B. FINANCER, SOUTENIR, SENSIBILISER
Au-delà de ces nouveaux outils, un effort supplémentaire doit être consenti pour sensibiliser l'ensemble des acteurs de l'écosystème local, pour soutenir les projets qui émergent, et construire un nouveau modèle économique de sobriété foncière.
1. Développer les programmes partenariaux
De nombreuses initiatives ou programmes partenariaux ont vu le jour au cours des dernières années . Ces programmes associent souvent l'État, ses opérateurs, les collectivités, et parfois des partenaires privés, et permettent de cofinancer et de soutenir des opérations intégrées pour redessiner les zones urbaines et lutter contre l'artificialisation.
Action Coeur de Ville (2018) |
Programme de revitalisation des centres-villes des communes de taille moyenne Concerne 222 villes d'environ 20 millions d'habitants au total Convention-cadre (avec plan d'action et financements) entre collectivités, État et financeurs Partenaires : Banque des territoires, Action Logement, Agence nationale de l'habitat, Agence nationale de la cohésion des territoires 5 milliards d'euros (2018-2022) de financements existants ou nouveaux Leviers : rénovation de l'habitat, dynamisation des commerces et services, amélioration de l'accessibilité et des mobilités, innovation urbaine et ville de demain |
Opérations de revitalisation de territoire (2018) |
Conventions de requalification des centres-villes 229 ORT signées impliquant 374 communes, dont 188 déjà concernées par Action Coeur de Ville. 556 villes auraient en projet des ORT. Convention entre l'intercommunalité, la « ville principale » et l'État et d'autres partenaires Objectifs : rénovation des logements et des locaux commerciaux et artisanaux Leviers : de nombreuses dispositions dérogatoires, comme la possibilité de dispense d'autorisation d'exploitation commerciale, priorité pour les aides de l'ANAH et le dispositif Denormandie dans l'ancien, bénéfice de permis spécifiques, renforcement des droits de préemption... |
Grandes opérations d'urbanisme (2018) |
Périmètres d'opérations d'aménagement d'ampleur Contrats de « projet partenarial d'aménagement » conclus entre l'État et un EPCI, EPT ou métropole Leviers : de nombreuses dispositions dérogatoires, comme la cession à l'amiable de terrains par l'État, possibilité d'intervention des EPA en dehors de leurs périmètres, effets juridiques spécifiques attachés à la GOU (compétence de l'intercommunalité, prolongation de la durée des ZAD, procédure intégrée d'évolution des documents d'urbanisme...) |
Petites Villes de demain (2019) |
Programme de revitalisation des petites villes-centres Concerne 1 590 communes de moins de 20 000 habitants Convention (et ORT obligatoire) Partenaires : Banque des territoires, Agence nationale de l'habitat, Agence Nationale de la cohésion des territoires, Cerema, Ademe 3 milliards d'euros (2021-2027) de financements existants ou nouveaux Leviers : soutien à l'ingénierie, réseau de villes, financement de projets « sur mesure », subventions au commerce et à la numérisation... |
Territoires pilotes de sobriété foncière (2020) |
Partenaires : Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, Plan Urbanisme Construction Architecture, DGALN Au bénéfice des collectivités engagées dans Action Coeur de Ville et signataires d'une ORT 5 territoires pilotes sélectionnés pour devenir des « sites démonstrateurs » (2020-2023) Objectifs et leviers : tester des stratégies « zéro artificialisation nette », intensifier les usages, recycler le foncier et repérer le « foncier invisible », développement d'outils, cofinancement d'ingénierie |
Les auditions menées par les rapporteurs ont souligné les bons résultats de ces programmes et des dispositifs attachés, qui viennent combler une demande importante pour la dynamisation des zones détendues et des petites villes. À l'heure où la crise sanitaire a accentué la volonté des Français de se rapprocher de la nature et ont entraîné un regain d'intérêt pour les petites villes, il s'agit de leviers puissants de rénovation et d'aménagement.
