Rapport d'information n° 707 (2019-2020) de M. Antoine KARAM , fait au nom de la MI Trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, déposé le 15 septembre 2020
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INTRODUCTION
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LES RECOMMANDATIONS DU RAPPORT
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I. LE TRAFIC DE COCAÏNE : UN FLÉAU ET UN
DRAME HUMAIN POUR LA GUYANE
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A. LA GUYANE, UN POINT DE PASSAGE PARMI D'AUTRES DE
LA COCAÏNE VERS L'EUROPE
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B. UN PHÉNOMÈNE RELATIVEMENT
RÉCENT EN GUYANE, QUI S'ENRACINE DANS UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET
SOCIAL DIFFICILE
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C. LES « MULES », DES PROFILS
VARIABLES PRÉSENTANT DES CARACTÉRISTIQUES COMMUNES
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D. DES CONSÉQUENCES SANITAIRES,
ÉCONOMIQUES ET SOCIALES RAVAGEUSES
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A. LA GUYANE, UN POINT DE PASSAGE PARMI D'AUTRES DE
LA COCAÏNE VERS L'EUROPE
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II. UN PROBLEME PARTIELLEMENT PRIS EN COMPTE
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III. UN RENFORCEMENT DE LA RÉPONSE EST
NÉCESSAIRE, QUI NE PEUT ÊTRE QUE GLOBALE ET MULTIVECTORIELLE
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A. UNE POLITIQUE RÉPRESSIVE QUI DOIT VISER
LA RECHERCHE D'EFFICACITÉ ET LE DÉMANTÈLEMENT DES
RÉSEAUX
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B. METTRE DAVANTAGE L'ACCENT SUR LA
PRÉVENTION ET LA RÉINSERTION
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C. RENFORCER LA COOPÉRATION INTERNATIONALE
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A. UNE POLITIQUE RÉPRESSIVE QUI DOIT VISER
LA RECHERCHE D'EFFICACITÉ ET LE DÉMANTÈLEMENT DES
RÉSEAUX
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I. LE TRAFIC DE COCAÏNE : UN FLÉAU ET UN
DRAME HUMAIN POUR LA GUYANE
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 707
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2019-2020
Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 septembre 2020 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane (1) sur « Mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l' urgence d'une réponse plus ambitieuse »,
Par M. Antoine KARAM,
Sénateur
(1) Cette mission est composée de : M. Olivier Cigolotti , président ; M. Antoine Karam , rapporteur ; M. Mathieu Darnaud, Mme Chantal Deseyne, MM. Michel Dagbert, Guillaume Arnell, Fabien Gay, Joël Guerriau , vice-présidents ; Mmes Maryse Carrère, Catherine Conconne, MM. Philippe Dallier, Jean-Luc Fichet, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Victoire Jasmin, Muriel Jourda, MM. Jacques Le Nay, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Vivette Lopez, MM. Pascal Martin, Georges Patient, Mme Claudine Thomas et M. Jean-Pierre Vial. |
INTRODUCTION
Ces dernières années, le trafic de cocaïne en provenance de la Guyane a connu un essor considérable , au point de représenter aujourd'hui 15 à 20 % des entrées de cocaïne dans l'Hexagone. En volume, ce serait de l'ordre de 4 tonnes de cocaïne transitant chaque année entre Cayenne et Paris sur des vols commerciaux.
Ce trafic repose en effet sur le recours à des passeurs occasionnels, communément appelés « mules » , qui transportent la drogue in corpore ou dissimulée dans leurs bagages, pour le compte de trafiquants.
On estime qu'en temps normal, 20 et 30 passeurs souhaiteraient prendre chaque vol et que 8 à 10 y parviendraient effectivement .
Ce phénomène en expansion est préoccupant à plusieurs titres . Outre l'enjeu qu'il représente en termes de santé publique (notre pays compte 600 000 consommateurs réguliers de cocaïne), il constitue une préoccupation forte en termes d'ordre public . En effet, ce trafic en provenance de Guyane irrigue désormais tout le territoire national , avec une prédilection pour les villes de province, alimentant la délinquance et l'économie parallèle.
En Guyane, la banalisation de ce trafic et sa rentabilité élevée (acheté 3 500 euros sur les bords du fleuve Maroni, le kilo de cocaïne peut être revendu dix fois plus cher dans l'Hexagone) font craindre une dérive mafieuse . Pour preuve, les actes de violence liés au trafic (enlèvements, séquestration...) se développent.
Surtout, il s'agit d'un véritable fléau pour les jeunes de Guyane , qui, faute de travail ou de perspectives, sont susceptibles de tomber dans ce piège. Les passeurs, en effet, sont principalement des jeunes privés d'emploi et issus de l'Ouest du département, région où se concentrent de multiples difficultés socio-économiques .
Constituée le 13 mai 2020 à l'initiative du groupe La République en Marche, dans le cadre du droit de tirage annuel de chaque groupe prévu par l'article 6 bis du Règlement du Sénat, la mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane s'est donné pour objectif d'évaluer la politique et les moyens mis en oeuvre par l'Etat pour lutter contre ce phénomène et de proposer des pistes d'amélioration pour en renforcer l'efficacité.
Malgré les difficultés posées par le contexte sanitaire lié au Covid-19 , qui n'ont pas permis de déplacement en Guyane, la mission a mené des travaux approfondis pendant quatre mois et auditionné un grand nombre d'acteurs impliqués ou concernés par la politique de lutte contre le trafic de cocaïne dans ce territoire : forces de sécurité intérieure, douanes, autorités judiciaires, élus locaux, acteurs associatifs, ambassadeurs, experts... Elle s'est également rendue à l'aéroport d'Orly pour appréhender concrètement le dispositif de contrôle mis en place à l'arrivée des vols en provenance de Guyane.
Au terme de ce large tour d'horizon, la mission entend alerter sur l'ampleur du phénomène. En Guyane, le trafic de cocaïne se développe comme une activité économique à part entière, en l'absence de développement économique et d'alternatives. Il met en jeu des vies humaines et menace les équilibres économiques et sociaux , d'ores et déjà fragilisés par le chômage et la forte croissance démographique. Une réponse forte est nécessaire, de toute urgence.
Certes, il serait faux de dire que rien n'a été fait jusqu'à présent. Le plan d'action interministériel de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane, signé le 27 mars 2019, prend acte du problème et prévoit un renforcement des moyens de contrôle et une amélioration de leur coordination, en même temps que de nouvelles dispositions sont introduites dans la loi, notamment en termes de procédure pénale.
Pour autant, la réponse, essentiellement répressive, reste sous-dimensionnée par rapport aux enjeux . Malgré l'augmentation des contrôles, le trafic se poursuit, les trafiquants usant d'une stratégie de saturation consistant à envoyer des passeurs en nombre pour déborder les forces de sécurité et maximiser les chances de réussite. Par ailleurs , le volet social de la politique de lutte a été négligé , qu'il s'agisse de la prévention ou de la réinsertion, ce qui consiste une grande faille dans le dispositif.
Pour la mission d'information, l'Etat doit apporter une réponse beaucoup plus ambitieuse et plus complète que celle qu'il a mise en oeuvre jusqu'à présent . Ce n'est que par un ensemble d'actions coordonnées dans tous les domaines (répressif, social...) et à tous les niveaux (local, national, international) que le dramatique phénomène des « mules » et le trafic de cocaïne en Guyane pourront être enrayés . Par ailleurs, la Guyane a besoin d'un élan, d' une impulsion forte pour soutenir le développement de son territoire et donner des perspectives d'avenir à sa jeunesse . Il s'agit d'un enjeu de première importance, un enjeu de société aussi bien pour la Guyane que pour l'ensemble du territoire national.
LES RECOMMANDATIONS DU RAPPORT
Axe 1 : Renforcer et optimiser la politique répressive pour dissuader le trafic |
? La mission d'information recommande d'intensifier les contrôles et les saisies pour diminuer la rentabilité du trafic sur l'axe Paris-Cayenne et décourager les trafiquants .
Les efforts supplémentaires doivent concerner l'aéroport Félix Eboué et ses abords . De nouveaux équipements, tels que des scanners à rayons X pour le contrôle des bagages, devraient être déployés.
Par ailleurs, la mission plaide pour la réalisation ponctuelle de contrôles approfondis dits « à 100 % » à l'arrivée des vols en provenance de Guyane , à l'image de ceux pratiqués par les Pays-Bas sur les vols venant de pays à risques.
La mission préconise aussi de conforter la solidité juridique des arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquer.
Enfin, tout ce volet doit être assorti d'une communication adaptée , de nature à en garantir l'effet dissuasif.
? L'intensification des contrôles va engendrer un surcroît d'activité qui implique de dégager des marges de manoeuvre sur toute la chaîne de traitement afin d'éviter l'embolie .
Il s'agit de contrer la stratégie de saturation utilisée par les passeurs en améliorant l'efficacité de l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale.
Pour cela, il faut alléger au maximum les procédures en utilisant les possibilités existantes (telles les procédures douanières simplifiées qui permettent d'éviter le placement en retenue douanière ou la garde à vue) et employer chaque administration selon ses capacités (par exemple en recentrant l'action de l'OFAST 1 ( * ) sur le traitement des commanditaires et le démantèlement des réseaux).
Les délais de transfèrement des personnes interpelées devraient pouvoir être réduits , notamment par l'installation de chambres médicalisées à proximité des aéroports et par la réalisation de la Cité judiciaire à Saint Laurent-du-Maroni.
Enfin, les efforts visant à améliorer la coordination entre les différents services devront être poursuivis, notamment au plan local , et particulièrement à l'aéroport Félix Eboué.
Concernant l'autorité judiciaire , si une augmentation des effectifs de magistrats et greffiers en Guyane semble incontournable, des marges de manoeuvre existent également au niveau des procédures mises à disposition du parquet.
? La mission plaide pour un renforcement de l'action structurelle de démantèlement des réseaux .
Ceci implique un meilleur partage de l'information entre services , notamment grâce aux récentes cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROS), une lutte accrue contre le blanchiment et une augmentation de la saisie des avoirs criminels, ainsi qu'une implication forte de l'OFAST, qui doit être en mesure de faire de cette mission une priorité.
Axe 2 : Doter la politique de lutte contre le trafic de stupéfiants d'un volet social ambitieux, notamment en termes de prévention et de réinsertion |
? La mission demande la mise en place d'une politique de prévention ambitieuse , pilotée par l'Etat et dotée de financements conséquents .
Elle suggère de confier explicitement au Préfet, en y associant étroitement la Collectivité territoriale de Guyane, une mission d'impulsion de la politique de prévention et de coordination des initiatives conduites au plan territorial.
La mission a également identifié un certain nombre de pistes de nature à améliorer la portée et l'efficacité de la politique de prévention : acquérir une meilleure connaissance du profil des passeurs et du contexte de l'entrée dans le trafic, impliquer davantage les publics visés - par la participation de passeurs repentis -, mais aussi les représentants des forces de sécurité, dans les actions proposées, étendre le champ de cette prévention à l'entourage familial et aux plus jeunes, pour contrer le recrutement précoce.
Il faudrait aussi prévoir des structures ou lieux d'accueil où les personnes souhaitant sortir du trafic, ou sur le point d'y basculer, pourraient trouver aide et conseil.
Enfin, un vrai effort budgétaire doit être consenti en faveur de cette politique, trop longtemps négligée.
? Elle recommande d'encourager la formation et l'insertion professionnelle des jeunes Guyanais
De manière générale, le développement de l'offre de formation dans les communes enclavées de l'intérieur et de l'ouest du département doit être une priorité.
Il faut également augmenter massivement la capacité d'accueil des dispositifs d'insertion socio-professionnelle comme les missions locales ou le service militaire adapté (SMA) est également nécessaire. Actuellement seuls 3 600 jeunes bénéficient chaque année d'un accompagnement socio-professionnel en Guyane, alors que 24 200 sont sans emploi ni formation.
? La politique pénale doit davantage favoriser la réinsertion socio-professionnelle
Si les peines prononcées doivent être exemplaires et dissuasives, elles doivent rester individualisées et prendre en compte le profil de la personne et le contexte : toute forme d'automaticité en la matière serait contreproductive.
Il convient d' éviter à tout prix les sorties « sèches » et privilégier la réinsertion , en permettant aux détenus de se former et en utilisant les dispositifs légaux récemment créés (sursis probatoire renforcé, continuité de l'accompagnement en milieu ouvert et en milieu fermé...).
Le lieu d'incarcération devrait être déterminé en fonction du projet d'insertion et non du lieu d'interpellation, comme actuellement.
Ces avancées supposent que les structures chargées de l'application des peines aient les moyens d'assurer cet accompagnement. A cet égard, le rapport propose de confier au service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) de Guyane un rôle de maître d'oeuvre, lui permettant de coordonner l'ensemble des actions menées en Guyane et dans l'Hexagone, avec un renforcement des moyens humains et financiers permettant la concrétisation de dispositifs adaptés aux spécificités de ce public. Le rapport recommande également de former les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation du SPIP du Val-de-Marne au contexte culturel, géographique et sociologique des mules et des réseaux opérant en Guyane.
Enfin, il convient de favoriser les relations et contacts entre les associations de Guyane intervenant dans ce champ et celles localisées dans l'Hexagone .
Axe 3 : Renforcer la coopération internationale |
? La mission plaide pour un renforcement de l'implication de la France dans la coopération régionale en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants dans la zone Caraïbe.
Ce renforcement concerne à la fois l'action de la MILDECA, des attachés de sécurité intérieure et des forces armées aux Antilles.
Afin de peser davantage dans les organisations qui portent cette coopération, elle suggère aussi de relancer l'adhésion de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane à la communauté caribéenne (CARICOM) comme membres associés.
? Enfin, la mission recommande d'intensifier la coopération bilatérale avec les pays voisins.
Cela doit concerner particulièrement avec le Suriname , à la faveur de l'évolution du contexte politique. Avec ce pays, la coopération est à développer non seulement au plan sécuritaire mais aussi en termes de développement économique compte tenu des synergies potentielles et des besoins convergents entre nos pays dans le bassin du fleuve Maroni .
I. LE TRAFIC DE COCAÏNE : UN FLÉAU ET UN DRAME HUMAIN POUR LA GUYANE
A. LA GUYANE, UN POINT DE PASSAGE PARMI D'AUTRES DE LA COCAÏNE VERS L'EUROPE
1. Une diversification des routes de la cocaïne dans l'environnement régional et international
À la différence des autres stupéfiants, la production de cocaïne est exclusivement située en Amérique du Sud, plus précisément en Colombie, en Bolivie et au Pérou, trois pays andins où la culture de feuilles de coca suffisamment riches en alcaloïdes est possible. S'il n'est évidemment pas possible d'évaluer précisément la quantité de cocaïne produite par ces trois pays, tout porte cependant à croire que la production mondiale est en hausse continue depuis les années 60 . L'augmentation du nombre des saisies et l'extension continue des surfaces cultivées de coca dans les pays précités - estimées par les bureaux régionaux de l'Office des Nations Unies contre les drogues et le crime (ONUDC) à partir d'images prises par satellite - en sont des indicateurs. Certes, le lien entre production de feuilles de coca et transformation en cocaïne n'est pas mécanique, une petite part de cette culture étant destinée dans les pays andins à une consommation légale, locale et ancienne, sans transformation, mais globalement, l'augmentation des surfaces cultivées de coca se traduit nécessairement par une hausse de la production.
La production de cocaïne a particulièrement augmenté ces dix dernières années, passant de 1 000 tonnes environ en 2013 à 2 000 tonnes en 2020.
L'ONUDC indique qu'en 2017, la fabrication illicite de cocaïne à l'échelle mondiale a atteint son niveau le plus haut jamais enregistré, à 1976 tonnes (estimation basée sur l'hypothèse d'une cocaïne pure à 100%), soit 25% de plus que l'année précédente . Ce résultat s'explique avant tout par une augmentation de la fabrication en Colombie, d'où proviendrait 70% de la production mondiale , à la suite de l'arrêt en 2013 des aspersions de glyphosates destinées à détruire les cultures. En 2017, la superficie consacrée à la culture du cocaïer y a augmenté de 17% et la quantité de cocaïne produite de 31% ».
Cette augmentation est liée non seulement à l'extension des surfaces productives , mais aussi à une hausse des rendements grâce à l'utilisation de variétés de coca plus productives et résistantes et le recours à des chimistes de plus en plus qualifiés au stade de la transformation.
La transformation chimique des feuilles de coca en cocaïne Il existe plusieurs méthodes de transformation dont les grandes étapes consistent d'abord à extraire la pâte de coca brute de la feuille de coca : les feuilles de coca, fraîches ou séchées, sont mélangées à de l'eau et de la chaux. Ce mélange est broyé et l'on y ajoute un hydrocarbure, le plus souvent du kérosène, destiné à permettre l'extraction de la cocaïne. La préparation est ensuite chauffée pour éliminer le kérosène. La « cocaïne base » ainsi obtenue est transformée en sulfate de cocaïne par l'adjonction d'acide. La solution est alors alcalinisée à l'aide de chaux ou d'ammoniaque puis filtrée et séchée. La cocaïne pure est ensuite coupée par les revendeurs, dans le meilleur des cas avec des produits peu nocifs comme du sucre ou du lait en poudre, mais l'analyse de la cocaïne saisie montre une tout autre réalité ; l'Office anti-stupéfiants (OFAST) a ainsi relevé la présence de nombreux produits de coupe nocifs tels que des analgésiques. |
Le constat de cette « productivité » accrue de la filière avait d'ailleurs conduit l'ONUDC à modifier en 2016 la méthode de calcul de la production estimée de cocaïne à partir des surfaces cultivées, le ratio, qui tient compte des rendements, des variétés de feuilles de coca et de l'efficacité des « laboratoires de cocaïne » ayant été réévalué.
Pour autant, certains experts, à l'instar de M. David Weinberger, chercheur à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) et spécialiste des routes de la drogue, estiment que les chiffres de la production demeurent encore largement sous-estimés.
Jusqu'aux années 80, le caractère balbutiant des politiques anti-drogue permettait aux trafiquants d'assurer des liaisons directes entre les pays producteurs et les principaux marchés de consommation. Concrètement, les trafiquants multipliaient les liaisons aériennes depuis les trois pays producteurs de cocaïne que sont la Colombie, la Bolivie et le Pérou 2 ( * ) pour approvisionner l'Amérique du Nord, principal marché de consommateurs.
Le renforcement de la lutte contre le trafic de stupéfiants à partir des années 90, particulièrement à l'initiative des États-Unis, va contraindre les trafiquants à envisager non seulement d'autres voies d'acheminement, mais aussi d'autres débouchés pour une production en expansion, entrainant une diversification des « routes de la cocaïne ».
Lors de son audition, M. Weinberger a bien expliqué ce phénomène de déplacement des flux et des routes depuis l'Amérique latine : « En géopolitique des drogues, on appelle cela « l'effet ballon » : lorsque la pression s'exerce d'un côté du ballon, l'air - c'est-à-dire le trafic - se déplace de l'autre côté du ballon ».
La politique américaine de lutte contre les stupéfiants Les États-Unis ont très tôt concentré leurs moyens de lutte, en regroupant dans une même agence fédérale, sous l'impulsion de Richard Nixon, tous les acteurs de la lutte anti-drogue par la création de la Drug Enforcement Administration (DEA) le 1 er juillet 1973. Celle-ci a vocation à intervenir aussi bien sur le territoire américain que dans les pays producteurs de transit. Les moyens de la DEA n'ont cessé d'augmenter depuis sa création passant de quelques dizaines de millions de dollars à plusieurs milliards de dollars par an. Une part importante de ces crédits est destinée à soutenir la politique de lutte contre la production et le trafic de cocaïne en Colombie. Le « plan Colombia pour la paix, la prospérité et le renforcement de l'État » a été lancé à la fin de l'année 1999 par le président colombien Andrés Pastrana, en liaison avec l'administration américaine. Conçu comme l'un des volets de la réponse au règlement du conflit interne colombien, il était assorti d'une enveloppe financière de 7,5 milliards de dollars, apportée en grande partie par les Etats-Unis. Le bilan du « plan Colombia » est contrasté. Les résultats immédiats ont été incontestables puisque pendant les deux années suivant le lancement du plan, il a été procédé à davantage d'aspersions chimiques de cultures illicites, réduisant ainsi les surfaces cultivées de coca, que durant toutes les années précédentes. Cependant, la politique d'éradication chimique a dû être interrompue par la suite en raison de son impact négatif sur l'environnement et les cultures vivrières, laissant la culture de la coca reconquérir l'espace perdu. |
À cela s'ajoutent la demande croissante des nouveaux marchés et l'impact des rapports de force entre les groupes criminels , qui se livrent une concurrence féroce rendant impérative la diversification des débouchés et donc des voies de livraison. Ainsi, au début des années 2000, le Venezuela puis le Brésil et l'Équateur deviennent des points majeurs de sortie de la cocaïne. L'Argentine, l'Uruguay et le Chili vont par la suite devenir des points secondaires de sortie. Ultérieurement, et dans une moindre mesure, se dessine « la route des Guyanes » passant par le Guyana, le Suriname et la Guyane.
Comme l'a souligné M. Nicolas Prisse, président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) lors de son audition, la réorientation des flux de cocaïne vers l'Europe a contribué à faire de l'arc caribéen et guyanais une grande zone de stockage et de « rebond » de l'offre .
De la Colombie à la Guyane française, l'une des « routes de la cocaïne » (Carte extraite de Google Maps)
2. La Guyane, victime de « l'effet ballon »
Initialement, la Guyane française ne représentait qu'une part subsidiaire de cette route. Cette situation a progressivement changé, sous l'effet du renforcement des politiques anti-drogues dans l'environnement régional . Territoire européen en Amérique latine et donc point d'accès privilégié à l'UE, la Guyane s'est trouvée à son tour victime de l'« effet ballon ».
Depuis une trentaine d'années, à la faveur de la diversification des routes de la cocaïne en Amérique du Sud, son voisin, le Suriname, est devenu un important pays de transit de la cocaïne vers l'Europe .
Celle-ci serait acheminée depuis le Venezuela ou la Colombie par la voie aérienne. De fait, le Suriname compte 43 aérodromes. Ni l'activité touristique, très marginale, ni les échanges économiques légaux ne peuvent expliquer un tel recours à l'aviation privée dans un pays de 600 000 habitants qui figure au 100 e rang mondial pour son indice de développement humain. Dès lors, le lien entre le nombre d'aérodromes au Suriname et le trafic de stupéfiants paraît incontestable.
Une grande part de ce trafic emprunte ensuite la voie maritime , à partir du port de Paramaribo, seul port de la région à n'être pas encore équipé d'un scanner à conteneurs. Cette prédominance de la voie maritime pour l'acheminement de cocaïne se vérifie dans toute l'Amérique latine . M. Nicolas Prisse et Mme Amélie Dieudé, au nom de la MILDECA, ont ainsi estimé que 75 % du trafic vers l'Europe empruntait cette voie et 25 % seulement la voie aérienne . Il est en effet matériellement plus aisé de transporter des quantités élevées de stupéfiants par le biais de porte-conteneurs, de navires marchands, de navires de pêche, de navires de plaisance et parfois de submersibles que par des lignes aériennes régulières et contrôlées. On a même appris récemment l'interception d'un sous-marin provenant d'Amérique du sud et rempli de cocaïne au large des côtes espagnoles.
Le recours à des passeurs sur les vols aériens commerciaux s`est cependant développé en complément , au Suriname comme dans d'autres pays de la région. Il s'agit d'un transport individualisé portant sur de petites quantités de cocaïne que des passeurs, communément désignés par le terme de « mules », s'introduisent dans le corps ou dissimulent dans leurs vêtements ou leurs bagages.
S'il existe une timide politique surinamaise de lutte contre les stupéfiants essentiellement axée sur la prévention de la consommation, les autorités surinamaises semblent se satisfaire d'une situation où l'essentiel de la drogue ne fait que transiter sur le sol national. Quelques opérations spectaculaires et médiatisées, comme celle qui a conduit à la saisie de 2,3 tonnes de cocaïne dans le port de Paramaribo en février 2019, ne sauraient masquer le manque de détermination des autorités surinamaises en la matière ces quarante dernières années.
