QUE LES ADJUDICATIONS
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1. Un rapport de force et une négociation
en situation d'informations imparfaites et incomplètes
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2. Une prime d'émission pour les
investisseurs
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3. L'absence d'un calendrier
prédéterminé
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4. Des opérations chronophages
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5. Les adjudications, un processus
éprouvé qui demeure le plus adapté pour la très
grande majorité des émissions françaises
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1. Un rapport de force et une négociation
en situation d'informations imparfaites et incomplètes
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B. LA RÉMUNÉRATION DES
SPÉCIALISTES EN VALEUR DU TRÉSOR DANS LE CADRE DES SYNDICATIONS
EST ADAPTÉE À LEUR RÔLE ET DOIT TENIR COMPTE DES AVANTAGES
QUI DEMEURENT ATTACHÉS À CE STATUT
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A. PLUS ADAPTÉES POUR LANCER DES PRODUITS
PARTICULIERS, LES SYNDICATIONS REPRÉSENTENT TOUTEFOIS UNE SOURCE
D'INCERTITUDES ET DE CONTRAINTES PLUS FORTES QUE LES ADJUDICATIONS
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II. LES ÉMISSIONS DE TRÈS LONG TERME
ET DE PRODUITS INNOVANTS, PAR LE BIAIS DES SYNDICATIONS, NE PEUVENT ÊTRE
CONSIDÉRÉES COMME UN REMÈDE À LA HAUSSE DE
L'ENDETTEMENT PUBLIC
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A. ALLONGER LA MATURITÉ DE LA DETTE POUR
PROFITER DES TAUX FAIBLES À TRÈS LONG TERME RISQUERAIT DE NUIRE
À LA LIQUIDITÉ ET À LA QUALITÉ DE LA DETTE
FRANÇAISE
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B. CRÉER DE NOUVELLES OBLIGATIONS
« THÉMATIQUES » SE HEURTE À DES CONTRAINTES
QUI RISQUERAIENT DE NEUTRALISER LES AVANTAGES ATTENDUS DU LANCEMENT DE CES
PRODUITS INNOVANTS
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A. ALLONGER LA MATURITÉ DE LA DETTE POUR
PROFITER DES TAUX FAIBLES À TRÈS LONG TERME RISQUERAIT DE NUIRE
À LA LIQUIDITÉ ET À LA QUALITÉ DE LA DETTE
FRANÇAISE
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I. LA SYNDICATION, UNE TECHNIQUE D'ÉMISSION
QUI DOIT RESTER MINORITAIRE ET RÉSERVÉE AU LANCEMENT DE PRODUITS
INNOVANTS OU DE TITRES DE TRÈS LONG-TERME
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LEXIQUE
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES DÉPLACEMENTS
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 607
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 mai 2021
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur les coûts et les avantages de la syndication ,
Par M. Jérôme BASCHER,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Mme Nadine Bellurot, M. Christian Bilhac, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .
AVANT-PROPOS
Le niveau de la dette publique au 31 décembre 2020 est
désormais connu et témoigne de l'ampleur de la crise sanitaire et
économique liée à l'épidémie de covid-19.
Notre dette publique atteint 115,7 % du PIB et ce ratio devrait encore
augmenter en 2021. Situation paradoxale, cette hausse brutale de l'endettement
s'accompagne d'une baisse très significative de la charge
d'intérêt, de près de cinq milliards d'euros entre 2019 et
2020
(34,3 milliards d'euros). Cette charge est portée par les
crédits inscrits sur le programme 117 de la mission
« Engagements financiers de l'État ».
La plupart d'entre nous avons désormais bien à l'esprit les principaux ordres de grandeur de la dette publique, la question qui se pose est dorénavant celle de sa soutenabilité. Le présent rapport ne s'intéressera donc pas directement au volume de la dette, mais plutôt aux techniques indispensables pour en permettre une gestion soutenable, et en particulier à la syndication, souvent méconnue dans la mesure où l'essentiel de notre dette est émise par adjudication. À la différence de celle-ci, la syndication emporte un échange direct entre l'émetteur et les investisseurs finaux, ainsi qu'une rémunération des spécialistes en valeur du Trésor (SVT), établissements partenaires de l'Agence France Trésor (AFT). Ces rémunérations se sont élevées à 27,5 millions d'euros en 2020.
La syndication constitue le plus souvent le vecteur d'émission des produits innovants ou des titres de très longue durée. Elle permet de s'intéresser à de nombreuses questions, portant tant sur les relations entre les émetteurs souverains et les SVT que sur les comportements des acteurs de marché ou encore sur l'adaptation des gestionnaires de la dette publique à un contexte de crise soudaine, comme celle que nous avons connue en 2020 et que nous connaissons encore.
Une conclusion s'impose : il n'y a pas de « remède miracle » à l'augmentation de la dette publique et au traitement de la dette covid. Les propositions visant à allonger très significativement la maturité de la dette française afin de tirer profit d'un contexte de taux très favorable, à créer de nouvelles obligations thématiques ou encore à isoler la dette sont autant d'impasses, qui reposent en partie sur une compréhension biaisée des mécanismes de gestion de la dette publique.
Ce rapport entend présenter, le plus clairement qu'il est possible sur un sujet aussi technique, les mécanismes de la syndication, ainsi que ses implications pour la gestion de la dette publique.
L'ESSENTIEL
La commission des finances a examiné, le mercredi 19 mai 2021, la communication de M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », sur les coûts et les avantages de la syndication.
Ce contrôle budgétaire s'inscrit dans un contexte macroéconomique marqué par une hausse soudaine et inédite des besoins de financement des États , pour couvrir les dépenses engagées pour répondre à la crise économique et sanitaire. En zone euro, ils sont passés de 800 milliards d'euros en 2019 à 1 200 milliards d'euros en 2020 . Autrement que par son niveau, la dette publique doit désormais être abordée sous l'angle de sa soutenabilité et de sa gestion . Deux modalités d'émission sont généralement utilisées par les émetteurs souverains : l'adjudication , majoritaire parmi les grands émetteurs, dont la France, et la syndication . Cette dernière, moins connue, permet pourtant d'aborder des sujets au coeur de la gestion de la dette publique, tels que sa maturité, l'émission d'obligations thématiques ou encore son cantonnement.
I. LA SYNDICATION, UN ENGAGEMENT PRÉCIS ENTRE L'ÉMETTEUR ET LES BANQUES, RÉMUNÉRÉES
Pour émettre les titres de la dette française, l'Agence France Trésor (AFT) a recours à deux méthodes : l'adjudication et la syndication . Dans une adjudication, les titres sont servis au prix de soumission , en mettant en concurrence les spécialistes en valeur du Trésor (SVT), partenaires de l'AFT et acheteurs des titres. Les offres dont les prix sont les plus élevés sont donc servies en premier. A contrario , la syndication correspond à un engagement précis entre les banques et l'émetteur pour acquérir des titres à un prix défini avec l'émetteur . Les SVT jouent alors un rôle d'intermédiaire entre l'émetteur (l'État) et les investisseurs finaux.
La décision de l'AFT de procéder par adjudication ou par syndication dépend du produit visé, avec toujours le même objectif : que les titres émis trouvent preneur dans les conditions les plus favorables possibles pour le contribuable .
A. LA SYNDICATION, UNE TECHNIQUE D'ÉMISSION MINORITAIRE POUR LA DETTE PUBLIQUE FRANÇAISE, RÉSERVÉE À DES PRODUITS PARTICULIERS
1. Pour lancer des produits innovants ou de nouveaux titres de maturité très élevée
Si, pour les plus petits émetteurs souverains ou pour les agences publiques, les émissions par syndication sont majoritaires, tel n'est pas le cas pour les grands émetteurs souverains, qui s'appuient davantage sur l'adjudication . Ils privilégient toutefois le recours à la syndication pour le lancement de titres dont le prix n'est pas connu ou difficile à estimer, et pour lesquels une confrontation directe entre l'émetteur et les souscripteurs est de nature à faciliter le placement de ces titres, dans les meilleures conditions possibles.
En France, pour la dette de l'État, l'AFT décide ainsi de procéder par syndication pour lancer des produits innovants , à l'instar de la seconde OAT verte au mois de mars 2021, ou de nouveaux titres de maturité très élevée , à l'instar de l'OAT 0,50 % 25 mai 2072 lancée au mois de janvier dernier.
2. Pour disposer d'un instrument de flexibilité en cas de crise
La syndication présente un autre atout : sa flexibilité . Contrairement aux adjudications, les syndications, si elles sont bien indiquées dans le programme indicatif de financement de la France, n'obéissent pas à un calendrier prédéterminé et précis. Face à une hausse brutale de leurs besoins de financement, les émetteurs souverains peuvent donc décider de lever des sommes importantes par syndication, sans perturber leur calendrier d'adjudications. Plusieurs pays européens ont décidé d'accroître leur recours aux syndications en 2020, pour répondre aux conséquences de la crise sanitaire et économique sur leur besoin de financement.
Volume du programme de financement net émis par
syndication
en 2019 et en 2020 dans plusieurs pays européens
(en %)
Source : commission des finances, d'après les données transmises en réponse au questionnaire du rapporteur spécial
Hormis ces cas particuliers, et eu égard à la source de contraintes et d'incertitudes qu'une syndication peut représenter pour un émetteur (négociation sur le prix en situation d'informations imparfaites, opération chronophage), le rapporteur spécial rappelle que les adjudications demeurent une technique éprouvée pour les produits « ordinaires », à même d'assurer une plus grande concurrence entre les souscripteurs, qui ne connaissent ni le montant ni le prix demandé par leurs homologues lors de la transaction.
Observation n° 1 : aucune raison ne justifie aujourd'hui de revenir sur le choix opéré par la France depuis les années 1980 en faveur des adjudications, à l'instar des plus grands émetteurs souverains. Le processus de syndication n'est pas intrinsèquement meilleur, bien qu'il soit plus adapté dans des cas particuliers. Trois peuvent être distingués : le lancement de produits innovants, le lancement de nouvelles OAT sur des maturités très longues et l'émission d'un montant élevé de titres en cas de crise et de hausse brutale du besoin de financement.
B. LA SYNDICATION, UNE RÉMUNÉRATION DES SPÉCIALISTES EN VALEUR DU TRÉSOR POUR PLACER LA DETTE FRANÇAISE
La syndication se distingue également de l'adjudication en ce qu'elle implique une rémunération des spécialistes en valeur du Trésor (SVT), en raison de leur rôle dans ces opérations. Ils se portent en effet garants pour leurs investisseurs finaux et s'engagent à faire souscrire une partie de la dette française. Si tous les SVT participent au syndicat bancaire, cinq d'entre eux sont désignés établissement « chef de file » : ils sont à la fois chargés de missions particulières et de placer un plus grand volume de titres, et bénéficient donc à ce titre d'une rémunération plus élevée.
le montant des commissions versées par l'AFT aux SVT au titre des trois syndications réalisées en 2020 |
le montant des commissions versées par l'AFT aux SVT depuis 2016 |
le ratio des commissions versées rapportées au montant émis par syndication (70,5 milliards d'euros) depuis 2016 |
Ces rémunérations permettent aux établissements de couvrir une partie des dépenses engagées au titre de leur activité de spécialiste en valeur du Trésor . Ces derniers considèrent que cette activité est néanmoins de plus en plus coûteuse, les adjudications coûtant plus cher du fait du phénomène de surenchère, les SVT proposant des prix supérieurs aux prix offerts sur le marché secondaire pour être sûr d'acquérir des titres. Ce phénomène, favorable au contribuable, entrainerait des coûts supplémentaires pour les établissements. Le rapporteur spécial rappelle toutefois qu'il ne suffit pas de comparer, pour apprécier les avantages de ce statut, les coûts supportés lors des adjudications et les commissions versées lors des syndications. Ce statut entraine avec lui plusieurs avantages , dont par exemple une plus grande visibilité pour l'établissement, ce qui peut faciliter sa participation aux opérations d'autres émetteurs.
Observation n° 2 : le système actuel de partenariat entre l'Agence France Trésor (AFT) et les spécialistes en valeur du Trésor (SVT) ne fait pas de « perdant », que ce soit du côté de l'émetteur ou des établissements bancaires. La répartition aujourd'hui opérée entre adjudications et syndications permet d'assurer au mieux la sécurité des émissions françaises et de préserver les intérêts financiers du contribuable, tandis que le statut de SVT demeure favorable et avantageux pour les établissements qui en bénéficient.
II. LES ÉMISSIONS DE TRÈS LONG TERME ET DE PRODUITS INNOVANTS, PAR LE BIAIS DE SYNDICATIONS, NE PEUVENT ÊTRE CONSIDÉRÉES COMME UN REMÈDE « MIRACLE » À LA HAUSSE DE L'ENDETTEMENT PUBLIC
A. ALLONGER LA MATURITÉ DE LA DETTE, UNE IMPASSE ET UNE STRATÉGIE RISQUÉE POUR LA QUALITÉ DE LA DETTE FRANÇAISE
Les syndications conduites par la France en 2020 et en ce début d'année se sont déroulées dans de très bonnes conditions, avec des taux de rendement à des niveaux historiquement bas et surtout des taux de couverture extrêmement élevés . Ainsi, les montants inscrits sur le livre d'ordres, qui retrace la demande des investisseurs finaux, étaient près de 10 fois plus élevés que le montant émis lors du lancement de la nouvelle OAT à 50 ans. Certains observateurs s'appuient donc sur ces résultats pour estimer que la France devrait profiter de ce contexte pour allonger très fortement la maturité de sa dette en émettant de manière beaucoup plus fréquente des titres de maturité très élevée.
Il convient tout d'abord de relever que la maturité de la dette française est supérieure à la maturité moyenne des dettes des pays de l'OCDE . Cette proposition d'allonger la maturité de la dette s'appuie ensuite une lecture « déformée » des livres d'ordres, du fait du phénomène de surenchère qui s'observe également sur les syndications. Il traduit la tendance des investisseurs, et notamment les plus opportunistes d'entre eux, à demander des montants très élevés lors des syndications en anticipation de la dilution de leurs ordres lors de l'allocation finale par l'émetteur. Les montants inscrits ne traduisent donc pas de manière parfaite l'appétence « réelle » pour ces titres de maturité très élevée, qui sont par ailleurs plus risqués, avec une volatilité de la demande plus forte pour ces titres. Pour garantir la liquidité et la qualité de la dette, l'émetteur ne doit être guidé que par une seule chose : la demande des investisseurs . Il sortirait de son rôle en essayant de « battre le marché », au détriment du contribuable.
L'évolution de la durée de vie moyenne de
la dette négociable
dans plusieurs pays de l'OCDE entre 2007 et
2020
(en années)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les fichiers de données attachés au rapport « Sovereign borrowing outlook for OECD countries » de l'OCDE (2021)
Observation n° 3 : la tendance à la surenchère lors des syndications et la lecture biaisée des ratios de couverture qui en résulte doivent encourager à la prudence quant aux discours qui laisseraient penser que l'allongement de la maturité de la dette serait une opération aisée et peu risquée. Il est en réalité très incertain que ces opérations, si elles étaient répétées, rencontreraient la demande nécessaire, et qui plus est une demande de qualité, condition sine qua non pour maintenir la liquidité de la dette française et la confiance dans la signature française.
Observation n° 4 : il convient de laisser la possibilité au dialogue entamé par l'AFT avec les SVT et les investisseurs finaux sur la limitation des surenchères de se développer, avant d'en évaluer la portée. En cas de persistance de ces pratiques, qui pourraient à terme nuire à la transparence des émissions et à leur réception par le marché, et qui affectent l'ensemble des émetteurs de la zone euro, des moyens plus contraignants devraient être étudiés, en s'inspirant des recommandations du sous-groupe sur les dettes souveraines du Comité économique et financier de l'Union européenne (sub committee on EU sovereign debt markets - ESDM), chargé d'un travail sur le sujet.
B. CRÉER DE NOUVELLES OBLIGATIONS « THÉMATIQUES » SE HEURTE AUX CONTRAINTES INHÉRENTES À CES PRODUITS, QUI RISQUERAIENT DE NEUTRALISER LES AVANTAGES ATTENDUS DE TELLES INNOVATIONS, SANS POUR AUTANT PERMETTRE DE TRAITER LA HAUSSE DE LA DETTE PUBLIQUE
À l'instar de l'allongement de la maturité de la dette, par l'émission de nouveaux titres à des maturités très élevées, le rapporteur spécial considère que l'émission de nouvelles obligations thématiques relève davantage du « remède miracle » que d'une vraie solution de gestion pour traiter de la hausse de l'endettement public . La crise sanitaire et économique a en effet relancé l'idée d'émettre des obligations « sociales » ou « sanitaires », afin de financer les réponses des États aux conséquences de la crise sur l'économie et le secteur de la santé.
Toutefois, ces produits sont soumis à plusieurs contraintes . La première consiste à devoir piloter l'émission en fonction d'une quantité fixe de dépenses éligibles et donc d'une quantité limitée de titres, avec un risque in fine pour la liquidité du produit, si les dépenses éligibles l'année suivante ne sont pas suffisantes pour réémettre sur une souche. L'une des qualités reconnues de la dette française est bien sa liquidité , une caractéristique qui ne doit pas se voir fragilisée, en particulier dans le contexte de hausse massive de l'endettement à moyen et long terme. La multiplication des obligations thématiques pourraient également entrainer avec elles un risque de fragmentation de la courbe , et donc une hausse des taux. Ces obligations doivent enfin faire l'objet d'un processus de certification indépendant, potentiellement coûteux à mettre en place.
Observation n° 5 : si les syndications permettent de lancer des produits innovants dans de très bonnes conditions, le rapporteur spécial considère que l'émission de nouvelles obligations thématiques n'est aujourd'hui pas une priorité. Le choix de créer de nouvelles obligations sectorielles ne pourra se faire qu'après une analyse approfondie de la demande des investisseurs et des éventuels risques que ferait courir cette stratégie pour la liquidité et l'intégrité de la dette française.
Ainsi, sans s'opposer fondamentalement à la création de tels produits financiers, le rapporteur spécial estime d'une part que leur lancement doit être soigneusement étudié afin de ne pas nuire à la qualité de la dette française, et d'autre part que ces produits ne peuvent en aucun cas constituer une solution immédiate au traitement de la dette publique et, en particulier, au remboursement de la « dette covid » .
La syndication ne peut pas être utilisée comme un levier de lancement d'obligations « covid », qui seraient destinées au remboursement de « la dette covid » dans le cadre d'un cantonnement. Ce serait oublier que ces opérations représentent des coûts supplémentaires pour l'émetteur, alors même que la « dette covid », comme toute la dette émise par l'État ces dernières années, est parfaitement amortissable et peut être « roulée ».
Sans revenir sur ce scénario extrême, le raisonnement du Gouvernement, qui propose un « isolement » de la « dette covid », présente ses propres difficultés . Dans le programme de stabilité 2021-2027, le Gouvernement propose en effet de créer un programme budgétaire au sein de la mission « Engagements financiers de l'État » et doté de 140 milliards d'euros en autorisations d'engagement, en vue d'un abondement de la Caisse de la dette publique (CDP) dans les années à venir. Les crédits de paiement associés seraient ensuite inscrits chaque année, selon une « règle d'indexation », en fonction de la dynamique de croissance et des recettes fiscales supplémentaires ainsi collectées par rapport à l'année passée.
Concrètement, la CDP se verrait attribuer, dans le cadre de ce programme, des crédits budgétaires correspondant à une partie des recettes fiscales supplémentaires. Les montants en provenance de la CDP seraient ensuite utilisés pour amortir des titres de dette lorsqu'ils arriveraient à échéance, jusqu'à avoir remboursé la totalité de la « dette covid », soit d'ici 2042 selon le Gouvernement.
Observation n° 6 : plutôt qu'un isolement de la « dette covid », tel que proposé par le Gouvernement, le rapporteur spécial défend, à l'instar de la commission sur l'avenir des finances publiques, que cette dette soit traitée comme toutes les autres, soit dans le cadre des programmes d'émissions classiques de l'État, afin d'assurer les meilleurs garanties de refinancement. Les recettes fiscales supplémentaires attendues avec la reprise de la croissance pourraient être allouées à la réduction du déficit.
