B. DES MESURES DE RÉDUCTION À LA SOURCE TROP TIMIDES
Devant l'explosion de la consommation des plastiques et à ses conséquences néfastes pour l'environnement et la santé humaine, les mesures curatives ne suffisent plus. Plusieurs intervenants ont utilisé la métaphore de la fuite d'eau afin de décrire les solutions les plus efficaces pour endiguer la « fuite » des plastiques dans l'environnement : « en cas de fuite d'eau, on coupe d'abord l'eau avant de commencer à l'éponger, sans cela éponger ne sert à rien ! ». Cette logique s'applique à la lutte contre la pollution plastique. Il faut envisager une réduction à la source pour se prémunir contre les effets négatifs des plastiques, pour l'environnement et pour la santé humaine.
Il faut donc réduire la production d'articles en plastique afin d'éviter à avoir gérer leur fin de vie ; en particulier pour les plastiques à usage unique, de durée de vie courte et dont il est possible de se passer.
1. Le levier des interdictions règlementaires
De nombreuses mesures ont été prises ces dernières années afin d'interdire certains plastiques.
a) Des interdictions au niveau européen et national
Les mesures adoptées par l'Union européenne et la France ont déjà été abordées dans la partie V du rapport. Les interdictions en France portent sur trois catégories :
1) Les plastiques à usage unique
Jusqu'à très récemment, seuls les sacs plastiques ainsi que les emballages et sacs oxo-dégradables étaient concernés.
Depuis le 1 er janvier 2020, la liste des interdictions est étendue aux cotons-tiges, aux assiettes en plastique jetables, aux gobelets vides en plastique, aux verres en plastique, aux bouteilles d'eau plate en plastique servies dans le cadre de la restauration collective.
À partir de 2021 seront interdits les assiettes jetables (y compris les assiettes en carton avec un film plastique), les pailles, les bâtonnets mélangeurs, les couverts en plastique, les couvercles à verre en plastique, les piques à steak, les confettis en plastique, les récipients, les gobelets et bouteilles en PSE et les tiges en plastique pour ballons. L'interdiction de ces articles est maintenue s'ils sont en plastiques biosourcés compostables. En outre, la distribution gratuite de bouteilles en plastique dans les établissements recevant du public et dans les locaux à usage professionnel est interdite.
À compter de 2022, l'interdiction visera les sachets de thé en plastique, les jouets en plastique distribués gratuitement dans le cadre d'un menu destiné aux enfants, les emballages de presse en plastique, les récipients, gobelets, et couverts en plastique utilisés pour la restauration sur place, les emballages en plastique pour conditionner les fruits et légumes et les étiquettes apposées sur ces derniers.
Enfin, en 2025 seront interdits les contenants alimentaires en plastique pour la restauration collective.
2) Les microplastiques
Ils ne font l'objet d'aucune interdiction au niveau de l'Union européenne. En revanche, la France a interdit les microplastiques dans les produits rincés à usage d'exfoliation ou de nettoyage depuis 2018. En outre, l'utilisation de microplastiques intentionnellement ajoutés sera interdite :
• à partir de 2024 dans les dispositifs médicaux ;
• à partir de 2026 dans les produits cosmétiques qui échappaient à l'interdiction de 2018 (cf. supra ) ;
• à compter de 2027 dans les produits détergents, les produits d'entretien et les autres produits visés par la proposition de restriction du 22 août 2019 de l'Agence européenne des produits chimiques.
3) Les substances dangereuses
Plusieurs cadres ciblent l'interdiction des substances dangereuses.
La convention de Stockholm établit la liste des polluants organiques persistants à interdire.