La voie aérienne surinamaise, qui avait pris une certaine importance au début des années 2000, a cependant été remise en cause du fait de l'engagement par les Pays-Bas d'une politique volontariste destinée à tarir le trafic sur l'axe Paramaribo-Amsterdam , par un renforcement sans précédent des contrôles, notamment à l'aéroport d'Amsterdam Schiphol qui est devenu un des modèles en la matière. Cette politique stricte de contrôle s'est manifestée par le recours à des techniques de ciblage plus précises, par l'installation de scanners dédiés ou encore par une politique de contrôle « à 100 % » chaque semaine sur certains vols.
La procédure de contrôle approfondi dit « contrôle à 100 % » Le contrôle à 100 % d'un vol, qui n'est pas généralisé à l'ensemble des vols en provenance de Paramaribo en raison des moyens qu'il requiert, consiste à contrôler l'intégralité de l'appareil et des personnes qui y accèdent, qu'il s'agisse des passagers, des personnels navigants (commerciaux et techniques), ainsi que de leurs bagages, mais aussi des employés des sociétés de nettoyage ou des techniciens de maintenance aéronautique. On parle d'un contrôle de 100 % des segments d'un même vol. Chaque semaine, un certain nombre de vols en provenance de cinq destinations, dont Paramaribo, font l'objet d'un contrôle très poussé à l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol. Concrètement, à l'arrivée de l'avion, les douaniers attendent l'appareil sur le tarmac. Une équipe de douaniers assiste au déchargement du fret et des bagages qu'ils escortent jusqu'à un hall dédié pour procéder à un contrôle intégral, soit physique soit par scanning, pour détecter la présence de stupéfiants. Une deuxième équipe monte en soute pour contrôler la présence éventuelle de stupéfiants. Une troisième équipe contrôle l'intérieur de la cabine, en vérifiant en particulier que les toilettes et certains points de cachette potentielle ne contiennent pas de stupéfiants qui auraient été laissés volontairement à destination d'un complice accédant à l'appareil, par exemple un employé d'une société de nettoyage. Les passagers débarquent et sont pris en charge dans un hall spécifique de l'aéroport, dans lequel une équipe cynophile circule. Chacun d'entre eux subit un premier interrogatoire au cours duquel leur sont posées des questions assez proches de ce qu'un douanier français peut poser dans un aéroport français, la différence étant le caractère systématique, pour l'ensemble des passagers du vol, de ce premier interrogatoire. Le passager peut par exemple se voir demander quels sont ses liens avec les Pays-Bas ou l'objet du séjour dans le pays qu'il a visité, son adresse aux Pays-Bas, sa provenance, sa ville de résidence, ses moyens de subsistance, le moyen de paiement utilisé pour acheter son billet d'avion. Il s'agit de détecter ce que les Néerlandais appellent des « personnes d'intérêt » pour lesquelles un doute existe concernant l'objectif réel de leur séjour. Chacun des passagers est également soumis un scanner corporel destiné à détecter d'éventuelles masses fixées sur le corps (il ne s'agit pas à ce stade d'un scanner permettant de détecter l'ingestion de boulettes de drogue mais uniquement leur dissimulation externe). À l'issue de cette première phase, la majorité des passagers du vol regagne le cheminement normal de récupération des bagages et de sortie de l'aéroport. Les « personnes d'intérêt » sont, pour leur part, soumises à un interrogatoire plus poussé, dans une partie spécifique du hall dédié. Au cours de l'interrogatoire, les bagages de la personne d'intérêt sont intégralement fouillés, en leur présence. Si le doute est levé à ce stade, le passager regagne le cheminement normal. Les « personnes d'intérêt » pour lesquelles le doute n'a pas été levé deviennent des suspects. Ceux-ci sont placés en rétention douanière et les services du procureur en sont informés par un officier de la douane. À partir de ce stade, toutes les actions de la douane se font sous le contrôle d'un procureur. Un « choix » est alors proposé au suspect : le recours à l'examen médical ou la rétention douanière pendant trois jours renouvelables. 99 % des suspects choisissent le recours à l'examen médical. Le suspect fait alors l'objet d'un scanner dédié, à ondes millimétriques, qui va cette fois-ci permettre de détecter l'ingestion éventuelle de « boulettes » de drogue, sous la surveillance de personnel médical présent en permanence sur le site, dans une partie dédiée de l'aéroport. Parallèlement, un officier de police judiciaire prend la relève de la douane dès l'entrée en milieu médical, ce qui permet de libérer immédiatement les douaniers pour reprendre les contrôles. Lorsque le suspect refuse l'examen médical, ce qui reste particulièrement rare, il est placé en rétention douanière pour trois jours, éventuellement renouvelables. On attend alors qu'il évacue, au moins à trois reprises, ses déchets organiques, lesquels sont mécaniquement triés pour séparer les matières naturelles des matières ingérées. L'ensemble du séjour, y compris les passages aux toilettes, fait l'objet d'une surveillance vidéo. Que le patient ait fait le choix de l'examen médical ou de la surveillance continue jusqu'au rejet naturel des substances illicites ingérées, toute détection entraine son interpellation et le déclenchement de la chaine pénale. La prouesse du dispositif mis en place à Amsterdam Schiphol est d'avoir réussi combiner un dispositif de contrôle à 100%, qui ne peut certes pas être généralisé à l'ensemble des vols en provenance de pays à risques en raison des moyens nécessaires, mais qui joue un rôle dissuasif majeur, sans ralentir l'ensemble des activités de l'aéroport. En effet, les passagers qui n'ont pas été considérés comme des « personnes d'intérêt » vont retrouver le cheminement normal de sortie en une quinzaine de minutes et vont finalement quitter l'aéroport dans un délai identique à celui d'un passager d'un autre vol non contrôlé puisque ce délai est peu ou prou équivalent au temps d'acheminement des bagages vers le tapis roulant à bagages. Le choix d'un tel dispositif, s'il a entrainé des résultats significatifs en diminuant par 10 le nombre annuel d'interpellations entre sa mise en place à partir de 2002 et 2019 (entre 2000 et 2500 interpellations annuelles les premières années, moins de 250 aujourd'hui), grâce à un effet dissuasif qui a joué à plein, n'a cependant pu être opéré qu'en mettant en place des moyens importants. Avec 71 millions de passagers en 2019, l'aéroport d'Amsterdam Schiphol est le troisième aéroport européen par le nombre de passagers derrière Londres-Heathrow (80 millions de passagers) et Paris Charles de Gaulle (76 millions de passagers), et le onzième aéroport mondial. Il n'est pas aisé d'évaluer précisément le coût total et définitif du dispositif mais ce sont assurément plusieurs dizaine de millions d'euros qui ont été nécessaires, à la fois pour que les personnels douaniers, médicaux et judiciaires interviennent sur site, en nombre suffisant, dans une infrastructure immobilière dédiée et équipée en conséquence (scanner, vidéo surveillance, chiens formés, etc.), sans impacter les autres vols. Le contrôle à 100 % sur certains vols en provenance de cinq destinations pré identifiées, dont le Suriname, implique également des habitudes de travail renouvelées puisqu'il suppose un partenariat très poussé entre les agents des douanes, les personnels médicaux, les services du procureur et la maréchaussée royale. Source : audition des services de l'ambassade de France aux Pays-Bas |
Le renforcement des contrôles sur l'axe Paramaribo-Amsterdam a encouragé les trafiquants à dérouter une partie du trafic vers d'autres lignes aériennes . C'est ainsi qu'ont été mises en place, au départ d'un aéroport secondaire surinamais dédié aux vols de jets privés, des liaisons vers l'Afrique de l'Ouest, avec pour destination finale l'Europe. La découverte en Guinée-Bissau de nombreux aéronefs privés, immatriculés au Suriname, et servant au transport de cocaïne a été révélée par l'UNODC.
La Guyane française a elle aussi été victime de cet « effet ballon », facilité par une frontière relativement poreuse. Avec une largeur entre deux rives de seulement 1,5 kilomètre par endroits sur plus de 600 kilomètres de long, le fleuve Maroni est en effet par nature une frontière facile à franchir et difficile à contrôler, d'autant que ce contrôle incombe principalement aux autorités françaises.
L'un des points de passage identifié à la frontière guyano-surinamaise se situe entre Albina et Saint-Laurent-du-Maroni, deux villes qui se font face de part et d'autre du Maroni.
Le Maroni constitue un point de passage frontalier idéal pour le transport de stupéfiants par pirogue, à tel point que plusieurs interlocuteurs auditionnés ont parlé de « véritable autoroute fluviale des drogues ». Un interlocuteur entendu par la mission a indiqué que les passages s'effectuaient parfois en sous-marins, des embarcations artisanales circulant juste sous la surface de l'eau mais capables de descendre le fleuve sur plusieurs centaines de kilomètres pour rejoindre les côtes surinamaises ou guyanaises.
Il est à craindre que le renforcement, souhaitable, des contrôles en Guyane produise à terme ce même « effet ballon » dans d'autres territoires.
B. UN PHÉNOMÈNE RELATIVEMENT RÉCENT EN GUYANE, QUI S'ENRACINE DANS UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET SOCIAL DIFFICILE
1. Un phénomène en expansion
La route guyanaise, qui constitue une diversification de la route surinamaise, s'est fortement développée depuis 2012 , avec une accélération ces dernières années. Selon plusieurs observateurs, ce développement est à mettre en relation avec l'explosion de la production de cocaïne dans les pays andins à compter de 2013 .
Ainsi, selon l'OFAST, les saisies de cocaïne liées aux filières guyanaises se sont élevées à 2 500 kilogrammes en 2019 contre 129 kilogrammes en 2010. Cela représente 15% des quantités de cocaïne saisies chaque année par les services de contrôle.
De même, 1 200 passeurs ont été interpelés en 2019, contre 88 en 2010 et 601 en 2017.
Ces deux séries de chiffres permettent d'apprécier l'ampleur prise par le phénomène, qui porterait sur un trafic annuel de 4 tonnes , représentant entre 15 et 20 % des entrées de cocaïne dans l'Hexagone 3 ( * ) (20 à 25 tonnes).
Ainsi, la Guyane est désormais le deuxième point d'entrée de la cocaïne en France après les vols internationaux.
2. Un « trafic de fourmis » en cours de structuration
L e trafic de cocaïne en provenance de Guyane est parfois qualifié de « trafic de fourmis » . Il repose en effet sur l'utilisation d'un grand nombre de passeurs recrutés par des réseaux de trafiquants ou en contact avec eux, et qui transportent individuellement de petites quantités de cocaïne en empruntant des vols commerciaux entre Cayenne et la capitale.
Les passeurs récupèrent la cocaïne au Suriname, le plus souvent à Albina, ville surinamaise située en face de Saint-Laurent-du-Maroni, ou en Guyane. Ils sont ensuite acheminés vers Cayenne, dans leur grande majorité via l'axe RN1 en taxis collectifs, mais certains trafiquants privilégient la voie fluviale ou la forêt pour contourner le point de contrôle routier d'Iracoubo. La surveillance de la route principale, en provenance d'Albina, a cependant certainement généré de nouveaux accès le long du fleuve Maroni.
La destination de tous les passeurs de cocaïne est l'aéroport Félix Eboué , proche de Cayenne, où ils tentent de prendre un vol commercial en direction de l'aéroport d'Orly. L'aéroport Félix Eboué a ainsi été qualifié de point de mire ou de goulot d'étranglement par des personnes entendues par la mission d'information.
La route de la cocaïne sur le territoire guyanais
Source : Agence Phare,
La prévention du
phénomène des mules en Guyane
, 12 avril 2019
Avant l'épidémie de Covid-19 et la quasi fermeture de l'aéroport de Cayenne pendant trois mois, 13 vols en provenance de Guyane atterrissaient chaque semaine à l'aéroport d'Orly. Selon des estimations entendues, 20 à 30 passeurs souhaiteraient emprunter chaque vol entre Cayenne et Orly - ce qui représenterait 7 000 passeurs par an - et 8 à 10 y parviendraient effectivement.
La drogue est transportée in corpore (ingérée ou insérée sous forme d'ovules), « à corps » (dissimulée près du corps) ou dans les bagages. Alors qu'elle était majoritaire il y a quelques années, la proportion de passeurs transportant la drogue in corpore a reculé à environ 28 % du nombre de saisies en 2019. Les bagages et autres modes de dissimulation à corps sont utilisés respectivement dans environ 40 % et 30 % des cas. Ces deux derniers procédés permettent de transporter davantage de cocaïne. Chaque passeur transporterait entre 1 et 20 kg de cocaïne, soit une quantité moyenne de 1,9kg en 2019, contre 1,7 kg en 2018 et 1,5 kg en 2017.
Une part minoritaire du trafic guyanais s'effectue via le transport de fret , maritime ou aérien (notamment le fret express et postal). Ce segment tend à progresser - de même que les vols transitant par les Antilles - à mesure que la lutte contre le trafic par voie aérienne s'accroît. À titre d'exemple, la douane de Guyane a saisi 93,2 kg de cocaïne sur le fret express et postal en 2019, contre 55,3 kg en 2018 et 37,7 kg en 2017. Notons que le fret maritime dédié au Centre Spatial Guyanais, s'il semble être un canal plus exceptionnel, n'est pas épargné. En effet, le 5 août 2019, une caisse contenant 8 kg de cocaïne est tombée d'un navire transportant des éléments de fusée depuis le port de Kourou vers l'Hexagone.
Une fois arrivés à l'aéroport de Paris Orly , les passeurs, pris en charge ou non par des membres du réseau, se dispersent et empruntent différents moyens de transport. Certains s'orientent vers un hôtel de la région parisienne pour l'expulsion des ovules ou la livraison des produits stupéfiants, d'autres poursuivent leur trajet vers une destination finale en province, avec un vol de correspondance ou l'utilisation d'un autre mode de transport comme le train ou le bus. Enfin, une dernière partie des passeurs poursuit son voyage, en train ou en bus, vers les Pays-Bas (de l'ordre de 10 % de la cocaïne en provenance de Guyane saisie en France serait destinée aux Pays-Bas).
Le trafic de stupéfiants transitant par la Guyane a longtemps été le fait d'individus isolés ou de réseaux faiblement structurés prenant appui sur les éléments logistiques assurés par d'autres segments. Historiquement, les principaux animateurs du trafic régional se trouvent au Suriname et, dans une moindre mesure, au Brésil. Les trafiquants guyanais jouaient initialement un rôle de second plan, apportant notamment une aide à l'organisation du trafic par leur maîtrise des voies fluviales du territoire.
Les réseaux guyanais sont toutefois en cours d'autonomisation depuis environ cinq ans face aux groupes surinamais ou brésiliens, et coexistent avec des initiatives individuelles 4 ( * ) , des réseaux familiaux et des micro-réseaux 5 ( * ) .
3. Un phénomène révélateur d'importants déséquilibres économiques et sociaux
Le phénomène du transport de stupéfiants en provenance de Guyane est indissociable du contexte socio-économique dans lequel il survient. La Guyane, est en effet marquée par un important retard économique , le PIB par habitant y étant en 2019 inférieur de plus de 57 % à la moyenne française . Cet indicateur y est parmi les plus faibles des territoires français, seule Mayotte connaissant une situation plus défavorable.
PIB par habitant en 2019
Source : rapport annuel 2020 de l'IEDOM Guyane
Sur le plan démographique, la Guyane est marquée par la jeunesse de sa population . En 2015, 61 000 jeunes âgés de 15 à 29 ans résident en Guyane et représentent 23,5 % de la population totale , contre 16,6 % aux Antilles et 17,8 % dans l'Hexagone, la Guyane étant ainsi le deuxième département français le plus jeune après Mayotte. Cette situation ne devrait pas évoluer à moyen terme ; selon le scénario médian de l'INSEE, le nombre de jeunes pourrait atteindre 80 000 d'ici 2030 , leur part dans la population restant stable 6 ( * ) .
L'insertion socioprofessionnelle des jeunes y accuse un retard avec l'Hexagone particulièrement fort. Le taux de chômage s'élevait à 32 % pour les 18-29 ans en 2018 , soit le double que ce qui est constaté dans l'Hexagone. L'analyse en termes de taux d'emploi fait également apparaître les difficultés de la Guyane. Ainsi, l'offre d'emplois « y est insuffisante : on dénombre 66 000 emplois pour 100 000 actifs. Les plus jeunes éprouvent de difficultés pour entrer dans le marché du travail. Ainsi, seuls 32 % des 18-29 ans de Guyane sont en emploi » 7 ( * ) , contre 57 % dans l'Hexagone.
La part des jeunes (18-29 ans) ni en emploi ni en formation s'y élève à 43 % contre 19 % dans l'Hexagone.
Le déséquilibre géographique de l'offre de formation en Guyane Les emplois sont inégalement répartis en Guyane : deux emplois sur trois se trouvent dans la Communauté d'Agglomération du Centre Littoral qui regroupe la moitié de la population guyanaise. L'accès à l'éducation n'est pas le même pour tous. Ainsi, il n'y a pas de lycée d'enseignement général, professionnel ou technologique dans les communes dites « de l'intérieur », ni même de lycée d'enseignement général dans la Communauté de Communes de l'Est Guyanais où vivent 670 jeunes. Toutefois, un lycée avec internat à Maripasoula et une cité scolaire (collège et lycée avec internat) à Saint-Georges de l'Oyapock sortiront de terre dans les prochaines années. Ces établissements vont contribuer au rééquilibrage de l'offre de formation sur le territoire. Dans la Communauté de communes de l'Ouest résident 2 000 jeunes. L'offre de mobilité, que ce soit dans le département ou pour en sortir, est insuffisante. La moitié des lycées publics de Guyane, les classes préparatoires et la formation universitaire se trouvent à Cayenne ou à Rémire-Montjoly. Seul l'Institut Universitaire de Technologie (IUT) est implanté à Kourou. Toutefois, les lycées de la région proposent des BTS (bac + 2) à Kourou, Mana, Macouria et à Saint-Laurent-du-Maroni. Source : Insee Analyses, L'insertion professionnelle des 15-29 ans en Guyane, 2019. |
Ces difficultés sont accrues dans certaines zones. La part de jeunes (18-29 ans) ni en emploi ni en formation atteint ainsi 49 % dans les « communes de l'intérieur » 8 ( * ) , témoignant des importants déséquilibres territoriaux et des inégalités d'accès aux services publics et aux infrastructures qui marquent le territoire. Saint-Laurent du Maroni, dont sont originaires environ 25 % des passeurs interpellés, ainsi que les autres communes de l'Ouest, sont marquées par d'importants déséquilibres économiques. Ainsi, la Communauté de Communes de l'Ouest Guyanais où résident 35 % de la population guyanaise ne propose que 18 % des emplois du département.
Le faible niveau de vie, l'insuffisance des offres d'emploi et de formations proposées aux jeunes, ainsi que le manque d'accès aux services publics et aux infrastructures constituent autant d'explications au phénomène des passeurs de stupéfiants. Dans ce contexte, le « voyage » susceptible de rapporter de 2 000 à 10 000 euros peut, pour certains jeunes, constituer une alternative acceptable au manque d'avenir offert par leur territoire.
C. LES « MULES », DES PROFILS VARIABLES PRÉSENTANT DES CARACTÉRISTIQUES COMMUNES
1. Un phénomène touchant une population jeune et défavorisée socialement
Malgré l'ampleur du phénomène dit des « mules », leur profil sociodémographique reste aujourd'hui largement méconnu. La connaissance de la population touchée par le phénomène est néanmoins fondamentale, notamment car elle conditionne la nature des dispositifs de prévention pertinents.
La synthèse des données existantes tend à dresser le portrait de jeunes, filles ou garçons, appartenant à la communauté bushinenguée et originaires de l'Ouest guyanais.
Le principal travail académique visant à établir le profil sociologique des passeurs aujourd'hui disponible a été établi par Mme Guéda Gadio et porte sur un échantillon de 515 transporteurs de stupéfiants interpellés et jugés lors d'une audience en comparution immédiate en Guyane depuis le 1 er janvier 2017 9 ( * ) . Les autres données fournies par les interlocuteurs de la mission d'information 10 ( * ) , moins exhaustives, permettent de dresser un profil sociodémographique proche de celui de l'étude de Mme Gadio, dont la mission d'information tient donc à rendre compte.
Cette étude permet notamment de montrer que :
- les hommes sont majoritaires (58 %) ;
- quatre transporteurs sur dix ont moins de 25 ans au moment de leur interpellation, et la proportion de femmes augmente avec l'âge ;
Répartition par âge et par sexe des transporteurs de stupéfiants interpellés en provenance de Guyane (2017-2019)
Hommes |
Femmes |
Total |
|
Moins de 25 ans |
30% |
44% |
38% |
25-30 |
21% |
23% |
22% |
30-40 |
27% |
19% |
22% |
40 ans et plus |
22% |
14% |
17% |
Source : Guéda Gadio
- les ressortissants Français sont majoritaires (57 %), devant les Surinamais (24 %) et les Néerlandais (14 %), ce qui s'explique logiquement par le fait que les étrangers en situation irrégulière sont moins enclins à la pratique d'un transport illicite de stupéfiants.
L'analyse des données sociologiques met également en évidence l'appartenance du public concerné à des milieux défavorisés . Le niveau scolaire des transporteurs de stupéfiants est faible , puisque 60 % des personnes composant l'échantillon n'ont aucun diplôme 11 ( * ) , et 24 % d'entre eux ne déclare aucune activité professionnelle en cours ou passée. La précarité sociale des transporteurs de stupéfiants s'illustre également par la proportion élevée de personnes hébergée par des tiers , seuls 37 % d'entre eux étant détenteurs de leur propre logement. La forte proportion de célibataire (70 %) témoigne également du fort niveau d'isolement social des individus concernés 12 ( * ) . Cet élément est également relevé par la directrice du centre pénitentiaire de Cayenne, qui constate que « la majorité des détenus hommes ou femmes, mules sont primo-délinquants, ne sont pas consommateurs, ne sont pas ancrés dans la délinquance et sont relativement jeunes. Ils évoquent tous l'envie de pouvoir disposer de liquidités pour des achats futiles (téléphones, chaussures de sport...). Ces personnes n'ont peu ou pas de perspectives et deviennent des professionnels du transport de stupéfiants. » 13 ( * )
Les diverses auditions menées par la mission d'information mettent en avant la prégnance du phénomène dans l'Ouest guyanais , marqué par son niveau fort niveau d'enclavement et la distance avec les services publics.
Zone de provenance des transporteurs stupéfiants interpellés
Saint-Laurent du Maroni |
25% |
Cayenne |
14% |
Kourou |
6% |
Laurent-du-Maroni |
9% |
Pays-Bas |
12% |
France hexagonale |
18% |
Suriname (Marowijne) |
3% |
Suriname (Paramaribo) |
8% |
Autres |
6% |
Source : étude de Mme Guéda Gadio
Le phénomène semble toucher en premier lieu les individus issus de la communauté bushinenguée , particulièrement présente le long du Maroni, dans l'Ouest du département. Outre la localisation de cette population à l'ouest du territoire, cette surreprésentation peut aisément s'expliquer par la marginalité sociale dont pâtit cette communauté . Pour beaucoup de jeunes de l'Ouest guyanais , la langue française n'est pas leur langue maternelle ni leur langue quotidienne . L'importante communauté bushinenguée parle taki taki, saramaka, djuka ou encore bushinengué-tongo. De même, cette communauté est régie par des règles coutumières propres et des croyances héritées du passé africain. Lors de son audition, la maire de Saint-Laurent du Maroni, Sophie Charles a ainsi estimé que le phénomène des « bains d'invisibilité » était un élément central dans la préparation des jeunes recrues. Ces bains purificateurs, donnés par les obiamans 14 ( * ) , ont vocation, selon les croyances locales, à rendre invisibles les passeurs et à faciliter le passage des douanes. Selon l'Agence Phare 15 ( * ) , il apparait que la perception des jeunes sur les obiamans n'est pas uniforme, et qu'une partie d'entre eux leur portent un crédit important tandis que d'autres ne croient pas à l'efficacité des rites magico-religieux.