PREMIÈRE PARTIE
LA
SYNDICATION, UNE TECHNIQUE MINORITAIRE MAIS INDISPENSABLE POUR PLACER LA DETTE
DE L'ÉTAT
Avant d'aborder l'analyse des coûts et des avantages de la syndication, il semble primordial de décrire, avec le plus de clarté possible, les mécanismes de ce processus d'émission des titres de la dette publique. Ses spécificités permettent en effet de comprendre les raisons pour lesquelles cette technique, minoritaire dans la part du volume émis par la France, demeure un instrument essentiel pour lancer des titres innovants ou de très longue maturité, tout en apportant une flexibilité aux émetteurs souverains en cas de crise.
I. LA SYNDICATION, UNE TECHNIQUE D'ÉMISSION DE TITRES MINORITAIRE QUI SE DISTINGUE PAR UN ÉCHANGE DIRECT ENTRE L'ÉMETTEUR ET LES INVESTISSEURS FINAUX
A. LA SYNDICATION CORRESPOND À UN ENGAGEMENT PRÉCIS ENTRE L'AGENCE FRANCE TRÉSOR ET LES SPÉCIALISTES EN VALEUR DU TRÉSOR, REGROUPÉS EN UN SYNDICAT
1. Les deux techniques d'émission de la dette publique : l'adjudication et la syndication
L'Agence France Trésor (AFT) a pour mission de gérer la dette française dans les conditions les plus sûres et les plus favorables possibles afin de protéger au mieux les intérêts du contribuable . Afin de financer le déficit et d'amortir la dette à moyen et long terme, la loi de finances initiale fixe pour chaque année, au titre des ressources de financement, un volume de dette à moyen et long termes à émettre, nette des rachats.
Les obligations assimilables du Trésor (OAT), d'une maturité de deux à cinquante ans, constituent la forme unique du financement à moyen et long terme de l'État. En 2020, toutes opérations confondues, le taux moyen à l'émission des OAT s'est établi à - 0,13 %, une première, contre 0,11 % en 2019, un niveau déjà historiquement bas.
Concrètement, aux mois d'octobre et de novembre de l'année n-1, l'AFT définit un programme indicatif de financement . Elle décide des nouvelles souches à créer, après discussion avec les spécialistes en valeur du Trésor (SVT), qui lui font part de la demande sur les différentes souches et qui lui indiquent si telle ou telle souche est encore considérée comme une OAT de référence. Jusqu'à 20 ans, ou 10 ans pour les OAT indexées (OATi), elle procédera généralement par adjudication ; à partir de 30 ans, et 15 ans pour les OATi, elle procédera plutôt par syndication.
L'Agence France Trésor (AFT) a en effet recours à deux techniques pour émettre les titres de la dette française :
- l'adjudication (ou adjudication « au prix demandé »), qui consiste à servir les titres au prix ou au taux effectif de soumission, en mettant en concurrence les souscripteurs. Les offres dont les prix sont les plus élevés sont servies en premier, puis celles de niveau inférieur, jusqu'à ce que le montant demandé par l'AFT soit atteint. Les participants paient donc des prix différents, qui correspondent aux prix qu'ils ont demandés, pour les quantités qu'ils ont demandées . Cette méthode « d' enchère discriminatoire » assure ainsi une parfaite concurrence entre les souscripteurs ;
- la syndication (ou « prise ferme »), qui correspond à un engagement précis entre les banques et l'émetteur pour acquérir des titres à un prix défini avec l'émetteur .
2. Un cadre juridique commun
Pour les adjudications comme pour les syndications, la création d'une OAT, avec ses caractéristiques (date de maturité, taux d'intérêt, devise, indexation éventuelle), se fait par arrêté du ministre chargé de l'économie et des finances, en conformité avec le décret relatif à l'émission des valeurs du Trésor pour l'année 1 ( * ) .
Le régime juridique de la dette souveraine française se distingue de celui d'autres émetteurs privés ou publics en ce qu'il est exclusivement constitué de textes règlementaires ou législatifs, y compris pour ce qui s'apparente à des clauses contractuelles 2 ( * ) . Concrètement, le « contrat de dette » au sens du droit civil n'est pas matérialisé par un acte signé par les parties, un contrat d'adhésion ou encore un prospectus déposé auprès de l'Autorité des marchés financiers 3 ( * ) . La passation du contrat de dette, que ce soit lors de l'émission ou sur le marché secondaire, est faite par la souscription de l'émetteur à hauteur du montant de son choix pour une valeur du Trésor donnée. Cette souscription est opérée par voie dématérialisée auprès du dépositaire central, chargé de maintenir l'intégrité des émissions de titres (Euroclear France).
Ce point est majeur : faire défaut sur un remboursement de dette publique se traiterait également devant le marché, avec une perte de confiance des investisseurs dans l'émetteur et dans la crédibilité de ses engagements, y compris juridiques.
Ce régime juridique ne varie pas selon que l'émission a été faite par adjudication ou par syndication . Une OAT émise par syndication peut ensuite être abondée par adjudication, sans effet sur le régime applicable. De même, le droit applicable à l'opération elle-même, défini dans le code monétaire et financier et par le droit européen 4 ( * ) , ne varie pas selon la technique d'émission utilisée.
La seule différence entre les adjudications et les syndications provient de l'existence, pour ces dernières, d'un contrat spécifique à chacune des opérations et signé entre l'Agence France Trésor et les SVT, regroupés en un syndicat bancaire. Ces contrats de « prise ferme » traduisent l'engagement des SVT à souscrire ou à faire souscrire à une fraction de la dette émise lors de l'opération.
3. Principes et fonctionnement d'une syndication
a) La syndication : une confrontation directe de l'offre et de la demande
Le processus de syndication consiste en la confrontation directe de l'offre et de la demande de titres, entre les investisseurs et l'émetteur (l'État). Cette confrontation s'opère via un livre d'ordres ouvert à destination des investisseurs après que l'émetteur a indiqué un taux initial pour la nouvelle OAT, plus élevé que la valeur théorique, inconnue, du titre à émettre (« juste valeur » ou fair value ). La fixation du taux initial s'appuie sur le taux du titre de référence utilisé, la différence en points de base entre les deux reflétant la prime liée à l'émission . Cette concession sur le prix provient de l'incertitude sur la valeur théorique du titre, qui se traduit par une prime d'émission en faveur des investisseurs (cf. infra ).
Pour simplifier, si, dans l'adjudication, le prix est déterminé à la fin de l'opération, sans aucune intervention de la part de l'AFT, dans la syndication, elle doit le négocier directement.
En effet, en fonction du volume des ordres reçus, de la nature et de la qualité des investisseurs, l'émetteur peut essayer de diminuer le taux proposé, en le resserrant par rapport à sa valeur théorique . L'AFT procède en général à un ou deux resserrements après lesquels le volume d'ordre s'ajuste, donnant également des indications sur la limite de taux acceptable pour les investisseurs. Comme l'a souligné lors de son audition Anthony Requin, directeur de l'AFT, même si l'émetteur ne resserre que de deux à trois points de base en moyenne lors de chaque opération syndiquée, un point de base représente, sur une émission de sept milliards d'euros par exemple, 700 000 euros d'économie sur la charge annuelle de la dette . Une fois les paramètres finaux définis et annoncés par l'émetteur, ce dernier est entièrement responsable de l'allocation entre les différents investisseurs.
L'objectif, dans le processus de découverte du prix, est bien de faire participer le plus grand nombre d'investisseurs, pour disposer d'une demande diversifiée et de qualité . Dans une syndication, l'AFT suit la construction du livre d'ordres et connait donc l'identité des investisseurs participant, ce qui n'est pas le cas dans une adjudication, où ce sont les SVT qui procèdent à l'intermédiation de manière anonyme. L'AFT alloue ensuite les comptes en servant un pourcentage de l'ordre demandé.
Selon les informations transmises au rapporteur spécial, l'AFT vise alors à optimiser la qualité du placement entre :
- les investisseurs de long terme , le placement devant être suffisamment solide pour qu'une nouvelle demande des investisseurs ne se traduise pas par une rotation des titres, mais par la possibilité, pour l'émetteur, de procéder à une réémission sur cette même souche ;
- et les investisseurs de plus court terme capables d'apporter de la liquidité au titre, celle-ci devant être assurée dans l'attente d'une réémission.
La répartition des investisseurs lors des deux
syndications
opérées au 30 avril 2021 par l'Agence France
Trésor
par nature (en %)
par origine géographique (en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les bulletins mensuels des mois de janvier et mars 2021 de l'Agence France Trésor
Ce n'est toutefois qu' une image à un instant donné : les titres étant immédiatement négociables, les investisseurs les ayant acquis peuvent les revendre le jour même, par exemple à d'autres investisseurs dont l'allocation a été faible lors de la syndication et proposant un prix attrayant pour en obtenir davantage. Il convient de rappeler ici que le volume annuel d'échanges des OAT sur le marché secondaire dépasse leur encours total.
b) Organiser une syndication (1) : la date, une dimension d'opportunité
Il appartient à l'AFT d'apprécier l'opportunité de recourir à une syndication. Lorsque l'AFT publie le programme indicatif de financement de l'État, une fois la loi de finances initiale adoptée, elle décrit les nouvelles souches de référence qui seront lancées par adjudication, avec leur maturité. Pour l'émission de nouvelles lignes par syndication, la présentation est différente puisque l'AFT prend soin de préciser que, pour les nouvelles lignes de très longue maturité, elle étudiera les perspectives de cette émission avec les SVT, en fonction des conditions de marché . De même, pour le lancement de la seconde OAT verte prévue en 2021, l'AFT a précisé qu'elle tiendrait compte des conditions de marché. Cette présentation est importante dans la mesure où elle témoigne de deux particularités des syndications : les SVT y jouent un rôle particulier et elles ne s'inscrivent pas dans un calendrier prédéterminé, au contraire des adjudications 5 ( * ) .
En effet, si à la suite de la publication du programme indicatif de financement, les SVT ont bien connaissance des syndications envisagées, ils ne connaissent pas précisément la date à laquelle celles-ci auront lieu. Ils viennent toutefois conseiller l'AFT sur la tenue de ces transactions. Au terme de ces échanges, l'AFT ne communique pas encore sur la date sélectionnée pour la syndication et ne leur dit donc pas si elle compte procéder à une opération aux dates proposées par les SVT.
Le rôle des SVT en amont d'une syndication
En amont d'une opération syndiquée, l'AFT recueille l'avis des SVT sur les perspectives de l'émission d'une nouvelle ligne par le biais de cette procédure. Cet avis aborde l'ensemble des points nécessaires à la bonne exécution d'une telle opération : la volatilité du marché les semaines précédentes et pour les semaines à venir ; la fenêtre calendaire à privilégier, pour éviter notamment des conflits avec des jours fériés importants pour les investisseurs étrangers, des réunions de politiques monétaires ou d'autres événements majeurs anticipés comme un cycle électoral ou encore des projets d'émissions concurrentes sur la fenêtre retenue.
Une fois la fenêtre retenue et la décision de procéder par syndication prise, les chefs de file de l'opération sont réunis en amont de l'annonce publique pour synthétiser l'état du marché et faire le point sur les risques : calendrier, présence des investisseurs, absence d'événements majeurs à venir, absence d'émissions concurrentes, etc.
Une fois l'annonce publiée, les SVT sont réunis pour faire le point sur la réception de l'annonce par le marché. Si les conditions ne se sont pas dégradées, l'AFT donne le lendemain son accord pour l'ouverture du livre d'ordres de la transaction et autorise la publication du taux indicatif de lancement.
Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial
Ainsi, tandis que les adjudications sont émises à intervalle régulier, selon un calendrier annoncé à l'avance, les syndications sont réalisées à la discrétion de l'AFT, selon une fenêtre d'opportunité . Toutefois, comme cela a été rappelé au rapporteur spécial, il ne s'agit pas pour l'AFT d'adopter un comportement opportuniste, en tentant de « surprendre » le marché : bien que les dates ne soient pas précisées, les perspectives d'émettre par syndication sont bien inscrites dans le programme de financement, seul le choix de la fenêtre d'exécution étant fixé a posteriori , pour en limiter les risques et tenir compte des périodes de plus forte volatilité .
C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles les syndications
ont majoritairement lieu au premier semestre : à partir du moment
où l'émetteur annonce qu'il étudie la possibilité
de procéder à une ou plusieurs syndications, le marché se
pré-positionne. Plus l'émetteur attend, plus il risque donc de
subir un «
effet de surplomb
», par lequel
le marché a eu le temps de préparer la venue de l'émetteur
en se positionnant
6
(
*
)
. Il y
a donc bien une
dimension d'opportunité
quant au moment
choisi par l'AFT pour intervenir, celle-ci pouvant décider d'essayer de
déjouer les
pré-positionnements du marché.
c) Organiser une syndication (2) : la constitution du syndicat bancaire
Le rôle des spécialistes en valeur du Trésor (SVT), partenaires de l'AFT, diffère selon que les titres soient émis par adjudication ou par syndication. Dans cette dernière, les SVT sont regroupés dans un syndicat bancaire et jouent un rôle de garant (cf. infra ).
Par ailleurs, à l'inverse des adjudications, qui sont réalisées par l'intermédiaire de la Banque de France sans autre contrat que la charte SVT et les textes relatifs à l'OAT concernée, une syndication s'accompagne d'actes juridiques spécifiques à cette opération. L'État (l'émetteur) et les SVT passent un contrat dit de « prise ferme » 7 ( * ) , par lequel ces derniers s'engagent à souscrire ou à faire souscrire à une fraction de la dette émise, et, ensemble, à souscrire ou à faire souscrire à la totalité des titres émis . Comme précedemment rappelé, ce contrat est sans effet sur le régime juridique de la dette émise, ce qui participe très concrètement de sa fongibilité : sur le marché secondaire, les modalités d'émission n'ont aucune conséquence sur l'échange des titres.
Le rôle de la Banque de France dans les
émissions
de titres de la dette française
La direction de la mise en oeuvre de la politique monétaire de la Banque de France assure depuis de nombreuses années les opérations d'adjudications des valeurs du Trésor pour le compte de l'AFT, en jouant un rôle d'intermédiaire entre celle-ci et les SVT. Une convention entre l'AFT et la Banque de France, renouvelée en 2017, encadre l'organisation des adjudications. La Banque de France donne accès à l'AFT au système d'adjudication afin que cette dernière fixe le taux maximal de chaque émission. Elle assure également l'alimentation du compte unique du Trésor au moment du règlement livraison des titres nouvellement émis.
La convention signée entre l'AFT et la Banque de France prévoit que cette dernière est rémunérée pour ces prestations, à hauteur d'environ deux millions d'euros. Cette rémunération est strictement égale aux coûts engagés par la Banque de France, et ce pour deux raisons. D'une part, la rémunération ne peut être inférieure à ces coûts puisque le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdit le financement monétaire ; et d'autre part il n'y aurait que peu de sens à ce que la Banque de France, en tant qu'institution publique, réalise une marge sur cette activité en fixant une rémunération supérieure aux coûts associés.
La Banque de France ne participe donc pas aux syndications, où le rôle des SVT et les relations entre l'AFT et les SVT sont différents.
Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial
(1) Le choix des chefs de file du syndicat bancaire
Les relations entre les SVT et l'État sont régies par la charte des SVT et ses annexes, publiques 8 ( * ) . L'article A.1 définit le cadre des engagements sur le marché primaire, que ce soit pour les adjudications (point a ), avec une participation obligatoire de tous les SVT, sauf cas de force majeure, ou pour les syndications (point b ), lors desquelles « tous les SVT participent au syndicat de placement et doivent assurer le bon fonctionnement de la transaction dans le cadre des tâches confiées à chacun par l'AFT ».
Toutefois, si tous les SVT doivent participer au syndicat bancaire, cinq d'entre eux sont désignés établissement « chef de file » ( joint-lead managers ), un rôle qui donne une visibilité supplémentaire aux établissements sélectionnés.
Le point b de l'article A1 précité fournit des indications quant aux critères sur lesquels doit s'appuyer l'émetteur pour sélectionner les chefs de file. La sélection doit notamment tenir compte « de l'expertise des établissements sur le segment de marché concerné, de leur place dans le palmarès des SVT et de leur contribution aux réflexions et travaux préparatoires à l'opération . » Cette liste n'est pas exclusive, un principe de rotation pouvant également être appliqué . Tenir compte du classement des SVT doit inciter ces derniers à continuer à assurer de la meilleure façon possible leurs missions sur le marché primaire, afin de se voir attribuer ces mandats, rémunérés (cf. infra ).
Le classement des spécialistes en valeur du Trésor
Le palmarès des 10 SVT les plus actifs est publié chaque année depuis 1999. Les critères fixés par la France sont stables et définis pour trois ans, soit la durée du « mandat » des SVT, ces derniers étant en effet renouvelés tous les trois ans, dont la prochaine fois au second semestre 2021, pour la période 2022-2024.
Chacun des 15 SVT est évalué : 40 % de la notation tient compte de la participation aux adjudications et donc du positionnement des établissements sur le marché primaire, 30 % de la présence sur le marché secondaire et 30 % de la qualité des relations entre l'AFT et les SVT. Les SVT les plus actifs lors des adjudications sont donc, toutes choses égales par ailleurs, mieux classés et donc plus susceptibles d'être sélectionnés en tant que chef de file pour une opération syndiquée.
Si les autres émetteurs souverains ne publient pas forcément leurs critères de classement, ni même les critères de sélection pour les syndications, il est généralement admis que le classement est le premier critère retenu pour sélectionner les chefs de file. La France publie le classement des 10 premiers SVT, l'Espagne celui des cinq premiers, tandis que l'Allemagne le publie dans son intégralité. Pour établir ces classements, les critères sont proches : le marché primaire, le marché secondaire et la qualité de la relation, même si les pondérations varient d'un pays à l'autre. Par ailleurs, les pays qui procèdent à plusieurs syndications par an, à l'instar de l'Espagne, peuvent plus facilement appliquer un principe de rotation.
Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial ; communiqué de presse de l'Agence France trésor du 25 février 2021 sur le palmarès 2020
Non seulement les chefs de file assurent dans ce cadre des fonctions spécifiques , mais ils doivent surtout garantir un volume plus important de titres, stipulé dans le contrat de prise ferme. Ils ont également une responsabilité particulière d'animation du marché secondaire des titres émis . Les autres SVT sont désignés établissement « chef de file conjoint ».
Les rôles des chefs de file dans une syndication
Dans une syndication, les chefs de file se répartissent les fonctions suivantes :
- la communication : le chef de file fait l'interface avec les demandes de la presse économique et financière et se charge du marketing ;
- le teneur du livre d'ordres fait l'interface avec tous les SVT qui apportent des ordres clients et s'assure de l'absence de duplication d'ordres. Il est également responsable de la tenue du livre et de la prise en compte des choix d'allocation effectués par l'émetteur ;
- l' agent centralisateur récupère les titres émis auprès de l'agent rédacteur des documents légaux puis les distribue aux investisseurs finaux ;
- le rédacteur des documents légaux rédige les documents contractuels et est la contrepartie de l'AFT pour la livraison des titres contre numéraire. Il s'assure également que les formalités juridiques et administratives soient bien respectées ;
- l' agent d'exécution des ordres d'échange et de couverture s'occupe d'exécuter les demandes d'échanges de titres et de couverture des clients tout en protégeant la transaction en portant au besoin les titres sur son bilan.
Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial et audition des représentants de la Société générale
Les syndications ont pour particularité d'être rémunérées . Cette rémunération étant proportionnelle au volume de titres garantis, ce sont les établissements « chef de file » qui en reçoivent la plus grande partie , d'où les incitations à bien figurer dans le classement annuel et donc à bien participer aux adjudications. Cette rémunération des SVT, propre aux syndications, est la troisième spécificité de cette opération par rapport aux adjudications. Elle s'explique par le rôle particulier qu'y jouent ces établissements financiers.