D'ailleurs, plusieurs organisations entendues par les rapporteurs, notamment l'AdCF et de la FNAU, ont proposé la signature de « contrats de sobriété foncière » entre l'État et les collectivités , en vue de mettre en oeuvre et de financer des programmes d'action de lutte contre l'artificialisation et d'innovation urbaine. Cette piste est intéressante, car elle pourrait permettre de soutenir efficacement les acteurs locaux et leurs initiatives. En outre, les dispositifs existants visent davantage la rénovation urbaine et la redynamisation que des actions spécifiques de sobriété foncière.
Les rapporteurs soulignent toutefois que la multiplication des programmes et des dispositifs peut entraîner, cumulativement, une perte de lisibilité , certains d'entre eux faisant d'ailleurs appel aux mêmes partenaires et aux mêmes leviers. Il est prévu que la plupart des contrats et programmes précités soient intégrés aux nouveaux contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Les CRTE sont les bienvenus pour donner une cohérence supplémentaire aux dispositifs, mais il faudra veiller à ce que de futurs programmes s'inscrivent bien dans ce cadre intégré.
En outre, les sénateurs seront particulièrement vigilants à ce que la multiplication des « contrats » et « conventions » n'entraîne pas une priorité systématique ou une exclusivité des aides de l'État au bénéfice des seules collectivités signataires. Si un ciblage selon des critères objectifs peut se justifier, les aides et incitations doivent rester générales dans leur portée et ne pas être liées à la signature obligatoire d'un « contrat » avec l'État et ses opérateurs. Il faudra en outre que ces contrats fassent place aux projets suscités localement et dont l'initiative revient aux collectivités , et non qu'ils reflètent une approche « descendante » par laquelle l'État pousserait certains types de projets auprès des communes et intercommunalités. L'accessibilité des petites communes , moins outillées pour répondre aux appels à projets, doit également être garantie.
Sous ces réserves, et à condition que l'évaluation de ces programmes confirme leur pertinence et leurs résultats, les programmes existants pourraient être prolongés ou élargis à d'autres territoires, et de nouveaux programmes spécifiques à la sobriété foncière déployés.
Le programme d'action des SCoT, introduit par l'ordonnance de réforme des SCoT en 2020, pourrait à l'avenir aussi servir de support pour identifier et décliner les actions de sobriété foncière identifiées comme prioritaires par le territoire et susceptibles de bénéficier de cofinancement des partenaires et de l'État.
2. -Soutenir et étendre l'action des EPF et EPFL
La couverture du territoire français par des EPF et EPFL pourrait être améliorée. Les établissements publics fonciers sont des outils extrêmement intéressants pour les collectivités territoriales, leur permettant de mettre en oeuvre leur stratégie foncière et de porter des opérations de taille importante. Ils apportent également conseil et ingénierie, en particulier pour des interventions complexes. Les EPFL couvrent aujourd'hui environ 13 millions d'habitants et 6000 communes, dans une trajectoire d'expansion depuis les années 2000 23 ( * ) .
Pour faciliter l'adhésion des communes et intercommunalités aux EPFL, les conditions d'évolution de leur périmètre pourraient être assouplies.
En outre, leur financement doit être stabilisé, alors que la suppression de la taxe d'habitation a rétréci l'assiette de la taxe spéciale d'équipement qui est leur principale source de revenu . La dotation budgétaire de 131 millions d'euros votée en 2021 dans le cadre du projet de loi de finances doit être pérennisée.
3. Accroître la participation de l'État à l'effort financier de recyclage foncier
La charge financière de la réhabilitation de friches est majoritairement portée par les collectivités . Par exemple, près d'un tiers des friches situées sur le territoire de la métropole de Lille sont aujourd'hui propriété de la métropole elle-même. Dans de nombreux cas, ces terrains ont été repris après leur exploitation, lorsque l'exploitant à fait défaut ou n'a pu être identifié. C'est alors à la collectivité qu'il revient de mener et de financer la dépollution et l'aménagement de ces terrains.
Or, les ressources propres des collectivités sont souvent insuffisantes pour mener ces projets, malgré le soutien des EPF et EPFL, dès lors que la balance économique de ces projets est souvent déficitaire , en particulier en zone détendue. Alors que les réformes récentes de la fiscalité locale (taxe d'habitation, fiscalité de production) ont réduit les ressources propres des communes et intercommunalités, il peut être difficile de mobiliser les moyens nécessaires à la réutilisation du foncier disponible.