Si la prépondérance des individus appartenant à la communauté bushinenguée parmi les transporteurs de stupéfiants reste avérée, le préfet de Guyane a indiqué à la mission d'information que ce « profil-type » connaissait des évolutions, afin de mieux tromper les dispositifs de profilage des services de police et de douane : « lorsque les forces de l'ordre se sont mises à cibler des jeunes hommes venant de Saint-Laurent-du-Maroni, les trafiquants ont commencé à faire appel à de jeunes mamans avec des enfants, puis à des personnes plus âgées. Juste avant le début du confinement, nous observions une nouvelle tendance : les trafiquants recrutaient plutôt des jeunes issus de quartiers sensibles de l'Hexagone qui venaient en Guyane et transportaient de la drogue lors de leur trajet de retour. » 16 ( * ) De même, des cas de personnes âgées interpellées pour trafic de stupéfiants en provenance de Guyane ont été rapportés à la mission d'information.
2. Un phénomène banalisé en partie dicté par des motivations économiques
Comme le laissent supposer les données sociologiques des personnes interpellées, ainsi que le portrait sociodémographiques du territoire, les motivations poussant les individus à se livrer à cette activité relèvent en partie d'une logique d' « insertion socio-économique ». Comme l'a indiqué Mme Guéda Gadio lors de son audition par la mission d'information, cette activité est avant tout perçue comme étant un « job » moralement acceptable chez les hommes, dans un contexte généralisé d'absence de perspectives professionnelles. De leur côté, les femmes invoquent des raisons qu'elles estiment plus louables, comme le fait de devoir subvenir aux besoins de leurs enfants ou de régler des dettes liées à l'entretien de leur maison. Les transporteurs de cocaïne ne sont, en général, pas consommateurs de drogue. Le SPIP du Val-de-Marne a indiqué à la mission d'information que « lors des nombreux entretiens effectués auprès de personnes incarcérées pour des faits de trafics de stupéfiants, les motivations avancées sont celles des recours à des alternatives leur permettant de subvenir à leurs propres besoins fondamentaux et/ou à ceux de leur famille . En effet, elles font généralement état de dettes (amendes, créances...) qu'elles n'arrivent pas à honorer avec leurs ressources habituelles. Ces conditions de vie très précaires sont renforcées par d'autres facteurs fragilisant l'équilibre économique des familles (chômage, invalidité/handicap, naissance, décès...). Cet acte est souvent vécu comme un « derniers recours » plus par nécessité que par choix. »
À côté de ces explications liées au contexte de grande pauvreté et de vulnérabilité sociale dans lequel se trouvent les individus transportant de la cocaïne, l'Agence phare relève également, comme autres motivations possibles :
- l'appât de l' « argent facile » , argument largement diffusé par les recruteurs, et les transporteurs de stupéfiants non interpellés de retour en Guyane 17 ( * ) ;
- l'existence de contraintes - psychologiques ou physiques - exercées par les cartels sur les individus ;
- une logique de défiance à l'égard de l'État , également mise en avant par le représentant de l'association Mama Mobi lors de son audition 18 ( * ) , de la part, notamment, des bushinengués de l'Ouest guyanais.
Ces différentes « motivations » et contraintes sont cumulatives . Lors de son audition, la directrice du centre d'hébergement et de réhabilitation sociale (CHRS) Soleillet, qui accueille des femmes guyanaises ayant fait l'objet d'une incarcération pour trafic de stupéfiants, a ainsi indiqué que ces dernières, « plutôt jeunes avec des enfants en Guyane, ont peu de perspectives en Guyane, ou l'expriment comme tel, sur le plan scolaire ou professionnel. Elles sont peu qualifiées, avec peu ou pas d'expérience et s'inscrivent difficilement dans un projet qu'elles auraient eu avant le transport de drogue. Au contraire, le transport de drogue leur donne un statut. » 19 ( * ) A cette absence de perspective s'ajoutent des éléments « de violence, de maltraitance , ainsi que des pressions familiales, certaines femmes indiquant avoir été désignées par leurs familles pour effectuer le transport ».
Le phénomène est, en tout état de cause, marqué par la diversité des parcours et des représentations sur les causes de l'implication des individus dans le phénomène 20 ( * ) . Les différentes auditions menées par la mission d'information tendent toutefois à faire ressortir la prégnance des problématiques socio-économiques comme principale explication individuelle du phénomène.
D. DES CONSÉQUENCES SANITAIRES, ÉCONOMIQUES ET SOCIALES RAVAGEUSES
Le phénomène des transporteurs de stupéfiants en provenance de Guyane constitue une préoccupation, tant sur le plan sanitaire, qu'à cause de ses conséquences économiques et sociales.
1. Un problème de santé publique
La quantité annuelle de cocaïne arrivant dans l'Hexagone via la Guyane pourrait s'élever à près de 4 tonnes, soit 15 à 20 % environ du marché français estimé à 20/25 tonnes 21 ( * ) , dans un contexte d'augmentation forte de la demande et de l'offre. Sur le plan qualitatif , la consommation de cocaïne est marquée par une diversification des profils, des motivations et des lieux de consommations. Autrefois cantonné à certains milieux favorisés, l'usage concerne aujourd'hui un public plus varié, sujet aux polyconsommations et se diffuse sur tout le territoire. Il concerne ainsi 2,1 millions d'expérimentateurs, dont 600 000 usagers dans l'année en 2017 22 ( * ) . La consommation de cocaïne « basée », plus dangereuse, se diffuse également.
En Guyane, la consommation de substances psychoactives chez les jeunes est moindre que dans l'Hexagone : les résultats de l'enquête ESPAD ( European School Survey on Alcohol and other Drugs ) menée en 2015 montrent que la consommation de tabac et de cannabis des lycéens guyanais est substantiellement inférieure à celle consommation constatée dans l'Hexagone ; s'agissant de l'alcool, sa consommation est globalement du même ordre que celle observée dans l'Hexagone (à noter que les adultes amérindiens sont particulièrement exposés à des consommations massives d'alcool).
Principaux indicateurs d'usage de produits psychoactifs
en Guyane et dans l'Hexagone
Source : Les usagers de drogues parmi les lycéens de Guyane, résultats de l'enquête ESPAD 2015, juillet 2018.
La cocaïne y serait majoritairement consommée dans des milieux socialement bien insérés : personnes originaires du territoire hexagonal avant tout, et créoles plutôt aisés, comme c'était le cas il y a une dizaine d'années dans l'Hexagone. Les usages seraient apparemment plus limités chez les Bushinengués, qui occupent pourtant une place importante dans le phénomène des « mules ».
2. Des conséquences socio-économiques préoccupantes pour la Guyane
L'impact socio-économique du trafic de stupéfiants sur la Guyane est important et préoccupant . Lors de son audition, la maire de Saint-Laurent-du-Maroni a ainsi indiqué que la pandémie avait révélé que près de 15 000 familles de cette ville vivaient de ces trafics et avaient « une très grande difficulté à vivre en dehors ». Le président de la collectivité territoriale de Guyane a également fait remarquer que des quartiers entiers de Cayenne étaient alimentés financièrement par le trafic de stupéfiants.
Le trafic de cocaïne se développe comme une activité économique à part entière, qui apparaît d'autant plus attractive que les opportunités se font rares par ailleurs. Pour le comprendre, il suffit d'avoir en tête qu'un kilogramme de cocaïne acheté 3 500 euros sur les rives du Maroni peut être revendu 35 000 euros dans l'Hexagone et jusqu'à 60 euros le gramme à Paris.
En outre, le transport de cocaïne se double désormais souvent d'un trafic retour de cannabis (directement ou par un trajet Cayenne-Paris-Antilles), permettant aux transporteurs de rentabiliser au mieux leur trajet. La cocaïne s'échange, dans ce cadre, au même prix que le cannabis, ce qui s'explique notamment par la faiblesse de l'offre de cannabis dans les Antilles, alors que la demande y serait en hausse, et atteste du développement d'un système économique à part entière dont la rentabilité est forte.
Les revenus apportés par le trafic de stupéfiants pénètrent dans le secteur informel, représentant un risque de dérive vers une économie mafieuse. Or, comme l'a fait observer le maire adjoint de Cayenne lors de son audition, cette économie n'est pas génératrice d'activités nouvelles et de développement pour la Guyane, de même qu'elle ne contribue pas au fonctionnement des infrastructures et des services publics, n'étant pas soumise à l'impôt.
Parallèlement, on observe le développement de phénomènes inquiétants de violence liés au trafic de stupéfiants sur le territoire guyanais . Lors de leur audition, la police et la gendarmerie ont fait état de violences et de séquestrations. Les passeurs qui se font interpeller et saisir la cocaïne qu'ils transportaient sont exposés à des mesures de rétorsion. La procureure de la République de Créteil a, quant à elle, rapporté l'exemple récent d'un passeur non interpellé, mais dépossédé de sa drogue, s'étant présenté au commissariat pour indiquer qu'il était victime de menaces de la part de réseaux locaux à la suite de la perte de la marchandise. Si de tels phénomènes demeurent encore sporadiques, la progressive structuration des réseaux fait craindre leur multiplication .
3. Des implications pour l'ensemble du territoire national
Les saisies effectuées par les douanes à la gare Montparnasse (environ 27 % des saisies dans l'Hexagone des produits en provenance de Guyane) mettent en évidence trois destinations principales : Rennes, la Rochelle (en passant par Niort) et Poitiers. D'autres destinations émergent. Des foyers se dessinent dans l'Est autour de Reims, Troyes, Nancy ; dans le Nord autour de Lille ; mais également dans le Centre, l'Est et Sud-Est avec Saint-Etienne, Valence, Clermont-Ferrand ou Marseille par exemple.
Source : OFAST
Dans l'Hexagone, en effet, les groupes guyanais ont choisi de ne pas faire concurrence aux acteurs traditionnels. Ils interviennent non dans les grands centres urbains, mais plutôt dans les villes secondaires de province, où ils se sont implantés en cassant les prix et en fournissant de la cocaïne de meilleure qualité .
Une partie de la revente s'effectue d'ailleurs, désormais, en dehors de la communauté guyanaise, les passeurs guyanais se contentant d'approvisionner des réseaux de revente. Comme l'a indiqué M. David Weinberger lors de son audition « Ils sont ainsi devenus les fournisseurs d'organisations criminelles plus anciennes, qui se fournissaient auparavant auprès des mafias italiennes ou avaient leurs propres filières d'approvisionnement depuis l'Amérique latine. » 23 ( * )
Des démantèlements récents témoignent tant de la structuration des réseaux guyanais que de leur positionnement sur le marché hexagonal . En février 2020, une structure d'importation de la cocaïne en provenance de Guyane a été démantelée par la police judiciaire de Lille. Vingt-et-une personnes ont été interpelées. Les passeurs arrivaient de Guyane, étaient récupérés à Orly et amenés jusqu'à Roubaix. Dix « mules » arrivaient chaque semaine en moyenne. En 2019, ce réseau aurait réalisé 534 voyages et permis d'acheminer près d'une tonne de cocaïne à Roubaix. Autre exemple : en janvier 2020, une organisation livrant de la cocaïne en Ille-et-Vilaine et dans les Hauts de France a été démantelée. Selon les estimations policières, trois à cinq kilos étaient livrés chaque semaine depuis un an. Seize personnes ont été mises en examen, qu'il s'agisse des commanditaires, des recruteurs, mais également des logisticiens conditionnant la drogue, assurant le transport des passeurs ou les réceptionnant le temps que les ovules de cocaïne soient expulsées.
Il importe de souligner que le trafic de cocaïne en provenance de Guyane a largement contribué à transformer le positionnement de ce produit sur le marché français . Les prix de vente ont baissé, tandis que la pureté a augmenté considérablement, passant de 30 % en moyenne au début des années 2010 à 60 % aujourd'hui, preuve de l'abondance de cette drogue sur le territoire.
II. UN PROBLEME PARTIELLEMENT PRIS EN COMPTE
A. UNE RÉPONSE DE L'ÉTAT PRINCIPALEMENT AXÉE SUR LE RENFORCEMENT DU VOLET RÉPRESSIF
1. Un renforcement des structures et des moyens
Alors que le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane commençait à saturer les forces de sécurité, il a été décidé en janvier 2017 de créer un détachement de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) à Cayenne 24 ( * ) . L'ouverture de cette antenne a permis de rapprocher les services d'enquête et les services de constatation et d'augmenter significativement le nombre d'interpellations prises en charge par l'antenne de police judiciaire de Cayenne, qui est passé de 356 en 2017 à 574 en 2018 (476 en 2019).
Ce détachement, devenu détachement de l'Office antistupéfiants (OFAST) avec la transformation de l'OCRTIS en OFAST en janvier 2020, est composé à ce jour de 9 policiers et de 3 gendarmes - l'affectation d'un quatrième gendarme étant prévue au 1 er septembre 2020.
La même année au printemps, une crise sociale aigue a éclatée en Guyane. La hausse du sentiment d'insécurité ainsi que la détérioration du contexte économique ont conduit de nombreux Guyanais dans la rue entre le 20 mars et le 21 avril 2017. Pour répondre aux revendications de la population, les accords de Guyane ont été signés le 21 avril 2017 . Ceux-ci contenaient plusieurs mesures relatives au trafic de stupéfiants . L'État s'était ainsi engagé, en réponse aux demandes guyanaises, à augmenter les effectifs des forces de sécurité intérieure sur le territoire de la collectivité, à mettre en place des barrages mobiles sur les principales routes de Guyane, et à installer un échographe à l'aéroport de Félix Éboué destiné à détecter la cocaïne ingérée par les passeurs.
Ces différentes mesures ont été déployées et renforcées par la mise en oeuvre du protocole interministériel (cf infra ). Celui-ci a en effet conduit au renforcement de la brigade de gendarmerie de Saint-Laurent-du-Maroni et à la création d'une antenne de l'OFAST à l'aéroport d'Orly .
La création d'une structure de l'OFAST à Orly Créée en 2006, la brigade des plateformes aéroportuaires (BPA) de l'OFAST gère les saisies douanières des deux principaux aéroports d'Ile-de-France - Orly et Roissy Charles de Gaulle - situés respectivement sur les ressorts des tribunaux judiciaires de Créteil et de Bobigny. vec l'explosion des filières guyanaises, la BPA a vu son activité doubler entre 2017 et 2018, passant de 146 à 290 interventions à l'aéroport d'Orly. En 2019, plus de 300 passeurs en provenance de Guyane ont été interpellés. Il a donc été décidé de créer un groupe de la BPA à l'aéroport d'Orly au 1 er septembre 2019, doté de 8 agents. Cette structure s'est avérée indispensable pour éviter les trop nombreux trajets depuis Roissy, mais également pour préserver les capacités d'action sur Roissy. Le groupe d'Orly gère aujourd'hui 40 % des interpellations de passeurs de cocaïne dans l'Hexagone. |
2. Un renforcement de la coordination interministérielle
Face à l'augmentation du trafic de cocaïne en provenance de Guyane, un renforcement de la coordination interministérielle s'est avéré indispensable.
Issu tant des travaux du groupe de travail interministériel mené par la MILDECA entre 2016 et 2018 que des propositions du préfet et du procureur de Guyane, un protocole de mise en oeuvre du plan d'action interministériel de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane a vu le jour le 27 mars 2019 . Ce protocole a pour ambition de renforcer et mieux coordonner les efforts des différents acteurs impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane , en instituant une démarche coordonnée depuis la frontière avec le Suriname jusqu'au territoire hexagonal.
Le plan d'action prévoit un renforcement des contrôles dès la frontière avec le Suriname, une augmentation des effectifs des forces de sécurité intérieure, une intensification des ciblages et des contrôles douaniers en aéroports, tant en provenance de Guyane qu'au retour sur l'ensemble du territoire, l' ouverture de nouvelles chambres carcérales au centre hospitalier de Cayenne , et la mise en oeuvre d'une politique pénale de fermeté .
Ainsi, des dispositifs de contrôle mobiles ont été mis en place en complément du point de contrôle routier d'Iracoubo, où les douanes ont également installé un système de lecture automatisée des plaques d'immatriculation (LAPI) permettant d'identifier les véhicules des trafiquants.
Ce plan d'action, initialement prévu pour six mois, a été reconduit à deux reprises et intégré au Plan national de renforcement de la lutte contre les stupéfiants, présenté en septembre 2019 et piloté par l'OFAST. En février 2020, la prolongation du plan a été demandée avec la mise en oeuvre d'opérations de contrôle renforcé au deuxième semestre, ainsi que la fixation d'objectifs de dissuasion et d'interception pour 2020 réévalués par rapport à 2019.
La mise en place de ce plan d'action a permis de redynamiser l'action des services de lutte contre le trafic de stupéfiants , en institutionnalisant la coopération entre les différents acteurs, mais également entre la Guyane et l'Hexagone.
En Guyane, les capacités des services étant moins importantes qu'à Paris, la situation nécessite une coordination accrue des autorités judiciaires et administratives. L'importance du phénomène a donc justifié la mise en place d'une instance ad hoc au niveau local en mars 2019. Il s'agit du groupe local de traitement de la délinquance , dédié au pilotage de la réponse locale de l'État au phénomène et co-présidé par le préfet et le procureur de Guyane.
L'articulation de l'action de la douane avec les autres
acteurs de la lutte
J-3 à J0 : la douane cible les passeurs potentiels sur la base des données passagers. Le ciblage est partagé : - localement avec la police aux frontières et l'OFAST dans le cadre de la politique de dissuasion mise en place par la préfecture de Guyane ; - au sein des services douaniers dans le cadre de la lutte douanière longitudinale ou axiale. J0 : la douane procède à des fouilles : - des personnes et de leurs bagages dans l'aérogare, avant et lors de la phase enregistrement ; - des bagages lors de leur transfert vers la soute de l'avion, notamment au moyen d'équipes cynophiles ; - des personnes et de leurs bagages lors de l'embarquement, après les contrôles de sûreté et de police. En cas de découverte, la cocaïne est saisie et remise avec la personne à l'OPJ désigné par le parquet en vue d'engager la procédure judiciaire. Au sein de la douane, la direction des opérations douanières, dépendant du service de renseignement des douanes, peut décider en cas de soupçon de trafic international plus important et en vue de démanteler les réseaux correspondants, d'effectuer des livraisons surveillées sur le territoire hexagonal, à la suite de constatations réalisées dans le fret express ou postal ou de surveiller un passeur de cocaïne au-delà de l'aéroport afin d'identifier ses complices. |
Source : direction régionale des douanes de Guyane
3. De nouveaux moyens juridiques
Parallèlement au renforcement des contrôles à la suite des évènements de Guyane du printemps 2017 et au plan d'action interministérielle de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane, de nouveaux moyens d'action et de dissuasion ont été mis en oeuvre .
Des moyens procéduraux, tout d'abord. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a institué la possibilité pour un agent des douanes de convoquer en justice un prévenu sur instruction du procureur de la République . Cette convocation, qui vaut citation en justice, permet de passer directement de la procédure douanière à la phase de jugement sans qu'il ne soit nécessaire de faire intervenir un officier de police judiciaire 25 ( * ) . Il s'agit de permettre l'allégement des procédures, dans un souci d'efficacité.
Des interdictions réglementaires de vols , ensuite. En complément des mesures d'interdiction de vol déjà mises en place par l'autorité judiciaire, le préfet de Guyane a mis en oeuvre une procédure administrative de refoulement. Sur la base d'une audition diligentée par la police aux frontières, en cas d'indices concordant allant d'une méconnaissance de la finalité du trajet à des réponses évasives sur l'objet du voyage et les points de chute locaux en passant par les modalités d'achat du billet, le passager suspecté peut faire l'objet d'une interdiction de vol prononcée par arrêté préfectora l, fondée sur des risques réels et sérieux qu'il participe à un trafic de stupéfiants.
Ce dispositif, mis en oeuvre pour la première fois en février 2019, se basait initialement sur un simple ciblage, sans audition de la personne. Le tribunal administratif de Cayenne a annulé, le 28 mai 2019, deux arrêtés préfectoraux pris sur ce fondement, au motif que ces mesures ne pouvaient être considérées comme « adaptées, nécessaires et proportionnées ». À la suite de cette annulation par la justice administrative, la préfecture a repensé le dispositif afin de mieux assurer la personnalisation de la sanction ainsi que le respect des droits de la défense, en introduisant une audition menée par la police aux frontières. Le tribunal administratif, saisi d'un de ces nouveaux arrêtés, a considéré qu'en raison des nombreuses et sérieuses contre-vérités indiquées par le passager au cours de son audition, le préfet de la Guyane avait correctement considéré qu'il existait une forte probabilité que cette personne participe au trafic de cocaïne à destination de l'Hexagone. Dès lors, le préfet avait légalement pu interdire au requérant, pendant une durée de trois jours, l'accès aux avions en partance de l'aéroport Félix Éboué.
814 arrêtés d'interdiction de vol ont été pris au cours de l'année 2019 et 4 521 personnes ne se sont pas présentées à l'embarquement - on parle de « no show ». Cela représente 2 500 personnes supplémentaires par rapport au nombre de no show habituel, que l'on ne peut qu'imputer au caractère dissuasif des arrêtés préfectoraux et des dispositifs de contrôle aux abords et dans l'aéroport.
Sur les six premiers mois de 2020 , et malgré la période de confinement, le bilan quantitatif du dispositif reste conséquent : 138 arrêtés ont été pris, et 3 253 no show ont été décomptés .
Cette stratégie du « bouclier » permet donc des résultats conséquents : sur la base d'une quantité moyenne de 2,1 kg (3,2 kg en 2019) par personne interpellée, 814 arrêtés et 2 500 no shows supplémentaires représente potentiellement 7 tonnes de cocaïne retirée du marché . Ce chiffre doit être comparé aux 2,2 tonnes de cocaïne saisies aux aéroports de Félix Eboué et d'Orly en 2019.
Cette stratégie, si elle est efficace, présente toutefois deux inconvénients : une certaine fragilité juridique, et l'absence de saisie de la cocaïne, le produit restant aux mains des trafiquants.
4. L'installation des scanners à ondes millimétriques
L'installation d'un appareil de type « scanner corporel » à l'aéroport Félix Eboué est une revendication de longue date des collectifs de lutte contre l'insécurité en Guyane . Leur objectif serait que tous les passagers soient contrôlés de façon systématique, afin de détecter l'ensemble des passeurs de cocaïne.
A leur demande, l'installation d'un échographe à l'aéroport de Félix Éboué , permettant de voir la drogue ingérée ou insérée, a été prévue par les accords de Guyane signés en 2017. Acheté par l'État en août 2017, cet appareil a été installé mais n'a jamais été utilisé , du fait de l'absence de locaux adéquats, du manque de praticiens hospitaliers pour le mettre en oeuvre et du coût dissuasif, de l'ordre de 500 euros de l'heure, des prestations médicales associées. Par ailleurs, l'utilisation du dispositif aurait conduit à privilégier le contrôle des passeurs de stupéfiants transportant la drogue in corpore , favorisant ainsi le passage de plus grandes quantités dans les bagages et à corps. Le traitement des mules in corpore est par ailleurs plus contraignant pour les acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants, pour des quantités transportées moindres.
L'installation d'un scanner corporel à ondes millimétriques permettant de détecter la cocaïne transportée à corps était donc revendiquée. Cette proposition avait d'ailleurs été reprise par la commission des lois du Sénat dans son rapport sur la Guyane de février 2020 26 ( * ) eu égard au caractère dissuasif d'un tel dispositif, un appareil du même type étant utilisé dans certains aéroports américains ou plus récemment au Suriname.
Deux scanners à ondes millimétriques ont été commandés - cofinancés par l'État et la Collectivité territoriale de Guyane - et installés à l'aéroport Félix Eboué le 17 juin 2020 . Ils sont utilisés pour confirmer la présence de cocaïne dès lors que le portique métallique a identifié des masses suspectes. Ils permettent de détecter les produits stupéfiants fixés sur le corps de la personne, notamment lorsque des subterfuges sont utilisés pour augmenter artificiellement la masse corporelle. Ces deux mesures - arrêtés d'interdiction de vol et scanners à ondes millimétriques - sont considérés par l'ensemble des interlocuteurs entendus comme des moyens de dissuasion efficaces du passage de cocaïne .
Elles sont complémentaires des techniques de ciblage utilisées par la douane et des contrôles plus traditionnels mis en oeuvre par les forces de sécurité .