Le règlement REACH soumet les substances chimiques les plus préoccupantes 249 ( * ) à une procédure d'autorisation afin de se doter des moyens de leur contrôle. Dès lors qu'une substance est incluse à l'annexe XIV, elle ne peut plus être fabriquée, importée ou utilisée sans autorisation de la Commission européenne. Les substances considérées comme faisant courir un risque inacceptable pour la santé humaine et l'environnement sont inscrites à l'annexe XII qui limite, voire interdit leur fabrication, leur mise sur le marché et leur utilisation.
b) Des interdictions à poursuivre
• Une interdiction encore perfectible pour les sacs de caisse
Depuis janvier 2017, les sacs de caisses de plus de 50 microns sont interdits, à moins d'être composés d'au moins 50 % de plastiques biosourcés et compostables domestiquement. Pourtant, de nombreux sacs plastiques jetables sont encore mis à disposition dans des petits commerces ou sur les marchés. Certains de ces sacs sont conçus pour que leur épaisseur soit supérieure à la limite d'épaisseur de 50 microns (ce qui leur permet d'être considérés réglementairement comme « réutilisables »). Les autres sacs sont distribués illégalement par les commerçants.
L'interdiction est aujourd'hui contre-productive puisqu'elle est contournée en augmentant l'épaisseur des sacs et, in fine , en produisant davantage de plastique et davantage de déchets.
• Le poids des lobbies
La directive européenne du 5 juin 2019, relative à la réduction de l'incidence sur l'environnement de certains produits en plastique, a marqué les esprits :
• elle été votée dans des délais particulièrement courts pour un texte européen (treize mois se sont écoulés entre le moment où elle a été proposée et son vote) ;
• elle définit une liste d'articles à usage unique à proscrire au 3 juillet 2021, soit deux ans à peine après sa promulgation ;
• elle précise que cette liste a vocation à évoluer en fonction des résultats des prochaines campagnes de surveillance des déchets plastiques sur les plages.
Pour autant, cette prouesse ne doit pas cacher la pression des lobbies à laquelle est soumis tout projet européen visant à interdire un article en plastique ou une substance chimique. Cette pression ralentit la prise de décision et édulcore les ambitions initiales.
Ainsi, selon les informations obtenues par vos rapporteurs, la proposition portée par l'Agence européenne des produits chimiques en août 2019 (proposition visant à restreindre l'ajout intentionnel de microplastiques dans un grand nombre de secteurs) aurait été considérablement amoindrie à la suite des consultations publiques menées par le comité d'analyse socio-économique de l'Agence.
Plus récemment, lors de la première vague de l'épidémie de la Covid-19, les convertisseurs européens du plastique (EuPC) ont écrit à la Commission européenne pour réclamer un sursis d'un an et une refonte de la directive relative à la réduction de l'incidence sur l'environnement de certains produits en plastique qui interdit dès 2021 la commercialisation de certains plastiques à usage unique (assiettes, couverts, pailles, récipients pour aliments, tasses en polystyrène expansé, bâtonnets de coton-tige et ballons en plastique).
• Les obstacles liés à l'interdiction des perturbateurs endocriniens
De nombreuses substances chimiques sont suspectées d'agir comme des perturbateurs endocriniens (bisphénols, phtalates, parabènes, composés bromés, perfluorés, alkylphénol).
Nombre de ces substances se retrouvent dans des articles plastiques de la vie quotidienne (textiles, jouets, contenants alimentaires, véhicules, revêtements pour les sols, etc.).
Pourtant, dans la pratique, la réglementation européenne peine à lutter efficacement contre les perturbateurs endocriniens.
Ainsi, le règlement CLP 250 ( * ) impose un étiquetage spécifique pour un certain nombre de substances CMR (cancérigène - mutagène - toxique pour la reproduction), dont certaines sont des perturbateurs endocriniens potentiels. Mais il exclut certains produits (aliments, compléments alimentaires, dispositifs médicaux, médicaments, cosmétiques) qui relèvent de réglementations sectorielles spécifiques.
Seuls les règlements sur les produits phytopharmaceutiques et biocides prévoient explicitement d'exclure des substances présentant des effets de perturbateurs endocriniens.
2. Le vote très récent d'une stratégie globale de réduction des emballages plastiques
La loi relative à la lutte contre le gaspillage et l'économie circulaire fixe des objectifs de réduction de la quantité d'emballages en plastique à usage unique.
