B. DIAGNOSTIC ET PRONOSTIC : L'ATTRIBUTION DISCUTABLE À L'EXPERT PRÉSENTENCIEL D'UNE MISSION D'ESTIMATION DE LA DANGEROSITÉ

L'article 122-1 du code pénal dispose par ailleurs que la responsabilité pénale du commettant doit être établie à partir de son discernement au moment des faits . Par conséquent, et bien qu'il soit souvent nécessaire d'inscrire la reconstitution d'un trouble psychique momentané dans un spectre plus large, la loi commande à l'expert de concentrer son analyse sur l'état du commettant au moment de la commission de l'acte, en limitant les considérations antécédentes ou prospectives .

Lorsqu'il est mandaté par un juge d'instruction, l'expert psychiatre ou l'expert psychologue est tenu de répondre à un ensemble de questions , dont le nombre et la teneur sont à la discrétion des magistrats mais qui, dans la pratique, reproduisent un même modèle issu, pour le cas des psychiatres, d'une circulaire d'application de 1958 et, pour le cas des psychologues, d'une circulaire d'application de 1999 53 ( * ) .

Questions posées à l'expert psychiatre

Questions posées à l'expert psychologue

L'examen du sujet révèle-t-il chez lui des anomalies mentales ou psychiques ? Le cas échéant, les décrire et préciser à quelles affections elles se rattachent.

Analyser les dispositions de la personnalité du mis en examen dans les registres de l'intelligence, de l'affectivité et de la sociabilité et apprécier leurs dimensions pathologiques éventuelles

L'infraction qui est reprochée au sujet est-elle ou non en relation avec de telles anomalies ?

Faire ressortir les facteurs personnels, familiaux et sociaux ayant pu influer sur le développement de sa personnalité

Le sujet présente-t-il un état dangereux ?

Déterminer l'intelligence, l'habileté manuelle et l'attention

Le sujet est-il accessible à une sanction pénale ?

Préciser si des dispositions de la personnalité ou des anomalies mentales ont pu intervenir dans la commission de l'infraction

Le sujet est-il curable ou réadaptable ?

D'une façon générale, vous fournirez toutes données utiles à la compréhension du mobile des faits reprochés à la personne, et le cas échéant de son traitement

Le sujet était-il atteint au moment des faits d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant soit aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, soit altéré le contrôle de ses actes, au sens de l'article 122-1 du code pénal ?

Indiquer dans quelle mesure la personne est susceptible de se réadapter et préciser quel moyen il conviendrait de mettre en oeuvre pour favoriser sa réadaptation

Le sujet a-t-il agi sous l'empire d'une force ou d'une contrainte à laquelle il n'a pas résisté au sens de l'article 122-2 du code pénal ?

Le sujet est-il susceptible de faire l'objet d'un traitement dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire au sens de l'article 222-48-1 du code pénal ?

Le nombre et la diversité des questions posées aux experts présentent, aux yeux des rapporteurs, le risque de détourner l'expertise présentencielle de sa finalité initiale : la détermination du discernement du commettant au moment de l'acte.

Ainsi que l'ont unanimement dénoncé les experts psychiatres et psychologues auditionnés, les questions « prospectives » posées par les juges sur le caractère dangereux, curable ou réadaptable du prévenu anticipent la phase post-processuelle et se placent dans une temporalité différente de celle de la commission de l'acte . Le professeur Jean-Pierre Olié a confirmé cette tendance, en indiquant aux rapporteurs que, de plus en plus, la commission des experts par les magistrats insiste sur le risque de récidive , davantage que sur la qualité du discernement au moment des faits.

Constatée dès 1958, la préoccupation quant à la dangerosité et au risque de récidive a connu un resurgissement notable lors de l'examen de la loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté et la déclaration d'irresponsabilité pénale 54 ( * ) . Le traitement de ces deux objets par le même vecteur législatif a durablement installé dans le débat public une confusion dommageable entre « dangerosité psychiatrique » et « dangerosité criminologique » . Si les deux peuvent effectivement aboutir à la commission d'un acte délictueux ou criminel, la première se définit comme la composante d'un trouble mental susceptible d'avoir éclipsé le discernement de l'auteur, alors que la seconde puise ses causes dans un faisceau plus large d'indices, qui ne remet pas nécessairement en question la conscience de l'auteur au moment de la commission.

Les rapporteurs constatent que l'assimilation progressive de la dangerosité criminologique à la dangerosité psychiatrique a conduit le juge à substituer, dans le cadre de l'expertise présentencielle, la question du risque de récidive à celle du discernement au moment de l'acte 55 ( * ) .