L'État doit donc contribuer davantage à l'effort de gestion des friches, qui sont un héritage collectif lié à l'histoire industrielle et commerciale de la France. Si l'Ademe peut aujourd'hui intervenir à titre subsidiaire pour l'État sur des friches polluées, son champ d'action et son budget sont très limités (17,3 millions d'euros pour 2020).
Dans le cadre du plan de relance, un « Fonds pour le recyclage des friches » a été créé et doté de 300 millions d'euros . Ces aides seront déployées dans le cadre d'appels à manifestations d'intérêt, sous forme de subventions visant à compenser une partie du déficit économique d'opérations de recyclage de friches et de transformation de foncier déjà artificialisé. Une enveloppe de 40 millions d'euros, gérée par l'Ademe, est fléchée vers la dépollution de sites ; tandis que 259 millions d'euros, attribués régionalement, visent le recyclage foncier en vue de relocalisation d'activité ou la revitalisation des coeurs de villes et périphérie urbaine. Les premiers projets doivent être financés en 2021.
En mars 2021, 192 dossiers ont été présentés sur le volet piloté par l'Ademe, pour une demande totale de subventions de 59 à 77 millions d'euros, contre 40 millions d'euros prévus. En ce qui concerne le volet régional, pour les sept régions ayant déjà clos leurs appels à projets, environ 700 dossiers ont été transmis, sollicitant environ 1,1 milliard d'euros d'aides contre 259 millions. L'intérêt des collectivités dépasse donc largement les capacités du Fonds friches, témoignant des importants besoins de cofinancement.
Selon l'UNAM, entendue par les rapporteurs, le coût de l'aménagement d'un terrain peut être double, voire triple, en cas de recyclage foncier. Au regard de ces coûts moyens, ils estiment que le Fonds friches permettra la réhabilitation de 150 hectares par an jusqu'en 2022. Au vu du rythme d'artificialisation annuel de près de 28 400 hectares, on mesure bien que ce Fonds, bienvenu au demeurant, est largement insuffisant.
Alors que l'État présente la réhabilitation de friches comme l'un des principaux leviers de réduction de la consommation d'espace, et que les nouveaux objectifs vont accroître la demande pour ce type d'opérations , ce dispositif doit être non seulement pérennisé mais aussi élargi. La commission d'enquête sénatoriale précitée recommandait d'ailleurs, pour les seules opérations de dépollution de friches, la mise en place d'un fonds d'un montant abondé de 75 millions d'euros chaque année, financé par une augmentation des taux de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) et des fonds réorientés depuis le budget de l'Ademe.
Le champ des opérations pouvant être financées pourrait en outre être élargi à celles visant la renaturation de terres artificialisées et inutilisées, aujourd'hui exclues du périmètre des subventions nationales.
Enfin, comme évoqué plus haut, les rapporteurs estiment qu'un ciblage réservé aux seules collectivités déjà engagées dans des programmes tels que les ORT ou les projets partenariaux d'aménagement (PPA) ne saurait se justifier, car la réhabilitation des friches est un enjeu partagé. Pourtant, il a été demandé aux pilotes du fonds d'instruire en priorité les projets inclus dans le périmètre des ORT, des PPA, d'Action Coeur de Ville ou de Petites villes de demain.
4. Évaluer l'impact de la lutte contre l'artificialisation sur les budgets des collectivités territoriales et restaurer les aides à l'élaboration de documents d'urbanisme
Plus généralement, l'impact d'un renforcement des obligations de lutte contre l'artificialisation sur le budget des collectivités territoriales doit être précisément évalué , afin de prévoir, le cas échéant, des ajustements ou des compléments de financement. En fonction des situations locales, il pourrait effectivement comporter des risques pour la solidarité ou la cohésion territoriale.