B. UN DISPOSITIF INSUFFISANT ET PERFECTIBLE
1. Un trafic de cocaïne qui demeure
Le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane s'est subitement intensifié depuis 2015 . Les années 2018 et 2019 ont ainsi constitué des années record pour les saisies. Le nombre d'interpellations a fortement augmenté entre 2017 et 2018 (+122 %), avec un léger recul en 2019 (-7 %). Les saisies de cocaïne ont également fortement augmenté, passant de 981 kg en 2017 à 2 435 kg en 2019, soit une progression de 248 %. Les quantités saisies en Guyane (1195 kg) sont à peu près équivalentes à celles saisies dans l'Hexagone (1240 kg). Ces chiffres témoignent aussi cependant du renforcement de la politique de lutte contre ce trafic et de l'augmentation des moyens qui lui sont consacrés.
Source : OFAST
Source : OFAST
Les dispositifs de contrôles et de dissuasion ont un impact conséquent sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane . Sur l'hypothèse base de 7 000 passeurs de cocaïne par an, les autorités préfectorales estiment qu' environ 55 % du phénomène est traité : 10 à 15 % sous forme de saisies de cocaïne, 15 % par le biais des arrêtés préfectoraux de refoulement, et 30 % à travers les no show liés aux arrêtés et aux contrôles mis en place autour et dans l'aéroport.
Le renforcement des contrôles a mécaniquement généré une augmentation des interpellations et des saisies, signe que le trafic ne tarit pas et que le point d'équilibre recherché par les autorités - qui consisterait en une baisse ou une stabilisation des saisies conjuguée à un nombre croissant de contrôles - n'est pas encore atteint.
La crise sanitaire a eu des effets certains . Avec la réduction importante des liaisons transatlantiques (2 vols par semaine contre 13 auparavant), le phénomène a mécaniquement diminué. Toutefois, sur les quatre premiers mois de 2020, la douane de Cayenne avait saisi 236 kg de cocaïne et interpellé 71 passeurs. Avec la reprise temporaire des vols fin juin et début juillet, les douanes ont réalisé de nouvelles saisies importantes, tant à Cayenne qu'à Roissy - lieu d'atterrissage temporaire des vols Air France en provenance de Guyane. L'arrêt du trafic dû à la crise sanitaire ne sera donc sans doute pas durable.
L'apparition récente d'un trafic de retour Depuis quelques années, le trafic de cocaïne augmente fortement en France. Cela est notamment dû, dans les Antilles, aux possibilités d'échange de la résine de cannabis contre de la cocaïne. Les échanges se font selon le principe du 1 pour 1, un kilo de cocaïne étant échangé contre un kilo de résine de cannabis. Le kilo de cannabis se négociant entre 1 000 et 3 000 euros, cela permet aux négociants de se procurer de la cocaïne à ce prix. Ce trafic de retour est en train d'apparaître en Guyane, où des mules parties de Guyane avec de la cocaïne reviennent avec du cannabis, ou inversement. Il reste toutefois encore marginal. Ainsi, lors des deux opérations interministérielles de renforcement des contrôles conduites en 2019 sur deux fois trois mois, les services de la douane ont saisi 17 kg de résine de cannabis à Orly, à destination de Cayenne. |
2. Un engorgement de la chaîne pénale mis à profit par les trafiquants
La difficulté de la lutte contre le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane ne réside pas dans la détection des personnes - les techniques de ciblage permettant un repérage très fin, mais dans leur nombre et la charge procédurale de leur prise en charge .
Comme l'indiquait le préfet de Guyane lors de son audition, « les services en charge de lutter contre les infractions à la législation sur les stupéfiants sont confrontés à la réalité de la chaîne de traitement administratif et judiciaire ».
La procédure est particulièrement lourde en cas de transport in corpore . Lorsque la gendarmerie, la police ou la douane ont affaire à des individus soupçonnés d'avoir introduit dans leur corps des ovules de cocaïne, l'individu doit être amené dans un hôpital, afin de réaliser un scanner ou une échographie pour vérifier la présence d'ovules dans l'organisme. Si tel est bien le cas, l'individu doit rester à l'hôpital le temps de rejeter les ovules par voie naturelle, en présence de trois membres des forces de l'ordre (pendant 24 à 96 heures).
Le nombre de contrôles par vol ne peut donc être que limité .
Description de la procédure suivie par les douanes à l'aéroport Félix Éboué Dès la découverte de la cocaïne, la saisie du produit est prononcée et la personne est placée en retenue douanière. Le parquet en est immédiatement informé. La procédure douanière est alors rédigée, sur la base de : - un procès-verbal de saisie, acte authentique relatant les faits, dont les énonciations matérielles font foi jusqu'à inscription de faux devant la justice ; - un procès-verbal de retenue douanière, permettant de garantir les droits de la personne ainsi que la tenue d'un registre de retenue douanière ; - un procès-verbal de remise à un officier de police judiciaire (OPJ) de la marchandise et de la personne à l'issue de la procédure douanière. Dans les cas simples (absence de cocaïne en ingéré/inséré, pas d'enfants mineurs, etc .), la fouille complète d'une personne jusqu'à sa remise à un OPJ représente environ quatre heures de travail impliquant au moins trois fonctionnaires. Afin de réduire ce temps avant remise à OPJ, il n'est pas pratiqué d'audition de la personne. Dans les cas plus lourds, notamment en présence d'une mule ayant inséré-ingéré de la drogue dans son organisme et après la réalisation d'un test de dépistage positif (analyse d'urine), trois agents doivent accompagner la personne à l'hôpital afin que le personnel du service des urgences pratique un examen radiologique. Lorsque cet examen radiologique est positif, les douaniers doivent garder la personne jusqu'à ce qu'un OPJ (sur la base de la politique pénale actuelle en Guyane, il s'agit d'un officier de l'OFAST) soit disponible. Aujourd'hui, compte tenu de la faible disponibilité des OPJ, les douaniers sont ainsi monopolisés jusqu'au lendemain matin de la saisie (opérée entre 17h et 19h), réduisant d'autant leur capacité de contrôle. Chaque mis en cause mobilise ainsi : - au moins trois douaniers à temps plein pendant en moyenne quatre heures de procédure, auxquels il convient d'ajouter deux autres douaniers pour une durée de douze heures en dans les cas d'ingéré-inséré (garde de nuit de la mule à l'hôpital) ; - deux fonctionnaires de police à temps plein pendant 96h. |
Source : direction régionale des douanes de Guyane
Ces difficultés se répercutent sur les services judiciaires et pénitentiaires : tous les maillons de la chaîne pénale se trouvent engorgés. Cet engorgement est dû à l'impossibilité de gérer l'ensemble des contrôles et des procédures découlant de ce trafic à grande échelle, en raison de l'effet combiné de la durée des contrôles, des transports à l'hôpital, du traitement de la procédure judiciaire, des déferrements et des audiences judiciaires. La chaîne pénale d'urgence ne peut ainsi, sans que cela n'ait d'incidences sur le traitement de la délinquance de droit commun, absorber une augmentation substantielle du nombre d'interpellations de passeurs. De la même manière, la politique répressive a des conséquences directes sur le taux d'occupation des centres pénitentiaires de Guyane et de Fresnes.
Les trafiquants, conscients des difficultés rencontrées par la chaîne pénale pour faire face au trafic de masse, ont mis à profit cette situation en développant une stratégie de saturation des forces de sécurité . Ils envoient un grand nombre de passeurs, sachant qu'ils ne pourront pas tous être contrôlés et interpellés. Le peu de drogue saisi est compensé par la drogue qui parvient à destination. Certains trafiquants envoient à dessein des mules « sacrifiées », connues des services de contrôle ou dont les caractéristiques d'achat du billet correspondent à un profil considéré comme suspect par les forces de sécurité intérieure.
Le mode de transport aérien est donc très rentable pour les trafiquants . L'organisation de l'acheminement est en effet moins complexe que la voie maritime, et les risques financiers sont moindres puisqu'en cas d'interpellation, les pertes peuvent être amorties par d'autres passeurs.
Face à cette situation, les acteurs institutionnels s'adaptent. Les échanges de renseignements se multiplient entre les différents lieux de contrôles mais plus particulièrement entre l'aéroport de Félix Eboué et celui d'Orly : ainsi, lorsque les services des douanes n'ont pas pu contrôler une personne ciblée à Cayenne, ils transmettent le profil du passager à leurs homologues d'Orly qui réutilisent en aval le ciblage réalisé en amont.
Au niveau des procédures , et afin de limiter l'embolisation du tribunal judiciaire, la comparution immédiate est devenue exceptionnelle en Guyane 27 ( * ) . Le parquet a décidé de ne faire des comparutions immédiates que pour les récidivistes et les personnes contestant les faits ou transportant plus de 3,5 kg de cocaïne. Les primo-délinquants transportant jusqu'à moins de 3,5 kg de cocaïne font désormais l'objet d'une convocation avec reconnaissance préalable de culpabilité.
Ces mesures se sont toutefois traduites par un affaiblissement de la portée répressive du traitement pénal des affaires de passeurs de cocaïne diligentées par le détachement de l'OFAST : les passeurs pris avec plusieurs kilogrammes de cocaïne sortent souvent libres à l'issue du déferrement.
3. Une politique pénale qui ne permet pas d'agir suffisamment sur le contexte délinquentiel
La politique pénale mise en oeuvre n'apparaît pas comme un moyen efficace de résorber le phénomène des passeurs de stupéfiants en provenance de Guyane.
Les sanctions encourues et notamment l'incarcération ne sont pas vues comme dissuasives . Au cours de son travail de terrain, Mme Guéda Gadio a constaté que l'idée selon laquelle la détention est une « chose qui devait arriver » était très souvent exprimée par les passeurs, cette réaction étant bien plus visible chez les femmes incarcérées que chez les hommes. Il apparaît également « surtout chez les femmes rencontrées majoritairement installées dans l'Ouest guyanais une capacité d'adaptation, une facilité d'accommodation à l'univers carcéral, qui peut en partie expliquer la non-efficacité de la détention longue pour ce type de personnalité. [...] Dans la mesure où de nombreuses femmes indiquent avoir effectué un voyage pour aider leurs enfants, la détention n'est ni plus, ni moins, ce qui devait arriver en cas de prise. » 28 ( * ) Il apparaît donc que les femmes développent une capacité d'adaptation qui semble leur permettre d'accepter leur condition carcérale, témoignant du caractère inadapté de cette sanction. Cette analyse est partagée par le SPIP du Val-de-Marne, « même si le choc carcéral existe réellement pour ces personnes lors de leur première incarcération. Il semblerait très souvent que la « récompense » financière passe au-delà de la conscientisation du risque encouru (pénal et médical) ».
Le quantum des peines d'emprisonnement ferme prononcées en Guyane reste sensiblement plus élevé que sur le reste du territoire national. Entre 2016 et 2019, le taux de prononcé de peines d'emprisonnement ferme s'élevait à 48 % pour l'ensemble des tribunaux contre 65 % en Guyane. Cependant, le recours à l'emprisonnement systématique est progressivement abandonné. Dans le cadre de la nouvelle politique pénale mise en place en 2019, à Cayenne, la comparution immédiate est devenue exceptionnelle, et les primo-délinquants font désormais l'objet d'une convocation avec reconnaissance préalable de culpabilité sans peine d'emprisonnement ferme.
Par ailleurs, de l'avis général, les mesures de réinsertion mises en place à l'issue de l'incarcération apparaissent inadaptées et insuffisamment ciblées, tant dans l'Hexagone qu'en Guyane.
Le SPIP du Val-de-Marne, qui prend en charge la plupart des passeurs interpellés dans l'Hexagone 29 ( * ) , a ainsi indiqué à la mission d'information ne pas mettre pas en place de prise en charge spécifique pour ce public, faute de moyens suffisants . L'incarcération dans l'Hexagone leur apparaît « être un obstacle à l'insertion d'autant plus que les conditions carcérales actuelles ne leur permettent pas l'intégration dans un parcours scolaire, de formation ou de classement dans un poste de travail, leur permettant de repartir dans leur département d'origine avec une qualification supplémentaire pouvant leur être utile et à faire valoir auprès de leur entourage. » De plus, « cette incarcération provoque une rupture avec leur environnement familial et sociétal. Or, une des missions du SPIP est de veiller au maintien des liens familiaux et de lutter contre les effets désocialisants de l'incarcération. Dans la réalité, il est compliqué de remplir cette mission [...], les conditions pour utiliser les cabines téléphoniques en détention n'étant pas adaptées aux situations des personnes guyanaises (coût financier, décalage horaire...). À la maison d'arrêt des femmes, l'expérimentation d'une tablette avec possibilité d'appel en visioconférence n'a pas été satisfaisante, en raison de l'absence de réseau internet et/ou de supports informatiques au sein des foyers guyanais. Pourtant le soutien familial apparait comme un facteur essentiel dans la préparation d'un projet d'insertion. »
Les mesures mises en place par le SPIP du Val-de-Marne
à destination
Afin de répondre aux difficultés de ces détenus (absence de logement, absence de projet d'insertion professionnelle...), une orientation peut être effectuée notamment vers le quartier pour peine aménagée de Villejuif (semi-liberté ou quartier de placement extérieur) ou vers des partenaires institutionnels : Pôle emploi, Mission locale, FAIRE ou SJT en ce qui concerne l'insertion professionnelle, Mouvement de réinsertion sociale (MRS) en ce qui concerne la domiciliation postale et accompagnement à la sortie, le SIAO 94 en ce qui concerne la recherche d'hébergement, visiteurs de prison de l'ANVP... À la maison d'arrêt des femmes, des réunions d'information collectives sur les démarches sociales sont animées par l'assistante sociale du SPIP, pour améliorer la connaissance de chacune sur leurs droits sociaux. Une rencontre a pu avoir lieu avec une association prenant en charge le public guyanais en 2019 à Paris sans toutefois pouvoir donner lieu à une réelle prise en charge de ce public par l'établissement d'une convention. Source : SPIP du Val-de-Marne |
Par ailleurs, les associations de réinsertion présentes en Ile-de-France, à l'image du Mouvement de réinsertion sociale (MRS), ont indiqué n'avoir aucun lien avec les acteurs de la réinsertion situés en Guyane (collectivités territoriales, Pôle emploi, tissu associatif local) et élaborer les projets de réinsertion au « coup par coup ». Ceci constitue un frein important à la réinsertion en Guyane de ces publics.
La situation n'apparaît pas réellement plus favorable lorsque la peine est exécutée en Guyane. L'incarcération à Cayenne rend, en outre, difficile le maintien des relations avec les familles, souvent localisées à Saint-Laurent du Maroni, impliquant donc des déplacements longs et coûteux. Cette distance complique la préparation de projets qui pourraient avoir un impact sur l'insertion des personnes incarcérées. Les moyens du SPIP y restent limités : « on avait un seul personnel dédié à la pose de bracelets électroniques, on en a deux maintenant, mais ce n'est toujours pas à la hauteur des enjeux. Il faut le prendre en compte dans les moyens du SPIP pour proposer aux juges d'application des peines des projets de sortie adaptés 30 ( * ) ». De même, les liens forgés entre le SPIP et le tissu associatif local apparaissent insuffisants . Seul un partenariat associatif a été noué avec l'AKATIJ, en lien avec le parquet de Cayenne, relatif à un stage de sensibilisation et de lutte contre la récidive des transporteurs de stupéfiants. Si ce partenariat constitue une initiative louable, il apparaît encore insuffisant au regard du nombre de passeurs incarcérés. Ainsi, le dernier stage 31 ( * ) a permis de sensibiliser huit personnes, ce qui reste faible au regard des 656 détenus hébergés au 1 er janvier 2020 au centre pénitentiaire de Cayenne.
Si les difficultés liées à la distance entre l'Hexagone et la Guyane sont souvent évoquées comme un obstacle majeur à la réinsertion des personnes incarcérées à Fresnes, certaines associations (comme Aurore) ont fait part de la volonté de certains d'entre eux de se réinsérer dans l'Hexagone, perçu comme offrant d'avantage d'opportunités. Le trajet « gratuit » jusqu'à l'Hexagone constitue parfois en lui-même l'une des motivations des passeurs de cocaïne. Mme Claire Tranchimand, présidente du mouvement de réinsertion sociale (MRS) a ainsi indiqué que « l'incarcération à l'Hexagone n'est vraiment pas un obstacle à la réinsertion. Dans l'ensemble, [les passeurs suivis par le MRS] ne retournent pas en Guyane. À peine 10 % de ceux suivis sont retournés en Guyane. » De manière générale, l'effet du lieu d'incarcération sur les perspectives de réinsertion apparaît incertain et variable en fonction des individus .
Enfin, les amendes douanières prononcées, dont les montants atteignent, pour les passeurs guyanais, des sommes généralement proches de 20 000 euros, constituent, de l'avis général des acteurs associatifs et des membres des SPIP auditionnés, des motifs potentiels de récidive . La tentation de s'acquitter de cette amende en procédant à de nouveaux passages est grande et susceptible d'entrainer une spirale néfaste.
La question de la récidive fait l'objet d'analyses diverses en fonction des interlocuteurs. Les autorités judiciaire de Guyane et de Créteil indiquent en effet que la proportion de récidivistes est faible, les procédures concernant des passeurs de cocaïne touchant, pour l'essentiel, des primo-délinquants. Les observations des acteurs de terrain et les études sociologiques indiquent toutefois que les situations de réitération sont fréquentes, des cas de transporteurs ayant effectué plus de vingt « voyages » sans être condamnés ayant été rapportés à la mission d'information.
4. Une prévention qui demeure insuffisante
La prévention du phénomène des mules repose, tout d'abord, sur les dispositifs ad hoc essentiellement mis en place par les acteurs associatifs.
Cette politique publique est essentiellement soutenue par l'État, par le biais de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), dont le directeur de cabinet du préfet est, au niveau départemental, le relais opérationnel et le chef de projet, en charge de décliner territorialement le plan national de mobilisation contre les addictions. À cet effet, la préfecture de Guyane, chef de projet MILDECA, travaille avec :
- les partenaires institutionnels : l'Agence régionale de la santé (ARS), le rectorat, le procureur et ses services (SPIP, PJJ), les forces de l'ordre (police, gendarmerie 32 ( * ) , douane) ;
- les collectivités territoriales : Collectivité territoriale de Guyane, Ville de Cayenne, autres villes et territoires ;
- les associations : AKATIJ, l'Arbre Fromager, APAMEG (Association pour la protection de la mère et de l'enfant en Guyane), AGRRR (Association guyanaise de réduction des risques). Il convient de noter qu'aucune de ces dernières n'est spécialisée dans la prévention du trafic de stupéfiants.
La MILDECA a également participé en 2019 au financement, à hauteur de 10 000 euros, d'un film de prévention réalisé par la réalisatrice guyanaise Marie-Sandrine Bacoul.
Le film « Aller sans retour » visant à prévenir le phénomène des mules Le film « Aller sans retour » a pour objectif de sensibiliser les jeunes Guyanais sur la réalité et les risques liés au trafic de cocaïne à destination de l'Hexagone. En plus du financement MILDECA, le film a également obtenu, entre autres, le soutien de la collectivité territoriale de Guyane, de la préfecture, de la protection judiciaire de la jeunesse ainsi que du parquet et de la ville de Cayenne. Des projections dans les collèges et lycées de Guyane sont prévues, suivies d'échanges avec des représentants de la Justice, de la protection judiciaire de la jeunesse, des forces de l'ordre (Police, Douane, Gendarmerie) ou d'associations. Source : MILDECA |
L'essentiel des actions de prévention passe néanmoins par des crédits MILDECA « délégués » à la Guyane, à hauteur de 90 000 euros en 2018, en 2019, et en 2020, permettant de cofinancer un certain nombre d'actions de prévention, de sensibilisation et de réinsertion.
Selon la MILDECA, en 2018, 53% de cette enveloppe a été directement dédiée à la mise en oeuvre d'actions visant à lutter contre le phénomène des mules et 14% à une action visant la réinsertion de détenus et à la prévention de la récidive, la plupart des détenus ayant été condamnés pour trafic de stupéfiants 33 ( * ) . En 2019, 6 actions sur 9 financées avec les crédits MILDECA visent directement à prévenir ou empêcher la récidive en matière de trafic de stupéfiants.
Comme le relèvent l'Agence Phare dans son évaluation de la politique de prévention des mules et les acteurs de terrain auditionnés par la mission d'information, aucun recensement exhaustif des différentes actions de prévention menées n'a été effectué . Seul un rassemblement des initiatives de terrain, au gré des témoignages des divers représentants associatifs, permet d'en dresser un panorama partiel. Ces dernières, essentiellement concentrées dans l'ouest guyanais et dans les villes de Kourou et Cayenne peuvent ainsi prendre diverses formes :
- projections de films de prévention 34 ( * ) suivies de débats ;
- actions de sensibilisation menées dans les quartiers populaires, en présence d'éducateurs. À titre illustratif, l'association Trop Violans a indiqué que de telles actions pouvaient réunir jusqu'à 150 personnes dans certains quartiers ;
- affichage d'images et de messages de prévention ;
- intervention d'animateurs et d'infirmières scolaires dans des lycées de Saint-Laurent du Maroni.
Les associations proposent en général différentes formes d'action . Trop Violans a ainsi recours à l'intervention d' « ambassadeurs » dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV) guyanais. Ces derniers, salariés de l'association, sont des jeunes sociologiquement proches du public visé, formés au discours et au message de prévention, ce qui constitue un moyen pertinent car susceptible de susciter un sentiment d'identification de la part du public. L'association mène également des actions de porte-à-porte, menées par des bénévoles.
Ces diverses actions se heurtent à des limites de forme et de fond .
Les difficultés de financement semblent constituer un problème récurrent. Yvane Goua, porte-parole de l'association Trop Violans, a ainsi indiqué avoir voulu « monter en 2017 un projet d'intervention dans les quartiers, représentant 60 000 euros. La commission de la MILDECA a toutefois notifié un refus à l'association, de même que l'ARS », le projet n'ayant donc pu être mené à bien.
Cette absence de financement semble toutefois résulter d'une difficulté structurelle de coopération avec les pouvoirs publics et d'une absence d'acteur institutionnel pleinement désigné sur cette question. Mme Emilie Grand-Bois, présidente d'APAMEG, a ainsi indiqué avoir une multitude de « partenaires financeurs » (CTG, mairies, MILDECA), mais aucun réel partenaire opérationnel , ce qui constitue une préoccupation récurrente des acteurs associatifs.
Si les actions de prévention existent, la politique de prévention dans son ensemble apparaît en effet défaillante. La mission partage le jugement porté par l'Agence Phare sur la politique de prévention du phénomène, qui se compose d'actions ponctuelles « qui ne sont pas articulées entre elles [et ne] répondent [pas] à une stratégie de prévention construite. Elles semblent davantage relever d'une volonté de mener des actions visibles et de répondre à une forme d'urgence face à l'expansion du phénomène et à sa médiatisation. Les actions financées semblent de ce point de vue ne pas relever d'une stratégie de prévention de long-terme. » 35 ( * )
Outre ces difficultés d'organisation et de coordination, l'Agence Phare relève également des limites ayant trait au contenu des actions de prévention, qui résulte du manque d'études et de connaissances consolidées sur le phénomène . Les acteurs de la prévention se trouvent dans l'obligation de « bricoler » pour construire des outils si bien que « les messages véhiculés tendent parfois à être en décalage avec les situations vécues par les personnes impliquées et par la perception qu'en ont les jeunes guyanais ».
Les décalages observés entre les discours portés par les acteurs de la prévention et le vécu des individus confrontés - directement ou indirectement - au phénomène des mules portent sur la thématique sanitaire, sur la récidive, sur la vision des recruteurs et trafiquants et des mules, sur la difficulté à traiter des croyances noires-marronnes et enfin sur la méconnaissance du discours de «propagande » valorisant le transport de cocaïne.