(2) Les spécialistes en valeur du Trésor : un rôle de garant
Outre les fonctions particulières assurées par les chefs de file, les opérations syndiquées se distinguent également en ce qu'elles attribuent aux SVT un rôle de garant .
Dans une adjudication, les SVT sont acheteurs directs : ils portent soit les titres sur leur bilan , jusqu'à ce qu'ils les revendent aux investisseurs ; soit ils sont au contraire en position ouverte s'ils les ont vendus avant l'adjudication et viennent donc les acheter pour combler cet écart. Dans une syndication, les SVT ne sont plus les acheteurs directs, puisque les titres sont directement placés auprès des investisseurs et que leur bilan n'est donc pas mobilisé . Ils se portent toutefois garants du pool d'investisseurs finaux venus acheter la dette . Si l'un de ces investisseurs venait à faire défaut, le SVT devrait venir en remplacement et prendre le papier pour son compte. C'est l'une des raisons qui explique que les SVT sont rémunérés lors des syndications.
Chaque chef de file donne également des recommandations lors des différentes étapes de la syndication, que ce soit sur la stratégie de resserrement du taux, sur les conditions de marché pendant la transaction ou encore sur la taille pouvant être émise compte tenu de la qualité des investisseurs dans le livre d'ordres.
d) Les syndications opérées en 2021 : de très bons résultats
Les deux syndications auxquelles l'AFT a d'ores et
déjà procédé depuis le début de
l'année 2021 se sont déroulées dans de
très
bonnes conditions
. Pour la syndication du mois de janvier 2021, qui a
lancé un nouveau titre de maturité 50 ans (OAT 0,50 % 25 mai
2072), la demande totale a atteint près de 75 milliards d'euros
- de la part de près
de 430 investisseurs finaux - soit
près de 11 fois plus que le montant servi (sept milliards d'euros). Le
prix a été établi à 95,895, ce qui reflète
un taux de rendement à l'émission de 0,593 %, soit le niveau le
plus bas jamais observé par l'AFT lors du lancement d'une OAT à
50 ans
9
(
*
)
.
Le lancement par syndication de la seconde OAT verte
française (OAT 0,50 % 25 mai 2044) s'est également
déroulé dans de bonnes conditions, avec une demande de 35
milliards d'euros - de la part de plus
de 300 investisseurs finaux - pour
un montant servi de sept
milliards d'euros. Le taux de
rendement à l'émission s'est établi à 0,526
%
10
(
*
)
.
Taux, prix, rendement, risque : l'exemple de l'OAT 0,50 % 25 mai 2072
Le taux de syndication est calculé à partir d'une OAT de référence, dans ce cas l'OAT 2066, en ajoutant à son taux de marché l'écart de taux final fixé par l'émetteur, après resserrement du prix, soit dans l'exemple choisi 7 points de base (bp). Une fois les allocations opérées, le taux de marché de l'OAT de référence est observé à un instant précis et en direct par l'AFT et les chefs de file, c'est le pricing . Le taux observé de l'OAT 2066 était de 0,523 %, ce qui correspond donc à un taux d'émission de 0,593 % pour l'OAT 2072.
Le prix de l'OAT se déduit alors par un calcul qui actualise tous les flux au taux de 0,593 %. Il était alors de 95,895 % du nominal : pour 100 euros de nominal, 95,895 euros ont été versés par l'investisseur. Le prix est proche du pair (100) parce que le taux d'émission est proche du taux de coupon (0,5 %). Si le taux d'émission avait été inférieur au taux de coupon, alors le prix aurait été supérieur au pair. Dans l'exemple cité, le rendement est donc supérieur au coupon (intérêt versé à l'investisseur).
Le risque d'une obligation est la variation de prix du titre consécutive à une hausse de 1 pb. Il dépend du prix de l'obligation et de la duration modifiée 11 ( * ) . Pour l'OAT 2072, cette dernière était de 45 années (contre 51,5 pour la maturité). Plus la maturité est grande, plus la duration est élevée et donc plus le risque est important. Pour l'OAT 2072, le risque actuariel s'élevait à 0,43 % du pair/pb : pour chaque hausse/baisse d'un point de base, il y a une perte/un gain de 30 millions d'euros (pour sept milliards d'euros émis). Si l'émission avait été faite par adjudication, un simple mouvement de 0,01 % aurait pu faire perdre en moyenne deux millions d'euros à chaque SVT, qui auraient probablement compensé ce risque en offrant des taux d'intérêt plus élevés, au détriment de l'État.
Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial
Ces conditions favorables s'observent également pour d'autres pays européens, que ce soit l'Italie, l'Espagne, la Belgique ou encore l'Irlande.
B. AUPARAVANT MAJORITAIRES, LES SYNDICATIONS SONT DEVENUES MINORITAIRES POUR L'ÉMISSION DES TITRES DE LA DETTE DE L'ÉTAT À COMPTER DES ANNÉES 1980
1. Les adjudications, une technique privilégiée par les grands émetteurs souverains
En 2020,
l'AFT a procédé à 34
adjudications de titres de moyen et long terme, contre trois
syndications
, ces dernières représentant
donc
6 % du volume
émis sur ces maturités. Depuis
2010, l'AFT n'a procédé à des syndications qu'une (2010,
2011, 2013, 2014 et 2019) à deux fois (2016 à 2018) par
an.
L'évolution des modes financement de
l'État :
un bref rappel historique
Historiquement, les États se finançaient par le biais de protocoles bilatéraux, interétatiques ou noués avec des investisseurs particuliers. À cette première source de financement se sont ajoutés, surtout après la Seconde Guerre mondiale, les instruments de crédit des institutions financières internationales et des banques de développement. En parallèle, le recours à des emprunts directs auprès du secteur privé s'est développé, jusqu'à devenir majoritaire, avec le double objectif de diversifier la base des créanciers et de réduire les coûts de financement. Ainsi, entre 1970 et 1989, plus de la moitié des crédits souverains d'un État provenant en moyenne de banques commerciales, un cinquième d'autres États et un cinquième d'institutions internationales. Ce recours au financement privé fut d'autant plus facilité que, suite aux chocs pétroliers de 1973 et de 1979, les banques commerciales disposaient d'importantes réserves de devises. Regroupées en syndicats bancaires, elles pouvaient accorder de larges prêts aux États. Les instruments de crédits et de financement administrés ont alors été progressivement démantelés.
Dans les années 1990, alors que les banques commerciales dominent encore le marché primaire des dettes souveraines, les banques d'investissement commencent à intervenir dans ce secteur et un marché secondaire se développe, sur lequel s'échangent par exemple les crédits syndiqués. Les poids de la part de la dette négociable et de la part de la dette non négociable dans le total de la dette publique s'inversent, en faveur de la première. Ce développement repose sur la prévalence des obligations à compter des années 1980, qui offrent aux États un moyen de se financer à moyen et long terme, une transition s'opérant ainsi vers les obligations titrisées. Les opportunités offertes par les marchés incitent en effet de plus en plus les émetteurs souverains à émettre des titres de dettes plutôt qu'à recourir aux prêts des banques commerciales.
Pour la gestion opérationnelle du financement de l'État, certains émetteurs souverains décident alors de s'appuyer sur des établissements bancaires sélectionnés pour leur servir de partenaire institutionnalisé et d'intermédiaire officiel entre eux et les investisseurs finaux. Le système des spécialistes en valeur du Trésor, instauré en France à partir de 1986 et inspiré du modèle américain des primary dealers , se développe ensuite en Europe.
Ainsi, à compter de 1985, et en parallèle de la création des obligations assimilables du Trésor en France, la technique de l'adjudication devient majoritaire pour les emprunteurs les plus importants et remplace le système de la prise ferme (syndication). Les marchés se sont en effet professionnalisés autour de cette technique, qui permet à l'État de mettre en concurrence les banques et d'obtenir le meilleur taux.
Source : Charlotte Julie Rault, « Le cadre juridique de la gestion des dettes souveraines », 2015 ; Jenny Preunkert, « Financialization of governement debt ? European debt management approaches 1980-2007 », Competition and Cahange, vol. 2, 2017, pp.27-44
Les adjudications constituent ainsi le mode d'émission privilégié des titres de la dette française depuis 1985 et remplacent le placement par syndicat bancaire. Une seule syndication est par exemple exécutée en 1987, pour lancer un emprunt à taux variable indexé sur les bons du Trésor 12 ( * ) .
Cette prédominance des adjudications s'observe dans la plupart des grands émetteurs souverains en Europe , que ce soit l'Allemagne et le Royaume-Uni ou, certes sur des proportions moins fortes, l'Italie et l'Espagne. Comme l'a rappelé en audition Philippe Mills, directeur général de la SFIL, filiale de la Caisse des dépôts, et ancien directeur de l'AFT, les adjudications supposent en effet un marché secondaire suffisamment liquide pour assurer l'expression en continu des prix des titres , afin que les établissements financiers qui participent à ces opérations (les SVT) soient en mesure de souscrire des tailles importantes dans des conditions compétitives.
Volume du programme de financement net émis
par syndication en 2019 dans plusieurs pays européens
(en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
À noter que le Japon et les États-Unis n'émettent jamais de titres par syndication , eu égard à leurs conditions de financement très spécifiques. Ces États ont leur propre monnaie, une base d'investisseurs domestiques extrêmement large et une demande internationale soutenue.
Enfin, les émetteurs supranationaux comme le mécanisme européen de stabilité et le fonds européen de stabilité financière s'appuient traditionnellement sur des syndications et des adjudications, au contraire de la Commission européenne, qui recourait jusqu'ici exclusivement aux adjudications (cf. supra ).
2. Les syndications, une technique privilégiée par les agences publiques et par des émetteurs souverains plus modestes
La prévalence des adjudications dans les techniques d'émission de dette ne vaut que pour les plus grands émetteurs souverains. Les agences publiques ont quant à elles majoritairement recours à la syndication , alors que l'adjudication serait certainement plus onéreuse. En effet, le marché secondaire étant moins liquide, il est probable que les banques ne participeraient aux adjudications qu'avec une prime par rapport au « juste prix ». Cette prime se traduirait donc par un coût de financement au final plus élevé que celui obtenu par syndication, même après intégration de la rémunération versée aux établissements membres du syndicat bancaire.
L'exemple de la SFIL, banque publique de développement
La SFIL, banque publique de développement et filiale de la Caisse des dépôts depuis le 30 septembre 2020, est chargée de refinancer les prêts aux collectivités territoriales et aux établissements publics de santé. La SFIL ne procède que par syndication, que ce soit pour son canal historique de financement, les émissions d'obligations foncières 13 ( * ) (ou covered bonds) via la CAFFIL (Caisse française de financement local), pour les émissions obligataires de la SFIL elle-même en euros ou en dollars ou encore, depuis 2019, pour les émissions répondant aux critères « ESG » (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), avec au moins un programme vert et/ou social par an.
Les émissions du groupe SFIL présentent une très bonne signature sur les marchés, avec un écart de taux ( spread ) moyen par rapport aux titres émis pour la dette État de 15 points de base sur la période 2013-2020. Le groupe a également accès à des maturités longues, la moitié des émissions ayant une maturité de plus de 10 ans, sur les 7,2 milliards d'euros émis en 2020. La base d'investisseurs s'est elle aussi étendu de manière très dynamique, passant de 115 investisseurs en 2013 à 602 en 2020.
Pour cet émetteur, recourir à la syndication lui permet de solliciter des « poches » d'investisseurs spécifiques en fonction du profil de la banque intermédiaire, par exemple pour viser celles ayant un rayonnement régional particulier.
Source : audition du directeur général de la SFIL par le rapporteur spécial
Les émetteurs souverains de taille plus modeste ont également davantage recours à la syndication, par exemple en zone euro des pays tels que l'Autriche, la Finlande, la Belgique, le Portugal, les Pays-Bas, l'Irlande ou encore la Slovénie (cf. graphique supra ). Pour ces derniers, la syndication a longtemps été un moyen d'accroître la compétitivité de leurs émissions par rapport à celles des gros émetteurs souverains. Elle leur permet par ailleurs d'émettre de gros volumes rapidement, par une seule opération, et avec une plus grande certitude quant au résultat de l'émission, en particulier pour leurs obligations de référence 14 ( * ) .
Les pays émergents s'appuient également davantage sur les syndications. Si, d'après le Fonds monétaire international (FMI) 15 ( * ) , les adjudications occupent une part de plus en plus importante dans les émissions des pays en développement, en raison de leur plus grande transparence et de la concurrence qu'elles permettent entre les établissements bancaires, la syndication peut se révéler plus sûre dans les toutes premières phases du développement du marché primaire et secondaire des titres souverains. Quand la demande est très incertaine, la syndication peut être utile pour minimiser le risque du placement.
De manière générale, et ce pour tous les emprunteurs, la syndication permet à l'émetteur de davantage contrôler le prix proposé pour un titre et de disposer d'une marge de manoeuvre supplémentaire pour ajuster la taille de l'émission . Il dispose également d'un contrôle accru sur la base des investisseurs , y compris dans ses choix d'allocation, ce qui n'est pas le cas dans le cadre d'une adjudication.
Les syndications sont aussi une manière efficace de découvrir le prix du bien , ici du titre, sur le marché, en l'absence de référence fiable sur le marché secondaire. L'adjudication peut ainsi se révéler particulièrement pertinente en matière de produits innovants 16 ( * ) ou d'émissions de long-terme.
II. LA SYNDICATION, UNE TECHNIQUE D'ÉMISSION PERTINENTE POUR LE LANCEMENT DE PRODUITS INNOVANTS ET DE TITRES SUR LES SEGMENTS MOINS PROFONDS DE MARCHÉ, MAIS ÉGALEMENT MOBILISÉE POUR RÉPONDRE À LA CRISE
A. EN SITUATION ORDINAIRE, DEUX TYPES DE PRODUITS JUSTIFIENT D'AVOIR RECOURS À UNE SYNDICATION
1. Les syndications, pour lancer des produits innovants ou des titres de maturité très élevée
En période « ordinaire », l'Agence France Trésor tend à privilégier et à proposer de procéder par syndication dans deux types de situations :
- pour lancer des titres innovants : ce fut le cas par exemple pour le lancement de la première obligation assimilable du Trésor (OAT) verte, en 2017, puis pour son ré-abondement en 2018, ainsi que pour le lancement de la seconde OAT verte au mois de mars 2021 ;
- pour émettre des nouveaux titres sur des segments de marché moins profonds , c'est-à-dire sur les maturités les plus longues de la courbe, soit plus de 30 ans pour les OAT et plus de 15 ans pour les OATi.
En 2021, trois syndications ont été ou devraient être lancées :
- la première a eu lieu au mois de janvier 2021, pour le lancement d'une nouvelle OAT à 50 ans (OAT 0,50 % 25 mai 2072). Il s'agit de la quatrième OAT à 50 ans lancée par la France depuis 2005 ;
- la deuxième a eu lieu au mois de mars 2021, pour le lancement de la deuxième OAT verte française, d'une maturité de 23 ans (OAT 0,50 % 25 juin 2044) ;
- une troisième devrait avoir lieu au second semestre et concernerait le lancement d'une nouvelle ligne à 30 ans.
2. Les avantages de la syndication pour ces produits
a) Découvrir le prix
Du fait du processus de découverte des prix, par une confrontation directe entre l'émetteur et les investisseurs finaux, la syndication est une technique d'émission adaptée au placement de nouvelles obligations, pour lesquelles le processus de découverte du taux est mécaniquement plus complexe , que ce soit par rapport aux caractéristiques financières du titre ou à l'établissement de la demande des investisseurs au prix d'une prime d'émission. C'est d'ailleurs toujours la logique qui a présidé à l'utilisation des syndications par l'AFT, Benoît Coeuré l'ayant expliqué dès 2003, alors qu'il était directeur adjoint de l'Agence France Trésor : « nous utilisons les syndications [...] soit pour les nouveaux produits, soit pour ceux dont le contenu technique est spécifique ou que les investisseurs connaissent peu » 17 ( * ) .
La syndication est donc propice au lancement des titres indexés à l'inflation, qui présentent des caractéristiques techniques plus complexes , ou au lancement des OAT vertes, pour lesquelles il existe encore peu de données de comparaison pour découvrir le niveau de taux . Dans ce dernier cas, la valorisation financière de la « prime verte » ( green premium ou greenium ), liée à l'émission de ces titres et favorable, ici, à l'émetteur, est encore incertaine.
b) Disposer d'une base d'investisseurs finaux solide et élargie
Dans le cadre de cette confrontation directe, le rôle des SVT est également différent : d'acheteurs directs dans les adjudications, ils deviennent garants dans les syndications. Ils sont alors amenés à déployer des stratégies de vente auprès des investisseurs, en s'appuyant sur une communication plus poussée, par exemple par le biais de conférences téléphoniques, conduisant mécaniquement à élargir la base des investisseurs . 430 investisseurs finaux ont ainsi souscrit au lancement par syndication de l'OAT 0,50 % 25 mai 2072.
De même, la concession sur le prix et donc la prime à l'émission en faveur des investisseurs doivent inciter ces derniers à participer aux transactions, facilitant de fait le placement de ces produits auprès d'une base d'investisseurs diversifiée et de qualité. Dans le cadre d'une adjudication, ce sont au contraire les SVT qui achètent la dette, sur le marché primaire, les investisseurs finaux demeurant entièrement libres de leurs interventions sur le marché secondaire, par exemple pour leur racheter ces titres.
c) Diminuer les risques pour les spécialistes en valeur du Trésor
Le rôle de garant des SVT dans le processus de syndication est particulièrement adapté pour l'émission de nouveaux titres de maturité très longue (30 ans ou 50 ans). En effet, pour ces titres, la capacité de portage bilanciel des banques est plus limitée, en raison des contraintes règlementaires . Détenir un titre à 30 ans est mécaniquement plus risqué que détenir un titre à 10 ans : pour une même quantité, une même hausse du taux entraine une perte trois fois supérieure à 30 ans 18 ( * ) . En effet, les variations d'un prix sont à peu près proportionnelles à la durée du titre (pour un titre à 10 ans, la variation sera d'environ 10 %). Pour une même variation, l'actif qui vaut 100 vaudra environ 60 si c'est un titre à 50 ans, 90 si c'est un titre à 10 ans et 99 si c'est à titre à un an. La banque a donc besoin de mettre plus de capital en face, dans son bilan, si c'est un titre à 50 ans plutôt qu'un titre à un an. Le placement direct auprès des investisseurs finaux permet de contourner cette contrainte et ce risque pour les SVT.
Il s'agit là d'une différence fondamentale avec le processus d'adjudication, lors duquel les SVT ont l'obligation de venir acheter du papier et de le stocker dans leurs bilans avant de le revendre. Ces titres de très longue maturité seraient alors très consommateurs de risque de bilan pour ces établissements, qui pourraient donc compenser ce risque par un prix plus élevé. A contrario , dans la syndication, les banques n'exposent pas leur bilan mais valorisent leurs capacités de vente.
Il peut être rappelé ici que les règles mises en place après la crise financière de 2008 ont changé les pratiques d'émission de dette pour ces titres longs . En effet, avant cette crise, l'AFT ne procédait pas par syndication pour lancer de nouveaux titres à 30 ans, mais par adjudication, les banques considérant en effet que, pour cette activité de SVT, elles avaient des obligations plus faibles pour leur bilan. L'AFT n'utilisait les syndications que pour les titres pour lesquels elle ne connaissait pas le prix.
Ces maturités, à 30 ou 50 ans, correspondent par ailleurs à des segments pour lesquels la profondeur de marché est plus faible , et où il peut donc être judicieux d'attirer les investisseurs, via une concession sur le prix. En procédant par syndication, l'émetteur prend moins de risques . Il témoigne dans le même temps de sa capacité à animer l'ensemble des points de la courbe de taux , y compris donc sur la partie très longue, afin de garantir la liquidité des titres 19 ( * ) .
