C. POURQUOI IL NE FAUT PAS TOUT ATTENDRE D'UNE RÉORGANISATION INSTITUTIONNELLE
1. Des pistes de réflexion qui sont loin de faire consensus
Aucune des évolutions institutionnelles envisagées pour rapprocher les conseils départementaux et régionaux ne suscite une adhésion générale. En particulier, le retour du conseiller territorial, sous une forme plus ou moins proche de celle qui avait été esquissée en 2010-2011, est loin de faire l'unanimité parmi les élus et au sein du public .
Le professeur Géraldine Chavrier, entendue par la rapporteure, continue d'y voir le risque d'une dilution de la spécificité des missions régionales et d'une perte de vue de l'intérêt régional au profit d'intérêts départementaux additionnés - argument qui, il est vrai, ne tient pas compte du fait que les conseillers régionaux actuels sont d'ores et déjà élus sur une base départementale.
Parmi les élus rencontrés ou sollicités par la mission, les avis sont très partagés - sans que la ligne de partage corresponde aux clivages partisans, non plus qu'à la distinction entre élus départementaux et régionaux. Ainsi, 44 % des présidents de conseil départemental interrogés se déclarent favorables au conseiller territorial, 17 % défavorables , 39 % ne se prononçant pas. Pour le président du conseil départemental du Calvados, le retour du conseiller territorial permettrait « une meilleure coordination et coopération des compétences partagées (...) et imbriquées (...). Nous aurions alors une Région correctement positionnée, dans son rôle de stratège et de porteur des grands investissements ; et un Département plus opérationnel, ancré dans la proximité et le quotidien des habitants ». Son homologue du Loir-et-Cher y voit, pour sa part, la garantie d'« un lien plus étroit entre le territoire et une action ou une décision régionale parfois trop généraliste et éloignée de la réalité et des spécificités locales, y compris dans les plus petites régions ». En sens contraire, le président du conseil départemental de la Dordogne y voit la menace d'une « fin du département », celui de l'Ardèche le risque d'introduire une logique politicienne dans le fonctionnement des conseils départementaux.
L'avis des présidents de conseil
départemental
sur le retour du «
conseiller
territorial
»
278
(
*
)
Source : mission d'information
Les positions sont tout aussi diverses parmi les conseillers régionaux . En Auvergne-Rhône-Alpes, par exemple, le président du conseil régional, Laurent Wauquiez, a publiquement pris position contre le projet prêté au président de la République de ressusciter le conseiller territorial, qualifié de « rideau de fumée », tandis que son premier vice-président, Étienne Blanc, a déclaré à la rapporteure y être personnellement très favorable, afin que les départements assument le rôle de relais de proximité des régions et soient eux-mêmes dotés d'une vision régionale des problèmes.
2. Des conséquences difficiles à anticiper
Sans doute ces avis divergents s'expliquent-ils en partie par la difficulté de prévoir quels seraient les effets de l'institution, sous une forme ou sous une autre, d'une catégorie d'élus appelés à siéger à la fois au sein des conseils départementaux et régionaux . Certains peuvent y voir le moyen de consolider l'existence des départements, voire d'affaiblir les régions, d'autres au contraire le risque d'une mainmise des régions sur les départements. Dans le meilleur des cas, ce rapprochement organique pourrait effectivement permettre d'améliorer la coordination entre l'action des deux niveaux de collectivités. Toutes les difficultés ne disparaîtraient pas, néanmoins : les institutions ont une vie propre et tendent à affirmer leur identité ainsi qu'à définir leurs propres priorités . En outre, aucune des modalités d'élection précédemment envisagées ne garantirait la cohérence politique entre le conseil régional et chacun des conseils départementaux de la région.
3. Priorité doit être donnée à la coopération concrète
Aussi, tout en invitant à ce que la réflexion se poursuive, la mission considère-t-elle qu' un rétablissement du « conseiller territorial » ou tout autre rapprochement d'ordre institutionnel entre départements et régions ne constitue pas une priorité . Des élections départementales et régionales sont d'ailleurs prévues pour le mois de mars 2021, et une réforme institutionnelle n'aurait de chance d'aboutir qu'à la fin de la prochaine mandature, soit en 2027.
Ce qui importe, aujourd'hui, c'est le développement de coopérations concrètes entre ces deux échelons territoriaux , afin de répondre plus efficacement aux besoins de la population. Cela suppose, comme on l'a vu, de desserrer le carcan législatif actuel et de laisser les élus locaux décider plus librement des modalités de leur action conjointe.
Si, à l'avenir, des réformes institutionnelles devaient être envisagées, compte tenu de la forte incertitude qui entoure leurs effets, il conviendrait de procéder pas à pas, en commençant par expérimenter de nouvelles formules là où le besoin s'en ferait plus particulièrement sentir . C'est seulement au terme d'une telle expérimentation et sur la base d'une évaluation approfondie que pourrait être projetée son extension à d'autres territoires, voire - mais non nécessairement - sa généralisation à l'ensemble du pays.
Recommandation n° 27 : Pour l'heure, préférer le renforcement des coopérations concrètes au rétablissement du « conseiller territorial » ou à toute autre réforme d'ordre institutionnel visant à rapprocher les conseils régionaux et départementaux, dont les effets sont hautement incertains. |
* 278 L'échantillon se limite aux réponses reçues par la mission.