DEUXIÈME PARTIE - QUELLES PROPOSITIONS POUR L'AVENIR DU GRAND PARIS ?
« Le leadership territorial de l'Ile-de-France se caractérise par des conflits forts car en l'absence de leader légitime, ce sont trois prétendants, l'État, la Région et la Ville de Paris, qui s'opposent. Ces trois prétendants sont souvent en désaccord sur la vision du monde et les priorités qu'elle impose, si bien que et quelle que soit la période considérée, on n'observe aucun alignement des politiques publiques. Les conflits sont nombreux, à la fois institutionnels, politiques et territoriaux, une grande partie des sujets mis à l'agenda devenant matière à conflits. »
Christian Lefèvre, professeur des universités à l'École d'urbanisme de Paris 13 ( * )
Le système institutionnel actuel n'est pas satisfaisant. Pourtant l'agenda de la réforme semble au point mort depuis 2017. L'épidémie de la Covid-19 a emporté la grande consultation des élus locaux franciliens prévue par le Gouvernement au printemps 2020. Et depuis, le débat organisé le 9 février 2021 au Sénat sur l'avenir de la MGP, en présence de la ministre de la Cohésion des territoires, a montré que le Gouvernement ne faisait plus de cette réforme une priorité avant les prochaines élections présidentielles, compte tenu de l'encombrement du calendrier législatif.
Une volonté quasi unanime de réforme se dégage pourtant de l'ensemble des acteurs entendus, mais aucune solution consensuelle n'émerge des débats (I) . C'est pourquoi vos rapporteurs ont souhaité aborder autrement la question. Plutôt que de rechercher une solution idéale, qui n'existe pas, il leur est apparu plus pertinent et constructif pour faire avancer le débat de proposer une méthode, une grille de lecture et un calendrier (II) . Au lieu de cristalliser le débat autour d'une recommandation, il s'agit ici de contribuer au processus futur de décision en fournissant une boite à outils d'analyse des différents scénarios de réforme, avec leurs avantages et leurs inconvénients.
I. UNE VOLONTÉ QUASI UNANIME DE RÉFORME, MAIS SANS CONSENSUS AUTOUR D'UNE SOLUTION
A. DE RAPPORTS EN REPORTS, LA RÉFORME DU GRAND PARIS N'AVANCE PAS
Parmi les nombreux rapports précédemment évoqués, il en est un, le rapport présenté en 2008 devant le conseil régional par Jean-Paul Planchou (conseiller régional socialiste) sur les « scenarii pour la métropole Paris Ile-de-France demain », qui jugeait une réforme nécessaire pour réduire les inégalités sociales et territoriales. Il appelait notamment à « mettre en oeuvre une péréquation à la hauteur des disparités financières et fiscales ». Pour renforcer les dispositifs de péréquation, au sein du coeur d'agglomération comme à l'échelle de la métropole, il était envisagé de créer une taxe professionnelle unique au niveau de la région Ile-de-France.
Plus récemment, la mission de conseil confiée par le Président de la République en 2017-2018 au Préfet Michel Cadot mettait également l'accent sur un scénario, parmi d'autres, de renforcement à l'échelle régionale des capacités d'action et de mutualisation des moyens de la métropole.
La dimension supra-régionale est aussi évoquée. En 2018, dans le rapport demandé par le Président de la République à Roland Castro « Du grand Paris à Paris en grand » la réflexion urbaine portaient principalement sur de grands projets d'aménagement pour « fabriquer une rêverie et une méthode démocratique » en expliquant que « la beauté et l'urbanité font bon ménage » et que « plus c'est moche, moins on vote ». Alors que Roland Castro privilégiait jusque-là dans son rapport une métropole de projet, estimant que s'engager dans une réforme institutionnelle engendrerait une impasse politique, celui-ci a fait évoluer sa position, à l'aune de la Crise de la Covid. Début 2021, estimant que « le système permettant des organisations à géométrie totalement variable, que je proposais en 2019, a l'avantage de la souplesse mais n'est bon que pour conduire des projets » il appelait à une refonte institutionnelle de grande ampleur pour construire une métropole s'inscrivant dans une grande région Paris-Normandie, avec un exécutif métropolitain élu au suffrage universel.
Comme l'atteste la succession des rapports, la question institutionnelle demeure donc incontournable. Pourtant, contrairement aux espoirs entretenus jusqu'au début de l'année 2020, il n'y aura pas de réforme avant au moins 2023 puisque le Gouvernement y a d'avance renoncé dans la discussion du projet de loi 4D.
1. Le Gouvernement ne propose plus d'agenda législatif...
a) 2020 : la « grande consultation » des élus locaux, lancée mais interrompue
En décembre 2019, Sébastien Lecornu, alors ministre chargé des Collectivités territoriales, déclarait « Nous sommes déterminés à bouger sur ce sujet après les élections. Je souhaite d'ailleurs que les candidats aux municipales, toutes couleurs politiques confondues, dans la capitale comme dans l'ensemble des communes d'Île-de-France, s'emparent de la question du Grand Paris. Qu'ils s'expriment ! Qu'ils disent ce qu'ils proposent sur la gouvernance, le périmètre, les compétences, la répartition des moyens financiers, la place de l'État dans la future organisation, etc. » 14 ( * ) .
La consultation des élus locaux qui devait se tenir après les élections municipales de mars 2020 a été annulée en raison de l'épidémie de Covid-19 et n'a pas été relancée depuis.
b) 2021 : le projet de loi « 4D » ne concerne plus le Grand Paris
Lors du débat, organisé le 9 février 2021 à la demande du groupe Les Républicains, sur l'avenir de la Métropole du Grand Paris, Mme Jacqueline Gourault, interrogée sur le calendrier de la réforme, a confirmé que le Gouvernement n'envisageait plus de discuter d'une réforme de la MGP à l'occasion de l'examen du projet de loi 4D.
2. ... mais reconnaît que le statu quo est impossible
Quand bien même la réforme institutionnelle du Grand Paris s'annonce indécise tant sur le plan politique que sur celui du scénario à retenir, la ministre de la Cohésion des territoires Jacqueline Gourault convenait tout de même lors du même débat que le statu quo était impossible.
La ministre a énuméré trois familles de scénarios, sans les reprendre à son compte, ni préciser l'orientation retenue par le Gouvernement :
- le premier type de scénario privilégie l'échelle de la région, prenant acte de la présence de nombreux sites essentiels à la vie de la métropole en grande couronne ;
- le deuxième privilégie le périmètre de la zone dense, c'est-à-dire pour l'essentiel de la petite couronne ;
- une troisième famille de scénarios, qui tous consistent à faire entrer les institutions de la région capitale dans le droit commun, en prévoyant d'octroyer le statut d'EPCI à fiscalité propre aux EPT, et non plus à la MGP, qui serait réduite au statut de syndicat mixte de la zone dense réunissant en tant que de besoin Paris, les EPT, les départements de petite couronne et la région Île-de-France.
* 13 Paris, Métropole introuvable (Presses universitaire de France 2017), p. 17.
* 14 Source : JDD , 8 décembre 2019.