Deux difficultés se déduisent de ce constat :

- d'une part, il dénature l'objet de l'expertise présentencielle , à laquelle l'article 122-1 du code pénal n'a pas attribué de mission prédictive en disposant explicitement que seul comptait le discernement « au moment des faits » ;

- d'autre part, il dénature la décision juridictionnelle qui, plus attentive à la « dangerosité » à venir de l'individu qu'à son discernement, ne se prononcera pas sur sa responsabilité à raison des faits considérés mais en fonction de leur reproduction potentielle .

Cette dérive peut facilement s'expliquer par le quasi-mutisme du code de procédure pénale concernant le contenu de l'expertise , qui a été à plusieurs reprises interprété par la chambre criminelle de la Cour de cassation comme laissant au juge d'instruction une latitude assez grande dans la commission de l'expert. Dans un arrêt de 2003, cette dernière a en effet indiqué, en réponse à plusieurs moyens soulevés sur les limites du rôle assigné aux experts, que « l'accomplissement d'une mission d'expertise psychiatrique relative à la recherche d'anomalies mentales susceptibles d'annihiler ou d'atténuer la responsabilité pénale du sujet n'interdit pas aux médecins experts d'examiner les faits, d'envisager la culpabilité de la personne mise en examen, et d'apprécier son accessibilité à une sanction pénale » 56 ( * ) .

Souvent citée pour justifier des missions élargies de l'expert, les rapporteurs seraient tentés d'interpréter cette décision dans le sens inverse : le silence de la loi quant au contenu de la mission de l'expert ne devrait pas conduire les juges à le solliciter pour autre chose que l'examen des faits, la culpabilité de la personne et l'appréciation de son accessibilité à une sanction pénale . Ils s'estiment par ailleurs confortés dans cette analyse par plusieurs dispositions du code de procédure pénale, qui réservent l'expertise de dangerosité aux cas des condamnés dont la peine a déjà été prononcée.

Cette attention accrue portée au risque de récidive témoigne pour les rapporteurs d'un glissement problématique des préoccupations de la société, moins soucieuse de l' accessibilité du prévenu à une sanction pénale que de l' utilité de la sanction . Ce mouvement doit être replacé dans le contexte de ces dernières décennies, qui a alternativement connu la disqualification de la peine d'emprisonnement au profit de mesures de réinsertion du délinquant, et, a contrario , la volonté politique de prolonger la peine par des mesures de rétention en cas de dangerosité avérée. Sans contester l'opportunité de cette inflexion, vos rapporteurs se doivent de rappeler qu'elle n'en a pas pour autant fait disparaître du code pénal l'absolue nécessité pour le juge de fonder prioritairement la peine sur l'acte commis , et d'envisager la réinsertion ou la rétention du délinquant dans un temps distinct 57 ( * ) .

Outre ces considérations, l'examen simultané par l'expert de la responsabilité pénale d'un individu dont le discernement n'est pas certain et de sa dangerosité mêle, aux yeux du syndicat des psychiatres d'exercice public (SPEP), deux démarches incompatibles au sein d'un même exercice : la démarche strictement clinique, chargée de se prononcer sur le trouble psychique à l'origine de la diminution du discernement, et la démarche plus subjective d'évaluation du risque de récidive.

Aussi, les rapporteurs proposent de limiter explicitement dans la loi la mission de l'expert présentenciel à la seule détermination du discernement au moment de l'acte et de réserver l'examen de la dangerosité et de l'éventuelle réinsertion du prévenu à la phase post-sentencielle.

Proposition n° 15 : préciser l'article 158 du code de procédure pénale en indiquant que, dans le cas où le juge d'instruction sollicite une expertise pour établir le discernement du commettant, cette expertise doit se concentrer sur les seules causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité pénale.


* 53 J.-L. SENON, J.-Ch. PASCAL, G. ROSSINELLI et alii , Expertise psychiatrique pénale , Paris, Fédération française de psychiatrie, 2007.

* 54 Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

* 55 Ainsi que l'indiquent les professeurs J.-P. OLIÉ et D. ZAGURY dans une tribune du journal Le Monde du 23 janvier 2017, il est « de plus en plus demandé à l'expert psychiatre non point de savoir si le criminel était malade au moment de l'acte, mais de donner une prédiction de dangerosité ».

* 56 Cour de cassation, chambre criminelle, 29 octobre 2003, n° 03-84.617.

* 57 La protection de la société et la prévention la récidive au-delà des faits commis est une des missions de la justice pénale qui dépasse l'appréciation des seuls faits commis. Elle peut légitimement intervenir dès la phase présentencielle et constitue par exemple une cause pour le placement en détention provisoire de multi-réitérants même si les faits poursuivis en l'occurrence sont moins importants que des faits antérieurs n'ayant pas donné lieu à une telle mesure. Les rapporteurs sont cependant convaincus que ces mêmes considérations ne peuvent peser de la même manière lorsqu'il s'agit de déterminer le discernement d'une personne.

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