Les limites de fond des actions de prévention : le décalage entre le discours et la réalité des expériences vécues 1/Les actions de prévention existantes insistent le plus souvent sur les risques sanitaires de l'ingestion de cocaïne par voie orale, vaginale ou anale et sur les dangers mortels qu'elle recouvre en cas d'ouverture d'un « ovule » de cocaïne. Or, le transport intra-corpore est très minoritaire et n'engendre que très rarement des décès, ce qui est su par les publics visés par les actions de prévention. 2/ Les actions de prévention ont souvent lieu en lycée . Or, dès le début du collège, certains jeunes sont confrontés à ce phénomène, si bien que la prévention est trop tardive pour intervenir en amont de l'entrée dans le trafic. De surcroît, les jeunes déscolarisés ne bénéficient pas de ces actions en milieu scolaire. 3/Une vision caricaturale des recruteurs et des trafiquants est diffusée lors des actions de prévention . Ceux-ci sont présentés comme agressifs et méchants, au travers de figures communément admises - et notamment véhiculée dans les fictions - d'un trafiquant de drogue. Or, les entretiens menés avec des personnes condamnées pour avoir « fait la mule » tendent à rompre avec cette image. La question des logiques intrafamiliales qui peuvent conduire les publics visés à « faire le voyage » est insuffisamment traitée. 4/Ces actions portent également une vision caricaturale des mules elles-mêmes. Conformément aux représentations du phénomène le plus souvent partagées par les acteurs institutionnels, les mules sont fréquemment présentées comme fragiles psychologiquement, superficielles et attirées par l'argent. Elles sont parfois ridiculisées pour leur naïveté supposée et pour leur attrait pour des marques ou des vêtements. Cette vision peut créer une rupture entre les acteurs de la prévention et les jeunes dans la mesure où nombre de jeunes ciblés par les actions sont eux-mêmes impliqués dans le trafic - ou connaissent des personnes très proches qui le sont. Surtout, ce type de discours de prévention sous-estime le contexte social dans lequel se trouvent les mules en renvoyant l'entrée dans le trafic à une motivation uniquement individuelle. 5/Les actions de prévention souffrent de la méconnaissance des croyances noires-maronnes, notamment les bains, et du sentiment d'illégitimité des acteurs pour en parler. Souvent, les « bains » ou « obias » sont donc abordés de façon superficielle ou très rapide alors qu'ils constituent un argument central dans le recrutement. 6/Les actions de prévention et d'information ne prennent pas en compte l'existence d'une « propagande pro-mules », ou du moins de discours de valorisation d'un tel phénomène, qui peuvent être véhiculés par certaines personnalités appréciées des jeunes. Source : mission d'information, d'après l'étude de l'Agence Phare, La prévention du phénomène des mules en Guyane, avril 2019, p. 101. |
A ces limites de fond s'ajoutent des difficultés d'ordre linguistique , plus de trente langues étant parlées en Guyane, et la plupart des personnes visées par les actions de prévention n'ayant pas le français pour langue maternelle. Le recours au français, lorsqu'il ne rend pas la compréhension du message de prévention impossible, accroît la distance symbolique avec les jeunes. Pour Papa Gé, président de l'association Mama Mobi, la langue française incarne par ailleurs les institutions, contre lesquelles les jeunes peuvent ressentir une certaine forme de défiance, tandis que les recruteurs sont susceptibles de parler la langue des futurs passeurs.
Pour dépasser ces difficultés, Mme Emilie Grand-Bois, présidente de l'APAMEG, a ainsi indiqué souhaiter privilégier les messages visuels avec des saynètes en plusieurs langues et faisant intervenir divers personnages (le passeur, l'intermédiaire, le recruteur, les magistrats, etc.) ». De même, le recours à des « ambassadeurs » (par Trop Violans) ou à des « grands frères » (par l'APAMEG) issus du même secteur et du même milieu que le public visé est également privilégié par les associations.
L'AKATIJ met également en place des jeux de rôle de trois heures au sein des classes de lycée, comprenant les divers acteurs du trafic (mules, anciennes mules, douaniers), du recrutement jusqu'au passage à l'aéroport, à l'issue desquels un quizz est proposé, comprenant des questions permettant un débat où l'intervenant apporte une réponse validée par l'association. En 2019, 650 jeunes ont ainsi été sensibilisés suivant ce modèle, avec la possibilité de faire les jeux de rôle en langue régionale. Mme Hélène Commerly, directrice des services de l'AKATIJ, a toutefois indiqué à la mission d'information que le recours à ces langues régionales était parfois mal accueilli par l'Education nationale.
De même, en réponse aux problèmes soulevés par l'Agence Phare relatifs au manque de prise en compte des croyances des publics concernés, s'agissant notamment des obias, Mme Hélène Commerly a indiqué avoir voulu faire intervenir un chef coutumier afin d'expliquer que ces pratiques ne sont pas destinées « à faire le mal », sans toutefois trouver de personne adaptée ou d'expert sur ces sujets.
Au total, malgré les efforts réalisés, par les associations notamment, la politique de prévention souffre d'un important sous-dimensionnement, d'un manque de coordination patent et de difficultés de fond liées à la persistance d'une distance entre les acteurs de la prévention et les publics visés.
III. UN RENFORCEMENT DE LA RÉPONSE EST NÉCESSAIRE, QUI NE PEUT ÊTRE QUE GLOBALE ET MULTIVECTORIELLE
A. UNE POLITIQUE RÉPRESSIVE QUI DOIT VISER LA RECHERCHE D'EFFICACITÉ ET LE DÉMANTÈLEMENT DES RÉSEAUX
1. Intensifier les contrôles et les saisies pour décourager le trafic
Il n'existe pas de solution unique permettant de mettre fin au trafic de stupéfiants en provenance de Guyane. Les dispositifs de lutte se doivent d'être multi-vectoriels , combinant tant des actions de contrôles que de dissuasion. Seule la diversité des modes de contrôle et de dissuasion permettra leur efficacité et une perte d'attractivité de la route guyanaise.
À l'heure actuelle, tant les forces de contrôle que le tribunal judiciaire de Cayenne travaillent au maximum de leur capacité, alors même que le nombre de passeurs ne cesse d'augmenter et que les nouveaux outils, notamment le scanner à ondes millimétriques, risquent d'accroître encore davantage le nombre de passeurs à appréhender. Selon une estimation de l'OFAST, la systématisation des contrôles à corps et à bagages pourrait ainsi générer une augmentation de 40 % du flux à traiter , soit un surcroît de 2 800 cas par an. Il n'est donc pas envisageable de renforcer uniquement les actions conduisant à davantage d'interpellations, sans donner aux différents maillons de la chaîne pénale, notamment à l'autorité judiciaire et aux centres pénitentiaires, les moyens de faire face à cette augmentation.
a) Renforcer les contrôles et les saisies à tous les niveaux
Afin de renforcer les contrôles et les saisies à tous les niveaux à effectifs constants, il importe d' employer chaque administration au mieux de ses capacités et de leur attribuer les équipements nécessaires au bon accomplissement de leurs missions .
Les contrôles doivent effectivement être renforcés sur l'ensemble de la route empruntée par les passeurs de cocaïne , depuis le passage de la frontière jusqu'à l'aéroport de Félix Éboué, puis de l'aéroport d'Orly jusqu'à leur destination finale.
En Guyane toutefois, la géographie particulière du territoire, sa superficie ainsi que la densité des forêts rendent les contrôles extrêmement difficiles. Les dispositifs existants, avec des contrôles mobiles sur les principales routes et le poste de contrôle routier d'Iracoubo, permettent déjà de bons résultats. Selon la plupart des acteurs impliqués dans les contrôles, c'est sur l'aéroport que doivent porter l'essentiel des efforts, dans la mesure où il constitue un point de passage obligé des mules 36 ( * ) .
Afin de faciliter la détection des passeurs de cocaïne, mais également de permettre aux acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants de disposer d'éléments leur permettant de suivre le trafic et de remonter les réseaux, les équipements au sein et aux abords de l'aéroport Félix Éboué pourraient donc être renforcés . Ainsi, dans le cadre des travaux de remise aux normes de la plateforme aéroportuaire, la préfecture a demandé à la Chambre de commerce et d'industrie, responsable de l'aéroport, l'installation de nouvelles caméras de vidéo protection. Il serait également utile de disposer d'un équipement LAPI sur la route nationale qui conduit à l'aéroport , afin d'enregistrer les plaques d'immatriculation des véhicules des trafiquants. L'objectif serait de permettre aux forces de sécurité intérieure de suivre le parcours des passeurs de stupéfiants refoulés qui rejoignent souvent les trafiquants sur le parking, ou de repérer les voitures concourant à l'acheminement des passeurs.
Au sein même de l'aéroport, en complément de l'installation des deux scanners à ondes millimétriques dont il importera de tirer le bilan, un scanner à rayon X pour les bagages pourrait être attribué à la douane . Le RX bagages est un moyen de détection rapide des masses suspectes dans les bagages des passagers, qui s'ajouterait aux autres moyens de détection dont dispose la douane - notamment les trois équipes cynophiles dédiées à la recherche de stupéfiants à l'aéroport de Félix Éboué. Ce type de matériel est déjà présent à Orly, à la fois dans la galerie bagages, pour la détection des bagages de soute, mais aussi aux filtres des passagers, pour les bagages à main. L'installation d'un tel dispositif à l'aéroport de Félix Éboué est actuellement à l'étude.
Une réflexion sur les effectifs des acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants au sein de l'aéroport pourrait également être menée.
Afin de faciliter les contrôles, des marges de manoeuvres devraient être trouvées auprès d es compagnies aériennes : aujourd'hui, les deux avions transatlantiques décollent avec seulement deux heures d'écart, ce qui ne permet pas aux services de l'État de mener leurs contrôles dans de bonnes conditions.
Il importe, par ailleurs, de conforter les dispositifs mis en oeuvre par la douane . Lors de son déplacement à l'aéroport d'Orly, la mission d'information s'est vu présenter le dispositif de ciblage utilisé par la douane. Elle en ressort convaincue que le dispositif PNR est un outil utile mais qui ne peut être le seul outil à la disposition des services des douanes. Il est en effet alimenté par les informations transmises par les compagnies aériennes, mais ces informations sont parfois mal renseignées et ne peuvent être réutilisées. De manière complémentaire, il est donc indispensable de permettre aux douanes de garder leur accès aux dossiers de réservation des compagnies.
b) Permettre à l'autorité judiciaire de faire face à une potentielle augmentation des interpellations
L'augmentation des moyens de détection, tout comme celle des moyens de ciblage, provoquera nécessairement davantage d'interpellations. Ainsi, selon l'OFAST, la systématisation des contrôles à corps et des contrôles des bagages pourrait générer un surcroît de 2 800 découvertes par an (40 % du flux total).
Or, la problématique principale dans le traitement du trafic de stupéfiants en provenance de Guyane est la saturation de l'ensemble de la chaîne pénale. Comme le souligne la direction générale des douanes et des droits indirects, le déploiement de tout nouvel outil doit s'accompagner d'une réflexion sur le traitement en aval et sur les moyens à y consacrer .
Les représentants de l'autorité judiciaire en Guyane auditionnés par la mission partagent ce constat, puisqu'ils considèrent que « l'action de l'État est affaiblie par le manque de moyens attribués en bout de chaîne à l'institution judiciaire ». Il importe donc en premier lieu, et à court terme, de permettre à l'autorité judiciaire de faire face à une potentielle augmentation des contrôles .
Des orientations en ce sens ont d'ores et déjà été prises par l'institution judiciaire . Dans le cadre de la nouvelle politique pénale mise en place en 2019, la comparution immédiate est devenue exceptionnelle en Guyane , le parquet lui préférant les convocations avec reconnaissance préalable de culpabilité. En 2018 en effet, sur les 700 comparutions immédiates réalisées, les trois quarts étaient celles de passeurs de cocaïne, au détriment de la délinquance de droit commun. En 2019, cette proportion est tombée à 20 %.
Cette même procédure est suivie par le parquet de Créteil, même si le recours à la convocation avec reconnaissance préalable de culpabilité y est moins systématique. En 2019, entre 11 et 32 % des comparutions immédiates étaient liées au trafic de stupéfiants en provenance de Guyane. Les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité sont utilisées par le parquet dès lors que les quantités transportées sont inférieures à 1 kg.
Par ailleurs, il apparait nécessaire de renforcer les effectifs des magistrats du siège et du parquet à Cayenne, mais également ceux des greffiers . Selon les représentants de l'autorité judiciaire en Guyane, un doublement du nombre de personnes interpellées devrait conduire à renforcer les effectifs judiciaires de :
- un magistrat du parquet et un greffier du parquet ;
- un juge des libertés et de la détention (JLD) et un greffier du JLD ;
- un à deux magistrats du siège généraliste, et un greffier correctionnel supplémentaires pour la première instance ;
- un magistrat du siège, un magistrat du parquet et un greffier supplémentaires pour la cour d'appel. En termes de procédures , des aménagements législatifs ne semblent pas nécessaires. Les outils juridiques existent , tant dans le code de procédure pénale que dans le code des douanes. Il revient désormais au parquet d'apprécier l'opportunité de s'en saisir afin d'adapter la politique pénale à la situation locale, afin de trouver un équilibre satisfaisant entre la bonne administration des tribunaux judiciaires, les places dans les maisons d'arrêt, et la nécessaire dissuasion.
À moyen terme, la construction d'une cité judiciaire et d'un centre pénitentiaire à Saint-Laurent-du-Maroni, attendue depuis des années, devrait améliorer la situation. La livraison est désormais prévue pour 2025, alors que l'échéance envisagée était initialement 2024. L'explosion du phénomène montre cependant qu'il y a urgence. L'État ne peut se permettre un retard sur ce chantier, qui devrait même être accéléré.
De la même manière, la construction de la cité judiciaire de Cayenne permettra aux magistrats de mieux faire face aux très nombreuses auditions liées aux passeurs de stupéfiants. Il serait nécessaire d'intégrer un dépôt à ces nouveaux bâtiments, afin de réduire les temps de garde des officiers de police judiciaire dans l'attente des audiences. La livraison de ces nouvelles structures était également prévue pour 2023, et est malheureusement progressivement repoussée.
c) Poursuivre la stratégie de dissuasion
Les interpellations ne peuvent cependant suffire pour faire face à la massification du trafic. Les procédures douanières, judiciaires ainsi que la réponse pénale sont individuelles et pas collectives. Un traitement de masse semble nécessaire, qui ne peut passer que par un renforcement de la politique de dissuasion .
Comme le démontre l'exemple des Pays-Bas, le renforcement des contrôles est fortement dissuasif . La liaison aérienne entre Paramaribo, au Suriname, et Amsterdam a été, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, confrontée au même phénomène avec des passeurs de cocaïne en provenance du Suriname. Face à l'ampleur du trafic, les autorités néerlandaises ont mis en place des contrôles renforcés sur les avions en provenance du Suriname ( politique dites de « contrôle à 100 % » , car l'ensemble des segments du vol sont contrôlés) ainsi qu'une « blacklist » permettant de refuser l'embarquement à toute personne déjà interpelée avec de la cocaïne. Selon l'OFAST, ce dispositif aurait permis de diminuer significativement le nombre de passeurs en provenance de Paramaribo interpellés à l'aéroport d'Amsterdam entre 2012 et 2017 (de 404 interpellations à 156). L'aéroport d'Orly, qui accueille la quasi-totalité des vols directs de Cayenne vers l'Europe (à l'exception, en haute saison, de quelques vols opérés par Air France qui arrivent ponctuellement à Roissy-Charles de Gaulle), devrait à terme s'aligner sur le processus mis en place entre Paramaribo et Amsterdam. La mission considère que l'effet dissuasif d'un contrôle de tous les passagers sur un moins un des vols hebdomadaires, qui changerait chaque semaine, complété par une communication appuyée à ce sujet en Guyane, serait réel . Certes, il s'agit d'un défi au regard des infrastructures aéroportuaires actuelles. Mais l'absence de contrôle systématique des passagers constitue un véritable « trou dans la raquette ».
L'installation des scanners à ondes millimétriques à l'aéroport de Cayenne devrait renforcer cette dissuasion . De même, la mise en place d' opérations de contrôle hebdomadaires aux abords de l'aéroport avec des équipes cynophiles mutualisées entre la police et la gendarmerie s'avère particulièrement dissuasive. En complément, des appels téléphoniques sont passés en amont du vol aux supposés passeurs de cocaïne, sur la base des ciblages préalables effectués par les services des douanes. Ce type d'opérations pourrait être intensifié.
Par ailleurs, lors du déplacement de la mission à l'aéroport d'Orly, les douanes ont indiqué que l'ensemble des segments des vols étaient contrôlés lors des arrivées en provenance de Cayenne . L'ensemble des bagages est ainsi passé au scanner et devant les équipes cynophiles. Des actions de communication gagneraient à être réalisées afin que ces actions soient mieux connues, notamment en Guyane.
Enfin, les arrêtés préfectoraux de refoulement ont démontré leur efficacité et doivent être maintenus . Ils participent de la pression qu'il faut mettre sur les organisations criminelles. Ils sont toutefois aujourd'hui pris sur le fondement de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, qui prévoit que « la police municipale est assurée par le maire, toutefois : [...] 3° Le représentant de l'État dans le département est seul compétent pour prendre les mesures relatives à l'ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, dont le champ d'application excède le territoire d'une commune ».
Si cette appréciation a été validée par le tribunal administratif de Cayenne, la base législative de ces arrêtés reste fragile . Il pourrait donc être envisagé de permettre explicitement au préfet de prendre de tels arrêtés.
2. Viser l'allègement des procédures et la recherche d'efficacité
a) Employer chaque administration « au mieux de ses capacités »
Si la détection des mules n'est pas la principale difficulté, les suites à donner à leur interpellation en aval de la procédure douanière constituent un enjeu majeur . Le coeur de métier de la douane est la recherche des marchandises litigieuses, par la fouille des personnes et de leurs bagages. Un schéma relativement simple de ce qui devrait être peut être ébauché :
- dans les cas simples , la procédure douanière a pu permettre de mettre en lumière l'ensemble des éléments de l'enquête. La personne doit donc pouvoir être remise à la justice sans que cela nécessite une poursuite de l'enquête administrative.
- dans les cas plus complexes ( in corpore , mineurs ou soupçon d'éléments permettant de remonter un réseau), les passeurs de cocaïne doivent être remis à un OPJ afin que l'enquête puisse se poursuivre. Deux cas pourraient là encore être distingués : un premier niveau d'OPJ pourrait traiter les flux , tandis qu' un second niveau d'OPJ traiterait les cas plus complexes (les personnes impliquées dans les réseaux, voire les têtes de réseaux, ou les personnes accompagnant d'autres passeurs de cocaïne).
Il importe pour ce faire d'utiliser l'ensemble des possibilités offertes par le dispositif législatif, afin d'utiliser la procédure la plus adaptée. Aujourd'hui, lorsqu'un passeur de cocaïne est appréhendé par la douane, la retenue douanière est suivie d'une garde à vue lorsque le passeur est remis à un officier de police judiciaire, alors même que la procédure douanière a pu permettre de mettre en lumière l'ensemble des éléments intéressants du dossier. Le séquençage entre procédure douanière et procédure judiciaire n'est actuellement pas adapté au traitement d'un phénomène de masse comme celui des passeurs guyanais .
Deux possibilités existantes devraient être davantage utilisées :
- la réalisation de la procédure douanière sur le seul fondement de l'article 60 du code des douanes . Cet article prévoit un droit de visite général, qui permettrait aux agents des douanes de notifier aux passeurs de cocaïne des délits d'importation en contrebande de produits stupéfiants 37 ( * ) avec saisie des marchandises, sans placement en retenue douanière.
L'utilisation d'une telle procédure simplifiée, qui implique de poursuivre le passeur sur la seule base de l'infraction douanière, devra cependant se faire dans les limites posées par la Cour de cassation à l'occasion de son arrêt du 18 mars 2020 : l'audition libre de l'article 67 F du code des douanes ne peut avoir lieu au cours de l'exercice du droit de visite de l'article 60 lorsqu'il s'accompagne d'une mesure de contrainte 38 ( * ) ;
- la procédure de convocation par agent des douanes introduite par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui n'a pas encore été pleinement saisie par le ministère public. Le parquet de Cayenne envisage de recourir à ce dispositif à court terme. Cela permettrait d'alléger la procédure, en évitant la saisine systématique des services de police, avec autant de placement en garde à vue et de déferrements.
Ces deux procédures pourraient, dans les cas les plus simples, être combinées .
Lors des auditions a été évoquée à plusieurs reprises la possibilité de dissocier la saisie des stupéfiants et la poursuite des mis en cause . Un tel régime s'applique déjà en haute-mer en cas de découverte de produits stupéfiants. Aussi l'idée serait de permettre, dans certaines hypothèses, de saisir la cocaïne trouvée dans les bagages, sans déclencher la conduite immédiate de son propriétaire aux officiers de police judiciaire. Une telle évolution constituerait toutefois un signal très négatif vis-à-vis de la population , pour qui les questions de sécurité restent très sensibles, et vis-à-vis des passeurs , qui feraient sans doute davantage l'objet de mesures de rétorsion. Une réflexion sur l'échelle des peines devrait également être menée.
b) Améliorer la coordination entre les services
Les différents acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants assurent , service par service, une coordination entre leurs implantations en Guyane et celles dans l'Hexagone .
Au sein de la gendarmerie, les informations sont échangées directement entre les services d'investigation, dans le cadre de simples demandes ou dans le cadre de co-saisines, qui permettent la réalisation d'actions simultanées en Guyane et dans l'Hexagone. La structure intégrée de la gendarmerie est en cela un atout.
Les services douaniers de Guyane transmettent, quant à eux, quotidiennement les ciblages réalisés sur place aux services situés dans l'Hexagone. Ces derniers sont ainsi en mesure de mener des contrôles à l'encontre des passagers ciblés ayant embarqué sans avoir subi de contrôles au départ de Cayenne. Ces contrôles sont alors assurés à Orly, lors de l'arrivée du vol. Toutefois, compte tenu du nombre de passeurs présents dans les vols, il arrive parfois que certains passagers ciblés puissent franchir les filtres sans subir de contrôle. Les douanes ont donc mis en place une cellule nationale spécialisée sur le vecteur terrestre et ferroviaire, qui a pour ambition de suivre le trajet des passeurs et de déterminer le moyen de transport emprunté (train, bus, co-voiturage, etc.). Ce même travail est réalisé lors du voyage retour, les passeurs étant alors susceptibles de convoyer de l'argent issu du trafic.
Outre cette coordination entre la Guyane et l'Hexagone, gagner en efficacité nécessite d'améliorer la coordination entre les différents acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants, notamment à l'aéroport Félix Éboué .
Le groupe local de traitement de la délinquance, mis en place par le préfet et le procureur de Guyane, travaille ainsi à l'établissement d'un nouveau contrat opérationnel visant à améliorer la coordination locale des services afin de renforcer leur complémentarité.
Les différents services ont également tous évoqué la possibilité de créer, au sein du détachement de l'OFAST, une cellule de coordination de la lutte contre le trafic de stupéfiants au sein de l'aéroport .
Les rapporteurs adhèrent pleinement à la nécessité de mieux coordonner les actions des différents services. Avant de multiplier les structures, ils considèrent toutefois que les nouvelles structures, notamment la cellule de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROS) qui a été mise en place au début de l'été 2020, devront être évaluées pour voir s'il est nécessaire de créer une nouvelle instance ou s'il peut être envisagé d'élargir les missions des structures existantes. Au sein de la CROS en effet, l'amélioration de la coordination opérationnelle repose sur une instance de pilotage renforcé associant, au niveau territorial, l'ensemble des services de police, de gendarmerie et de la douane et permettant un partage de l'information entre tous les acteurs et une meilleure prise en compte des dossiers d'enquête. Cette cellule a une vocation large, puisqu'elle suivra l'ensemble du trafic de stupéfiants en Guyane et non pas uniquement le phénomène des passeurs transportant de la cocaïne à destination de l'Hexagone. Il pourrait donc être envisagé de créer en son sein une structure spécifiquement chargée de coordonner l'action des différents services à l'aéroport. Cela nécessiterait un abondement en personnel estimée par la police à trois effectifs (un policier, un douanier et un gendarme).
Enfin, il est à souligner que certains aménagements opérés au sein de l'aéroport Félix Eboué par la CCI Guyane, gestionnaire du site, dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants mobilise financièrement la chambre. Considérant la part importante que représente le trafic de drogue en provenance de Guyane au niveau de la France, la mission considère qu'un soutien financier substantiel devrait être apporté à l'aéroport de Cayenne au titre du plan national de lutte anti-drogue.
c) Réduire les délais de traitement
Les acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants l'ont tous souligné, la principale difficulté est la saturation de leurs forces du fait des personnels nécessaires au traitement d'un seul passeur . Les transfèrements représentent à cet égard une proportion non négligeable du « temps fonctionnaire » consacré à la lutte contre le trafic de stupéfiants. Cela s'explique par les distances à parcourir, de Saint-Laurent-du-Maroni jusqu'à Cayenne, ou de l'aéroport jusqu'aux chambres médicalisées ou aux tribunaux.