B. LA CRISE SANITAIRE ET ÉCONOMIQUE A CONDUIT PLUSIEURS PAYS EUROPÉENS À RECOURIR DAVANTAGE À LA SYNDICATION
C'est bien le contexte de la crise sanitaire et économique liée à l'épidémie de covid-19, et ses conséquences sur les pratiques des émetteurs souverains et sur les niveaux de dette publique , qui ont conduit le rapporteur spécial à s'intéresser au processus de syndication. En effet, autrement que pour lancer des produits innovants ou de très longue maturité, et en période de crise, les gestionnaires de la dette publique peuvent choisir d'ajuster leurs modalités d'émission de titres . Ce fut le cas lors de la crise financière de 2008-2009, de la crise des dettes souveraines en 2012-2014 pour certains États européens et désormais en 2020, pour répondre à la brusque hausse des besoins de financement des États du fait des mesures adoptées pour soutenir les économies face à la crise.
Les conséquences de la crise financière
de 2008 et de la crise
des dettes souveraines sur les modalités
d'émissions de dette
Comme l'Organisation pour la coopération et le développement en Europe (OCDE), la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) l'ont relevé dans leurs travaux sur la crise financière, les gestionnaires de la dette publique dans les pays membres de l'OCDE ont modifié leurs techniques d'émission de dette pour faire face aux conséquences de la crise financière de 2008 sur les marchés. Cette situation de crise s'était en effet traduite par une hausse des coûts d'emprunt et par des inquiétudes sur la possibilité, pour les marchés, d'absorber des émissions souveraines beaucoup plus élevées qu'anticipées du fait de l'aggravation des déficits publics, le tout dans un contexte économique et financier dégradé.
L'une de ces modifications a consisté à recourir à davantage de syndications. Ces dernières présentaient alors l'avantage, pour les pays concernés, de pouvoir répondre rapidement à un besoin de financement élevé avec plus de certitude sur le placement des titres sur le marché. La syndication pouvait alors contribuer à accroître la liquidité des émissions et à réduire les coûts d'emprunts.
Source : Hans J. Blommestein, « Public debt management and sovereign risks during the worst financial crisis on record: experiences and lessons from the OECD area », dans “Sovereign debts and the financial crisis”, Banque mondiale, 2011 ; Mark de Broeck et Anastasia Guscina, « Government debt issuance in the euro area : the impact of the financial crisis », IMF Working Paper, 2011
De même, lors de la crise des dettes souveraines en zone euro, les émetteurs souverains, en particulier les plus fragilisés tels que l'Irlande, le Portugal ou l'Espagne, ont davantage procédé à des syndications, pour sécuriser leurs émissions dans un contexte d'incertitudes très élevées et de liquidité relativement faible. À titre d'exemple, la part des syndications dans le programme d'émissions à moyen et long terme du Portugal est passée de moins de 20 % en 2010 à 50 % en 2014-2015.
Source : European Stability Mechanism, « Accessing sovereign markets - the recent experiences of Ireland, Portugal, Spain and Cyprus », juin 2016
Selon le Fonds monétaire international en effet,
«
en temps de crise, les adjudications sont plus susceptibles
d'être non couvertes, voire de tourner court, en raison de la
volatilité accrue et de l'incertitude qui règnent sur les
marchés
»
20
(
*
)
. Le rapporteur spécial précise
toutefois que ce constat, précautionneux, ne vaut que pour les
États les plus fragiles ou ceux dont la qualité de crédit
s'est brusquement dégradée, ce qui n'a été le cas
pour aucun pays européen en 2020, et encore moins
pour la
France, qui a bénéficié de conditions d'emprunt
extrêmement favorables
.
Le taux de couverture des
adjudications d'OAT s'est ainsi élevé à 218 % en
2020
, contre 235 % en 2019 et 207 % en 2018
21
(
*
)
. Le taux moyen
d'émission des OAT était quant à lui
de - 0,11 %,
contre 0,13 % en 2019 et 0,53 % en 2018.
Il n'est néanmoins pas inutile de se souvenir ici du contexte de « tempête parfaite » 22 ( * ) et d'alerte sur la liquidité du mois de mars 2020. Durant cette période de stress, les investisseurs ont cherché à accroître à tout prix et rapidement leur liquidité, en vendant leurs actifs de toutes natures. Il y a alors eu une inquiétude quant à la capacité et/ou à la volonté des acteurs de marché d'absorber les montants grandissants de titres émis par les souverains. Ce stress s'est traduit par une remontée très temporaire des taux d'intérêt 23 ( * ) et un élargissement de l'écart de taux avec l'Allemagne ( spread ), avant que les taux ne connaissent une nouvelle baisse, grâce notamment à l'action de la Banque centrale européenne, et que le spread ne revienne à son niveau ordinaire (environ 30 points de base entre la France et l'Allemagne). La demande de titres des États de la zone euro par les investisseurs est ensuite demeurée à un niveau très élevé, pour des taux toujours très faibles.
L'alerte de liquidité au mois de mars 2020
La conjonction de problématiques de liquidité en fin de trimestre, d'un choc de volatilité sur les marchés et de bouleversements opérationnels avait conduit à une chute brutale de la profondeur du carnet d'ordres d'environ 90 %. En effet, pour retrouver de la liquidité, les opérateurs économiques avaient vendu leurs titres les plus liquides, soit en priorité les titres français, allemands ou américains. Toutefois, au même moment, compte tenu des exigences en matière de solvabilité en fin d'année, les spécialistes en valeur du Trésor ont rencontré des difficultés pour absorber et redistribuer ces liquidités.
Conséquence, il y a eu une certaine volatilité sur les obligations, jusqu'aux annonces des banques centrales. Dans le même temps, les opérateurs ont été perturbés par la mise en place des mesures de confinement et par la nécessité de présenter en fin de trimestre des bilans moins exposés au risque. Ce choc fut heureusement très temporaire et le résultat d'une combinaison exceptionnelle de plusieurs facteurs de risque.
Source : Tome III du rapport général
n° 138 (2020-2021) de M. Jean-François Husson, fait au nom de la
commission des finances, déposé le 19 novembre 2020.
Annexe 13,
contribution du rapporteur spécial,
M. Jérôme Bascher,
sur la mission « Engagements financiers de l'État
Sans revenir sur les avantages précédemment mentionnés des syndications pour les produits innovants et l'émission de titres de longue maturité, soit la capacité d'élargir la base des investisseurs finaux , de découvrir le prix et de s'assurer du placement des titres , d'autres caractéristiques des syndications peuvent en faire un instrument approprié en période de crise .
1. Émettre rapidement et de manière sécurisée des volumes élevés
Comparées aux adjudications, et même si elles peuvent être annoncées dès le programme indicatif de financement comme dans le cas de la France, les syndications n'obéissent pas à un calendrier précis et prédéterminé . Elles constituent un instrument de flexibilité , permettant de lever rapidement des montants importants en cas d'augmentation du besoin de financement , ce qui prend tout son sens dans un contexte de crise sanitaire et économique.
En 2020,
le besoin de financement de l'État
s'est en effet élevé
à 309,5 milliards
d'euros
, soit 89 milliards d'euros de plus qu'en 2019
(220,5
milliards d'euros) et
79 milliards d'euros de plus que la
prévision inscrite en loi de finances initiale pour 2020
(230,5
milliards d'euros). Cette hausse très significative provient de la
dégradation du déficit, celui-ci s'établissant à
9,2 % du PIB en 2020, soit 178,1 milliards d'euros, contre une prévision
de 93,1 milliards d'euros. Cette aggravation s'explique tant par la chute des
recettes publiques que par les dépenses nouvelles engagées pour
soutenir les entreprises et l'emploi dans le contexte de crise sanitaire et
économique. Le déficit expliquait ainsi 57 % du besoin de
financement de l'État en 2020, contre 40 % en 2019.
Eu égard au contexte de crise,
cette hausse
significative du besoin de financement de l'État n'est pas propre
à la France
, tous les pays européens ayant connu des
trajectoires similaires. Ainsi,
les besoins de financement en zone euro
sont passés d'environ 800 milliards d'euros en 2019 à plus
de 1 200 milliards d'euros en 2020
24
(
*
)
. La hausse des emprunts des pays membres de
l'OCDE pour répondre à la crise sanitaire et économique
était près de deux fois plus élevée que la hausse
constatée lors de la crise financière de 2008
25
(
*
)
. Ces chiffres
considérables trouvent logiquement leur traduction dans les
données portant sur la dette publique : la moyenne du ratio de
dette/PIB dans la zone euro devrait passer
de 86 % en 2019 à 102,7 %
en 2020
26
(
*
)
. Sur le
périmètre OCDE, la part dans le PIB de la dette négociable
augmenterait de 16 points en 2020, pour atteindre 88 % en moyenne, puis de
quatre points en 2021.
Par ailleurs, en procédant par syndication, le risque que le marché n'absorbe pas les titres ou que le taux de couverture s'approche des 100 % est limité puisque cette opération suppose des échanges préalables entre l'émetteur et les SVT, qui retransmettent les attentes et l'appétence du marché et des investisseurs finaux pour des montants donnés, sur des maturités plus ou moins longues 27 ( * ) . C'est donc une option plus prévisible pour les émetteurs souverains, qui peuvent davantage contrôler le montant à émettre et le prix aux différentes étapes de la syndication, en ajustant éventuellement ces deux paramètres pour s'adapter aux réalités d'un marché incertain. Par ailleurs, pour les émetteurs en situation difficile, la concession sur le prix, en faveur des investisseurs, peut également jouer le rôle de prix d'appel.
Afin de lever rapidement et de manière sécurisée les fonds nécessaires, en s'assurant de bonnes conditions d'émission et de l'attractivité de leurs titres, certains États ont pu décider d'accroître leur recours aux syndications . L'Allemagne a ainsi procédé au mois de mai 2020 à sa première syndication depuis 2015, en émettant 7,5 milliards d'euros sur un titre de maturité 15 ans et pour un rendement de - 0,303 %. Elle y a de nouveau eu recours au mois de juin 2020. Avant 2015, elle avait réservé ces opérations de syndication, extrêmement rares, à l'émission de sa première obligation indexée sur l'inflation ou d'une obligation libellée en dollars américains.
Ce choix s'est constaté dans beaucoup de pays de la zone euro , avec une hausse marquée du recours aux syndications en 2020, que ce soit pour les émetteurs souverains qui ont l'habitude de procéder majoritairement par syndications ou pour ceux qui privilégient habituellement les adjudications.
Évolution de la part du programme de financement net émis par syndication dans plusieurs pays européens entre 2015 et 2020
(en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises en réponse au questionnaire du rapporteur spécial
Quant à la France, la crise a conduit l'AFT à procéder à une syndication supplémentaire en 2020 (OAT 2040) par rapport à ce qui était originellement prévu dans le programme indicatif de financement pour 2020. Elle a toutefois révisé son programme avant de la lancer. Selon l'AFT, « cette décision a permis de sécuriser le financement de l'État dans un contexte marqué par une volatilité accrue, et qui pesait donc sur la capacité des banques à supporter la forte augmentation des titres émis par adjudication, et l'augmentation sans précédent des émissions en zone euro . » 28 ( * ) Selon les explications du directeur de l'agence, la syndication est utile pour couvrir un besoin à un instant précis, étant donné qu'il serait trop risqué de faire brutalement augmenter les montants alloués par adjudication.
Toutefois, cette syndication supplémentaire, et le rapporteur spécial insiste sur ce point, ne doit pas conduire à oublier que la stratégie de l'AFT face à la crise sanitaire a essentiellement reposé sur un réajustement temporaire du montant des émissions de moyen et long terme par adjudication 29 ( * ) , avec l'impératif d'éviter de concentrer le besoin de financement supplémentaire sur un seul point de la courbe, et sur une hausse des titres à court terme (bons à taux fixes, BTF). Les titres négociables à moyen et long terme ont augmenté de 129,5 milliards d'euros en 2020 et les titres négociables à court terme de 54,7 milliards d'euros. La hausse de la part des BTF, qui sont toujours émis par adjudication, visait d'une part à répondre à la hausse du besoin de financement sans bouleverser, dans un premier temps, le calendrier des adjudications, et d'autre part à couvrir les besoins de trésorerie de l'État . La part de ces titres dans la dette négociable a atteint 8 % en 2020, contre 5,8 % en 2019, interrompant ainsi plusieurs années de réduction après une forte hausse durant la crise financière (de 8,5 % en 2007 à 13,6 % en 2008 et un point haut à 18,7 % en 2009) 30 ( * ) .
D'autres pays ont procédé de manière similaire, à l'image de l'Espagne . Pour faire face à la hausse de son besoin de financement, l'Espagne a émis 110 milliards d'euros nets, contre 32,5 milliards d'euros prévus initialement . Elle a, pour ce faire, accru la taille de ses émissions lors des adjudications (de 3 milliards d'euros à 5 milliards d'euros pour les Letras, l'équivalent des BTF français, et de 5 milliards d'euros à 6,7 milliards d'euros pour les Bonos et Obligaciones , l'équivalent des OAT). Elle a en parallèle recouru de manière plus fréquente aux syndications, avec l'émission de nouveaux titres. Elle a à cet égard émis le plus gros montant jamais enregistré sur une seule référence : 15 milliards d'euros pour une obligation de maturité 10 ans au mois d'avril 2020 31 ( * ) .
Parmi les recommandations de l'OCDE sur les bonnes pratiques des gestionnaires de dette publiques durant la crise sanitaire, figurait cet équilibre à trouver entre, d'une part, la nécessité de préserver la transparence et la prévisibilité de la mise en oeuvre des programmes de financement et, d'autre part, la possibilité de conserver une marge supplémentaire de flexibilité 32 ( * ) . Le dialogue avec les SVT était encouragé - afin de mieux comprendre la demande des investisseurs dans un contexte troublé - ainsi que l'émission de titres de court terme, pour ne pas trop bouleverser le programme d'émissions. Ce sont autant d'éléments mis en place par l'Agence France Trésor et ses homologues européens. L'émission de titres à court terme peut en effet permettre de répondre à la difficulté que représente la mobilisation rapide de fonds, en augmentant les émissions dans la partie la plus liquide du marché des obligations souveraines 33 ( * ) .
2. 2021, vers une normalisation ?
Selon une étude de l'OCDE sur les changements apportés par les gestionnaires de dette publique des États membres en période de crise économique, 16 pays ont apporté une modification temporaire à leur stratégie d'émission en décidant d'augmenter le nombre de syndications et six d'entre eux devraient les augmenter de manière plus permanente, en modifiant sur le long-terme leur stratégie d'émission 34 ( * ) . Tel ne serait pas le cas pour la France et l'Allemagne, les deux principaux émetteurs de la zone euro.
En 2021, et avant la révision qui pourrait intervenir dans le cadre d'un projet de loi de finances rectificative, le besoin de financement de l'État en France s'élèverait à 293 milliards d'euros - dont 60 % au titre du déficit - avec un montant d'émissions de dette à moyen et long terme nettes des rachats de 260 milliards d'euros. Si ce besoin de financement demeure élevé, et pourrait encore s'accroître, l'AFT y répondra en émettant les montants appropriés par adjudication et, au besoin, en recourant aux titres de court terme. Ainsi, comme indiqué précédemment les trois opérations de syndication prévues en 2021 répondent aux critères « ordinaires » justifiant le choix de cette technique : pour lancer une nouvelle OAT verte, un produit innovant, et pour lancer deux nouvelles OAT à 30 ans et 50 ans, soit sur des maturités très élevées.
Il en est de même pour l'Allemagne. En 2021, et dans la continuité de l'année 2020, l'Allemagne devrait lever entre 238 et 240 milliards d'euros à moyen et long terme par adjudications et procéder à deux émissions par syndication 35 ( * ) . L'usage de ces syndications sera toutefois plus traditionnel puisqu'il s'agirait d'une part de lancer une nouvelle obligation à 30 ans, et d'autre part de lancer la première obligation verte à 30 ans .
Hors zone euro, au Royaume-Uni, le Debt management office placera 80 % de ses obligations de court à long terme ( gilts ) via des adjudications, soit près de 238 milliards de livres. 10 % sera placé par syndication, soit environ 30 milliards de livres 36 ( * ) . Là-encore, les six transactions prévues par syndication seraient également réservées à des usages « traditionnels » : trois pour des titres de maturité élevée, trois pour des titres indexés sur l'inflation.
3. NextGenerationEU : un mélange d'adjudications et de syndications
La Commission européenne a publié au mois d'avril 2021 la stratégie de financement du plan NextGenerationEU 37 ( * ) , au titre duquel 800 milliards d'euros devraient être levés sur les marchés d'ici 2026, soit un rythme annuel d'environ 150 milliards d'euros. La Commission a annoncé qu'elle comptait s'appuyer sur une stratégie de financement diversifiée. Celle-ci reposera notamment sur une combinaison d'adjudications et de syndications afin que les emprunts soient réalisés dans les conditions les plus avantageuses possibles. Les syndications sont en effet généralement utilisées par les émetteurs supranationaux, la Commission européenne ayant exclusivement eu recours à cette méthode d'émission par le passé.
Il est donc intéressant de noter que, pour ces emprunts d'un montant record dans l'histoire de l'Union européenne, la Commission a décidé de procéder également par adjudication. Elle ajustera le mix adjudication-syndications au fil du temps, en prenant en compte les réactions du marché. Le but est bien de donner à la Commission la flexibilité nécessaire pour profiter au mieux des conditions de marché à un instant t .
Pour conduire l'ensemble de ces opérations, la Commission européenne sélectionnera son propre réseau de « primary dealers » (équivalents des SVT), qui auront pour charge de garantir l'efficacité de ces transactions, de soutenir la liquidité des titres sur le marché secondaire et de placer la dette européenne auprès du plus grand nombre d'investisseurs possible.
La sélection des « primary dealers » par la Commission européenne
Pour intégrer le réseau des primary dealers de la Commission européenne, les critères d'éligibilité sont les suivants :
1. l'établissement doit être établi dans un pays de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen ;
2. l'établissement doit être un établissement de crédit autorisé à conduire ses activités dans l'Union européenne et supervisé par une autorité compétente en la matière ;
3. l'établissement doit faire partie du réseau des primary dealers d'un autre émetteur européen.
Les institutions sélectionnées devront ensuit
s'engager à acheter un minimum
de 0,05 % du volume émis lors
des adjudications. Pour les syndications, les chefs de file et les membres du
syndicat seront choisis parmi ce réseau de
primary dealers
.
Source : Commission européenne, Stratégie de financement diversifiée pour NextGenerationEU , avril 2021
SECONDE PARTIE
LES PRODUITS
ÉMIS PAR SYNDICATION NE PEUVENT CONSTITUER UNE SOLUTION
« MIRACLE » À LA HAUSSE DE LA DETTE PUBLIQUE
Après une présentation de la syndication et des circonstances dans lesquelles plusieurs des principaux émetteurs souverains y ont recours, il en est désormais proposé un bilan, pour l'ensemble des acteurs impliqués, et qui ne peut simplement tenir compte du coût « comptable » de ces émissions pour l'État et des gains qu'elles procurent aux spécialistes en valeur du Trésor. Le déroulé de ces opérations, dans de très bonnes conditions, a par ailleurs alimenté les interrogations sur la possibilité de recourir à des produits innovants, telles les obligations thématiques, ou à des titres de très long terme, pour traiter de l'augmentation de la dette publique. Le rapporteur spécial considère que ces propositions s'appuient pour partie sur une lecture déformée des modalités de gestion de la dette publique et que, loin d'être des remèdes « miracles », elles emportent avec elles de nombreuses fragilités.
I. LA SYNDICATION, UNE TECHNIQUE D'ÉMISSION QUI DOIT RESTER MINORITAIRE ET RÉSERVÉE AU LANCEMENT DE PRODUITS INNOVANTS OU DE TITRES DE TRÈS LONG-TERME
Le rapporteur spécial fera ici siens les termes de Jean-Michel Boucarut, directeur de la mise en oeuvre de la politique monétaire à la Banque de France, le processus de syndication « n'est pas « intrinsèquement » meilleur qu'un processus d'adjudication, mais il s'avère peut-être plus adapté dans des cas particuliers » .