En effet, certaines communes disposent de davantage de foncier réutilisable immédiatement, tandis que d'autres devront mobiliser le « foncier invisible » au prix d'opérations d'aménagement et de réhabilitation coûteuses. D'autre part, les restrictions à la construction pourraient faire évoluer les dynamiques fiscales, liées notamment à la fiscalité foncière, et donc modifier les bases d'imposition locales. Alors que les collectivités ont déjà été touchées par la suppression de la taxe d'habitation et la réforme de la fiscalité de production, ces nouvelles évolutions pourraient entraîner une déstabilisation des budgets locaux et une réduction des moyens disponibles pour mettre en oeuvre le projet de territoire.
Les rapporteurs suggèrent donc qu'une étude soit menée pour estimer précisément les transferts financiers impliqués par les réformes envisagées, tant à l'échelle régionale qu'intercommunale.
Un débat pourrait également être organisé au sein des EPCI sur l'impact des efforts de lutte contre l'artificialisation sur le pacte financier et fiscal intercommunal.
De manière plus concrète, les mesures présentées dans le cadre du projet de loi « Climat et résilience » impliqueraient la révision d'une grande partie des documents d'urbanisme de France, tant les SRADDET, que les SCoT, PLU(i) et cartes communales. Les collectivités ont déjà consenti d'importants efforts, y compris financiers, pour faire évoluer leurs documents de planification au cours des dernières années. Entre 2014 et 2020, plus de 6000 communes se sont par exemple dotées de PLU(i).
Pourtant, l'État a gelé son soutien financier à l'élaboration des documents. La dotation générale de décentralisation, dans sa composante « concours au financement des documents d'urbanisme », n'a pas évolué depuis plusieurs années. Surtout, la loi de finances pour 2021 a supprimé l'éligibilité au Fonds de compensation de la TVA (FCTVA) des frais d'études, d'élaboration, de modification et de révision des documents d'urbanisme. Cette restriction vient encore alourdir la charge financière incombant aux collectivités lors de l'élaboration ou l'évolution de SCoT ou de PLU(i), alors même que la succession de lois récentes implique justement de nombreuses révisions.
5. Sensibiliser les acteurs du territoire et améliorer le dialogue
Enfin, les collectivités et l'État doivent participer de l'effort de sensibilisation et d'évolution des habitudes collectives.
L'ensemble des personnes entendues par les rapporteurs du groupe de travail ont souligné le travail de terrain que mènent les élus locaux auprès des citoyens et des acteurs de l'aménagement, pour assurer la bonne information de tous sur les règles en vigueur et les évolutions à venir. Ils répondent aux inquiétudes légitimes des habitants sur le devenir de leurs terrains, sur l'offre de logements abordables. Ils doivent aussi faire preuve de pédagogie auprès des porteurs de projets en cas d'évolution des règles applicables. Les rapporteurs estiment que ce travail de proximité ne doit pas être sous-estimé. La concertation et la conciliation seront clefs pour créer le consensus autour des objectifs fixés par les territoires.
À ce titre, il sera nécessaire que l'évolution des documents d'urbanisme s'inscrive dans un tempo et des procédures qui permettent ce dialogue apaisé.
Principe n° 3 - Un accompagnement renforcé et de nouveaux outils
• Faire de l'artificialisation un concept opérationnel en droit de l'urbanisme, au regard des instruments de mesure existants et des capacités des collectivités territoriales comme des acteurs de l'aménagement.
• Renforcer la logique de bilan des documents de planification, affiner leur échelle et leurs outils pour viser une plus grande efficacité de la politique locale d'urbanisme.
• Faciliter la mobilisation du foncier et encourager les projets vertueux, du point de vue tant fiscal que réglementaire.
• Viser une meilleure couverture du territoire par les programmes opérationnels ou de financement existants, en élargissant leur périmètre.
• Mieux construire l'équilibre budgétaire global de la politique de lutte contre l'artificialisation, en accroissant la participation de l'État à l'effort financier et amortissant l'impact sur les budgets locaux. Améliorer à cet égard l'évaluation de l'impact de la politique de lutte contre l'artificialisation sur l'équilibre des budgets communaux et intercommunaux.
• Accroître l'effort de sensibilisation de l'ensemble de l'écosystème local, acteurs du secteur de la construction, citoyens et élus.
* 23 Selon l'Association des EPFL.