Les transfèrements sont ainsi à l'origine de tensions entre les services , tant en Guyane que dans l'Hexagone. Les douaniers considèrent que cela ne relève pas de leur coeur de métier, tandis que les services de police et de gendarmerie estiment que cette mission obère leur capacité à traiter leurs autres missions (sécurité publique et orpaillage illégal à Saint-Laurent-du-Maroni, par exemple). Le temps dédié aux transfèrements est en effet conséquent, et ce pour l'ensemble des services. Comme le souligne Gil Lorenzo, sous-directeur des affaires juridiques et de la lutte contre la fraude, jusqu'à la création de l'antenne de l'OFAST à Orly, les douaniers devaient convoyer les personnes interpellées jusqu'à Roissy, ce qui est encore le cas lorsque l'antenne de l'OFAST est saturée. Les douaniers réalisent également le convoyage jusqu'à l'Hôtel Dieu lorsque les passeurs ont de la drogue in corpore . L'ensemble de ces remises a nécessité le parcours de 22 000 km et un temps de transport des escouades douanières de l'ordre de 1 800 heures en 2019.
Réduire ces temps de transport est donc une priorité . S'ils peuvent être limités pour certaines procédures, ils sont incompressibles dans d'autres cas. Les réduire nécessite donc de rapprocher les différents lieux de traitement des passeurs de stupéfiants.
Le plus efficace consisterait sans doute à suivre le modèle mis en place autour de l'aéroport de Schiphol, aux Pays-Bas, où un véritable complexe dédié au traitement des « mules » a été construit . Là, les chambres carcérales médicalisées et le tribunal sont présents sur place, réduisant d'autant les délais de traitement et l'embolisation progressive des services. Cette stratégie est fortement dissuasive, en ce qu'elle permet un traitement des affaires quasi en temps réel. C'est elle qui explique en partie les phénomènes de report du trafic depuis l'aéroport de Paramaribo vers celui de Félix Éboué.
Plusieurs évolutions pourraient être ainsi envisagées en France :
En Guyane, outre la con struction d'une cité judiciaire à Saint-Laurent-du-Maroni qui permettra d'éviter aux acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants d'amener les passeurs jusqu'à Cayenne, la construction de chambres carcérales médicalisées plus proches de l'aéroport constituerait un gain de temps certain. Une localisation proche du centre de rétention administrative, situé sur la route allant vers l'aéroport, a ainsi été évoquée. Cela nécessiterait toutefois l'installation d'équipes médicales sur place. À court terme, quatre nouvelles chambres de ce type, prévues dans les accords de Guyane de 2017, devraient finalement être livrées au second semestre de l'année 2020 au centre hospitalier de Cayenne.
La création d'un véritable complexe médico-judiciaire devrait être envisagée à l'aéroport d'Orly . La mise en place de chambres carcérales médicalisées, en particulier, pourrait être réfléchie. Les gains nets en temps fonctionnaire devraient toutefois être évalués, car le temps gagné sur les transfèrements seraient peut être perdus par des temps de garde supplémentaires 39 ( * ) .
Par ailleurs, les transfèrements sont aujourd'hui réalisés dans les véhicules des services de police ou de la douane, y compris lorsque les passeurs transportent de la cocaïne in corpore . Dans ce dernier cas, il pourrait toutefois être envisagé que ces personnes soient transportés en véhicule médicalisé.
3. Renforcer l'action structurelle contre les réseaux et les filières
a) Renforcer les échanges d'informations entre les services
Dans le cadre du plan gouvernemental de lutte contre le trafic de stupéfiants présenté en septembre 2019, des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROS) devraient être mises en place dans tous les départements avant fin 2020. Celle de Guyane a vu le jour le 1 er juillet 2020.
La création de ces structures devrait permettre de favoriser l'identification et le démantèlement des réseaux guyanais, ainsi que la prévention de la résurgence des trafics. Pour ce faire, les échanges d'information entre les services devront être améliorés. Ces cellules auront aussi pour rôle de définir le choix du traitement des cas (administratif ou judiciaire), ce qui permettra une meilleure coordination de l'action des acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants.
b) Renforcer l'action des différents services dans la lutte contre les réseaux et le blanchiment
Les différents acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants doivent concentrer leur action sur le démantèlement des réseaux, seul à même de mettre un frein au trafic .
La gendarmerie , qui dispose d'une brigade de recherche à effectifs renforcés dans l'ouest guyanais, mène des investigations sur cette zone particulièrement impactée par le trafic de stupéfiants - mais également par d'autres problématiques, comme la logistique de l'orpaillage illégal par exemple. La structure intégrée est en cela un avantage, car elle permet de mener des enquêtes sur l'ensemble de la structure du réseau, de Saint-Laurent-du-Maroni aux villes province de l'Hexagone.
Les douanes disposent également d'un service de renseignement à compétence nationale, qui se concentre notamment sur les flux financiers issus du trafic de cocaïne en lien avec les filières guyanaises . Les schémas de blanchiment sont bien structurés : des réseaux spécialisés ont pris en main ce type de trafic. La douane mène donc des opérations visant à comprendre le fonctionnement des réseaux de fraude, à détecter les complicités, et à appréhender les flux financiers illicites. La douane dispose en effet d'une expertise unique sur le transport de capitaux, par le prisme du blanchiment douanier.
À titre d'exemple, lors des deux opérations interministérielles de renforcement des contrôles conduites sur deux fois trois mois, 20 affaires portant sur des flux financiers illicites ont été mises à jour, pour un montant total de 404 242 euros. Six de ces vingt affaires ont été relevées en Guyane, pour un montant de 87 800 euros. Ainsi, en Guyane, les opérations portant sur les flux financiers illicites relatifs au trafic de stupéfiants ont donné les résultats suivants :
Blanchiment |
2017 |
2018 |
2019 |
Nombre de contentieux |
6 |
14 |
7 |
Montants saisis ou retenus |
83 275 € |
223 136 € |
125 880 € |
Source : direction régionale des douanes de Guyane
La douane n'a toutefois pour l'instant pas relevé de lien entre trafic de stupéfiants et orpaillage illégal, alors qu'il pourrait s'agir d'un moyen de blanchir l'argent de la drogue.
Les actions de lutte contre le blanchiment et de saisie des avoirs criminels doivent constituer une priorité de la lutte contre le trafic de stupéfiants. La fragilisation des réseaux passe par la multiplication des saisies et l'affaiblissement des circuits logistiques de blanchiment.
c) Réorienter l'OFAST sur le démantèlement des réseaux
L'OFAST, service qui devrait être centré sur le démantèlement des réseaux, est aujourd'hui trop centré sur le traitement quantitatif des passeurs de cocaïne . À titre d'exemple, le détachement de l'OFAST en Guyane traite plus de 80 % du volume total des remises des passeurs découverts par la douane et la police aux frontières sur le territoire guyanais, ainsi que l'ensemble du contentieux relatif au trafic de stupéfiants. En 2019, le détachement a assuré 455 déferrements, soit près de la moitié de l'ensemble des déferrements effectués au tribunal judiciaire de Cayenne. Faute de dépôt au sein de ce tribunal, les escortes représentent en 2019 plus de 2 300 heures, soit 290 journées de travail. Ce service, du fait du nombre de personnes qui lui est remis, se trouve rapidement engorgé. Cela impose parfois aux services de la douane soit de garder les personnes interpellées au-delà de la procédure douanière, soit de lever temporairement leur dispositif de contrôle.
Dans l'Hexagone, l'OFAST est également le service de remise le plus sollicité. Le protocole interministériel du 27 mars 2019 fait en effet de l'OFAST le service de remise désigné pour les affaires au-delà de 2 kg de cocaïne, pour toutes les affaires de stupéfiants in corpore et en cas d'éléments d'extranéité. La remise de tous les infracteurs à un service unique provoque cependant parfois un engorgement du service, préjudiciable au traitement des flagrances. Par ailleurs, l'organisation de l'antenne de l'OFAST à Orly interdit les remises entre 22 heures et 8 heures, ce qui conduit parfois les services douaniers à devoir prolonger la retenue douanière sans justification procédurale.
Cette situation pénalise les capacités d'initiative de ces structures spécialisées dans le démantèlement des réseaux de stupéfiants.
Au niveau guyanais, plusieurs solutions alternatives peuvent être proposées afin de ne remettre à l'OFAST que les personnes pour lesquelles des éléments permettent de suspecter la possibilité de démanteler un réseau :
- à court terme, le groupe local de traitement de la délinquance travaille actuellement à un nouveau contrat opérationnel qui devrait être établi avec les services de police et de gendarmerie, visant notamment à orienter l'action des services spécialisés comme l'OFAST sur le traitement des commanditaires et non celui des passeurs. Cela conduira potentiellement à permettre la remise de certains passeurs à des policiers ;
- dans la même veine, l'antenne de l'OFAST n'a pas été rattachée à la direction territoriale de la police nationale lors de sa création en janvier dernier. Le directeur territorial a regretté cette situation, indiquant que le rattachement précédent de l'antenne de l'OFAST à la police judiciaire permettait une mutualisation des moyens matériels et humains. La mission considère qu'à l'issue d'un premier bilan du fonctionnement de la direction territoriale de la police nationale, il pourrait être envisagé d'y rattacher l'OFAST afin de permettre au détachement de se concentrer sur les enquêtes en déléguant les transfèrements à d'autres personnels de la police.
- plus structurellement, il pourrait être envisagé de créer au sein de l'OFAST une équipe de quelques personnes dédiée au flagrant délit mules au sein de l'aéroport, les OPJ de l'OFAST ne s'occupant que des cas plus complexes .
Par ailleurs, le recours à des procédures simplifiées, notamment les procédures exclusivement douanières, permettra également de libérer du temps d'enquête pour les antennes de l'OFAST sur le territoire, alors même qu'elles sont aujourd'hui, comme le regrette Stéphanie Cherbonnier, responsable de l'OFAST, « quasiment exclusivement mobilisées sur le traitement des suites de procédures douanières, sans développement procédural ultérieur ».
Afin de favoriser la coordination entre les différents services ainsi que la conduite des enquêtes par l'antenne locale de Guyane de l'OFAST, il pourrait être envisagé d' intégrer un douanier à cette structure , actuellement composée exclusivement de policiers et de gendarmes.
Dans l'Hexagone, les remises à l'OFAST sont moins systématiques, mais conduisent tout de même à un volume de traitement de flagrance non négligeable. La responsable de l'OFAST a indiqué à l'occasion de son audition qu' un nouveau groupe devrait être créé à Orly en 2022 afin de prendre en compte le contentieux .
B. METTRE DAVANTAGE L'ACCENT SUR LA PRÉVENTION ET LA RÉINSERTION
1. Développer une politique de prévention ambitieuse et adaptée aux réalités guyanaises
La politique de prévention constitue le « parent pauvre » de la lutte contre le phénomène des passeurs de stupéfiants en provenance de Guyane.
Son amélioration passe, tout d'abord, par une meilleure connaissance du contexte social dans lequel intervient le passage à l'acte , ainsi que du profil des personnes. Cette connaissance permet de calibrer les messages afin de sensibiliser au mieux les publics visés aux risques encourus (sanitaires, pénaux) et aux solutions alternatives (connaissance et accès aux dispositifs d'insertion, notamment).
La mission estime qu'il est également important que les publics visés participent à la conception des actions de prévention , puisqu' « en les impliquant dans cette phase de construction, les outils de prévention auront davantage de chance de toucher effectivement les jeunes et de voir leur objectif atteint. Pour concevoir des actions de prévention du phénomène des mules adaptées, il est ainsi indispensable de prendre au sérieux l'expérience des jeunes, depuis la conception de l'action jusqu'à sa mise en oeuvre effective » 40 ( * ) . À cet égard, divers interlocuteurs de la mission d'information ont proposé l'intervention de « mules » repenties.
Afin d'améliorer le ciblage de ces actions, il conviendrait de les étendre à la famille et à l'entourage, potentiels recruteurs ou référents en cas de problèmes financiers.
De même, le phénomène prenant ses racines dès l'enfance , la mission estime que des actions doivent être menées avant le lycée (les actions actuelles sont principalement destinées aux plus de quinze ans), auprès de jeunes enfants, avant qu'ils ne soient approchés par d'éventuels recruteurs. Le recours à des actions en dehors du cadre scolaire a également pour avantage de toucher les jeunes déscolarisés 41 ( * ) . Par ailleurs, il semble également important d'adapter le contenu des actions aux publics visés, avec des actions en langues régionales, notamment bushinenguées.
Au-delà de ces pistes d'amélioration, la mission rejoint la préoccupation de l'Agence Phare, visant à promouvoir l' « horizontalité » lors des actions de prévention menées . À cet égard, Mme Hélène Commerly, directrice des services de l'AKATIJ, estime que la présence de la douane, des forces de l'ordre et des représentants des SPIP constitue une plus-value, même si l'uniforme peut accroître la distance avec l'auditoire.
L'étude menée par l'Agence Phare et divers acteurs associatifs auditionnés par la mission mentionnent un manque majeur de dispositifs de protection des personnes impliquées dans le trafic de cocaïne en tant que mule (ou sollicitées pour y participer). « Il n'existe aucune instance (ou lieu ressource) pour des personnes qui sont entrées dans le processus mais souhaiteraient en ressortir, pour des personnes dont des proches sont impliqués et souhaiteraient leur venir en aide, pour des personnes impliquées qui souhaiteraient sortir du trafic, ou encore pour des personnes sollicitées à plusieurs reprises pour faire le voyage et qui se trouveraient en situation d'envisager cette solution au regard de leur situation économique et sociale 42 ( * ) » La mission d'information estime donc également primordial de mettre en place ce type de structure, dans l'Ouest guyanais notamment, afin de ne pas proposer qu'une réponse répressive ou judiciaire à des personnes qui demandent de l'aide pour s'extraire de ce phénomène.
La mission a pu constater que la plupart des acteurs associatifs faisaient de leur mieux pour prendre en compte ces divers points. Ils souffrent toutefois d'un manque de soutien, qui se manifeste notamment par l'insuffisance des financements et surtout d'une réelle politique de coordination.
À cet égard , les 90 000 euros annuellement destinés au financement des actions de lutte contre les stupéfiants en Guyane apparaissent insuffisants , comme le démontre l'exemple des projets portés par l'association Trop Violans n'ayant pas pu être menés à bien. Au regard des enjeux locaux mais également de la part importante que représente le trafic en provenance de Guyane au niveau national, les rapporteurs considèrent qu'une augmentation substantielle des crédits alloués à la prévention en Guyane pourrait être envisagée.
La coordination des différents acteurs de la prévention apparaît comme quasi-inexistante, alors qu'elle est souhaitée par ces derniers . Comme l'a indiqué à la mission d'information Mme Emilie Grand-Bois, présidente d'APAMEG, « il conviendrait de mettre en place une plateforme, qui piloterait tous les axes mis en place, évitant ainsi de disperser les actions et les financements [...] En l'état, on brasse de l'air et on n'a pas une démarche collective suffisamment constructive ». Le rôle de référent départemental de la MILDECA tenu par le directeur de cabinet du préfet apparaît en effet trop tourné vers la gestion opérationnelle des financements, via les comités techniques et les comités de pilotage, et n'assume pas la fonction de coordination et d'impulsion en matière de prévention aujourd'hui clairement déficitaire en Guyane. À cet égard, la mission d'information plaide pour qu'une mission de coordination de la politique de prévention du phénomène des mules soit clairement confiée au préfet, avec l'appui de la collectivité territoriale de Guyane, par le Gouvernement.
2. Encourager la formation et l'insertion professionnelle des jeunes guyanais
La mission d'information estime également que le développement d'alternatives au trafic de stupéfiants constitue un prérequis indispensable à l'endiguement du phénomène. Le développement, de manière générale, de l'offre de formation (collèges, lycées, CFA) dans les communes enclavées de l'intérieur et à l'Ouest du département doit donc constituer une priorité majeure du territoire.
Les dispositifs d'aide à l'insertion, qui sont aujourd'hui largement insuffisants, doivent être encouragés. Comme dans chaque département, la Mission locale y propose divers dispositifs directement destinés à la jeunesse, susceptibles de constituer des alternatives aux éventuels candidats au « voyage » (accueil, information, orientation et aide des jeunes en démarche d'insertion professionnelle et sociale). La Mission locale de Guyane met également en oeuvre des dispositifs spécifiquement axés sur la prévention du phénomène des passeurs de stupéfiants.
La contribution de la Mission locale de Guyane à la politique de prévention La mission locale fait de la prévention sur le phénomène des mules auprès des jeunes à travers de différents projets: • Action concours sur une campagne de communication de prévention qui a donné lieu à une diffusion d'un message de prévention créé par les jeunes ; • Diffusion d'un court métrage « le goût du calou » sur le parking de la mission locale et dans les quartiers QPV de Cayenne/Macouria/Rémire/St Laurent • Ateliers Santés sur le sujet des stupéfiants en général ; • Le directeur de la mission locale participe à un comité de pilotage de prévention de transport de stupéfiants animé par le rectorat- échanges de pratiques - présentation d'outils- mutualisation de ressources pour faire de la prévention. • Lorsque les jeunes confient aux conseillers qu'ils font ou envisagent de faire du transport de stupéfiants, la Mission locale engage tous les moyens pour accélérer leur entrée dans un dispositif de prévention afin de lui proposer une alternative au trafic. Source : Mission locale de Guyane |
M. Jean-Raymond Passard, directeur de la mission locale de Guyane estime toutefois que « les moyens ne sont pas suffisants aux regards des besoins. Nos réponses ne sont pas à la hauteur de l'enjeu de la jeunesse en Guyane : décrochage - formation - accompagnement à l'emploi. Nous devons multiplier notre capacité à accueillir un plus grand nombre de jeunes en proximité des bassins de vie. Il nous faut aussi plus de ressources humaines en conseillers pour faire face à ces multiples besoins et des ressources complémentaires pour lever les freins sociaux des bénéficiaires. Un plan d'investissement pluriannuel doit être engagé pour multiplier les structures physiques d'accueil. ». Le nombre de jeunes accompagnés, de 3 600 par an 43 ( * ) , dont 2 750 nouveaux chaque année est élevé, mais est à rapprocher des 24 200 jeunes qui ne sont ni en emploi ni en formation que compte le territoire.
Le service militaire adapté (SMA), dont le taux d'insertion dans l'emploi de 76 % démontre l'efficacité 44 ( * ) , constitue également un levier important d'insertion socioprofessionnelle pour la jeunesse guyanaise . Il met également en oeuvre des actions de prévention « sous l'angle de la dissuasion, en partenariat avec la gendarmerie nationale », ainsi que « sous l'angle de la conviction » en faisant par exemple intervenir M. Marvin Yamb, réalisateur du court-métrage « Le goût du Calou ».
Le rôle et le fonctionnement du régiment du Service militaire adapté de Guyane Le RSMA de la Guyane (RSMA-Guyane) a pour mission de faciliter l'insertion socioprofessionnelle des jeunes Français de 18 à 25 ans résidents en Guyane parmi les plus éloignés du marché de l'emploi, sous réserve qu'ils soient volontaires et aptes médicalement à leur parcours de formation en milieu militaire. A cet effet, il met en oeuvre deux modes d'action distincts : - un appui à l'insertion par une formation sociale et professionnelle pour les volontaires stagiaires (VS) ; - un appui direct à l'emploi par une expérience professionnelle, formatrice et éducatrice, pour les volontaires techniciens (VT). En renfort des forces armées, en qualité d'unité militaire, le RSMA-Guyane peut également prendre part à l'exécution des plans d'urgence et de secours au profit des populations. A ce titre, il est intervenu à St-Martin en 2017 suite au passage du cyclone Irma. Depuis mars 2020, dans le cadre de la crise sanitaire en cours liée à la COVID-19, il est pleinement engagé sur le volet logistique de l'opération « Résilience ». Source : RSMA de Guyane |
Il accueille pour sa part un nombre de bénéficiaires légèrement supérieur à 700 volontaires, ce qui ne constitue que 14 % d'une classe d'âge chaque année, ce qui reste inférieur à la plupart des autres territoires ultramarins 45 ( * ) , lesquels connaissent, à l'exception de Mayotte, un dynamisme démographique moindre.
La mission d'information plaide donc pour un renforcement des dispositifs d'insertion socioprofessionnelle en Guyane, Mission locale et SMA 46 ( * ) , qui apparaissent sous-dotés au regard de la démographie et des difficultés du territoire, ainsi que des organismes de formation classiques. Cette recommandation, qui dépasse très largement le seul cadre de la politique de prévention du phénomène des passeurs de stupéfiants, vise à limiter les déséquilibres structurels qui l'alimentent. Ces dispositifs constituent en outre d'excellents vecteurs des messages de prévention.
3. Favoriser une politique pénale tournée vers la réinsertion socio-professionnelle
Si elle considère que les peines prononcées à l'encontre des passeurs doivent rester exemplaires et dissuasives, la mission estime que la politique pénale doit impérativement être tournée vers la réinsertion des personnes condamnées 47 ( * ) .
De manière générale, la mission plaide pour une plus grande individualisation des peines , qui doit être décorrélée de la quantité de marchandise transportée et davantage adaptée au profil des individus (primo-délinquance, place dans le réseau, etc.). Certains représentants de l'autorité judiciaire ont ainsi indiqué que des peines suivant schématiquement le modèle « un an d'emprisonnement par kilogramme transporté » avaient été prononcées, ce qui constitue, aux yeux de la mission, une politique pénale inadaptée au phénomène.
Lorsque des peines en milieu fermé, qui ne doivent pas être systématiques, sont prononcées, le recours à des peines mixtes tournées vers la réinsertion doit être privilégié. Comme l'ont relevé divers représentants associatifs et magistrats, les sorties « sèches » constituent la pire option , et mènent « soit au réseau, soit à d'autres activités illicites, comme la prostitution » (association Aurore). Pour les éviter, Mme Catherine Pignon, directrice des affaires criminelles et des grâces a rappelé que « la nouvelle loi de programmation et de réforme pour la justice 48 ( * ) permet aux juges de prononcer de nouvelles catégories de peines dans ce souci de réinsertion, qui apparaissent particulièrement adaptés au profil des mules, qui se caractérise par une multitude de problématiques et facteurs de risques de récidive (éducation, contexte socioéconomique, absence de lien relationnel), pointés par l'étude de Mme Guéda Gadio, dont nous avons eu connaissance ». À cet égard, le nouvel article 132-41-1 du code pénal créé un sursis probatoire renforcé , applicable « lorsque la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l'auteur d'un crime ou délit puni d'une peine d'emprisonnement et les faits de l'espèce justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu ». Dans un tel cas, particulièrement adapté aux passeurs, « la juridiction peut décider que le sursis probatoire consistera en un suivi renforcé, pluridisciplinaire et évolutif , faisant l'objet d'évaluations régulières par le SPIP, afin de prévenir la récidive en favorisant l'insertion ou la réinsertion de la personne au sein de la société. » La peine de détention à domicile sous surveillance électronique (article 131-4-1 du code pénal), enrichie d'un accompagnement sanitaire ou social, ainsi que le recours à l'article 723-15 du code de procédure pénale permettant une continuité de l'accompagnement par le SPIP en milieu fermé et en milieu ouvert constituent également des dispositifs adaptés.
Ces dispositifs devront donc faire l'objet d'une pleine appropriation par les juridictions. Le principal obstacle reste lié au manque de ressources disponibles pour les faire exécuter, et à la force du tissu associatif et des SPIP.
Afin d'optimiser leur temps de détention, ces détenus doivent être prioritaires dans l'orientation et l'intégration vers les dispositifs internes à la détention (travail, scolaire, formation professionnelle...), et également vers l'ensemble des partenaires du SPIP. Le SPIP du Val-de-Marne indique ne pas être suffisamment outillé pour mettre en place un suivi individualisé pleinement adapté à ce public. À cet égard, la mission estime nécessaire la mise en place d'une formation des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation sur le contexte culturel, géographique, sociologique des mules et des réseaux opérant en Guyane, qui leur permettrait de mieux appréhender l'ensemble des spécificités liées à cette population et à son territoire. La création d'un poste de référent Mission locale et Pôle emploi au sein de la maison d'arrêt de Fresnes, dont le champ de compétences serait la prise en charge personnalisée de ce public, apparaît également souhaitable. En Guyane, il est impératif qu'une réponse à l'absence de financement de la formation professionnelle en prison soit trouvée à brève échéance.