L'article 7 pose comme objectif la fin de la mise sur le marché d'emballages en plastique à usage unique d'ici à 2040. Pour atteindre cet objectif de réduction, un objectif de réutilisation et de réemploi et un objectif de recyclage seront fixés par décret pour la période 2021-2025, puis pour chaque période consécutive de cinq ans.
En outre, ce même article prévoit la mise en place d'une stratégie nationale pour la réduction, la réutilisation, le réemploi et le recyclage des emballages en plastique à usage unique d'ici à 2022. Cette stratégie doit déterminer les mesures sectorielles, ou de portée générale, nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par décret. Certaines pistes de réflexion sont d'ores et déjà avancées : mobiliser les filières à responsabilité élargie du producteur via leurs éco-modulations, adapter les règles de mise sur le marché et de distribution des emballages, recourir à d'éventuels outils économiques.
L'article 7 précise que cette stratégie nationale est élaborée et révisée en concertation avec les filières industrielles concernées, les collectivités territoriales et les associations de consommateurs et de protection de l'environnement.
Par ailleurs, l'article 66 prévoit une réduction de 50 % du nombre de bouteilles en plastique à usage unique mises sur le marché d'ici à 2030.
La France devient ainsi le premier État à inscrire dans sa législation l'interdiction à long terme des emballages en plastique à usage unique.
Le vote de cet article a soulevé de nombreuses réactions. Certains le jugent irréalistes, d'autres regrettent que la date retenue pour la fin des emballages plastiques à usage unique soit si éloignée. Quoi qu'il en soit, cette loi introduit un formidable défi et oblige toutes les parties prenantes à collaborer pour établir, ensemble, une feuille de route et organiser cette transition vers une économie sans emballages plastiques à usage unique.
3. La focalisation des industriels sur le poids des emballages plutôt que sur leur réduction
Pour les entreprises, la fin de la mise sur le marché des emballages plastiques à usage unique d'ici à 2040 constitue un défi majeur. Jusqu'à présent, ces dernières se sont surtout focalisées sur la réduction du poids des emballages au détriment de leur élimination.
a) De réels progrès en matière de réduction du poids des emballages plastiques
La réduction du poids des emballages est un souci constant chez les industriels, car elle permet des économies en énergie à toutes les étapes du cycle de vie du produit.
En 1975, un pot de yaourt en PS pesait 6 grammes, contre 3 grammes en 2000 (soit une réduction de 50 % de la quantité de plastique). En 1979, le parechoc en PP de la Fiat Ritmo pesait 5,5 kg. En 2000, le parechoc de la Fiat Punto pesait 3,5 kg tout en ayant amélioré sa résistance aux chocs (soit une réduction de 36 % de la quantité de plastique). De même, l'épaisseur d'un tuyau en PEHD d'un diamètre 400 mm est passée de 46 mm en 1960 à 24 mm en 2000 (soit une réduction de 48 % de la quantité de plastique).
La loi n° 2009-967 du 3 août 2009 (dite de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement) a accentué cette course à la réduction du poids des emballages en posant le principe d'une contribution financière des industriels aux éco-organismes en fonction du poids de leurs emballages.
Selon Elipso (qui représente les entreprises de l'emballage plastique et souple), depuis vingt ans, les emballages ont vu globalement leur poids réduit de 40 % et même de 50 % pour les bouteilles en plastique.
Les exemples suivants illustrent les efforts des industriels dans la réduction du poids des emballages.
Entre 2010 et aujourd'hui, la part du plastique liée aux emballages cosmétiques est passé de 6 % à 2-3 %.
Selon l'association française des industries de la détergence, la mise en place d'une charte pour le nettoyage durable 251 ( * ) en 2005 a permis de diminuer la quantité d'emballages de 3 500 tonnes (ce qui correspond à une réduction de 14 % des emballages).
Les couches Pampers Harmonie ont vu le poids des matériaux utilisés réduit de 30 %.
Le développement des éco-recharges constitue une source non négligeable de réduction des plastiques pour l'Occitane, lui permettant d'économiser 9 % de plastique. Le poids d'une éco-recharge représente 10 % de celui d'un flacon.
L'Oréal a également annoncé une réduction de 50 % des matières plastiques pour la fabrication de ses flacons.