A. PLUS ADAPTÉES POUR LANCER DES PRODUITS PARTICULIERS, LES SYNDICATIONS REPRÉSENTENT TOUTEFOIS UNE SOURCE D'INCERTITUDES ET DE CONTRAINTES PLUS FORTES QUE LES ADJUDICATIONS
Les syndications présentent indéniablement des avantages, qui résident notamment dans la transparence du processus pour l'émetteur : ce dernier vend au prix qu'il a fixé et connait les investisseurs qui viennent souscrire aux titres émis. La syndication permet également à l'émetteur d'optimiser la distribution des titres, en privilégiant par exemple des investisseurs de long-terme, tout en offrant un haut niveau de liquidité dès le début de l'opération. Les échanges directs entre l'émetteur et les investisseurs finaux sont en outre de nature à permettre d'élargir la base des investisseurs et de donner à la transaction le prix le plus compétitif possible . En effet, en théorie, le prix obtenu lors d'une syndication correspond au prix marginal, soit à celui qui assure l'équilibre entre l'offre et la demande 38 ( * ) . Enfin, l'émetteur se retrouve délié des contraintes de calendrier , propres aux adjudications.
Toutefois, et c'est ce qui explique que ces opérations soient minoritaires parmi les grands émetteurs souverains, les syndications admettent également des limites et des inconvénients pratiques . Lors de son audition, Anthony Requin, directeur de l'AFT, a ainsi expliqué que les adjudications étaient plus rapides à conduire et, surtout, moins « nerveuses » que les syndications.
De surcroît, et en dépit du cadre théorique qui inviterait à considérer que les syndications permettent d'obtenir le « juste prix », les échanges entre l'État et les SVT se caractérisent par des asymétries d'informations , que ce soit sur les clients intéressés, sur leur désir réel d'acquisition ou encore sur leur prix limite 39 ( * ) . Ces éléments limitent les marges de manoeuvre du Trésor, y compris pour définir le « juste prix » du titre.
1. Un rapport de force et une négociation en situation d'informations imparfaites et incomplètes
Une première contrainte provient du fait que les syndications, en dépit de la transparence du processus souvent mise en avant, sont une source majeure d'incertitudes . Cette limite provient de la caractéristique même de la syndication, soit la confrontation directe entre l'émetteur et les investisseurs finaux, à l'origine d'un « rapport de force » entre ces deux grandes catégories d'acteurs. Or, la minimisation de la prime d'émission, et donc l'émission au taux le plus favorable pour le contribuable, suppose une appréciation correcte de ce rapport de force. C'est d'autant plus difficile que la valeur théorique d'un titre n'est pas perçue de la même façon d'un investisseur à l'autre .
En effet, à chaque fois que l'émetteur prend la décision de resserrer le prix offert d'un point de base, il peut y avoir une appréhension sur les effets de cette action sur la demande, avec le risque, en baissant trop le prix offert, de faire fuir les investisseurs et de provoquer un dégonflement du livre d'ordres de nature à mettre en risque la taille cible de levée de fonds associée à l'opération, avec le danger d'envoyer un mauvais signal aux investisseurs présents. Ceux-ci pourraient en effet en déduire soit que le prix proposé par l'investisseur est définitivement trop bas, et qu'ils payent donc plus cher un produit que d'autres ne sont pas prêts à payer à ce prix, avec un risque ensuite pour l'attractivité de ces titres sur le marché secondaire, soit que l'opération est trop fragile, avec des conséquences négatives sur la perception et la crédibilité de l'émetteur.
Ainsi, si l'émetteur peut accepter de perdre quelques
investisseurs à chaque fois qu'il resserre le prix offert, il ne peut
pas prendre le risque de voir le livre d'ordres se vider, ce serait une grave
erreur réputationnelle, le
risque d'image
d'une telle
situation étant très élevé. La France ne s'est
toutefois jamais retrouvée dans une telle situation, les ratios de
couverture étant au contraire extrêmement élevés (11
fois plus que le montant souscrit pour l'OAT 0,50 % 25 mai 2072 et 5 fois plus
pour
l'OAT verte 0,50 % 25 juin 2044). Cette situation témoigne
aussi de l'expertise de l'AFT, qui doit parvenir à piloter de
manière suffisamment fine le prix dans l'intérêt du
contribuable, tout en veillant à ne pas dégrader la perception
par les marchés de la qualité de la signature française.
L'émetteur doit par ailleurs préserver la qualité du livre d'ordres . Il ne faut pas qu'il se retrouve, pour avoir trop resserré le prix, seulement avec des investisseurs dits « en valeur relative », c'est-à-dire des investisseurs qui, au moment où ils achètent un titre, en vendent un autre, en particulier le titre de référence utilisé pour l'opération. Si un tel phénomène se produisait, le prix pourrait s'effondrer et le taux augmenter très rapidement. Dès lors , il s'agit non seulement, pour l'AFT, de trouver le juste prix, qui préserve dans le même temps les intérêts du contribuable et une couverture suffisante de son offre, mais également de trouver le prix permettant d'assurer le placement et la liquidité des titres .
2. Une prime d'émission pour les investisseurs
Un deuxième inconvénient réside dans le fait que la concurrence entre les acquéreurs est moins marquée dans une syndication que dans une adjudication (à prix multiples), et donc son bénéfice moins lisible pour l'émetteur .
Les syndications se traduisent, comme cela fut rappelé, par une concession sur le prix en faveur des investisseurs, du fait de la difficulté pour l'émetteur à estimer très exactement la valeur théorique d'un titre, afin de limiter les risques lors du resserrement du taux. Cette concession de prix est toutefois faible pour les émetteurs les plus expérimentés et ceux qui bénéficient des meilleurs notations, de l'ordre d'1 à 2 points de base 40 ( * ) . Son appréciation est par ailleurs difficile et dépend de plusieurs facteurs. Elle s'appuie soit sur ce que serait la valeur théorique du titre émis par rapport au taux de titres proches, soit sur l'évolution de l'écart de taux entre l'opération et le titre de référence utilisé pour cette opération.
3. L'absence d'un calendrier prédéterminé
Un troisième inconvénient réside dans le fait que les syndications ne répondent pas, par définition, à un calendrier précis, au contraire des adjudications . Ce qui peut s'avérer être un avantage, avec le choix de la bonne fenêtre d'opportunité pour l'exécution de l'opération syndiquée, peut également se révéler être une contrainte. Ainsi, dès que l'émetteur communique son attention d'émettre une nouvelle OAT par syndication à un instant et à un taux donnés, chacun de ces éléments devient sujet à commentaires et interprétations sur les motivations de l'émetteur. Le marché peut par exemple se demander si l'émetteur n'anticipe pas de mauvaises nouvelles.
A contrario , le calendrier fixe et prédéterminé des adjudications participe de la neutralité de l'émetteur et permet d'éviter une éventuelle « décote de précaution ». La transparence et la prévisibilité des opérations sont deux avantages de nature à accroître l'efficacité et la liquidité des marchés secondaires si bien qu'à long-terme, le calendrier prédéterminé des adjudications présente un avantage, hors émission de produits innovants ou de très long terme, à la fois pour l'émetteur - et donc le contribuable - et pour les SVT et les investisseurs 41 ( * ) . En l'absence de ce caractère transparent et prévisible, si l'émetteur se conduisait de façon trop opportuniste, une prime liée à l'incertitude de son comportement serait appliquée aux émissions 42 ( * ) .
Or, et il faut bien le rappeler, ces contraintes qui pèsent sur l'émetteur - le choix des titres, de la fenêtre temporelle, le contrôle du prix et du volume émis - sont aussi des décisions qui participent du bon déroulé d'une syndication, au bénéfice des SVT eux-mêmes qui jouent, dans ces opérations, le rôle de garant.
4. Des opérations chronophages
Les syndications sont enfin des opérations chronophages : la préparation d'une opération syndiquée demande de nombreux entretiens préalables avec les SVT, un travail d'analyse interne, une procédure administrative particulière avec l'autorisation du directeur général du Trésor et l'élaboration des contrats de prise ferme, autant d'étapes à comparer à la réunion d'une heure et demie prévue pour chaque adjudication 43 ( * ) . L'exécution de l'opération syndiquée elle-même s'établit sur deux jours, contre une heure environ pour une adjudication.
Préparer une syndication : un exemple
avec l'OAT verte 0,50 % 25 juin 2044
Source : commission des finances du Sénat, d'après les éléments transmis en réponse au questionnaire du rapporteur spécial
5. Les adjudications, un processus éprouvé qui demeure le plus adapté pour la très grande majorité des émissions françaises
Le processus d'adjudication est un processus
éprouvé, qui n'a par ailleurs connu
aucun
dysfonctionnement depuis le début de la crise sanitaire et
économique a
u mois de mars 2020
,
tant d'un
point de vue technique que financier, comme l'a rappelé lors de son
audition
Jean-Michel Boucarut, directeur de la mise en oeuvre de la
politique monétaire à la Banque de France. Le retour
d'expérience a ainsi été très positif sur
l'année 2020, au cours de laquelle le processus s'est
déroulé sans aucune secousse ou incident, la demande
relayée par les SVT s'étant par ailleurs maintenue.
La syndication requiert par ailleurs une expertise particulière de la part des gestionnaires de la dette publique et l'entretien de liens étroits avec les SVT et les investisseurs finaux. Conserver ce même niveau d'expertise est aussi l'une des raisons pour lesquelles le rapporteur spécial considère que la France doit continuer d'utiliser ce processus d'émission de titres, en le réservant aux lancements de produits innovants ou de titres sur des maturités très élevées, pour lesquels l'émetteur doit en découvrir le prix. C'est d'autant plus le cas que c'est un instrument utile et rapidement mobilisable en cas de hausse brutale du besoin de financement, qui apporte souplesse et flexibilité en cas de circonstances exceptionnelles.
Observation n° 1 : le rapporteur spécial considère qu'aucune raison ne justifie aujourd'hui de revenir sur le choix opéré par la France depuis les années 1980 en faveur des adjudications, à l'instar des plus grands émetteurs souverains. Le processus de syndication n'est pas intrinsèquement meilleur, bien qu'il soit plus adapté dans des cas particuliers. Trois peuvent être distingués : le lancement de produits innovants, le lancement de nouvelles OAT sur des maturités très longues et l'émission d'un montant élevé de titres en cas de crise et de hausse brutale du besoin de financement.
B. LA RÉMUNÉRATION DES SPÉCIALISTES EN VALEUR DU TRÉSOR DANS LE CADRE DES SYNDICATIONS EST ADAPTÉE À LEUR RÔLE ET DOIT TENIR COMPTE DES AVANTAGES QUI DEMEURENT ATTACHÉS À CE STATUT
1. Les syndications, une procédure d'émission rémunérée
Comme ce fut précédemment expliqué, les syndications se distinguent aussi des adjudications en ce qu'elles impliquent une rémunération des spécialistes en valeur du Trésor, en raison de leur rôle de garant . S'ils ne sont en effet pas acheteurs directs, ils sont garants de leur groupe d'investisseurs finaux. Si l'un de ces investisseurs venait à faire défaut, le SVT devrait prendre le papier à son compte (cf. supra ). Cette rémunération est plus élevée pour les chefs de file , chargés de remplir des missions spécifiques lors d'une syndication et surtout de placer davantage de titres de dette. Le montant des commissions versées par l'Agence France Trésor est toujours déterminé selon une même règle 44 ( * ) , soit un multipliant un taux, qui dépend de la maturité du titre émis, par la taille émise. La grille des taux est confidentielle, le risque étant proportionnellement croissant à la durée du titre 45 ( * ) .
En 2020, d'après les informations transmises au rapporteur spécial, l'AFT se serait acquittée de 27,5 millions d'euros de frais et commissions de gestion de la dette . Le montant de commissions versées aux SVT depuis le 1 er janvier 2016 s'élève à 133,1 millions d'euros , pour 70,5 milliards d'euros émis par syndication, soit un ratio 0,189 % . Bien que non négligeable, le montant versé demeure donc plutôt limité et doit également être rapporté aux avantages que procure une syndication pour l'émission de produits innovants ou de titres de long-terme, en diminuant les risques pour l'émetteur.
Selon des données publiées par Bloomberg en juin 2020 46 ( * ) , les primary dealers auraient perçu de l'ordre de 500 millions d'euros au premier semestre de l'année 2020 grâce au recours accru aux syndications en Europe du fait de la crise sanitaire et économique. Si, d'après les informations transmises au rapporteur spécial, ce montant semblerait correct, il ne correspondrait toutefois pas aux seules émissions souveraines, mais également aux émissions des agences publiques et supranationales de la zone euro, qui recourent habituellement davantage aux syndications. Il convient également, pour apprécier la portée de ce chiffre, de le comparer au total du volume émis par l'ensemble des acteurs concernés.
Ainsi, pour le premier trimestre 2020
47
(
*
)
, le service d'information
financière
Bond Radar
estime que les commissions versées
auraient approché 300 millions d'euros, pour un total d'émissions
syndiquées
de 175 milliards d'euros, soit un ratio de 0,17 %.
Au premier trimestre 2021
,
le ratio serait de 0,19 %
du montant émis
, soit 400 millions d'euros versés aux
primary dealers
pour 215 milliards d'euros de dettes émises par
syndication
48
(
*
)
.
Pour les spécialistes en valeur du Trésor, ces commissions constituent également un moyen de couvrir une partie de leurs dépenses , alors même qu'ils estiment que les coûts supportés à ce titre sont en augmentation. Ces frais proviennent à la fois des dépenses de personnel et de fonctionnement engagées par les établissements pour accomplir cette activité et des coûts engagés lors des adjudications à cause du phénomène de surenchère.
2. Les surenchères, un renchérissement du coût des adjudications pour les spécialistes en valeur du Trésor
a) Un statut avantageux
L'Association pour les marchés financiers en Europe a constaté une baisse du nombre moyen de primary dealers ces dernières années (16 en moyenne par pays en 2019). Selon les établissements financiers, cette baisse s'expliquerait par le fait que cette activité serait de moins en moins rentable et attractive, en particulier du fait du coût des adjudications , qui ne serait pas entièrement compensé par les rémunérations perçues à l'occasion des syndications. Ils soulignent un risque « d'essoufflement » des banques, avec la possibilité qu'elles se détournent des valeurs du Trésor et de l'animation du marché secondaire, et donc que les taux remontent 49 ( * ) . Il semble que ce risque ne se soit pas matérialisé : les ratios de couverture demeurent très élevés , dans un contexte de taux extrêmement faibles, favorisé par une appétence très forte des investisseurs pour les actifs sûrs.
Ce « coût » des adjudications provient du phénomène de surenchère ( overbidding et overpricing ), lié à la compétition entre les SVT , que ce soit pour obtenir le plus grand nombre de titres émis ou pour bien figurer dans les classements annuels des SVT produits par chaque pays. Dans ce phénomène de surenchère, non seulement les ordres sont de plus en plus gros, mais les prix proposés sont supérieurs aux prix offerts sur le marché secondaire au moment de l'adjudication, entrainant potentiellement une perte pour les SVT ( overpricing ).
Ces deux tendances ne sont pas nouvelles : cela fait désormais près de 10 ans que les primary dealers estiment que cette activité est de moins en moins rentable, du fait de la compétition sur les adjudications 50 ( * ) , qui entraine avec elle le phénomène dit de la « malédiction du vainqueur » 51 ( * ) . Dans une étude de 2019 portant sur la situation espagnole, Francisco Alvarez et Cristina Mazon montrent que, de 2005 à 2007, les primary dealers espagnols se sont positionnés pour 52 % de leurs ordres au-delà du prix le plus bas demandé sur le marché secondaire au moment de l'adjudication 52 ( * ) . Dans une étude similaire de 2009 portant sur les adjudications de 12 pays en 2004, Riccardo Pacini avait constaté des overpricing dans 97 % des cas 53 ( * ) .
Les surenchères lors des adjudications se sont par ailleurs accrues en 2020 54 ( * ) , ce qui peut paraître étonnant : la hausse du volume émis par les gestionnaires de dette en 2020, pour couvrir des déficits aggravés par la crise économique et sanitaire, aurait pu au contraire conduire à une baisse des surenchères. Cette hausse s'explique en réalité par le fait que, dans ce contexte de crise, certains États ont choisi d'avoir recours à davantage de syndications, et donc à davantage d'opérations rémunérées pour les primary dealers . Or, comme l'ont rappelé les représentants de la Société générale, l'un des 15 SVT français, au rapporteur spécial, la participation aux syndications est tout à fait essentielle puisque les émetteurs souverains sont les plus gros émetteurs, loin devant les entreprises.
Les SVT ont donc accru leurs enchères, et à des prix d'autant plus bas qu'ils souhaitaient maximiser leur chance d'être sélectionnés comme chef de file pour ces opérations . Ce lien entre l'existence de règles régissant les obligations et les privilèges des participants et la surenchère a également été souligné par la littérature académique 55 ( * ) .
b) Des compensations lors des adjudications
Le rapporteur spécial tient ici à rappeler que cette compétition entre les SVT sur le marché primaire est aussi et surtout un avantage pour le contribuable , puisqu'elle permet d'obtenir le meilleur taux à l'émission. Ces coûts sont difficiles à apprécier et ne peuvent, comme c'est parfois la tentation, être seulement appréciés en comparant le prix de marché à l'instant de l'adjudication et son prix moyen pondéré.
En France , les SVT bénéficient par exemple depuis de nombreuses années des offres non compétitives 2 (ONC 2). Ce mécanisme a été mis en place par l'AFT au profit des SVT actifs lors des adjudications. Ils ont ainsi la possibilité de déposer des ONC le lendemain de l'adjudication, afin d' acquérir un montant de titres au même prix que la veille , en réalisant donc un profit si la valeur des titres a augmenté depuis l'adjudication ou si le prix des titres est supérieur au prix moyen pondéré résultant de l'adjudication. Les droits alloués à chaque SVT dans le cadre des ONC dépendent alors de la part de marché obtenue lors des trois précédentes adjudications. Ces ONC peuvent être considérées comme un « privilège » pour les SVT, puisqu'elles « ne comportent aucun risque ni de prix, ni de quantité » 56 ( * ) . Il est certes possible que la valeur de ce privilège soit moindre qu'escomptée pour les SVT, ces derniers pouvant intégrer la valeur de cette option dans le prix proposé lors de l'adjudication, ce qui a pour effet indirect d'accroître la concurrence entre les SVT, au bénéfice in fine du Trésor et donc du contribuable.
Par ailleurs, les transactions des primary dealers sur le marché secondaire s'inscrivent dans ce que l'AFT désigne sous l'expression de « cycle d'adjudication », soit les variations de prix pour les titres émis. Il est généralement constaté une dépréciation relative dans les jours précédents l'adjudication, le marché se préparant à absorber les titres, puis une tendance à l'appréciation des titres dans les jours qui suivent. Les SVT peuvent bénéficier de ces variations dans leur gestion des titres ainsi acquis.
Il pourrait par ailleurs être tout à fait défendu que réduire les rémunérations lors des syndications pourrait limiter le phénomène de surenchère, mais les spécialistes en valeur du Trésor ne sont, pour des raisons évidentes, pas favorables à une telle évolution.
Le rapporteur spécial considère donc que l'équilibre du modèle tel qu'il est proposé aujourd'hui ne doit pas être remis en cause . Cet équilibre n'empêche pas pour autant l'AFT de suivre avec attention le phénomène de surenchère lors des adjudications, afin de pouvoir détecter toute menace sur l'équilibre du système des SVT, et notamment une concentration excessive sur un nombre trop limité d'acteurs 57 ( * ) . Une surenchère excessive présente en effet le risque de fragiliser le modèle d'agence du placement de la dette via des SVT et de réduire la participation des investisseurs finaux, participation qui doit être garantie pour augmenter la demande lors des adjudications.
Cette posture de veille semble pour le moment tout à fait satisfaisante au rapporteur spécial. À titre d'exemple, si l'Italie a mis en place un système complexe pour rémunérer les SVT lors des adjudications, elle ne parvient pas totalement à lutter contre le phénomène de surenchère 58 ( * ) , de surcroît au prix d'un coût supplémentaire pour l'État et donc pour le contribuable italien.