Les liens entre les associations franciliennes et celles implantées en Guyane menant des actions de réinsertion, comme l'AKATIJ, sont inexistants . De ce point de vue, la future structure de coordination devra impérativement intégrer un volet réinsertion incluant les associations prenant en charge des passeurs de cocaïne dans l'Hexagone désireux de se réinsérer en Guyane.
Comme la politique de prévention, la politique de réinsertion ne fait l'objet d'aucune coordination . Si la structure de coordination évoquée supra devra prendre en compte la prévention de la récidive, un rôle de maître d'oeuvre devrait être pleinement dévolu au SPIP de Guyane, avec un renforcement des moyens humains et financiers permettant la concrétisation de dispositifs adaptés aux spécificités de ce public.
De manière plus générale , la mission estime que le lieu d'incarcération devrait être déterminé en fonction du projet de réinsertion, et non du lieu d'interpellation comme c'est aujourd'hui le cas. Le transfèrement des détenus incarcérés à Fresnes et ayant un projet de réinsertion crédible en Guyane devrait à cet égard être rendu possible. De même, l'ouverture d'un centre pénitentiaire à Saint-Laurent du Maroni, dont la livraison est prévue en 2025, pourrait constituer un élément favorable à la réinsertion des publics souhaitant rester dans l'Ouest guyanais.
Enfin, la mission d'information estime qu'une réflexion doit être menée sur la pertinence des amendes douanières . Ces amendes étant calculées en fonction de la quantité et de la valeur des produits stupéfiants transportés, elles ne laissent aucune place à une individualisation de la peine prononcée. Leur paiement peut, en outre, constituer un mobile de récidive.
C. RENFORCER LA COOPÉRATION INTERNATIONALE
1. Intensifier notre coopération régionale en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants
La coopération conduite par la France dans la région Amérique-Caraïbes en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants comporte un volet policier et un volet militaire.
Le volet policier est porté par la direction de la coopération internationale du ministère de l'intérieur . Il s'appuie notamment sur un maillage de onze services de sécurité intérieure (SSI) placés auprès des ambassades dans la zone Amériques, en particulier, pour le nord de la zone Caraïbe, un poste à Cuba et un autre en Haïti, ainsi qu'une antenne en République Dominicaine. Dans la zone Caraïbe sud, le dispositif comporte un service de sécurité intérieure à Caracas et un autre à Bogota. La mission estime à cet égard que, compte tenu de la problématique du trafic de cocaïne avec la Guyane, la création d'un poste d'attaché de sécurité intérieure auprès de l'ambassade de France au Suriname serait particulièrement opportune.
La coopération policière s'appuie sur divers programmes comme le programme IGUANA, soutenu par la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) et qui promeut des projets de lutte contre les stupéfiants dans les pays concernés.
Le volet militaire est assuré par les forces armées aux Antilles (FAA) , composées de 1 100 militaires, qui font partie des forces de souveraineté françaises. Les FFA constituent un dispositif interarmées à dominante aéromaritime de premier plan dans la région, en coordination avec les forces armées en Guyane (FAG) avec lesquelles elles partagent la zone de responsabilité permanente (ZRP) Amérique latine - Caraïbes, d'une taille équivalente à deux fois la surface de la mer Méditerranée.
Leurs missions en matière de lutte contre le narcotrafic en mer sont assurées en coordination avec l'agence interministérielle de lutte contre le narcotrafic aux USA (la Joint InterAgency Task Force-South) dans les missions relevant de l'action de l'Etat en mer (sauvegarde maritime, surveillance générale en mer, police des pêches, police judiciaire, etc.). La base navale implantée à Fort-de-France accueille des frégates de surveillance et un patrouilleur. Le cas échéant, elles sont en mesure de conduire, d'appuyer ou de participer à un déploiement opérationnel.
La MILDECA assure la coordination des initiatives françaises au plan international . Alors que l'action internationale de la France était auparavant éclatée et qu'il n'existait pas de vraie cohérence en la matière, la MILDECA, avec ses partenaires bénéficiaires du fonds de concours «drogue», cherche désormais à fixer des priorités concertées pour éviter toute action isolée. Cette coordination fonctionne tant avec les pays concentrant la production (Colombie, Pérou, Bolivie) qu'avec les pays de transit (Brésil, Équateur). S'il reste beaucoup de marges de progression au regard de l'ampleur du phénomène, une intensification de la lutte contre le trafic menée par ces pays, notamment sur le vecteur maritime, a pu être constatée.
Par ailleurs, la MILDECA contribue, en lien étroit avec le Secrétariat général des affaires européennes et le ministère des Affaires étrangères, à l'élaboration des positions françaises en matière de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Elle représente la France dans des instances spécialisées de coopération internationale, comme la commission « stupéfiants » de l'ONUDC qui siège à Vienne. A travers l'ONUDC, elle soutient des projets dans les pays tiers, par exemple une action contre le détournement des précurseurs chimiques au Pérou ou encore des projets de développement alternatif en Bolivie.
Enfin, on peut évoquer l'existence d'un programme régional de coopération d'une durée de trois ans mis en place en 2015 et piloté depuis Saint-Domingue, dont l'objectif est l'appui à la lutte contre la criminalité organisée dans la région Caraïbe (ALCORCA ).
Le programme ALORCA Ce programme vise à renforcer la coopération technique entre la République Dominicaine, Haïti, le Mexique, la Jamaïque et Cuba en lien avec les collectivités françaises des Caraïbes. Il créé une plateforme d'échanges entre les pays avec la mise en place de formations adaptées aux besoins de chaque pays et proposées par des experts français, sur des thèmes tels que l'action en mer, la sécurité des aéroports ou le contrôle des conteneurs. Il prévoit le renforcement des capacités nationales et régionales en termes de police et de contrôle maritime, aérien et douanier, par le biais d'ateliers et de formations de personnel. Enfin, il renforce les capacités d'action judiciaire, au travers d'une étude préalable de droit comparé et l'établissement d'un répertoire de bonnes pratiques en matière d'outils normatifs permettant aux pays membres d'accroitre la connaissance mutuelle qu'ils ont de leurs régimes juridiques. En plus de la coordination entre les services nationaux de lutte contre le crime organisé, ALCORCA soutient également des initiatives de la société civile auprès des populations victimes directes ou indirectes du narcotrafic (jeunes, femmes) ainsi que des actions visant à promouvoir la bonne gouvernance et les droits de l'homme. |
2. Renforcer l'application des accords internationaux
En matière de la lutte contre le trafic de stupéfiants, le droit international en vigueur offre des ressources dont l'effectivité reste tributaire de la volonté de coopération des Etats .
Aux termes de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer de 1982, un Etat peut demander l'assistance des autres Parties si un navire battant son pavillon est soupçonné de se livrer à cette activité.
La Convention des Nations unies de 1988 permet une intervention sur un navire battant pavillon d'un Etat partie en haute mer.
L'accord de San José de 2003 renforce, organise, quant à lui, la coopération internationale en vue de la répression du trafic maritime et aérien de stupéfiants et de substances psychotropes dans la région des Caraïbes . Signé par le Costa Rica, les Etats-Unis, la France, le Guatemala, Haïti, le Honduras, le Nicaragua, les Pays-Bas et la République dominicaine, il constitue un instrument ambitieux et élaboré, qui offre aux États parties la possibilité d'intervenir sur les navires soupçonnés de trafic de stupéfiants à l'intérieur même des eaux territoriales des autres États Parties, voire de leurs eaux intérieures. Il s'agit, sur le plan des principes, d'une avancée significative, visant notamment à répondre à la problématique des « go-fast », les trafiquants cherchant à échapper aux forces de sécurité en réfugiant dans les eaux territoriales ou archipélagiques de pays peu susceptibles de les poursuivre.
Pour autant, l'exercice de ce droit de poursuite n'est possible que si l'État signataire l'autorise expressément, soit préalablement et de manière générale, ce à quoi qu'aucun Etat ne consent, soit au cas par cas, ce qui est finalement assez rarement le cas. L'ambassadeur délégué à la coopération régionale Antilles-Guyane a évoqué, à cet égard, un « bilan en demi-teinte » de l'accord.
Ainsi, l'application du droit international en la matière reste conditionnée à la bonne volonté des Etats. Or, les attitudes non coopératives ne sont pas rares.
En témoignent par exemple les difficultés de coopération avec le Venezuela. Ainsi, lorsque des « tapouilles 49 ( * ) » immatriculées dans ce pays sont arraisonnées e t rendues à l'État vénézuélien, ces actions ne sont suivies d' aucune suite concrète .
Cela ne doit pas pour autant nous conduire à baisser les bras. Il nous faut au contraire poursuivre nos efforts pour accentuer la lutte contre le trafic de stupéfiants. Cela passe par un resserrement de nos relations avec les pays de la zone Caraïbes et aussi par une présence accrue dans les organisations qui portent la coopération régionale. C'est pourquoi la mission suggère de relancer l'adhésion de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane à la communauté caribéenne (CARICOM) 50 ( * ) au moins avec le statut de membre associé dans un premier temps. À ce jour, aucune suite n'a été donnée à une première tentative.
3. Intensifier la coopération internationale avec le Suriname
Essentielle pour enrayer le trafic de stupéfiants, la coopération avec le Suriname était jusqu'à présent rendue difficile par le contexte politique . En effet, le précédent président surinamais, M. Desi Bouterse, faisait l'objet d'un mandat d'arrêt international pour trafic de stupéfiants. Cette situation a sans doute fait obstacle à une meilleure coopération entre les deux pays alors que, par ailleurs, des tensions existent de longue date entre nos deux pays sur le tracé de la frontière. Le cas de la frontière entre la Guyane française et le Suriname illustre, à cet égard, le mythe des frontières naturelles : le tracé d'un fleuve, le fleuve Maroni en l'espèce, n'est ni intangible ni incontestable, et les îles et les îlots situés au milieu du fleuve, ainsi que la situation juridique des principaux affluents, donnent toujours lieu à un contentieux . Ces tensions ont pu conduire les autorités surinamaises à se montrer peu concernées par le contrôle de leur frontière avec la France.
Les relations bilatérales s'étaient cependant quelque peu améliorées ces derniers temps. En novembre 2017, nos deux pays avaient signé un accord sur la délimitation maritime depuis l'embouchure du Maroni , ainsi qu'une déclaration visant à sécuriser les échanges et la circulation des personnes et des biens. En fixant les limites de compétences maritimes des deux États, l'accord contribue à lutter contre les trafics de toute nature, y compris de stupéfiants.
Il faut aussi signaler les initiatives de la préfecture de Guyane pour tenter de relancer la coopération internationale avec le Suriname , appuyées par l'institution d'un conseiller diplomatique et d'un officier chargé de la coopération en matière de sécurité et de police. Elles devaient conduire à la signature, le 23 mars 2020, d'un accord de coopération judiciaire conclu en 2015 et d'un accord sur la délimitation de la frontière. La survenue de la crise sanitaire a toutefois entrainé le report de la signature de ces conventions.
La récente alternance politique entraînée en 2020 par les élections législatives puis présidentielle laisse espérer la poursuite de ces évolutions positives. La volonté politique côté surinamais dans le contrôle de la frontière sera déterminante . La récente épidémie de Covid-19, très virulente en Guyane, a montré que la surveillance renforcée de la frontière par le Suriname pouvait être une réalité et avait un effet dissuasif significatif sur le trafic.
La relance de la coopération devra permettra la signature des deux accords précités, ainsi que la finalisation d'un accord-cadre de coopération qui institutionnaliserait la commission-mixte franco surinamienne.
L'ambition commune est également d'aller vers le renforcement de la structure de coopération policière (CCP) actuellement en place à Saint-Laurent-du-Maroni, qui correspondrait à celle qui a été mise en place avec le Brésil. La France souhaite également lui donner une compétence douanière pour aboutir à un centre de coopération policière et douanière (CCPD). Les membres de la mission ne peuvent qu'approuver une telle orientation.
Enfin, il convient de mettre davantage l'accent sur la coopération transfrontalière afin d'encourager le développement économique du bassin du Maroni. Il existe en effet un potentiel de synergies dans de nombreux domaines. Lors des auditions, l'exemple du traitement des déchets a été cité. Il est urgent de bâtir un projet de développement régional autour du fleuve, en mettant à profit la prochaine génération de crédits européens INTERREG.
La signature le 4 septembre dernier d'une déclaration entre le Suriname et la France, par laquelle nos deux pays s'engagent à progresser dans le contrôle de leur frontière, dans sa délimitation, en matière de coopération judiciaire, mais aussi de lutte contre l'orpaillage illégal et de coopération environnementale, va tout à fait dans le sens souhaité par la mission et laisse espérer des avancées prochaines .
4. Une coopération avec le Brésil à approfondir en matière douanière
Plus longue frontière terrestre française avec 730 kilomètres, la frontière commune entre la France et le Brésil suit le tracé de l'Oyapock à l'est de la Guyane, sur environ 400 kilomètres. Surveillée par la gendarmerie et des légionnaires, elle constitue un enjeu en termes de surveillance, sans doute stratégiquement plus important du point de vue français que brésilien (il s'agit de la plus courte des dix frontières terrestres brésiliennes). La coopération avec le Brésil est donc essentielle et la mission se félicite de son renforcement ces dernières années, malgré les récentes tensions diplomatiques.
Principalement régie par deux accords 51 ( * ) , la coopération avec le Brésil a conduit à la création de la commission mixte de coopération transfrontalière (CMT) franco-brésilienne , instance privilégiée de dialogue politique bilatéral entre nos deux pays. Un conseil du fleuve sur l'Oyapock, instance locale consultative, a été créé ultérieurement 52 ( * ) .
Un protocole additionnel à l'accord de partenariat du 12 mars 1997, signé le 7 septembre 2009, a abouti la création d'un c entre de coopération policière (CCP) à Saint-Georges de l'Oyapock. Ce centre a pour mission de recueillir et d'échanger des informations en vue de faciliter la lutte contre les trafics illicites.
Les avancées de la coopération entre la France et le Brésil sont réelles puisque depuis 2013, une réunion mensuelle entre les différentes polices brésiliennes et les forces françaises a lieu dans le cadre du CCP. Quatre groupes de travail ont également été créés dont l'un porte sur les produits stupéfiants.
Toutefois, à ce jour, les douanes ne sont membres de ce CCP qu'à titre d'observateurs, le Brésil ne souhaitant pas y intégrer son administration douanière. Cette situation handicape la coopération transfrontalière , car une grande partie de la délinquance à laquelle la France et le Brésil sont confrontés relève de l'administration douanière.
Il semble donc nécessaire d'intégrer les douanes au centre de coopération policière pour en faire un centre de coopération policière et douanière (CCPD), ce qui implique de reprendre le dialogue sur ce point avec les autorités brésiliennes .
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 15 septembre 2020, la mission d'information, présidée par M. Olivier Cigolotti, président, a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Antoine Karam, rapporteur.
M. Olivier Cigolotti, président . - Nous arrivons au terme de notre mission d'information constituée le 13 mai dernier, à l'initiative du groupe La République en Marche, dans le cadre du droit de tirage prévu par l'article 6 bis du Règlement du Sénat. Son objectif était d'évaluer la politique et les moyens mis en oeuvre pour lutter contre le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane et de proposer des pistes d'amélioration pour en renforcer l'efficacité, en s'intéressant au volet tant répressif que préventif.
Malgré le contexte sanitaire, et grâce à la technologie, nous avons pu conduire plus de trente auditions et entendre de nombreux acteurs : représentants des différentes administrations - douanes, police, gendarmerie, autorités judiciaires, services pénitentiaires, outre-mer... -, représentants des collectivités territoriales de Guyane, experts, associations localisées en Guyane et dans l'Hexagone, ambassadeurs...
Notre déplacement très intéressant à l'aéroport d'Orly nous a permis de voir précisément le dispositif de contrôle, même s'il n'y a eu aucune saisie ce jour-là. Quelques semaines plus tard, l'affaire de l'élu local guyanais interpellé avec de la cocaïne dans ses bagages démontrait cependant que le sujet restait d'actualité !
Jusqu'au bout, la mission a eu l'espoir de se déplacer en Guyane, mais le contexte n'était vraiment pas favorable, et nous y avons finalement renoncé. Pour autant, je pense que nous avons réussi à faire un large tour d'horizon du sujet, et que nous achevons cette mission bien informés.
Je remercie notre rapporteur pour la qualité de nos échanges et les relations conviviales que nous avons eues tout au long de nos travaux, ainsi que chacun d'entre vous, qui avez été très actifs et impliqués.
Je rappelle que sous réserve de son adoption, le rapport sera présenté cet après-midi à la presse, simultanément au Sénat et en Guyane, grâce à la visioconférence.
M. Antoine Karam, rapporteur . - Je commencerai par un bref état des lieux, résumant ce que nous avons entendu dans le cadre de nos travaux avant de vous présenter les recommandations du rapport. Jusqu'ici, aucun état des lieux n'avait été engagé sur le sujet de manière aussi précise, globale et transversale.
Selon les estimations, le trafic de cocaïne entre la Guyane et Paris représenterait 15 à 20% du marché hexagonal. Ce sont près de quatre tonnes de produits stupéfiants qui traverseraient chaque année l'Atlantique sur nos vols commerciaux.
Cette évolution tient d'une part au contexte régional et international du trafic de drogue, d'autre part aux déséquilibres économiques et sociaux dont souffre ce territoire. Seul territoire européen en Amérique latine, la Guyane se trouve à l'intersection des lieux de production et de consommation de la cocaïne. Dans ce contexte, le doublement de la production mondiale de cocaïne depuis 2013, la croissance de la demande européenne, la proximité du Suriname, pays de transit, et le renforcement des contrôles antistupéfiants sur l'axe Paramaribo-Amsterdam ont favorisé l'émergence d'une nouvelle route en Guyane, essentiellement aérienne et recourant à des passeurs occasionnels appelés « mules ».
Nous avons tenté de déterminer le niveau de structuration de ce trafic, et observé que, si des organisations comme les cartels mexicains ne sont pas encore présentes sur le territoire guyanais, les réseaux ne sont pas non plus purement artisanaux. Nous sommes actuellement dans un entre-deux, et c'est l'action que nous conduirons qui déterminera l'évolution des réseaux.
Le développement du trafic en Guyane est également révélateur d'importants déséquilibres économiques et sociaux. Les « mules » ont des profils variables : dans leur grande majorité, ce sont des jeunes défavorisés socialement mais l'on voit aussi de plus en plus des mères de familles, voire des personnes d'un certain âge en situation de précarité. Le phénomène s'est fortement banalisé et la plupart des Guyanais connaissent personnellement quelqu'un qui a déjà « fait le voyage », un voyage susceptible de rapporter entre 2 000 et 10 000 euros, mais pouvant aussi mener en prison.
Alors, que faire ? Si l'État n'est pas resté sans réaction face au problème, il a jusqu'ici privilégié une réponse essentiellement répressive. L'État a ainsi accru ses structures et ses moyens, tant au départ en Guyane qu'à l'arrivée à Orly, avec notamment la mise en service, très attendue, de deux scanners à ondes millimétriques à l'aéroport de Cayenne-Félix-Éboué, qui permettent de mieux détecter la cocaïne dissimulée par les passeurs. La coordination interministérielle a également été renforcée par la signature d'un protocole en 2019. Une meilleure coordination entre les administrations concernées et avec l'autorité judiciaire a accru l'efficacité des actions menées. Sur le plan juridique, de nouvelles possibilités d'action ont été instaurées, notamment en termes de procédure pénale.
Pour autant, le dispositif demeure insuffisant. Les trafiquants adoptent en effet une stratégie de saturation des forces de sécurité et de la chaîne pénale : ils envoient les passeurs en nombre, sachant que certains se feront prendre mais que d'autres passeront, car la capacité de contrôle n'est pas illimitée. Ainsi, bien que le renforcement des contrôles ait entraîné une augmentation des interpellations et des saisies, le trafic ne tarit pas et le point d'équilibre recherché par les autorités - à savoir une baisse ou une stabilisation des saisies conjuguée à un nombre croissant de contrôles - n'est pas encore atteint. Le trafic demeure donc rentable économiquement.
Par ailleurs, la politique pénale est peu adaptée au profil des passeurs de cocaïne, faute de prendre suffisamment en compte l'objectif de réinsertion.
La prévention se heurte à d'importantes limites. Les difficultés de financement sont récurrentes, tandis que les associations connaissent des difficultés structurelles de coopération avec les pouvoirs publics. L'absence d'un acteur institutionnel désigné constitue à nos yeux une importante faiblesse. Nous avons aussi relevé des limites relatives au contenu des actions de prévention, dont les messages ou les cibles ne sont pas toujours adaptés.
L'État doit apporter à la banalisation du trafic de cocaïne en Guyane une réponse beaucoup plus forte et plus complète que celle qu'il a mise en oeuvre jusqu'à présent. Il s'agit d'une question de première importance, un enjeu de société, pour la Guyane comme pour tout le territoire national.
En Guyane, le trafic de cocaïne se développe faute d'alternatives et de perspectives offertes à la population. Il met en jeu des vies humaines et menace les équilibres économiques et sociaux. La rentabilité élevée du trafic - acheté 3 500 euros, le kilo de cocaïne peut être revendu dix fois plus cher dans l'Hexagone - et la structuration progressive des réseaux font craindre une dérive mafieuse. Les actes de violence liés au trafic, enlèvements ou séquestrations, commencent d'ailleurs à se développer.
À l'échelle du pays, le trafic de cocaïne est un enjeu de santé publique, avec 600 000 consommateurs réguliers en France, mais aussi d'ordre public. En effet, il irrigue désormais tout le territoire hexagonal, avec une prédilection pour les villes de province, où il alimente la délinquance et l'économie parallèle.
Nous demandons donc à l'État, de toute urgence, une politique ambitieuse et globale pour mettre un coup d'arrêt à ce phénomène délétère. Cette action forte ne doit pas se limiter à la répression mais aussi comporter un volet social, sans oublier la dimension coopération internationale.
Bien entendu, la politique répressive reste nécessaire. Elle doit viser l'efficacité dans le traitement de la masse de passeurs ainsi que le démantèlement des réseaux. Il s'agit d'intensifier les contrôles et les saisies de manière à diminuer la rentabilité du trafic sur la route guyanaise et décourager les trafiquants. Pour ce faire, il est indispensable de donner aux forces de l'ordre et à la justice les moyens de faire face à une augmentation des interpellations. Selon une estimation de l'Office anti-stupéfiants (OFAST), la systématisation des contrôles à corps et à bagages pourrait générer une augmentation de 40 % du flux à traiter, soit 2 800 cas supplémentaires par an ! Cela implique sans doute une réévaluation des effectifs, notamment des magistrats, mais également l'utilisation de procédures simplifiées et l'emploi des différents services au mieux de leurs capacités, en améliorant leur coordination.
Par ailleurs, nous devons accroître notre efficacité dans le démantèlement des réseaux. Les échanges d'informations doivent être renforcés et les actions de lutte contre le blanchiment poursuivies. Plus structurellement, il faut réorienter sur cette action l'OFAST, trop centré sur le traitement quantitatif des passeurs de cocaïne.
Au-delà du volet répressif de la réponse, nous considérons que l'État doit doter celle-ci d'un volet social ambitieux.
Il faut mettre en place une politique de prévention digne de ce nom, car c'est aujourd'hui le talon d'Achille de la lutte contre les passeurs.
Nous suggérons tout d'abord que soit explicitement confiée au Préfet, avec l'association étroite de la Collectivité territoriale de Guyane, la mission d'impulser cette politique de prévention et de renforcer la coordination des différents intervenants dans ce domaine. L'amélioration de la politique de prévention passe aussi par une meilleure connaissance du contexte social dans lequel intervient le passage à l'acte, ainsi que du profil des personnes. Afin de mieux cibler les actions, il conviendrait de les étendre à la famille et à l'entourage, potentiels recruteurs ou référents, ainsi qu'au collège et aux milieux extra-scolaires, pour toucher le public le plus large. Il convient aussi de mieux adapter le contenu des actions aux publics visés, par exemple en prévoyant davantage d'actions en langues régionales, notamment bushinenguées.
