N° 439
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 mars 2021
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) pour suite à donner à l' enquête de la Cour des comptes , transmise en application de l' article 58-2° de la LOLF , sur l'application de l' article 55 de la loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain ,
Par M. Philippe DALLIER,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Mme Nadine Bellurot, M. Christian Bilhac, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .
LES
OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
L'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) est certainement l'un des articles de loi les mieux connus de notre législation.
L'objectif de taux de logements sociaux qu'il a fixé - à l'origine 20 %, aujourd'hui 25 % du nombre de résidences principales dans les communes urbaines - cristallise en effet des enjeux à la fois locaux et nationaux : institué pour assurer une répartition plus équilibrée des logements sociaux sur le territoire national, il constitue une contrainte très forte pour les communes qui n'en comprennent pas toujours le caractère uniforme. Par son impact sur la répartition sociale de la population et sur la politique de l'urbanisme, il touche à des compétences essentielles des communes, dont les ressources financières peuvent aussi être affectées significativement par les sanctions dont il est assorti.
Or, après une relative stabilité de ses modalités au cours des années récentes, il est à présent nécessaire que le législateur se penche de nouveau sur le cadre de l'article 55 de la loi SRU. Au-delà du bilan auquel invite le vingtième anniversaire de la loi, promulguée le 13 décembre 2000, l'approche de l'échéance de 2025 pour l'atteinte des objectifs contraint à une réflexion sur la prolongation du dispositif. Il apparaît clairement, en effet, que ce calendrier a été fixé de manière trop ambitieuse pour de nombreuses communes, indépendamment de leur volonté de respecter la loi.
C'est pourquoi la commission des finances du Sénat a demandé le 20 janvier 2020 à la Cour des comptes, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), de réaliser une enquête sur la mise en oeuvre de l'article 55 de la loi SRU.
Le président de la cinquième chambre, M. Gérard Terrien, accompagné des magistrats qui ont conduit cette enquête, a présenté à la commission les résultats de cette enquête le 10 mars 2021, dans le cadre d'une audition « pour suite à donner ». À cette occasion, M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, et M. Manuel Domergue, directeur des études de la fondation Abbé-Pierre, ont été invités à apporter leurs commentaires sur les analyses et les recommandations de la Cour des comptes.
I. L'ARTICLE 55 DE LA LOI SRU A PRODUIT DES RÉSULTATS INDÉNIABLES POUR LA PRODUCTION DE LOGEMENTS SOCIAUX
Le dispositif communément désigné comme l'article 55 de la loi SRU correspond aux articles L. 302-5 et suivants du code de la construction et de l'habitation, modifiés par l'article 55 de la loi SRU 1 ( * ) proprement dit et par plusieurs textes ultérieurs. S'il a été progressivement adapté à certaines conditions locales, il a été surtout renforcé et constitue une contrainte de plus en plus marquée pour de nombreuses communes.
A. LE DISPOSITIF DE LA LOI SRU DÉFINIT UNE CIBLE DE LOGEMENTS SOCIAUX ET UN RYTHME DE PROGRESSION POUR Y PARVENIR
1. L'objectif initial unique de 20 % de logements sociaux a été accru mais aussi différencié selon la situation des communes
Une commune est dite « concernée » lorsqu'elle remplit les critères démographiques qui entraînent l'application des quotas de logements sociaux prévus par la loi SRU.
Les principaux critères d'application de l'article 55
Les communes concernées sont :
- d'une part des communes de plus de 3 500 habitants (ou plus de 1 500 habitants dans l'unité urbaine de Paris) appartenant à des agglomérations ou intercommunalités de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants ;
Il est assigné à ces communes un objectif de constitution d'un stock de 25 % de logements sociaux 2 ( * ) . Cet objectif est limité à 20 % par la loi « Égalité et citoyenneté » 3 ( * ) là où les besoins en logements des personnes à revenu modeste et des personnes défavorisées ne justifient pas un effort de production supplémentaire ;
- d'autre part des communes « isolées » de plus de 15 000 habitants en croissance démographique, même si elles ne se situent pas dans l'un des territoires précités. L'objectif est alors de 20 % de logements sociaux .
La loi « Égalité et citoyenneté » a également introduit des cas d'exemption , sur demande des intercommunalités, soit parce que la commune est mal desservie par les réseaux de transport en commun, soit parce que la demande de logement social y est faible, soit encore parce que plus de la moitié de son territoire urbanisé est inconstructible.