3. Un statut qui demeure profitable
Le rapporteur spécial rappelle ainsi que l'activité de spécialiste en valeur du Trésor présente des avantages indéniables pour les établissements, même s'ils ne sont pas tous immédiatement comptables . Il convient ici d'adopter une vue d'ensemble, et de ne pas seulement mettre en balance d'une part les coûts supportés lors des adjudications, et d'autre part les commissions obtenues lors des syndications.
Le statut de SVT demeure prestigieux et constitue
un
atout pour les banques actives sur le marché obligataire
, en
renforçant leur visibilité. Les SVT peuvent par exemple
être privilégiés par rapport aux
non-SVT lors
des syndications des autres acteurs publics
59
(
*
)
, avec une
rémunération en conséquence, ou encore peuvent être
repérés par d'autres émetteurs, en particulier s'ils ont
été bien classés dans un pays et si celui-ci fait partie
des « gros » emprunteurs. À titre d'exemple, la
Commission européenne s'appuiera sur les établissements
financiers qui disposent déjà de ce statut auprès d'un
émetteur européen pour constituer son propre réseau
de
primary dealers
pour les émissions qu'elle
réalisera dans le cadre du financement du plan de relance
européen
NextGenerationEU
.
Par ailleurs, le phénomène de surenchère n'étant pas récent, ces « pertes » constatées lors des adjudications sont connues et certainement intégrées : il ne fait aucun doute pour le rapporteur spécial que les établissements financiers ne proposeraient pas de nouveau leur candidature pour obtenir le statut de SVT si les coûts comptables excédaient l'ensemble des avantages attendus d'une telle activité , l'altruisme n'ayant pas sa place ici. Être SVT donne une certaine image sur le marché, l'établissement apparaît comme une « banque globale [qui détient] en portefeuille l'ensemble des titres pouvant séduire un investisseur » 60 ( * ) .
Observation n° 2 : le rapporteur spécial considère que le système actuel de partenariat entre l'Agence France Trésor et les spécialistes en valeur du Trésor (SVT) ne fait pas de « perdant », que ce soit du côté de l'émetteur ou des établissements bancaires. La répartition aujourd'hui opérée entre adjudications et syndications permet d'assurer au mieux la sécurité des émissions françaises et de préserver les intérêts financiers du contribuable, tandis que le statut de SVT demeure favorable et avantageux pour les établissements qui en bénéficient.
II. LES ÉMISSIONS DE TRÈS LONG TERME ET DE PRODUITS INNOVANTS, PAR LE BIAIS DES SYNDICATIONS, NE PEUVENT ÊTRE CONSIDÉRÉES COMME UN REMÈDE À LA HAUSSE DE L'ENDETTEMENT PUBLIC
A. ALLONGER LA MATURITÉ DE LA DETTE POUR PROFITER DES TAUX FAIBLES À TRÈS LONG TERME RISQUERAIT DE NUIRE À LA LIQUIDITÉ ET À LA QUALITÉ DE LA DETTE FRANÇAISE
Au regard des fortes demandes exprimées lors des
syndications portant le lancement de titres de très longue
maturité, avec des taux de couverture jusqu'à onze fois
supérieur au montant émis (par exemple pour l'OAT 0,50 % 25 mai
2072), certains observateurs estiment que la France devrait profiter de ce
contexte pour allonger très significativement la maturité de sa
dette publique. Comme le rapporteur spécial l'explique
ci-après, ce premier remède, très prometteur sur le
papier, s'appuie en réalité sur une lecture
déformée des livres d'ordres obtenus lors des syndications. Les
effets secondaires d'un tel choix pourraient en outre s'avérer dangereux
pour la qualité de la dette française.
1. Une maturité de dette dans la moyenne européenne
La durée de vie moyenne de l'ensemble de la
dette négociable française s'est légèrement accrue
en 2020, à 8 ans et 73 jours
, contre 8 ans
et 63 jours au
31 décembre 2019. Cette hausse continue, observée depuis
plusieurs années, s'explique par l'allongement de la maturité
moyenne à l'émission des titres de moyen et long terme, de 8,5
ans en moyenne sur la période 2011-2015 à 11,2 ans en moyenne sur
la période 2016 à 2019
61
(
*
)
.
La durée de vie de la dette française est donc
supérieure à celle observée en Allemagne (6,7 ans), en
Espagne (7,8 ans), en Italie (7 ans), et aux Pays-Bas (7 ans et trois mois),
mais inférieure à celle de l'Autriche
(10,1 ans) et du
Royaume-Uni
62
(
*
)
(15,3
ans)
63
(
*
)
.
Elle
est également supérieure à la durée de vie moyenne
de la dette publique dans les pays de l'OCDE
,
de 7,7 ans en 2020,
et qui marque une baisse de 0,2 an par rapport à 2019, interrompant
ainsi une hausse continue depuis la crise financière
de 2008 (+ 1,7
an)
64
(
*
)
. Ce léger
recul s'explique en grande partie par le recours accru des États membres
aux titres de court terme, afin de couvrir leurs besoins de financement et de
trésorerie durant la crise.
L'évolution de la durée de vie moyenne de la dette négociable dans plusieurs pays de l'OCDE entre 2007 et 2020
(en années)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les fichiers de données attachés au rapport « Sovereign borrowing outlook for OECD countries » de l'OCDE (2021)
2. Le phénomène de surenchère et la déformation des livres d'ordres
a) Un gonflement artificiel des livres d'ordres
Après chaque lancement d'une nouvelle OAT de très long terme par syndication, et eu égard aux montants très élevés souscrits par les investisseurs lors de ces opérations, il n'est pas rare que les observateurs s'appuient sur la demande exprimée pour s'interroger sur la stratégie française en la matière . Ce volume de demande témoigne pour eux de la nécessité et, surtout, de la possibilité d'allonger la maturité de la dette française, en émettant plus fréquemment sur des segments de la courbe supérieurs à trente ans.
Toutefois, il s'agit là d' une lecture pour partie « déformée » des livres d'ordres et de la demande exprimée lors des syndications , qui ne tient pas compte du phénomène de surenchère ( overbidding ), également constaté sur ces modalités d'émission.
En effet, lors d'une syndication, l'émetteur souverain va avoir tendance à privilégier, dans ses allocations, les investisseurs de long terme, ceux qui sont en mesure de placer ces titres émis sur les parties les plus longues de la courbe, réduisant de fait drastiquement la part des investisseurs de plus court terme (le plus souvent des hedge funds ) 65 ( * ) , dont le but est de réaliser des gains rapides en profitant de la concession sur le prix des titres émis par syndication pour les revendre très rapidement sur le marché secondaire.
Or, certains de ces investisseurs opportunistes font le choix d' émettre des ordres très élevés en anticipation de leur forte dilution lors de l'allocation. Leur but n'est alors pas d'être servi à la hauteur de leur demande, ce qui serait périlleux à la fois pour eux et pour l'émetteur, mais bien de « gagner » la compétition qui les oppose aux autres investisseurs de court terme sur la part des titres qui leur seront alloués. Cette tendance est également partie liée à la politique monétaire conduite par la Banque centrale européenne, et notamment au volume de ses achats. Les acteurs opportunistes savent qu'il y a ensuite de facto un acheteur en dernier ressort et qu'ils pourront facilement revendre les titres acquis à la banque centrale.
L' overbidding n'est cependant pas propre à la France et s'observe, dans les syndications en zone euro depuis 2016-2017 66 ( * ) .
b) Un ratio de couverture qui perd de sa pertinence
Il devient donc beaucoup plus difficile , pour les émetteurs souverains et particulièrement en zone euro, d'utiliser les ratios de couverture comme des indicateurs clés pour juger de la demande des investisseurs lors des syndications . Le directeur général de l'agence de gestion de la dette britannique ( UK Debt management office ), Sir Robert Stheeman, pose le même constat que son homologue français : « ce comportement, qui s'observe à l'échelle internationale pour l'ensemble des syndications, peut résulter en un livre d'ordres très volumineux mais fallacieux et ne devrait donc plus être pris comme le seul indicateur du niveau de la demande » 67 ( * ) .
Ce phénomène d' overbidding s'est encore accru en 2020, avec une hausse de 40 % du ratio de couverture moyen 68 ( * ) .
Les ratios de couverture des syndications depuis 2017 en zone euro
Source : Financial Times, « European bond sale ordrer books grow to `ridiculous levels'», 17 mars 2021
Une demande de 100 milliards d'euros pour un montant
émis
de 10 ou 15 milliards d'euros ne veut donc pas dire que
l'émetteur souverain peut fixer le prix comme il le souhaite : le
livre d'ordres peut se dégonfler après resserrement et
l'émetteur doit de surcroît parvenir à un équilibre
entre investisseurs de long terme et investisseurs plus opportunistes. C'est en
ce sens que déduire de
cette demande
« faciale » qu'il y aurait une possibilité pour la
France d'émettre des montants considérables à long terme
constitue une lecture déformée de ces phénomènes de
marché
.
A contrario
, pour le rapporteur
spécial, ce remède magique aurait tous les effets d'un mirage
dangereux.
À titre d'exemple, lorsque l'Espagne a émis par syndication une obligation à 10 ans au mois de janvier dernier, et après avoir resserré de deux points de base la rémunération offerte sur le titre pour lutter contre les phénomènes de surenchère, son livre d'ordres a brusquement diminué de moitié, passant de 130 milliards d'euros à 65 milliards d'euros 69 ( * ) . Ce gonflement « artificiel » des livres d'ordre porte donc avec lui un risque pour la transparence des opérations - puisqu'il peut artificiellement inquiéter les autres investisseurs sur la solidité de l'opération en cours - et il fausse la communication à l'extérieur, avec une appréhension biaisée de l'état de la demande pour les titres de long-terme.
Observation n° 3 : le rapporteur spécial estime que la tendance à la surenchère lors des syndications et la lecture biaisée des ratios de couverture qui en résulte doivent encourager à la prudence quant aux discours qui tendraient à laisser penser que l'allongement de la maturité de la dette serait une opération aisée et peu risquée. Il est en réalité très incertain que ces opérations, si elles étaient répétées, rencontreraient la demande nécessaire, et qui plus est une demande de qualité, condition sine que none pour maintenir la liquidité de la dette française et la confiance dans la signature française.
c) Des tentatives pour limiter les surenchères
Pour freiner ce phénomène, qui s'observe dans
toute la zone euro, l'AFT a indiqué, après échange entre
les chefs de file et les investisseurs concernés, qu'
elle
encouragerait, sur la part octroyée à ces investisseurs, les
ordres « réalistes »
, soit ceux dont l'ordre de
grandeur est plus proche de celui des allocations effectivement attendues par
les investisseurs
70
(
*
)
. Ce
dialogue aurait d'ores et déjà porté ses fruits puisque,
lors du lancement par syndication de la seconde OAT verte, le livre d'ordres
s'est élevé
à 35 milliards d'euros, pour un montant
alloué de 7 milliards d'euros (contre 75 milliards d'euros souscrit lors
de l'OAT 2072, pour un même montant alloué).
L'Italie et l'Espagne ont, eux, préféré
essayer de resserrer au maximum le prix offert, pour tenter de faire
dégonfler les livres d'ordres
(cf.
supra
), ce qui peut
s'avérer être une stratégie risquée quant aux
signaux envoyés au marché sur le bon déroulé de
l'opération.
L'AFT préfère pour le moment s'en
tenir à cette stratégie de dialogue avec les investisseurs
finaux, afin de les encourager à ne pas déposer d'ordres
excessifs
71
(
*
)
.
Son objectif est de
renforcer l'intégrité de la
construction du livre d'ordres afin de donner une image plus réaliste de
son dynamisme
72
(
*
)
.
Comme l'indiquait toutefois le directeur général du Trésor et de la politique financière espagnol, M. Pablo de Ramon-Laca, et le rapporteur spécial partage ce constat, il peut être difficile pour les émetteurs d'agir à leur niveau , alors même que ce phénomène s'observe dans plusieurs pays de la zone euro. À cet égard, une initiative européenne est défendue par certains acteurs du marché, qui rappellent par ailleurs qu'il est également difficile pour eux de contraindre les investisseurs, qui sont libres de leurs ordres et de leurs actions 73 ( * ) .
D'après les informations transmises au rapporteur
spécial,
le sous-groupe du Comité économique et
financier de l'Union européenne qui réunit les émetteurs
souverains en zone euro, le
sub-committee on EU sovereign debt
markets
(ESDM), a mis en place lors de sa réunion de mars
2020 un groupe de travail sur les dynamiques de marché. Il a justement
pour objet de
discuter des ordres de taille déraisonnable
laissés par certains acteurs du marché lors des syndications des
souverains européens
.
Observation n° 4 : le rapporteur spécial estime qu'il faut laisser la possibilité au dialogue entamé par l'AFT avec les SVT et les investisseurs finaux sur la limitation des surenchères de se développer, avant d'en évaluer la portée. En cas de persistance de ces pratiques, qui pourraient à terme nuire à la transparence des émissions et à leur réception par le marché, et qui affectent l'ensemble des émetteurs de la zone euro, des moyens plus contraignants devraient être étudiés, en s'inspirant des recommandations du sous-groupe sur les dettes souveraines du Comité économique et financier de l'Union européenne ( sub-committee on EU sovereign debt markets - ESDM), chargé d'un travail sur le sujet.
3. 3. Une volatilité de la demande de titres de maturité très élevée
Une seconde raison ne doit pas conduire à surévaluer le volume des titres demandés lors des syndications sur des titres de très long terme ; leur nature risquée. En effet, pour leur placement, ces titres ne sont recherchés que par les acteurs qui disposent d'une profondeur suffisante pour se permettre d'acheter des titres qui peuvent perdre près d'un cinquième de leur prix en quelques semaines, comme ce fut le cas pour la nouvelle OAT 0,50 % 25 mai 2072, émise au mois de janvier 2021. Selon les données transmises par l'AFT, l'OAT a été émise au taux de 0,59 % et vaut désormais 0,93 %, les investisseurs ayant donc perdu près de 15 % sur leur investissement du fait de la hausse des taux. Par ailleurs que plus la maturité est élevée, plus la variation d'un point de base du taux a un effet sur le prix, peu ou prou proportionnel à la durée du titre (cf. supra ). L'AFT avait su saisir, pour cette émission, une parfaite fenêtre d'opportunité, quelques jours avant la première émission à 30 ans de la Commission européenne, et alors même que les taux s'apprêtaient à légèrement remonter.
L'AFT, pour maximiser la sécurité du financement de la dette tout en minimisant le coût, ajuste la maturité de ses émissions à la demande . C'est donc bien la demande des investisseurs qui détermine la maturité des émissions et non pas la méthode d'émission . Cette dernière est choisie a posteriori , pour répondre à cette demande, plus forte ces trois dernières années pour les maturités très longues, les investisseurs étant à la recherche de rendement.
Pour illustrer ce propos, le rapporteur spécial prendra l'exemple de l'OAT 25 mai 2072, en s'appuyant sur les informations transmises par l'AFT. La demande des investisseurs finaux pour un nouveau titre sur une maturité aussi longue s'est constituée au second semestre de l'année 2020, dans un contexte de taux très bas et de recherche de rendement par les investisseurs sur des points de plus en plus lointains de la courbe des taux. Or, en l'absence de réémission de la précédente OAT de référence à 50 ans - l'OAT 2066 - la demande a crû jusqu'à atteindre un niveau suffisant pour lancer cette nouvelle OAT. Si la demande s'accroissait cette année pour cette maturité, l'AFT pourrait alors procéder par adjudication, en émettant des titres sur la souche existante (l'OAT 2072).
Néanmoins, avec la légère remontée des taux observée depuis le début de l'année 2021, la demande des investisseurs pour ces titres à très long terme pourrait diminuer . Certains investisseurs présents lors de l'adjudication de l'OAT 2072 ont ainsi indiqué avoir fortement réduit la maturité de leurs investissements, en revenant à une durée plus proche des dix ans.
Le raisonnement qui consisterait à allonger la maturité de la dette afin de se prémunir contre une hausse des taux présente donc plusieurs fragilités et s'applique difficilement à la gestion de la dette par les émetteurs souverains, dont les besoins de financement sont à la fois constants et importants. À l'instar de ses homologues, l'AFT répond à la demande exprimée par les investisseurs sans chercher à « battre » le marché , ce qui serait une stratégie risquée, le contexte de taux demeurant par ailleurs très incertain. En effet, le gain financier d'un tel pari dépend de tout un ensemble de paramètres qui ne sont pas pilotables par l'émetteur 74 ( * ) : la valeur de la prime de terme (changeante au cours du temps), la date précise de la remontée des taux, l'ampleur de cette remontée et de sa durée, la capacité de l'émetteur à identifier le bon moment pour inverser sa stratégie et réduire ensuite rapidement la maturité de la dette.
Enfin, eu égard au caractère plus risqué des titres de très longue maturité pour les investisseurs, la demande est naturellement plus incertaine : émettre de plus gros volumes sur ces segments moins profonds de la courbe des taux pourrait se traduire par une moindre liquidité de la dette française, en sa défaveur, et par la tarification d'une « prime de risque » par les investisseurs.
B. CRÉER DE NOUVELLES OBLIGATIONS « THÉMATIQUES » SE HEURTE À DES CONTRAINTES QUI RISQUERAIENT DE NEUTRALISER LES AVANTAGES ATTENDUS DU LANCEMENT DE CES PRODUITS INNOVANTS
L'idée d'émettre de nouvelles obligations thématiques sectorielles, relancée par la crise sanitaire et économique, relève davantage pour le rapporteur spécial d'un autre « remède miracle ». Sans s'opposer fondamentalement à la création de tels produits financiers, il rappelle d'une part que leur lancement doit être soigneusement étudié afin de ne pas nuire à la qualité de la dette française, et d'autre part que ces produits ne peuvent en aucun cas constituer une solution immédiate au traitement de la dette publique et, en particulier, au remboursement de la « dette covid ».
1. Un raisonnement inspiré du succès des OAT vertes
La France a lancé par syndication sa seconde OAT verte
0,50 %
le 16 mars 2021
,
sur une maturité de 23 ans.
Le taux de rendement à l'émission s'est établi à
0,526 %, quasiment identique au taux de 0,525 % obtenu au mois
de mai 2020 lors du lancement par syndication
de l'OAT 0,50 % 25 mai 2040.
Les OAT vertes en chiffres
La France a poursuivi ses émissions d'obligations vertes en 2020, en continuant à abonder, par adjudication, la première OAT verte créée en 2017. L'encours total de cette OAT est désormais de 27,4 milliards d'euros, ce qui fait de la France le premier émetteur de « titres verts », devant la Banque européenne d'investissement (24,9 milliards d'euros).
Le 4 février 2021, 1,5 milliard d'euros ont été adjugé sur la première OAT verte (OAT 1,75 % 25 juin 2039). Avec le lancement par syndication de la seconde OAT verte au mois de mars 2021, pour un montant de sept milliards d'euros, l'encours total des OAT vertes s'élève à désormais 35,9 milliards d'euros. Selon les chefs de file du syndicat bancaire, près de quatre milliards d'euros sur les sept émis ont été placés auprès d'investisseurs verts.
Source : Cour des comptes, rapport sur le budget de l'État en 2020 ; communiqués de presse de l'Agence France Trésor du 4 février 2021 et du 16 mars 2021
Lors de son audition, le directeur de l'AFT a expliqué que le niveau de demande élevé sur l'OAT verte, que ce soit lors des réémissions par adjudications ou lors de ce lancement par syndication, s'expliquaient en partie par la volonté des investisseurs de répondre aux objectifs qui leur sont fixés ou qu'ils se fixent de plus en plus en matière de finance éthique, et en particulier dans le secteur environnemental. Cette forte demande se traduit par une « prime verte » ( greenium ), que l'AFT a chiffré à 1-1,5 point de base lors du lancement par syndication de la seconde OAT verte. Dans une note récente, la banque HSBC évalue une prime verte de l'ordre de trois points de base pour les émissions réalisées par l'AFT par adjudications, soit une économie sur la charge d'intérêts de l'ordre de trois à six millions d'euros pour l'année 2020 75 ( * ) .