Enfin, il faut envisager une augmentation substantielle des crédits alloués à la prévention en Guyane.
La prévention passe aussi par la formation des jeunes et leur accompagnement socio-professionnel. Quelque 32 % des Guyanais de 18 à 25 ans sont au chômage et 43% ne sont ni en emploi, ni en formation. Il faut de toute urgence développer l'offre scolaire et de formation dans ce territoire jeune et en forte croissance démographique, sans quoi les déséquilibres ne feront que s'accentuer. Il ressort de nos auditions que les passeurs sont fréquemment des jeunes qui n'attendent plus rien d'une société qui semble les avoir abandonnés, faute d'accompagnement suffisant. Nous ne parviendrons pas à lutter efficacement contre ce trafic sans apporter une réponse crédible à cette jeunesse, une réponse qui lui offre un avenir et lui ouvre des perspectives.
Si les peines prononcées à l'encontre des passeurs doivent rester exemplaires et dissuasives, la politique pénale doit être davantage tournée vers la réinsertion des personnes condamnées. Lorsque des peines en milieu fermé sont prononcées, le recours à des peines mixtes tournées vers la réinsertion doit être privilégié. Les sorties « sèches » mènent presque systématiquement à la récidive. Les magistrats doivent s'appuyer sur les nouvelles catégories de peine créées en 2019, telles que le sursis probatoire renforcé, particulièrement adapté aux passeurs de stupéfiants. Il ne suffit pas de punir, il faut donner du sens à la peine et en faire un temps utile pour éviter la récidive.
La principale difficulté reste le manque de ressources disponibles pour mettre en oeuvre ces actions de réinsertion, dont le succès dépend directement de la force du tissu associatif et des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP). À cet égard, le rapport propose d'attribuer au SPIP de Guyane un rôle de maître d'oeuvre, lui permettant de coordonner l'ensemble des actions menées en Guyane et dans l'Hexagone, et de renforcer les moyens humains et financiers qui lui sont dévolus. Il s'agit notamment de favoriser la réinsertion en Guyane des individus incarcérés dans l'Hexagone.
Enfin, le rapport propose diverses pistes pour agir au plan international. La mission plaide pour une plus grande implication de la France dans la coopération régionale en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants dans la zone Caraïbe, via l'action de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), des attachés de sécurité intérieure et des forces armées aux Antilles.
Afin que la France pèse davantage dans les organisations qui portent cette coopération, elle suggère aussi de relancer l'adhésion de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane à la communauté caribéenne (Caricom) comme membres associés.
Elle recommande enfin d'intensifier la coopération bilatérale avec les pays voisins, notamment le Suriname, en mettant à profit la récente évolution politique dans ce pays. Cette coopération est à développer sur le plan sécuritaire mais aussi économique compte tenu des synergies potentielles et des besoins convergents entre nos pays dans le bassin du Maroni.
Ce n'est que par un ensemble d'actions coordonnées dans tous les domaines, répressif, social, international, sous-tendues par une forte volonté politique, que nous parviendrons à enrayer ce phénomène dramatique du trafic de cocaïne en Guyane.
Celui-ci n'est pas une fatalité, j'en suis convaincu. Il n'en est pas moins un marqueur des difficultés que rencontre la Guyane à « se repositionner sur une trajectoire d'égalité réelle convergente avec le reste du territoire national », pour reprendre les termes de l'accord de Guyane de 2017. En 2019, le PIB par habitant y était inférieur de plus de 57 % à la moyenne nationale. Plus que jamais, la Guyane a besoin d'une impulsion forte pour soutenir son développement économique. La lutte contre le trafic de drogue doit y contribuer, car nous devons protéger notre jeunesse de ce fléau et lui ouvrir des perspectives d'avenir.
Je remercie le président Cigolotti, avec qui nous avons beaucoup échangé, au téléphone, en visioconférence et en présentiel. Je regrette que la pandémie nous ait empêchés de nous rendre en Guyane - mais nombre de nos collègues connaissent notre territoire, et la situation que nous vivons. Malgré le décalage horaire, nous avons pu travailler utilement.
Je suis convaincu que la Guyane doit donner une autre image que celle d'un pays de passage de la drogue venue de Colombie, du Venezuela ou du Suriname - et je ne parle pas du Brésil... La France ne peut rester indifférente à la situation internationale. Nous sommes l'Amazonie, nous sommes l'Amérique du Sud, nous donnons à la France son espace et son oxygène !
M. Joël Guerriau . - Les jeunes deviendraient passeurs parce qu'ils n'ont pas été correctement encadrés et suivis ? Une telle formulation me gêne, car elle donne le sentiment que nous serions à l'origine de la situation. Il est trop facile de rejeter la faute sur l'autre ! S'il faut agir pour décourager ces comportements, faut-il pour autant, dans le contexte actuel, nous en imputer la responsabilité ? C'est une question de présentation...
Mme Catherine Conconne . - Je félicite et remercie le président et le rapporteur, et salue chaleureusement Antoine Karam, qui clôt de très belle manière son mandat. Il fallait oser ce rapport, hélas réaliste. Il décrit une réalité que nous vivons aussi chez nous, aux Antilles. On ne devient pas passeur par hasard. Les indicateurs de développement de nos pays témoignent d'un lâchage par la société : voyez le nombre de chômeurs, de familles monoparentales, avec des mères souvent très jeunes, de décrocheurs scolaires, alors que l'école de la République devrait être la même partout, de jeunes sans qualification...
Ce millefeuille d'inégalités n'est pas tolérable. Je suis farouchement antidrogue, hostile même à la légalisation du cannabis, mais je peux comprendre qu'un jeune lâché par la société, qui ne percevra pas le RSA avant ses 25 ans, qui ne trouve pas de petit boulot, soit séduit par des voyous qui lui font miroiter de l'argent facile.
Je tonne souvent à la tribune pour attirer l'attention sur cette réalité, sur ces disparités que nous vivons au quotidien, pour exiger plus de considération et une meilleure prise en compte. La drogue n'est que la pointe émergée de l'iceberg.
M. Fabien Gay . - Je voterai ce rapport, qui me paraît très équilibré. On ne naît pas passeur, on le devient. Il ne s'agit pas de trouver des excuses mais de comprendre pour traiter le mal à la racine. Cela suppose un équilibre entre la répression et les moyens donnés à la justice, d'une part, et le traitement social, d'autre part. L'autorité de l'État s'exerce quand la République, les services publics, les fonctionnaires sont partout. Ce combat pour l'égalité républicaine, je le mène aussi dans mon département. En Guyane comme en Seine Saint Denis, l'inégalité républicaine est patente. Quartiers populaires, zones rurales, outre mers ont des problématiques communes !
Le rapport aborde aussi la dimension internationale, et notamment la relation avec le Suriname. Il embrasse le sujet dans son ensemble, de façon équilibrée, sans cacher qu'il faudra des moyens humains et financiers.
Je suis heureux d'avoir travaillé avec Antoine Karam, que je félicite et remercie et à qui je souhaite bon vent !
M. Philippe Dallier . - Je ne veux pas rentrer dans le débat entre responsabilité individuelle et responsabilité de la société. Je suis élu d'un département populaire, j'y ai grandi. Rencontrer des difficultés sociales n'implique pas de tomber dans la délinquance ! Ce serait faire injure à beaucoup de parents qui tiennent leurs gamins et leur évitent de mal tourner. Mais on sait que les difficultés sociales peuvent conduire à ce type de comportement, et qu'il faut aussi mener des politiques de prévention pour empêcher ces dérives.
Le rapport appelle à l'adaptation et à la simplification des procédures. Que met-on derrière ces termes ? S'agit-il simplement de ne pas trop surcharger les forces de l'ordre et les tribunaux ? Demander des adaptations législatives qui iraient assez loin risquerait de créer un précédent...
M. Antoine Karam, rapporteur . - Merci pour ces remarques pertinentes.
Je recherche toujours le consensus, car il faut réussir ce pari, dans l'intérêt des Guyanais. Après 44 ans de mandat électif, je tire ma révérence. Je viens du mouvement sportif ; j'ai été le plus jeune président de ligue d'athlétisme. Persuadé que le sport était le meilleur paravent contre les fléaux sociaux, j'ai plaidé pour des équipements sportifs, j'ai fait manifester trois mille personnes pour obtenir une piste d'athlétisme conforme en Guyane. Mais même avec des équipements de quartier partout, des terrains de foot, des panneaux de baskets, cela ne suffit pas. La population guyanaise a quintuplé en quarante ans ! Quand j'ai entamé ma carrière d'enseignant en 1976, Saint-Laurent-du-Maroni comptait 5 000 habitants ; ils sont aujourd'hui 50 000, et seront 130 000 en 2032 !
Pour nos voisins d'Amérique du Sud, nous sommes attractifs. Chaque jour, des centaines de Brésiliens entrent en Guyane, malgré la fermeture des frontières. Le Maroni n'est pas une frontière mais un lieu de circulation. Des enfants du Suriname vont à l'école en Guyane, des mères viennent accoucher dans nos maternités... La population explose, et 43% a moins de 23 ans.
Les jeunes prennent des risques. J'en ai rencontré qui me disaient être prêts à risquer un an de prison - qui sera ramené à six mois, vu la surpopulation carcérale - et à recommencer une fois sortis, car avec les 3 000 euros que leur rapporte le trajet, ils font vivre leur famille.
La pire des choses serait que ce rapport finisse dans un tiroir. C'est pourquoi nous avons rencontré ce matin le directeur de cabinet de la direction générale des outre-mer au ministère des outre-mer, qui connaît bien la Guyane. Les outils juridiques permettant d'alléger les procédures existent déjà, les acteurs doivent s'en saisir. Les douaniers se plaignent de manquer d'effectifs ; débordés, ils demandent à être mutés. Les élus savent qu'il faut faire plus, construire des équipements. La Guyane est le seul territoire où l'on construit chaque année des centaines de places à l'école primaire, un lycée tous les deux ans, deux collèges par an ! Il faut une vision globale.
En 1995, alors que je présidais la région, j'avais demandé à Jacques Chirac quelle était l'ambition de la France pour la Guyane, hormis le spatial. Poser la question, c'est y répondre : seul importe que la fusée décolle à l'heure ; la mission des préfets est de gérer la paix sociale pour éviter les clashs. Cela ne suffit pas.
Il faut apporter des réponses, accentuer la répression mais aussi la prévention et la coopération. Le Brésil, la Colombie, le Venezuela sont marqués par l'instabilité politique. La France doit peser de tout son poids dans la coopération internationale pour que la Guyane cesse d'être un lieu de transit de la drogue. J'ai vu nos jeunes en prison en France - y compris des jeunes femmes, qui accouchent à Fresnes ! C'est dramatique. Ce rapport se veut un plaidoyer pour inverser la tendance.
M. Olivier Cigolotti, président . - Nous n'avons pas voulu remettre un rapport à charge, mais le plus objectif possible. C'est grâce à la diversité de nos convictions, de nos visions respectives, que nous avons pu l'élaborer. Le trafic de stupéfiants en provenance de la Guyane est un fléau tant pour ce territoire que pour l'Hexagone. C'est un problème de politique sociale, sachant que 43% des jeunes Guyanais ne sont ni en emploi, ni en formation, un problème de prévention, de répression, de manque de coopération internationale, notamment avec le Suriname.
Des pistes d'amélioration, de simplification existent. Il faut, sans pointer quiconque du doigt, que chaque administration joue pleinement son rôle, se saisisse des outils réglementaires et législatifs à sa disposition : comparution différée, convocation par les agents des douanes, rétention et présentation ultérieure...
Merci à chacun, nous avons eu plaisir à travailler ensemble, malgré le contexte difficile et le décalage horaire. Grâce à la pertinence de vos questions, à l'intérêt que vous avez porté au sujet, nous pouvons rendre un rapport intéressant. Ce n'est pas une fin en soi ; il trace des possibilités d'évolution pour la Guyane et sa jeunesse. Parmi les pistes, citons le service militaire adapté (SMA), qui a fait ses preuves auprès de jeunes défavorisés. Ce territoire a des atouts qui doivent permettre à sa jeunesse de mieux s'en sortir.
Je vais maintenant mettre aux voix le rapport.
Le rapport est adopté à l'unanimité et la mission en autorise la publication.
Le rapport va être envoyé pour impression assez rapidement. Si vos groupes politiques ont des observations, ils peuvent nous les adresser, d'ici mercredi soir, sous la forme de contributions qui seront annexées au rapport.
La réunion est close à 11h50.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- M. Marc Del Grande , préfet de la région Guyane ;
- M. Patrice Faure , préfet du Morbihan, ancien préfet de la région Guyane ;
- M. Nicolas Prisse , président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) ;
- M. François Cathelineau , Président de l'Agence Phare et Mme Manon Réguer-Petit , Directrice scientifique ;
- Général Stéphane Bras , commandant de la gendarmerie de Guyane, MM. Thibaut Rebourg , commissaire de police, chef du service territorial de la police aux frontières (STPAF) de Guyane et Gil Friedman , commissaire divisionnaire, directeur territorial de la police nationale (DTPN) de Guyane ;
- MM. Alexis Lopès , directeur régional des douanes de Guyane et Patrick Pichon , chef du pôle orientation des contrôles ;
- Mme Carine Sinaï-Bossou , présidente de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Guyane, MM. Jean-Marc Avril , trésorier et président de la Commission des équipements aéroportuaires, Franck Krivsky , membre élu et Olivier Taoumi , directeur général, directeur de l'aéroport Félix Eboué ;
- Représentants de l'Autorité judiciaire en Guyane : Mme Marie-Laure Piazza , première présidente de la Cour d'appel, MM. Francis Nachbar , procureur général, Patrick Chevrier , président du tribunal judiciaire, Samuel Finielz , procureur de la République ;
- Collectivités territoriales : MM. Serge Smock , maire de Matoury, Christian Faubert , maire-adjoint de Cayenne et Mme Sophie Charles , maire de Saint-Laurent-du-Maroni ;
- Mme Ariane Fleurival , présidente du Conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l'éducation (CESECE), M. Franck Krivsky , vice-président de la section économique, sociale, environnementale du CESECE ;
- MM. Sylvio Van Der Pijl , président et Bruno Apouyou , vice-président du Grand Conseil Coutumier ;
- Table ronde collectifs et associations guyanais : Mme Emilie Grand Bois , Association pour la Protection et l'Accompagnement de la Mère et de l'Enfant en Guyane (APAMEG), Mmes Marie Nicaise , directrice générale et Hélène Commerly , directrice du territoire Ouest de l'AKATIJ et M. Gérard Guillemot , dit « Papé Gé », président de l'Association Mama Mobi ;
- Mme Guéda Gadio , docteure en sociologie et diplômée en criminologie, auteure d'une étude sociologique sur le profil des personnes impliquées dans le transport de stupéfiants entre la Guyane et l'Hexagone ;
- Mme Marie-Pierre Bonafini , directrice fonctionnelle du service pénitentiaire d'insertion et de probation ( SPIP) du Val de Marne ;
- Mme Marie-Noëlle Poyet , cheffe de l'Antenne DPIP du Val de Marne ;
- Mme Sylvette Antoine , chef d'établissement du centre pénitentiaire de Remire-Montjoly et M. Roland Geneviève , directeur adjoint du SPIP de Guyane ;
- Tribunal judiciaire de Créteil : MM. Eric Bienko Vel Bienek , président, Ludovic Fossey , premier vice-président chargé des fonctions de juge de l'application des peines, Jean-Philippe Mescle , procureur de la République adjoint et Mme Laure Beccuau , procureur de la République ;
- Mmes Claire Tranchimant , présidente du Mouvement pour la réinsertion sociale et Catherine Dupuis , co-responsable de l'antenne parisienne (MRS) ;
- M. Jean-Raymond Passard , directeur de la Mission locale de Guyane ;
- Colonel Fabrice Lesueur , chef de corps du régiment du Service militaire adapté de Guyane (SMA) ;
- M. David Weinberger , chercheur à l'Institut national des hautes études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ) ;
- M. Antoine Joly , ambassadeur de France au Suriname, Guyana et pour la CARICOM ;
- M. Jean-Bernard Nilam , ambassadeur délégué à la coopération régionale Antilles-Guyane ;
- Ambassade de France aux Pays-Bas : Mme Morgan Martin , magistrate de liaison aux Pays-Bas, MM. Cédric Rollet , attaché douanier pour les pays du Benelux, Éric Deluy , commandant de police, officier de liaison en poste à l'ambassade et en charge de la lutte contre la criminalité organisée pour la zone Benelux ;
- M. Rodolphe Alexandre , président de la Collectivité territoriale de Guyane ;
- M. Serge Galloni, directeur de la police aux frontières de l'aéroport d'Orly (lors du déplacement de la mission à Orly) ;
- M. Jean-Claude Cazalbou, directeur régional des douanes d'Orly (lors du déplacement de la mission à Orly) ;
- M. Florian Guyot , directeur général de l ' Association Aurore et Mme Valérie Caulliez , cheffe de service ;
- M. Olivier Goudet , président de l' Association Trop Violans et Mme Yvane Goua , chargée de projet et porte-parole ;
- MM. Lorenzo Gil , sous-directeur des Affaires juridiques et lutte contre la fraude à la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDID) et Florian Nourian , adjoint à Mme Michèle Clément, cheffe du bureau de la lutte contre la fraude ;
- Mme Corinne Cleostrate , directrice à la Direction du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), MM. Cyrille Cohen , directeur des opérations douanières (DOD) et Luc Périgné , directeur du renseignement douanier (DRD) ;
- M. Vincent Le Beguec , contrôleur général, représentant le directeur général de la police nationale (DGPN) ;
- Colonel Johanne Gojkovic-Lette , chargé de mission auprès du sous-directeur de la police judiciaire ;
- Mme Catherine Pignon , directrice des Affaires criminelles et des grâces (DACG) et M. Vincent Lemonier , adjoint au Chef de Bureau de la lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme et le blanchiment ;
- Mmes Stéphanie Cherbonnier , contrôleure générale de l'Office anti-stupéfiants et Laurence Larhant , administratrice des douanes, cheffe du pôle stratégie (OFAST) ;
- M. Laurent Lenoble , directeur de cabinet du directeur général des outre-mer au ministère des outre-mer.
* 1 Office anti-stupéfiants.
* 2 Ces trois États andins jouissent d'une quasi exclusivité dans la production du chlorhydrate de cocaïne car cette drogue nécessite des variétés de coca riches en alcaloïdes qu'on ne trouve pas ailleurs.
* 3 Selon l'Observatoire français des drogues et toxicomanies.
* 4 Au cours des auditions a été cité le cas d'un jeune Guyanais qui s'était lancé dans le trafic de cocaïne après avoir prospéré dans les mines d'orpaillage illégal.
* 5 Les réseaux restent néanmoins semi-structurés, car, comme l'indique David Weinberger, les trafiquants de drogue qui génèrent le plus de revenus peuvent utiliser des modes de transports plus onéreux et permettant le transport de davantage de marchandises. Le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, de par sa nature même, n'est pas un trafic de cartel mais le fait d'un grand nombre d'acteurs qui cohabitent ensemble.
* 6 Insee Analyses, L'insertion professionnelle des 15-29 ans en Guyane, 2019.
* 7 Ibid.
* 8 La Guyane non-routière comprend les communes d'Ouanary, Saül, Maripasoula, Camopi, Grand-Santi, Saint-Élie et Papaichton.
* 9 A contrario, les transporteurs de stupéfiants interpellés dans l'Hexagone ou n'ayant fait l'objet d'aucune interpellation ne sont pas pris en compte par cette étude. Ce travail n'a pas encore fait l'objet d'une publication finale.
* 10 Centres pénitentiaires de Rémire-Montjoly et Fresnes, notamment.
* 11 Il apparait que 8 % des transporteurs ont un niveau primaire, 26 % un niveau collège, 56 % sont allés au lycée, et 4 % n'ont jamais été scolarisés.
* 12 Cet isolement se manifeste également par l'absence quasiment systématique de leurs proches lors des audiences.
* 13 Audition de Mme Sylvette Antoine, directrice du centre pénitentiaire de Cayenne.
* 14 Pratiquant des obia, c'est-à-dire des forces magiques.
* 15 Agence Phare, La prévention du phénomène des mules en Guyane, avril 2019.
* 16 « La prise de risque contre un système est libératrice et rentable ». .
* 17 Audition de l'association Aurore.
* 18 Audition de Papa Gé, président de l'association Mama Mobi.
* 19 Audition de M. Florian Guyot, directeur général et Mme Valérie Caulliez, cheffe de service de l'association Aurore.
* 20 Audition de Mme Manon Réguer-Petit, Agence Phare.
* 21 Audition de M. Nicolas Prisse, président de la MILDECA.
* 22 Observatoire français des drogues et toxicomanies, Drogues, chiffres clés, 8 e édition, juin 2018.
* 23 Audition de M. David Weinberger, chercheur à l'INHESJ.
* 24 La Guyane dépendait antérieurement de l'antenne OCRTIS de Fort-de-France.
* 25 Article 365-1 du code des douanes.
* 26 Proposition n° 16 du rapport d'information n° 337 (2019-2020), Pour une grande loi Guyane : 52 propositions , de MM. Philippe BAS, Mathieu DARNAUD, Jean-Luc FICHET, Mme Sophie JOISSAINS et M. Thani MOHAMED SOILIHI, fait au nom de la commission des lois, publié le 19 février 2020. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-337-notice.html .
* 27 20 % des passeurs sont désormais traités en comparution immédiate.
* 28 Travail intermédiaire de Mme Guéda Gadio transmis à la mission d'information.
* 29 Les personnes condamnées à une peine d'emprisonnement par le Tribunal judiciaire de Créteil étant incarcérées au centre pénitentiaire de Fresnes.
* 30 Audition de Marie-Laure Piazza, première présidente de la cour d'appel de Cayenne.
* 31 Ce stage, qui s'est tenu du 18 au 21 novembre 2019 à Saint-Laurent du Maroni a accueilli trois personnes la première journée et cinq pour les trois jours suivants.
* 32 Qui comprend actuellement 4 intervenants sociaux de gendarmerie (un cinquième devant être recruté prochainement).
* 33 Les actions MILDECA sont co-financées avec les crédits du Fonds de lutte contre les addictions, gérés par l'ARS et les crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD).
* 34 Comme Le goût du calou projeté par l'Akati'j dans l'ouest guyanais.
* 35 Agence Phare, La prévention du phénomène des mules en Guyane, avril 2019, p. 101.
* 36 L'image de l'entonnoir a été utilisée à plusieurs reprises.
* 37 Article 414 du code des douanes.
* 38 Cour de cassation, chambre criminelle, 18 mars 2020, 19-84372.
* 39 Le gardiennage des chambres médicalisées au sein de l'unité Cuzco, à l'hôtel Dieu, étant réalisé par la préfecture de police de Paris.
* 40 Agence Phare, La prévention du phénomène des mules en Guyane, avril 2019.
* 41 Ibid.
* 42 Ibid.
* 43 Environ 750 bénéficient du dispositif « Garantie jeunes ».
* 44 RSMA de Guyane
* 45 Le service militaire adapté : un dispositif indispensable au développement des outre-mer, rapport d'information n° 329 (2018-2019) de MM. Nuihau Laurey et Georges Patient, fait au nom de la commission des finances du Sénat - 20 février 2019.
* 46 Le taux de sélectivité du RSMA de Guyane est aujourd'hui faible (1,23 candidat par place en 2019), ce qui a mené son commandement à relativiser la pertinence d'une montée en puissance des effectifs. L'évolution démographique devrait toutefois entrainer un élargissement du vivier à partir des années 2021-2025. Par ailleurs, une plus grande communication à l'attention des publics éloignés de l'emploi pourrait augmenter le nombre de candidatures.
* 47 Le volet répressif et dissuasif devant notamment s'appuyer sur la saisine de la marchandise.
* 48 Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
* 49 Embarcations qui acheminent les cargaisons de drogue au-delà des eaux territoriales en vue de les transférer sur des embarcations rapides de type go-fast.
* 50 Caribbean Community en anglais.
* 51 Il s'agit d'un accord de sécurité relatif aux échanges d'informations protégées, conclu le 2 octobre 1974 et d'un accord de partenariat et de coopération en matière de sécurité publique, signé le 12 mars 1997.
* 52 Déclaration d'intention signée le 14 décembre 2012.