Par ailleurs, un certain nombre d'entreprises se lance dans le remplacement des emballages rigides par des emballages souples, que ce soit dans le domaine des cosmétiques et des détergents, mais également dans celui de l'agroalimentaire (fruits et légumes pré-coupés, viande hachée, etc.). Si ces initiatives contribuent à une réduction du volume total des déchets plastiques, elles ont parfois un effet pervers en matière de recyclabilité. En effet, la réduction de poids des plastiques nécessite souvent l'utilisation de résines plus complexes, telles que des multicouches, qui sont difficilement dégradables.
b) Un engagement plus récent dans la suppression des emballages
Au-delà de la réduction du poids des emballages, un nombre croissant d'entreprises s'efforce de supprimer certains emballages en plastique.
Le développement du vrac permet de réduire fortement l'utilisation de plastiques à usage unique. Les magasins commercialisant des produits « biologiques » ont initié et développé la vente en vrac et en sont les précurseurs. Ils ont depuis été suivis notamment par la grande distribution.
Lors de son audition, le président de l'enseigne de vente en vrac day by day (750 références) a estimé que la suppression des emballages primaires permettait de réduire de 73,3 % la quantité de plastique utilisée. Le ratio poids de l'emballage sur poids de matière est de 6 % dans la grande distribution traditionnelle. Il est de 1,5 % chez day by day.
Le développement du vrac a également un double effet d'entraînement sur les enseignes traditionnelles : non seulement la plupart d'entre elles ont développé un rayon vrac pour certains produits, mais elles sont incitées à supprimer les emballages plastiques superflus. Ainsi, Intermarché a développé le vrac dans 1 250 magasins sur 1 800 au total, avec 80 références en moyenne.
Decathlon s'est lancé dans une stratégie visant à supprimer les emballages de transport (polybag, scotch, etc.). Les solutions techniques sont actuellement testées en Inde et seront ensuite étendues à d'autres pays.
Enfin, de nombreuses entreprises de la cosmétique ont fait part d'initiatives visant à supprimer certains articles en plastique, qu'il s'agisse d'emballages (papier cellophane protégeant le carton d'emballage, etc.) ou des spatules pour l'application des produits de soin.
Toutefois, compte tenu du caractère symbolique de l'emballage dans le domaine des produits de beauté, la fédération des entreprises de la beauté a souligné que les stratégies de réduction des emballages devaient s'assurer qu'elles ne remettaient pas en cause l'image de luxe associée au produit.
Plus généralement, l'emballage est un support d'information qui porte à la fois les mentions légales propres au produit, mais aussi les indications que la marque veut mettre en avant dans sa relation avec le consommateur : conseils d'utilisation, informations nutritionnelles, allégations sanitaires ou environnementales. L'article 13 de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire a renforcé l'information des consommateurs sur les produits (cf. supra ) et précise que ces informations doivent être visibles et accessibles par le consommateur au moment de l'achat. La suppression des emballages doit donc s'accompagner d'une réflexion sur les solutions permettant d'informer le consommateur.
* 249 Il s'agit des substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR), des substances persistantes, bioaccumulables et toxiques (PBT), des substances très persistantes et très bioaccumulables (vPvB) ainsi que des substances suscitant un niveau de préoccupation équivalent telles que les perturbateurs endocriniens ou les sensibilisants respiratoires.
* 250 CLP (Classification, Labelling, Packaging) : il s'agit du règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances chimiques et des mélanges. Les fournisseurs ou les importateurs d'une substance ou d'un mélange sont tenus d'étiqueter le produit si ce dernier est classé comme dangereux. De plus, si un mélange contient au moins une substance classée comme dangereuse, le produit doit également être étiqueté.
* 251 Cette initiative volontaire de l'industrie de la détergence encourage l'adoption de pratiques conformes au développement durable à toutes les étapes du cycle de vie d'un produit. Elle a été signée par 230 entreprises et concerne les savons, les détergents et les produits d'entretien, aussi bien pour le grand public que pour le secteur du nettoyage et de l'hygiène professionnel et industriel.