Cette demande pour des « actifs durables » se constate aussi au niveau des agences ou des banques publiques. La SFIL a ainsi connu, lors de ses deux émissions vertes en 2019 et en 2020, des taux de souscription record, de respectivement quatre fois et cinq fois le montant alloué.
2. L'émission de nouvelles obligations thématiques, un bilan coûts/avantages difficile à évaluer
Répliquer les OAT vertes en procédant à l'émission de nouvelles obligations thématiques , telles que des obligations « sociales » 76 ( * ) ou même « covid », est un sujet qui revient régulièrement dans les discussions portant sur la stratégie française de gestion de la dette publique.
Comme le relevait le département des marchés monétaires et de capitaux du FMI dans sa série spéciale consacrée à la gestion de la dette en période de pandémie, la crise sanitaire actuelle pourrait en effet accroître l'intérêt des investisseurs pour l'émission de titres destinés à financer des dépenses de santé ou des dépenses humanitaires .
Toutefois, l'institution fait preuve de précaution, et le rapporteur spécial fera sien ce positionnement : « une prudence particulière est de mise concernant la création et l'émission de tels instruments de financement réservé, car elle pourrait entraîner une fragmentation du marché, une baisse des liquidités et une augmentation des coûts de financement. » 77 ( * ) Ainsi, plutôt que de créer des instruments réservés, le département du FMI conseille dans un premier temps de communiquer sur la manière dont les sommes empruntées serviront à financer les mesures en matière de santé publique ou de secours aux pays plus défavorisés et touchés par la pandémie.
Il est vrai que les obligations thématiques sont soumises, du fait de leur nature même, à plusieurs contraintes . La première consiste à devoir piloter l'émission en fonction d'une quantité fixe de dépenses éligibles et donc une quantité limitée de titres, avec un risque in fine pour la liquidité du produit , si les dépenses éligibles l'année suivante ne sont pas suffisantes pour réémettre sur une souche. L'une des qualités reconnues de la dette française est bien sa liquidité, une caractéristique qui ne doit pas se voir fragilisée en particulier dans le contexte de hausse massive de l'endettement à moyen et long terme.
Dans ce cadre, il semblerait trop risqué, même au regard des gains attendus, de fragiliser la qualité de la dette en multipliant les obligations thématiques sectorielles, qui pourraient entrainer avec elles un risque de fragmentation de la courbe et donc une hausse des taux . Sur l'OAT verte, il a justement fallu que l'AFT parvienne à trouver un point de maturité à même d'assurer cette rencontre entre une base ( pool ) d'investisseurs fiables et récurrents et ce point de la courbe, sur lequel l'AFT peut réémettre si les investisseurs le demandent.
Créer des obligations thématiques irait par ailleurs à l'encontre des grands principes budgétaires et comptables classiques, tels que l'unicité du Trésor et du compte et mieux vaudrait dans ce cas laisser les obligations « sociales » aux émetteurs publics que sont la Cades ou l'Unedic, qui émettent d'ailleurs à des taux légèrement supérieurs à ceux constatés pour l'État. Enfin, ces obligations nécessitent un processus de certification indépendant et contraignant , afin de garantir aux investisseurs que les titres émis servent bien à financer les dépenses éligibles. Si le coût de ce processus est faible par rapport aux montants émis, il n'en demeure pas moins réel.
Sans être fondamentalement opposé au développement de ces obligations, le rapporteur spécial estime que les inconvénients semblent aujourd'hui excéder les avantages qui en sont attendus . Il faudra toutefois être prêt à adapter cette stratégie suivant la demande des investisseurs, comme l'AFT avait pu le faire de manière pionnière avec les OAT vertes. Philippe Mills, directeur général de la SFIL et ancien directeur de l'AFT, considère que l'émission d'obligations thématiques est une bonne stratégie pour tous les types d'émetteurs à condition, en particulier pour les souverains, de s'assurer que les conditions sont réunies pour réussir ces émissions : une liquidité nécessaire sur le marché secondaire, une demande suffisante, un encadrement et une certification indépendants et fiables .
Observation n° 5 : si les syndications permettent de lancer des produits innovants dans de très bonnes conditions, le rapporteur spécial considère que l'émission de nouvelles obligations thématiques n'est aujourd'hui pas une priorité. Le choix de créer de nouvelles obligations sectorielles ne pourra se faire qu'après une analyse approfondie de la demande des investisseurs et des éventuels risques que ferait courir cette stratégie pour la liquidité et l'intégrité de la dette française.
3. Une impasse pour traiter la « dette covid »
Le rapporteur spécial souhaite surtout insister sur le fait que ces obligations thématiques ne peuvent en aucun cas constituer une solution au traitement de la « dette covid » . Cette dernière s'élève à 140 milliards d'euros sur le périmètre État, auxquels s'ajoutent 75 milliards d'euros de dette sociale, d'ores et déjà cantonnés au sein de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) 78 ( * ) . Il ne serait pas concevable de lancer de nouvelles OAT spécifiquement dédiées à l'amortissement de cette dette, y compris par syndication. Cette stratégie aurait par ailleurs un coût puisque qu'elle conduirait l'État à verser des commissions supplémentaires alors même que la « dette covid », comme toute la dette émise par l'État ces dernières années, est parfaitement amortissable et peut être « roulée ».
Sans revenir sur ce scénario extrême, le raisonnement du Gouvernement, qui propose un « isolement » de la « dette covid » présente ses propres difficultés. Dans le programme de stabilité 2021-2027, le Gouvernement propose en effet de créer un programme budgétaire au sein de la mission « Engagements financiers de l'État » et doté de 140 milliards d'euros en autorisation d'engagement, en vue d'un abondement de la Caisse de la dette publique (CDP) dans les années à venir. Les crédits de paiement associés seraient ensuite inscrits chaque année, selon une « règle d'indexation », en fonction de la dynamique de croissance et des recettes fiscales supplémentaires ainsi collectées par rapport à l'année passée. La « dette covid » serait alors amortie en 20 ans, soit d'ici 2042 79 ( * ) .
Aucun détail supplémentaire n'est donné sur ces règles ou sur le fonctionnement de ce programme, au détriment de la lisibilité et de la visibilité qui seraient pourtant attendus sur un tel sujet. Concrètement, la CDP se verrait attribuer, dans le cadre de ce programme, des crédits budgétaires correspondant à une partie des recettes fiscales supplémentaires. Les montants en provenance de la CDP seraient ensuite utilisés pour amortir des titres de dette lorsqu'ils arriveraient à échéance, jusqu'à avoir remboursé la totalité de la « dette covid ». L'objectif, selon le Gouvernement, est bien d'allouer cette partie des recettes fiscales supplémentaires au remboursement de cette dette, et pas à des dépenses publiques supplémentaires. Le rapporteur rappelle que, au contraire de la Cades, la CDP ne procède pas à des émissions. Dans la solution retenue par le Gouvernement, la « dette covid » (hors dette sociale) n'est donc pas fragmentée puisque sa gestion demeure centralisée auprès de l'AFT.
Le schéma de gestion proposé par le Gouvernement n'est donc pas à proprement parler un cantonnement , si le rapporteur spécial s'en réfère à la définition la plus simple du cantonnement, soit le transfert d'un montant de dette vers une caisse d'amortissement ou un véhicule spécial, qui émet une dette amortissable et reçoit une ressource propre pour rembourser les échéances 80 ( * ) . La dette en question pourrait alors potentiellement sortir du circuit de gestion ordinaire par l'AFT, par lequel de nouvelles émissions d'obligations viennent renouveler les obligations. Tout comme pour son isolement, l'objectif du cantonnement de la dette est bien néanmoins de « la rendre plus visible et d'afficher publiquement une volonté de la rembourser conformément à une stratégie définie » 81 ( * ) .
Une (brève) histoire du cantonnement
Le cantonnement de la dette n'est pas une innovation, il a été expérimenté à plusieurs reprises dans l'histoire française, via le dispositif plus général des caisses d'amortissement de la dette publique :
- Raymond Poincaré, président du Conseil en 1922, crée la caisse autonome d'amortissement, dotée de l'autonomie constitutionnelle et de ressources fiscales propres, le Gouvernement considérant alors que la République de Weimar n'honorait pas ses dettes vis-à-vis de la France, lui laissant une « note » qu'il fallait payer pour « sauver le franc » ;
- Charles de Gaulle se référera au système mis en place par Raymond Poincaré et insista sur la nécessité de limiter les dépenses et de voter les budgets à l'équilibre. Aucun système de cantonnement ne fut toutefois à proprement parler mis en place, même s'il souhaitait que l'exigence d'équilibre budgétaire permettre en contrepartie d'amortir les dettes contractées ;
- Jacques Chirac, Premier ministre en 1986, instaura par le biais de la loi de finances rectificative du 11 juillet 1986 la Caisse d'amortissement de la dette publique, établissement public national visant à affecter les produits de la privatisation à l'amortissement de la dette d'État, dans l'objectif de sa diminution ;
- Alain Juppé, Premier ministre en 1995, instaura la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), un cantonnement cette fois-ci au sens strict de la « dette sociale », dont le remboursement repose sur une nouvelle ressource, la contribution de remboursement de la dette sociale (CRDS).
Source : Anne-Laure Delatte et Benjamin Lemoine,
« Expertise économique et politique publique : examen
critique de la proposition de cantonner la dette liée à la
pandémie », LIEPP Working Papier, n° 118,
mars
2020
Pour citer Anne-Laure Delatte, chargée de recherche au CNRS, lors de son audition, « cantonner la dette, c'est [donc] s'engager à rembourser une partie de la dette dans un temps prédéfini », ce qui revient donc à changer la dynamique de cette dette, ce qui n'est pas sans conséquence sur les finances publiques.
Il convient ici de rappeler qu'à cet égard que, dans son rapport, la commission sur l'avenir des finances publiques - installée par le Gouvernement pour réfléchir aux scénarios possibles de redressement des finances publiques à moyen terme et aux nouvelles règles de gouvernance et outils de pilotage des finances publiques - s'est prononcée contre un cantonnement de la dette covid, au titre qu'elle imposerait un calendrier de remboursement contraint, sans aucune conséquence sur le niveau de la dette ou sa soutenabilité 82 ( * ) . Elle préférait ainsi que « l'intégralité de la dette liée au Covid-19 soit plutôt refinancée par l'État, dans le cadre de ses programmes d'émission classiques, qui assurent les meilleures garanties de refinancement (moindre coût) et avec un horizon de très long terme de remboursement » 83 ( * ) . La commission se montrait en revanche favorable à l'évaluation et à l'identification de cette dette.
À cet égard, le rapporteur spécial a du mal à percevoir les avantages attendus de l'isolement proposé par le Gouvernement . La gestion optimale consiste à financer le stock de dette dans son entier, de manière à minimiser le coût : soit la solution retenue par le Gouvernement est un simple isolement de « façade » et ne relève dans ce cas que de la communication, avec le remboursement symbolique d'un volume de dette correspondant à celui de la « dette covid », soit cet isolement implique des conséquences sur le traitement de cette dette, auquel cas la stratégie proposée serait au mieux neutre, au pire porteuse de risque pour l'émetteur et pour le contribuable. Il fera donc siens les propos de l'un des auditionnés : il n'y a pas d'argument économique à cet isolement de la « dette covid » . Les recettes fiscales supplémentaires pourraient par exemple tout aussi bien servir à réduire le déficit budgétaire courant.
Observation n° 6 : plutôt qu'un isolement de la « dette covid », tel que proposé par le Gouvernement, le rapporteur spécial défend, à l'instar de la commission sur l'avenir des finances publiques, que cette dette soit traitée comme toutes les autres, soit dans le cadre des programmes d'émissions classiques de l'État, afin d'assurer les meilleurs garanties de refinancement. Les recettes fiscales supplémentaires attendues avec la reprise de la croissance pourraient être allouées à la réduction du déficit.
Pour finir, le rapporteur spécial souhaite rappeler, s'il en était besoin, qu'il n'y pas de dette magique et, surtout, pas de remède « miracle ». Sans croissance, il n'y aura ni résorption de la dette, ni dégagement de nouvelles marges de manoeuvre pour répondre à la prochaine crise ou aux défis économiques qui se posent de manière de plus en plus pressante, en particulier en matière de transition écologique. Seule la croissance peut nous préserver d'une hausse non contrôlée de l'endettement - la pire situation serait que les taux augmentent mais que la croissance stagne - et permettre de dégager des recettes supplémentaires pour alléger la contrainte posée par la dette publique.
LEXIQUE
Amortissement : remboursement des sommes souscrites lorsqu'un emprunt arrive à maturité.
Coupon : l'intérêt de l'obligation. Pour un titre à 10 ans portant un coupon de 1 % (et correspondant très exactement au taux d'intérêt à 10 ans lors de l'émission), l'État recevra 100 lors de l'émission inaugurale puis paiera 1 de coupon chaque année. Il restituera 100 en capital au bout de 10 ans.
Courbe des taux : elle permet de visualiser la relation entre la valeur des taux d'intérêt et leurs termes. Cette courbe est en générale croissante (les taux longs sont supérieurs aux taux courts), du fait de l'existence d'une prime de risque.
Liquidité : caractéristique d'un produit financier ou d'un marché lorsqu'on peut effectuer des opérations d'achat ou de vente sans provoquer de trop fortes variations de prix par rapport au dernier cours de transaction.
Marché primaire : marché sur lequel les nouveaux titres financiers sont émis et souscrits par les investisseurs. C'est le marché « du neuf » des titres financiers.
Marché secondaire : marché sur lequel sont échangés des titres financiers déjà créés (sur le marché primaire). C'est le « marché d'occasion », qui permet d'assurer la liquidité de ces titres, et donc en retour la qualité du marché primaire.
Maturité : moment où le remboursement du titre doit s'effectuer.
Obligation : reconnaissance de dettes. L'État, en tant qu'emprunteur, émet des obligations et s'engage à verser des intérêts annuels jusqu'à l'échéance du titre.
Obligation assimilable du Trésor et souche : la technique de l'assimilation consiste à créer un titre dont certaines caractéristiques sont fixées (coupon d'intérêt, date de maturité) et à réémettre de nouveaux titres à partir de cette souche, donc avec les mêmes caractéristiques, en fonction de la demande des investisseurs. Cette technique permet d'atteindre un volume d'encours conséquent pour chaque souche obligataire, compris entre 20 et 40 milliards d'euros pour les obligations nominales (à taux d'intérêt fixe) et entre 10 et 25 milliards d'euros pour les obligations indexées (à taux d'intérêt indexé sur l'inflation).
Prime : lors d'une syndication, l'écart entre le prix proposé par l'émetteur et la valeur théorique du titre concédé par l'émetteur aux souscripteurs.
Prix : le prix d'une obligation, payé par le souscripteur, évolue en fonction des taux et suivant une évolution inverse.
Prix d'émission : prix auquel l'obligation est proposée par l'émetteur au souscripteur lors de l'émission. Si le prix est égal à la valeur nominale (100), l'obligation est dite « au pair ».
Taux de rendement à l'émission : représente le rendement du titre entre le moment de l'émission et la date de l'échéance.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 19 mai 2021 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial, sur les coûts et les avantages de la syndication.
M. Claude Raynal , président . - Nous commençons notre ordre du jour par une communication de notre collègue Jérôme Bascher, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État » sur les coûts et les avantages de la syndication.
M. Jérôme Bascher , rapporteur spécial . - C'est un sujet technique que je vous propose ce matin avec la syndication, une technique d'émission de la dette publique. L'Agence France Trésor (AFT), chargée de la gestion de la dette de l'État, est animée par un double objectif : que les titres de la dette française trouvent preneur - afin de couvrir nos besoins de trésorerie et de financement - et à moindre coût, dans les conditions les plus favorables possibles pour le contribuable - afin que la charge de la dette soit la moins élevée possible.
Avant de vous présenter les caractéristiques de la syndication, qui diffèrent de celles de la méthode classique d'émission par adjudication, un rappel sur la spécificité des titres de dette publique. Imaginons un particulier qui souhaite faire un prêt, il emprunte une somme donnée sur 20 ans à un coût de 2 % et il connait très exactement le coût de son produit. Pour la dette publique, c'est différent. Prenons là-aussi un exemple théorique, l'État va émettre 100 avec un coupon (un intérêt) de 0,5 %. Le prix payé par les souscripteurs pourrait très bien ne pas être de 100, mais être de 99 ou 101 selon le contexte de taux. C'est important parce qu'il faut bien se rappeler que les obligations assimilables du Trésor (OAT), les titres à moyen et long terme de la dette française, s'inscrivent dans un marché financier, il y a une offre et une demande.
Quand l'État émet des titres par adjudication, ce sont les spécialistes en valeur du Trésor (SVT), les 15 banques sélectionnées pour être les partenaires privilégiées de l'AFT, qui vont venir acheter les titres, sur ce marché primaire. Ils les portent donc dans leur bilan, avant de les revendre aux investisseurs intéressés sur le marché secondaire, là où ces titres s'échangent. Les détenteurs de dette peuvent être des assureurs, des gestionnaires d'actifs ou encore des hedge funds , des résidents français comme des non-résidents. Dans une opération d'adjudication, la Banque de France apporte un soutien technique et les SVT ne sont pas rémunérés. J'ai eu l'opportunité d'assister en direct à une adjudication et c'est très impressionnant : en moins d'une heure, plus de 10 milliards d'euros sont émis et répartis entre les souscripteurs. Les offres dont les prix sont les plus élevés sont servies en premier, chaque SVT payant donc des prix différents, correspondant aux prix demandés, pour les quantités demandées. Le prix moyen pondéré n'est donc connu qu'à la fin de l'opération.
En syndication, le déroulement de l'opération et les rôles de chacun sont différents. Commençons par les SVT, dont je rappelle ici qu'ils sont sélectionnés pour trois ans, le prochain renouvellement ayant lieu à l'automne prochain, pour la période 2022-2024. Ces SVT se rassemblent dans un syndicat bancaire, avec un rôle particulier pour les cinq établissements désignés « chefs de file ». Dans une syndication, les SVT ne sont plus acheteurs directs des titres mais garants. Ils vont servir d'intermédiaire entre l'émetteur (l'AFT) et les investisseurs finaux, à qui ils doivent faire souscrire une part de la dette, en développant aussi des stratégies de vente pour ces produits, comme ce fut le cas pour le lancement de la première OAT verte par exemple. Si jamais l'un des investisseurs venait à faire défaut, le SVT concerné prendre le papier à son compte. Il y a par ailleurs des échanges en amont de l'opération entre l'AFT et les SVT pour juger de l'appétence du marché pour le produit émis par syndication et à quel prix. Les titres sont en effet acquis par les souscripteurs au prix défini avec l'émetteur, contrairement à une adjudication. Il y a donc une négociation. Dernière spécificité, dans une syndication, les SVT sont rémunérés par l'AFT, avec le versement de commissions. Si la grille de rémunération est confidentielle, le montant total des commissions et frais encourus au titre de la gestion de la dette est connu : 27,5 millions d'euros en 2020, pour trois syndications.
Je vous l'ai indiqué, la France n'émet qu'une part minoritaire de ses titres par syndication, tout comme l'Allemagne, qui, avant 2020, n'avait plus eu recours à cette technique d'émission depuis 2015. A contrario , des plus petits émetteurs, comme la Slovénie ou le Portugal, ont au contraire couvert respectivement 100 % et 48 % de leur programme de financement net par des syndications. Passer par une syndication est un moyen plus sûr pour les pays plus petits ou plus fragiles de pouvoir placer les montants souhaités.
La France, comme les plus grands émetteurs souverains, réserve la syndication à l'émission de titres pour lesquels la demande et, surtout, le prix sont moins connus. Il s'agit notamment des produits innovants, tels la création d'une OAT verte, ou encore les titres de maturité très élevée, de 30 à 50 ans. En l'absence de référence, il est préférable de passer par cet échange direct entre l'émetteur et les investisseurs finaux. Pour les titres plus « classiques », de deux à vingt ans pour les OAT nominales, les prix sont bien connus et les adjudications se déroulent selon un calendrier précis et prédéterminé. Il n'y a pour ces produits que peu d'incertitudes sur le prix et la demande, qui plus est au regard des montants émis par la France, qui fait partie des plus gros émetteurs de dette en volume.
