B. ... ALORS QUE LE SECTEUR PUBLIC RENCONTRE DES DIFFICULTÉS POUR RÉUNIR LES COMPÉTENCES NÉCESSAIRES EN INTERNE
Face à la souplesse et aux ressources des employeurs privés, le secteur public peine à offrir des perspectives de carrière et des revenus attractifs dans un milieu où les ingénieurs ne manquent pas d'offres. Selon le directeur interministériel du numérique, le concours des ingénieurs des systèmes d'information et de communication (Isic) attire chaque année un nombre de candidats inférieur au nombre des postes ouverts. La capacité numérique se répand certes de plus en plus chez les ingénieurs généralistes, mais elle ne peut toujours remplacer le besoin de profils de spécialistes pointus.
En outre la voie du concours n'est pas forcément la plus adaptée pour recruter des experts, car elle ne peut pas garantir que la personne recrutée sera employée dans son domaine précis de compétence. Le directeur du numérique soutient un recours massif aux contractuels, à condition d'offrir un niveau de rémunération équivalent à celui du secteur privé.
C. LES MINISTÈRES DOIVENT MIEUX MUTUALISER LEURS COMPÉTENCES INFORMATIQUES, SOUS L'ÉGIDE DE LA DIRECTION INTERMINISTÉRIELLE DU NUMÉRIQUE
Faisant le constat de la difficulté que rencontrent les ministères à renforcer leurs compétences internes, la Cour conclut logiquement à la nécessité d'y parvenir par une mutualisation des moyens .
Le constat, fait supra , de la grande variabilité, d'une année à l'autre, de la répartition des grands projets entre les ministères doit conduire à la conclusion suivante : une administration qui ne mène des grands projets que de manière espacée peut difficilement conserver en interne, de manière permanente, la totalité des compétences nécessaires.
La Cour propose donc de recruter 400 professionnels de la filière numérique au niveau interministériel. Une voie moins ambitieuse est explorée actuellement par le Gouvernement, qui cherche, via la Dinum, à faciliter la mise à disposition temporaire d'un agent bénéficiant d'une compétence particulière auprès d'une autre administration que celle dont il fait partie. Le programme TECH.GOUV prévoit ainsi de constituer un tel « vivier » composé de 1 000 experts numériques internes et externes à l'État.
La Cour propose également de renforcer le rôle de pilotage de la Dinum en la faisant intervenir plus en amont et tout au long des projets.
La Dinum formule actuellement à l'égard des ministères des avis qui sont conformes pour les projets d'un montant supérieur à 9 millions d'euros . L'avis est simple pour les projets de même taille menés par des organismes placés sous la tutelle de l'État 6 ( * ) .
Le rôle est toutefois limité par les contraintes qui lui sont posées : son avis conforme sur les grands projets de l'État arrive trop tard pour parvenir toujours à redresser les projets en difficulté et elle ne dispose que d'un accès insuffisant aux données des projets via Chorus.
La Cour recommande donc de prévoir une intervention systématique de la Dinum dans les phases d'études préalables pour les projets susceptibles de dépasser 50 millions d'euros de coûts prévisionnels. Un projet ne devrait pas non plus durer au-delà de cinq ans , sauf avis dérogatoire de la Dinum. Comme l'a indiqué le président de la quatrième chambre de la Cour lors de l'audition « pour suite à donner », les responsables de système d'information dans le secteur privé estiment qu'un projet informatique doit durer entre dix-huit mois et trois ans.
Sans doute faudrait-il surtout, comme l'a ainsi fait remarquer le directeur interministériel du numérique devant la commission, ne plus lancer de projets supérieurs à 50 millions d'euros , ce qui correspond déjà à un projet de grande ampleur, mais les diviser en projets de taille plus facile à gérer.
Une autre piste de meilleure maîtrise des projets numériques concerne les opérateurs de l'État , même si ces projets - en particulier ceux conduits par les administrations de sécurité sociale - ne faisaient pas partie du périmètre de l'enquête demandée à la Cour des comptes. Dans la mesure où les politiques publiques mises en oeuvre par ces opérateurs nécessitent la conduite de projets numériques dont le montant est même supérieur à ceux réalisés directement par l'État, il sera utile que le contrôle de la Dinum soit effectif à l'égard de ces projets, ce que permettent des évolutions réglementaires récentes.
L'équilibre doit en fait être trouvé entre l'attribution de nouvelles responsabilités à une direction spécialisée telle que la Dinum , qui possède de grandes compétences techniques, et l'acquisition de ces compétences par les ministères eux-mêmes , qui sont mieux à même d'apprécier le besoin fonctionnel. Face aux propositions tendant à donner à la Dinum un rôle plus moteur dans la conduite des projets des ministères, le directeur interministériel du numérique considère que sa direction n'a pas à assumer le pilotage des projets à la place des ministères, ceux-ci devant acquérir une culture du pilotage des projets numériques. Il a indiqué avoir mis en place un « cabinet de conseil interne » qui a vocation à assister les ministères dans la préparation des projets, le plus en amont possible.
* 6 Décret n° 2019-1088 du 25 octobre 2019 relatif au système d'information et de communication de l'État et à la direction interministérielle du numérique.