Source : commission des finances
Selon le rapport remis le 27 janvier dernier à la ministre chargée du logement 4 ( * ) par M. Thierry Repentin, président de la commission nationale SRU, que le rapporteur spécial a également rencontré, il ressort de l'inventaire 2019 que 2 091 communes étaient ainsi « concernées » . Parmi elles, 224 étaient exemptées de l'application de la loi, 767 avaient atteint le taux cible de 25 % ou de 20 % et 1 100 étaient donc déficitaires en logements sociaux et astreintes à des obligations de rattrapage (« soumises » à la loi SRU).
Communes concernées par la loi SRU
(en nombre de communes et en pourcentage
des communes
concernées)
Source : commission des finances, à partir du rapport de la commission nationale SRU
2. Des objectifs de construction triennaux sont fixés afin d'atteindre la cible de 25 % ou de 20 %
L'objectif formulé pour l'ensemble des communes en termes de stock est décliné en objectifs intermédiaires par période de trois ans , notifiés à chaque commune afin d'atteindre la cible de 25 % ou de 20 % de logements sociaux au plus tard en 2025.
Les communes qui, en raison de leur évolution démographique, entrent dans le dispositif à compter du 1 er janvier 2015 disposent de cinq périodes triennales pour atteindre l'objectif.
Cet objectif formulé en termes de flux est en outre décliné sur le plan qualitatif : 30 % au moins des logements produits doivent être financés par un prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) et 30 % au plus (voire 20 % lorsque la proportion de logements sociaux est inférieure à 10 % du parc) par un prêt locatif social (PLS) 5 ( * ) .
3. Des pénalités, potentiellement majorées, sanctionnent la non-atteinte des objectifs
L'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation prévoit qu'un prélèvement annuel est effectué sur les ressources des communes qui n'atteignent pas le taux cible de 20 % ou de 25 % des résidences principales. Les communes qui bénéficient de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSUCS) sont exemptées de ce prélèvement si elles ont une proportion minimale de logements sociaux 6 ( * ) .
Le prélèvement est égal au quart du potentiel fiscal par habitant , multiplié par la différence entre la cible du nombre de logements sociaux (soit 20 % ou 25 % du nombre des résidences principales) et le nombre effectif de logements sociaux existant dans la commune l'année précédente. Il est plafonné à 5 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune et diminué du montant des dépenses de la commune en faveur de la construction de logements sociaux (notamment subventions foncières, travaux de viabilisation, contribution aux dispositifs d'intermédiation locative, etc.). À titre d'exemple, le prélèvement brut était de 28,2 millions d'euros en 2016 pour la ville de Paris, en raison d'un taux de logement sociaux égal à 19,09 %, mais les dépenses faites par la commune en faveur du logement social lui ont permis de ne subir aucun prélèvement net 7 ( * ) .
Le prélèvement est imputé sur le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et non bâties (TFPNB), de la taxe d'habitation et de la cotisation foncière des entreprises inscrit à la section de fonctionnement du budget des communes concernées.
Lorsque la commune appartient à une intercommunalité bénéficiant de la délégation des aides à la pierre, celle-ci perçoit le produit du prélèvement, qui doit être utilisé pour financer des acquisitions foncières et immobilières en vue de la réalisation de logements locatifs sociaux. À défaut, le produit est versé à un établissement public foncier (EPF) ou, en l'absence d'EPF, au fonds national des aides à la pierre (FNAP) 8 ( * ) ou, en outre-mer, aux fonds régionaux d'aménagement foncier et urbain.
Par ailleurs, une majoration de ce prélèvement , pouvant aller jusqu'à son quintuplement, peut être instituée lorsque le préfet prend un arrêté de carence à l'encontre d'une commune. La majoration est versée au fonds national des aides à la pierre (FNAP), qui doit l'utiliser pour financer des PLAI adaptés ou des actions d'intermédiation locative dans les communes carencées.
Le carencement , s'il peut être mal vécu localement, semble avoir des effets sur la production de logement social . Selon le géographe Grégoire Fauconnier, les communes carencées à l'issue de la période triennale 2011-2013 ont produit 23 131 logements sociaux entre 2014 et 2016, contre 7 348 au cours de la période précédente, soit un rythme de production multiplié par trois 9 ( * ) .