Les syndications conduites par la France en 2020 et en ce début d'année se sont déroulées dans de très bonnes conditions, avec des taux de rendement à des niveaux historiquement bas et surtout des taux de couverture extrêmement élevés. Ainsi, les montants inscrits sur le livre d'ordres, qui retrace la demande des investisseurs finaux, étaient près de 10 fois plus élevés que le montant émis lors du lancement de la nouvelle OAT à 50 ans. Les investisseurs demandaient 75 milliards d'euros, l'AFT en a servi sept. Dans ces conditions, certains estiment que la France devrait profiter de ce contexte pour allonger très fortement la maturité de sa dette en émettant de manière beaucoup plus fréquente des titres de maturité très élevée. Je veux tout de suite clarifier les choses : ce n'est pas la bonne solution et cela pourrait même être très dangereux pour la qualité de la dette française.
Cette proposition s'appuie en effet sur une lecture déformée du livre d'ordres, du fait du phénomène de surenchère ( overbidding ) de la part des investisseurs. Ce phénomène s'observe dans plusieurs pays et traduit la tendance des investisseurs, notamment les plus opportunistes d'entre eux, à demander des montants très élevés lors des syndications en anticipation de la dilution de leurs ordres lors de l'allocation finale par l'émetteur. Le but de ces investisseurs c'est de revendre rapidement les titres acquis pour réaliser un bénéfice ; ce ne sont donc pas les investisseurs les plus privilégiés lors des syndications. En effet si, dans une adjudication, les investisseurs finaux ne sont pas connus, dans une syndication, l'AFT peut optimiser l'allocation des titres en fonction de la nature des investisseurs. Ce n'est toutefois bien qu'une image à un instant donné, les titres pouvant être immédiatement revendus après l'allocation.
Ce sujet sur les syndications m'a donc conduit à m'interroger d'une part sur l'allongement de la maturité de la dette et d'autre part sur l'émission de nouvelles obligations thématiques pour traiter de la hausse de l'endettement public. J'ai répondu sur l'allongement de la maturité, une impasse. La maturité de la dette française est par ailleurs supérieure à la moyenne OCDE, dans la fourchette haute, à 8,2 ans. Loin devant se situe le Royaume-Uni, à plus de 15 ans, mais pour des raisons très spécifiques, liées au poids des fonds de pension, du fait de la gestion du système de retraite britannique. Ces acteurs demandent des titres de maturité élevée et concentrent par ailleurs leurs investissements sur le segment obligataire.
Pour conclure, il me semble qu'il me faut plutôt conserver les modalités actuelles d'émissions de la dette, avec une prédominance des adjudications, en réservant les syndications pour les produits « rares » que sont par exemple les produits innovants ou de très longue maturité. Ces opérations coûtent plus chères et il ne serait pas dans notre intérêt de bouleverser notre modèle.
M. Claude Raynal , président . - Je remercie le rapporteur pour la synthèse qu'il a offerte sur une question complexe. Les éclaircissements qu'il vient d'apporter permettront de mieux appréhender les thématiques de la table ronde qui va suivre, qui concerne les obligations vertes.
M. Éric Bocquet . - Ma première remarque vise à rappeler qu'à la différence du Royaume-Uni, où l'agence d'émission de la dette publique est située dans la City, l'Agence France Trésor est localisée au sein même de Bercy. Je me suis intéressé à la composition du comité stratégique de l'AFT, qui ne compte pas de représentant de l'administration ou du Gouvernement mais essentiellement des banquiers et des profils financiers. Comment expliquez-vous cette composition ?
Par ailleurs, alors que la demande des titres de dette français sur le marché secondaire est très forte, les spécialistes en valeur Trésor, qui achètent les titres sur le marché primaire, les revendent très rapidement. Cependant, qu'advient-il des titres une fois ces derniers revendus sur le marché secondaire ? On nous dit en effet qu'il n'est pas possible de connaître précisément les détenteurs de notre dette. N'y a-t-il pas là un danger ?
Enfin, quels sont les critères permettant de sélectionner les spécialistes en valeur Trésor ? Vous avez évoqué la rémunération des SVT en 2020 en indiquant que le détail de celle-ci était confidentiel. Le montant total est-il public ?
M. Arnaud Bazin . - Pouvez-vous nous préciser la différence entre la prime d'émission et le taux applicable aux obligations ?
M. Philippe Dominati . - Je souhaite compléter la question de notre collègue Éric Bocquet en interrogeant le rapporteur sur le profil et l'origine des principaux spécialistes en valeur du Trésor. Quels sont les principaux SVT et existe-t-il un noyau dominant ?
M. Jérôme Bascher , rapporteur spécial . - Je vais d'abord clarifier mon propos pour répondre à Arnaud Bazin : il y a bien un lien entre le prix et le taux, les deux évoluant à l'inverse l'un de l'autre. Cela me permet de rappeler qu'en 2020, le taux moyen à l'émission des SVT était de - 0,13 %, un niveau inédit.
Le comité stratégique de l'AFT est composé de connaisseurs du marché, ce qui est logique puisqu'il est chargé d'assister l'AFT dans sa gestion de la dette de l'État, de la conseiller sur les grands axes de la politique d'émission de l'État. L'AFT dispose d'ailleurs à Bercy d'une véritable salle de marché.
Parmi les SVT, on trouve d'abord des grands établissements, français comme étrangers, à l'image de BNP Paribas, de HSBC, du Crédit agricole, de JP Morgan ou encore de la Société générale, pour reprendre les cinq premiers du classement des SVT publié chaque année par l'AFT. En cas de non-respect de la charte des SVT, leur statut peut être suspendu, ce qui a été le cas pour Morgan Stanley pendant trois mois. À cette suspension s'ajoute également une sanction réputationnelle pour les SVT qui ne respecteraient pas les règles déontologiques qui leur sont applicables.
Par ailleurs, si les SVT se plaignent souvent des coûts que représente pour eux cette activité et en particulier les adjudications, ce statut ne va pas sans bénéfices. Ils peuvent par exemple être choisis par d'autres émetteurs pour les accompagner dans leurs propres opérations. En France, les agences publiques ou les banques publiques de développement procèdent ainsi par syndication, à l'instar de la SFIL, filiale de la Caisse des dépôts, dont j'ai entendu le directeur dans le cadre de ce contrôle.
M. Philippe Dominati . - Une dernière question : avez-vous constaté un effet du Brexit sur la gestion de la dette ?
M. Jérôme Bascher , rapporteur spécial . - Non, nous n'avons pas constaté d'effets.
La commission a autorisé la publication de la communication de M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial, sous la forme d'un rapport d'information.
LISTE DES DÉPLACEMENTS
Déplacement à l'Agence France Trésor (AFT) - 8 avril 2021
- M. Anthony REQUIN, directeur de l'Agence France Trésor ;
- M. Cyril ROUSSEAU , directeur général adjoint ;
- M. Pôl COPIN, responsable de la cellule dette.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Agence France Trésor
- M. Anthony REQUIN, directeur général ;
- M. Cyril ROUSSEAU, directeur général adjoint ;
- M. Pôl COPIN, responsable de la cellule dette.
Banque de France
- M. Jean-Michel BOUCARUT, directeur de la mise en oeuvre de la politique monétaire ;
- Mme Véronique BENSAID-COHEN, conseillère parlementaire auprès du gouverneur.
Société de financement local (SFIL)
- M. Philippe MILLS, directeur général.
Société générale
- M. Olivier VION, responsable mondial de l'origination, marchés de capitaux de dette pour le secteur public et responsable de la syndication pour les souverains, supranationaux et agences ;
- M. Jérôme STOLL, responsable trading emprunts d'État zone euro, supranationaux, agences et covered bonds.
HEC Paris
- M. Éric MENGUS, professeur associé en économie et sciences de la décision.
CNRS
- Mme Anne-Laure DELATTE, chargée de recherche au CNRS et membre du conseil général de la Banque de France.
* 1 Décret n° 2020-1728 du 29 décembre 2020 relatif à l'émission des valeurs du Trésor .
* 2 D'après les informations transmises en réponse au questionnaire du rapporteur spécial.
* 3 L'État dispose d'une dérogation, prévue à l'article 1 er du règlement (UE) 2017/1129 du Parlement européen et du Conseil 14 juin 2017 concernant les prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l'admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché règlementé.
* 4 Selon les données transmises en réponse au questionnaire, les principales normes européennes sont le règlement 2017/1129 précité et ses règlements délégués, la doctrine de l'Autorité européenne des marchés financiers, le règlement n° 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché et la directive 2004/109/CE du 15 décembre 2004 sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché règlementé.
*
5
Le
calendrier est en effet défini dans le programme indicatif de
financement : les OAT de maturité supérieure à 8,5
ans sont adjugées le premier jeudi du mois et les OAT de maturité
de 2 ans
à 8,5 ans et les OAT indexées sont adjugées
le troisième jeudi du mois. Les adjudications de BTF se tiennent de
manière hebdomadaire, tous les lundis.
* 6 Audition de l'Agence France Trésor par le rapporteur spécial.
* 7 Selon les informations transmises en réponse au questionnaire du rapporteur spécial, si ce contrat n'est pas un contrat administratif, il est soumis aux principes généraux applicables à la commande publique : l'égalité de traitement, le libre accès à la commande publique et la transparence de la procédure. Les clauses du contrat de prise ferme sont par ailleurs standards, c'est-à-dire conformes à la pratique de marché et à la règlementation en vigueur en matière financière.
* 8 Ces documents sont accessibles ici : https://www.aft.gouv.fr/fr/presentation-svt .
* 9 Agence France Trésor, bulletin mensuel du mois de janvier 2021 .
* 10 Agence France Trésor, bulletin mensuel du mois de mars 2021 .
* 11 La duration modifiée est exprimée en années. Elle tient compte de la durée de vie moyenne de l'obligation et du taux actuariel.
* 12 Jean-François Pons, « Réforme de la politique d'émission et de gestion de la dette publique en France (1985-1987) », Revue d'économie financière, 1988, pp.88-99.
* 13 Aussi appelées obligations sécurisées. Les émissions de la banque sont garanties par un portefeuille de crédits détenus par la banque et de faible risque.
* 14 Hans Blommestein, « New challenges in the use of government debt issuance procedures, techniques and policies in OECD markets », Financial market trends, 2009.
* 15 Fonds monétaire international, « Developing Government bond markets. A handbook », Chapitre 5 « Developing a primary market for government securities », 2001.
* 16 Banque mondiale, « Domestic syndications - Background note », Government bond markets advisory services, mai 2015.
* 17 Traduction, extrait de Global Capital, « Euro sovereigns take on syndication », 15 mai 2003.
* 18 Données et informations transmises par l'Agence France Trésor en réponse au questionnaire du rapporteur spécial.
* 19 Agence France Trésor, bulletin mensuel du mois de janvier 2021 .
* 20 Fonds monétaire international, Département des marchés monétaires et de capitaux, « Gestion de la dette en période de pandémie », 2020.
* 21 D'après les données inscrites dans le rapport annuel de performance 2020 de la mission « Engagements financiers de l'État », annexé au projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes pour 2020.
*
22
Pour
reprendre les termes d'Anthony Requin, directeur de l'Agence France
Trésor cités dans une interview dans Les Échos,
« Renoncer à une adjudication de dette aurait
été un mauvais signal »,
14 avril 2020.
* 23 Banque centrale européenne, « Financial stability review », mai 2020.
* 24 D'après les données transmises en réponse au questionnaire du rapporteur spécial.
* 25 Organisation de coopération et de développement économiques, « Sovereign borrowing outlook for OECD countries », 2021.
* 26 Banque centrale européenne, « Financial stability review », mai 2020.
* 27 En période de crise sanitaire, tous les émetteurs souverains n'ont pas conservé la syndication pour des maturités longues. L'Espagne ou l'Italie, qui ont par ailleurs davantage recours aux syndications en période ordinaire, ont ainsi émis par syndication des titres à 10 ans.
* 28 Réponse au questionnaire du rapporteur spécial.
* 29 Le montant moyen adjugé lors des émissions d'OAT à moyen et long terme, soit tous les quinze jours, est passé de 8,5-9 milliards d'euros à 10-11 milliards d'euros.
* 30 L'ensemble des chiffres cités dans ce paragraphe provient du Compte général de l'État annexé au projet de loi de règlement et d'approbation des comptes pour l'année 2020.
* 31 L'ensemble des données concernant l'Espagne proviennent du document publié par le Trésor public espagnol : « Funding Strategy 2021 ».
* 32 Organisation de coopération et de développements économiques, « Public debt management responses to covid-19 », mars 2020.
* 33 Fonds monétaire international, Département des marchés monétaires et de capitaux, « Gestion de la dette en période de pandémie », 2020.
* 34 Organisation de coopération et de développement économiques, « Sovereign borrowing outlook for OECD countries », 2021.
* 35 Finanzagentur GmbH, « Issuance outlook of the federal government for 2021 », 17 décembre 2020.
* 36 Ni la maturité, ni les titres ni la méthode d'émission ne sont connus pour les 10 % restants, dont font partie les premières obligations vertes qui seront émises par le Royaume-Uni. Source : HM Treasury, « Debt management report : 2021-2022 », mars 2021, avec les prévisions à jour de la révision apportée le 23 avril 2021.
* 37 Commission européenne, Stratégie de financement diversifiée pour NextGenerationEU , avril 2021.
* 38 Pour reprendre les éléments transmis par le directeur général de la SFIL, Philippe Mills, lors de son audition.
* 39 Benjamin Lemoine, « Les dealers de la dette souveraine », Sociétés contemporaines, n° 92, 2013, pp.59-88.
* 40 Selon les données transmises en réponse au questionnaire du rapporteur spécial.
* 41 Hans Blommestein, « New challenges in the use of government debt issuance procedures, techniques and policies in OECD markets », Financial market trends, 2009.
* 42 Selon les explications de Sir Robert Stheeman, directeur général du Debt Management Office du Royaume-Uni, dans « Bond syndications vs auctions : an explainer », Financial Times, 25 mai 2017.
* 43 Informations transmises en réponse au questionnaire du rapporteur spécial.
* 44 Selon les informations transmises en réponse au questionnaire du rapporteur spécial.
* 45 Ces deux critères de taille de la transaction et de maturité de l'obligation sont également pris en compte pour le calcul des commissions versées par la Finlande, l'Italie ou encore le Royaume-Uni, selon les données figurant dans le rapport précité de l'OCDE « Sovereign borrowing outlook for OECD countries », 2021.
* 46 Reprises dans Les Échos, « Coronavirus : les levées de dette des États européens ont déjà rapporté 500 millions aux banques », 17 juin 2020.
* 47 Les syndications ayant traditionnellement davantage lieu au début de l'année.
* 48 Selon les informations transmises en réponse au questionnaire du rapporteur spécial.
* 49 Voir par exemple Benjamin Lemoine, « Les dealers de la dette souveraine », Sociétés contemporaines, n° 92, 2013, pp.59-88. Dans cette étude, l'auteur cite anonymement un ancien banquier qui estimait que le gain pour l'État de cette mise en concurrence des banques était alors de 60 millions d'euros, dans un environnement de taux plus élevés qu'aujourd'hui et sur des volumes d'émission moindres.
* 50 Ibid.
* 51 Phénomène décrit par Capen, Clapp et Campbell (« Competitive bidding in high-risk situations », Journal of petroleum technology, 1971). Lors d'une enchère commune, et en situation d'informations incomplètes (aucun acteur ne connait l'offre [montant et prix] des autres acteurs), les gagnants tendent à avoir un retour sur investissement plutôt bas, du fait d'estimations trop élevées sur les rendements attendus.
* 52 Francisco Alvarez et Cristina Mazon, « Overpricing in Spanish treasury auctions », Annals of economics and finance, 2019, pp.199-220.
* 53 Riccardo Pacini, « Auctionning Governement securities : the puzzle of overpricing », 2009.
* 54 Global Capital, « Sovereign auction competition stiff despite supply glut », 30 juin 2020.
* 55 Francisco Alvarez et Cristina Mazon, op.cit.
* 56 Raphaële Préget, « Les offres non compétitives dans les enchères du Trésor », Annales d'économie et de statistiques, n° 70, juin 2003, pp.155-179.
* 57 Un risque également relevé par Francisco Alvarez et Cristina Mazon, op.cit. De même, l'existence d'un nombre suffisamment élevé de SVT, et donc d'un degré de compétition suffisant entre eux, est, dans la littérature économique, considéré comme l'un des critères permettant d'assurer un taux de couverture élevé des adjudications (voir Roel Beetsma, Massimo Giuliodori, Jesper Hansen et Franck de Jong, « Determinants of the bid-to-cover ratios in Eurozone sovereign debt auctions », Journal of empirical finance, 2020, pp.96-120).
* 58 D'après les informations transmises en réponse au questionnaire du rapporteur spécial.
* 59 Ce qu'a également indiqué au rapporteur spécial le directeur général de la SFIL lors de son audition. Lors de la formation du syndicat bancaire pour chacune de leur opération, être un SVT n'est absolument pas un prérequis, mais un critère bienvenu.
* 60 Benjamin Lemoine, « Les dealers de la dette souveraine », Sociétés contemporaines, n° 92, 2013, pp.59-88.
* 61 D'après les données figurant dans le rapport sur le budget de l'État en 2020 de la Cour des comptes.
* 62 La maturité significativement plus élevée de la dette publique britannique par rapport aux pays de taille comparable s'explique en grande partie par le poids des fonds de pension dans le pays, du fait de la gestion du système de retraite britannique. Ces acteurs demandent des titres de maturité élevée et concentrent par ailleurs leurs investissements sur le segment obligataire.
* 63 D'après les données figurant dans le rapport sur le budget de l'État en 2020 de la Cour des comptes.
* 64 Organisation de coopération et de développement économiques, « Sovereign borrowing outlook for OECD countries », 2021.
* 65 Ce n'est pas pour autant, et le rapporteur spécial l'a rappelé en première partie, que les émetteurs souverains n'ont pas besoin de ces investisseurs, au contraire. L'important est bien de disposer d'une base d'investisseurs diversifiée.
* 66 Les Échos, « Quand la surenchère des hedge funds perturbe les levées de dette des États », 9 avril 2021.
* 67 Financial Times, « European bond sale order books grow to `ridiculous levels'», 17 mars 2021.
* 68 Ibid.
* 69 Les Échos, « Quand la surenchère des hedge funds perturbe les levées de dette des États », 9 avril 2021.
* 70 Bulletin mensuel de l'Agence France Trésor, mars 2021.
*
71
Global
capital, « Écoutez-moi ! France craks `exuberant'
order problem on sovereign deals »,
18 mars 2021.
* 72 Ibid.
* 73 Ibid.
* 74 Le rapporteur spécial reprend ici les éléments transmis en réponse à son questionnaire par l'Agence France Trésor, qu'il partage.
* 75 Données citées par la Cour des comptes dans son rapport sur le budget de l'État en 2020 .
* 76 Pour rappel, l'article 2 de la loi n° 2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie dispose que le Gouvernement doit remettre au Parlement d'ici la fin de l'année 2020 un rapport sur les opportunités pour la Cades de contracter des emprunts à impact social.
* 77 Fonds monétaire international, Département des marchés monétaires et de capitaux, « Gestion de la dette en période de pandémie », 2020.
* 78 Selon les chiffres communiqués par le Gouvernement.
* 79 Selon les informations transmises par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, M. Bruno Le Maire, lors de son audition par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale, le 14 avril 2021 .
* 80 Définition reprise des travaux d'Anne-Laure Delatte et Benjamin Lemoine, « Expertise économique et politique publique : examen critique de la proposition de cantonner la dette liée à la pandémie », LIEPP Working Papier, n° 118, mars 2020.
* 81 Ibid.
* 82 Commission pour l'avenir des finances publiques, « Nos finances publiques post-Covid-19 : pour de nouvelles règles du jeu », mars 2021.
* 83 Ibid.