Le montant des prélèvements nets totaux , une fois déduits les dépenses des communes en faveur du logement social, était selon la Cour de 90 millions d'euros en 2018 et 88,7 millions d'euros en 2019. Sur ce total, le produit de la majoration reversée au FNAP était de 28,3 millions d'euros en 2018 et 27,8 millions d'euros en 2019 10 ( * ) . Le rapport de M. Thierry Repentin, mentionné supra , indique que le montant des prélèvements a atteint 85 millions d'euros en 2020, dont 25 millions d'euros au titre de la majoration. Il qualifie ce coût de « coût de l'inaction », dans la mesure où il s'agit de sommes versées par les communes ne respectant pas les critères de la loi SRU.
4. Le contrat de mixité sociale ouvre la voie à une adaptation locale des modalités d'atteinte des objectifs de la loi SRU
Une instruction du Gouvernement aux préfets du 30 juin 2015 11 ( * ) a tracé le cadre des contrats de mixité sociale , signés entre l'État et les communes carencées volontaires. Ces contrats n'ont pas actuellement de base légale, ce qui crée une certaine incertitude pour leur application.
Le contrat de mixité sociale doit préciser les moyens que la commune s'engage à mobiliser pour atteindre ses objectifs triennaux. Ces moyens peuvent concerner notamment les modifications des documents d'urbanisme. Il constitue également un cadre de négociation pour la mobilisation du contingent de logements sociaux réservés par la commune pour une attribution à des ménages bénéficiant du droit au logement (DALO). Il prévoit enfin des actions d'accompagnement de l'État ou d'autres partenaires.
L'instruction du 30 juin 2015 prévoit en revanche une action plus déterminée de l'État dans les cas où la commune ne souhaite pas s'engager dans une démarche de contrat de mixité sociale . Les préfets sont alors encouragés à utiliser l'ensemble des outils prévus par la loi (droit de préemption urbain, identification de secteurs sur lesquels l'État pourrait accorder des permis de construire à la place du maire, inscription d'une partie du financement des logements sociaux réalisés au budget de la commune carencée...).
La Cour des comptes montre que cet outil, initialement conçu pour les communes carencées, a également été utilisé pour d'autres communes , puisque seules 89 des 213 communes engagées dans un contrat de mixité sociale en cours en 2018 avaient fait l'objet d'un arrêté de carence au cours de la période triennale 2014-2016. Le rapport de M. Repentin, mentionné supra , recommande d'ailleurs de proposer un contrat de mixité sociale à toutes les communes rencontrant des difficultés pour atteindre leurs objectifs, qu'elles soient ou non carencées.
Par ailleurs, l'article 130 de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) 12 ( * ) a introduit le contrat intercommunal de mixité sociale , qui précise notamment les modalités de transfert à une intercommunalité des obligations des communes résultant la loi SRU. Aucune intercommunalité ne s'est toutefois saisie de cette possibilité jusqu'à présent , comme l'a indiqué devant la commission M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages.
* 1 Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.
* 2 Le taux était de 20 % antérieurement à la loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.
* 3 Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, article 97.
* 4 Rapport de la commission nationale SRU sur les évolutions de la loi SRU après 2025 , 27 janvier 2021.
* 5 Parmi les prêts finançant la production de logements sociaux, le PLAI finance les logements destinés aux ménages les plus modestes et le PLS les logements destinés à des ménages plus favorisés.
* 6 Cette proportion minimale, en application de l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation, est respectivement de 20 % ou de 15 % selon que la commune est soumise au taux de 25 % ou de 20 % de logements sociaux.
* 7 Site « Transparence logement social » , ministère de la Cohésion des territoires.
* 8 Selon les réponses apportées aux questionnaires budgétaires, le FNAP, en tant que bénéficiaire de dernier rang, n'a reçu ces derniers années qu'un montant de l'ordre de 400 000 euros au titre des prélèvements SRU hors majoration, ce qui indique que la plus grande partie des prélèvements sont reversés à des établissements locaux.
* 9 Grégoire Fauconnier, Loi SRU et mixité sociale : le vivre ensemble en échec ? , Omniscience, 2020.
* 10 Le montant du prélèvement principal reversé au FNAP en tant que bénéficiaire de dernier rang est très réduit en comparaison (499 422 euros en 2020, selon le rapport annuel de performance).
* 11 Instruction du Gouvernement du 30 juin 2015 relative au renforcement de l'application des obligations pour les communes soumises à l'article L. 302-5 du CCH à l'issue du bilan de la quatrième période triennale 2011-2013, BO 2015-13 du 25 juillet 2015.
* 12 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.